A. -

[Idée de station debout] "Être debout (et rester plus ou moins immobile)"

1.

[D'une pers., d'un animal] "Se tenir debout (qq. part)" : Se li chevaux est sorbatus, si doit estre ferrés de chaut fer et de chaus clous deliez, et si le fetes ester en son fiens. (Chir. chevaux P., c.1325-1350, 380). Si vit entre les .II. lumieres Devant son lit saint Pierre ester Qu'el cognut bien sans arrester (Tomb. Chartr. Trois contes S., c.1337-1339, 97). Levez vous, car il plaist a nous Que plus ne parlez a genous. Et se plus ci après parlez, Parlez einsi, com vous volez, Ou en sëant, ou en estant, Car il nous souffist bien a tant. (MACH., J. R. Nav., 1349, 185). Or avint (...) que un jour li princes de Galles estoit en goges, si vei devant lui ester monsigneur Bertran de Claiekin. Si l'appella et li demanda comment il li estoit. (FROISS., Chron. L., VII, c.1375-1400, 62). Item, un honme a ensemble la vertu ou puissance de soy seoir [ et ] de soy , quar aucune foys il a l'une et l'autre puissance, mais non pas a ce que il se sieche et se ensemble, mais a ce qu'il se sieche en un temps et este en autre. (ORESME, C.M., c.1377, 212). Plus ester ne puis : Cy m'asserray. (Mir. fille roy, c.1379, 37).

-

Ester sur (ses) pieds : Non fera l'en tant com je puisse Sur piez ester. (Mir. femme, 1368, 191). "Quel cose faisons nous chi, estans sus nos piés et nous refroidant ? Que n'alons nous de bon corage, puisque nous en avons la volenté, requerre nos ennemis et combatre ?" (FROISS., Chron. R., XI, c.1375-1400, 49). Par nos Diex, Pol, tu y mourras. Sy verrons lors se tu pourras Revivre et ester sus tez piez. (Mart. st Pierre st Paul R., c.1430-1440, 143).

-

Empl. pronom. "Être debout" : Et adont l'ancien homme retorna a son moustier, et quant l'anee fu passee et le jour de la Cene vint, il prist le cors de Nostre Seigneur et vint jusques a la rive du flun Jourdain et vit cele fame qui s'estoit a l'autre rive. Et ele fist sus l'yaue le signe de la crois et vint par desus a l'omme ancien. (VIGNAY, Vie ste Marie Eg. D., c.1333-1335, 272). Item, un honme a ensemble la vertu ou puissance de soy seoir et de soy ester, quar aucune foys il a l'une et l'autre puissance, mais non pas a ce que il se sieche et se este ensemble, mais a ce qu'il se sieche en un temps et este en autre. (ORESME, C.M., c.1377, 212).

2.

[D'une chose] "Être debout, être sis, être situé qq. part" : ...pour occasion d'une certeinne hale extant à Caen, que ledit Campion maintient (...) à lui apartenir (BAYE, II, 1411-1417, 96). ...sur unc staul de colebire jadit stesant dedens le cortil (Terre Jauche D., 1444, 130).

B. -

[Idée d'immobilité, d'arrêt]

1.

"Être immobile, rester en place, se tenir tranquille" : Puis prent son coutel de quoy il trenche et frappe dessus la table, puis s'en va ou jardin, puis revient et ne peut ester ne fere contenance, et toute la journee et la nuytee il gete ungs sanglous: il n'est home qui n'en eust pitié ! (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 109).

-

Ester de + inf. "Cesser de" : Adont elle dist qu'elle n'avoit qu'ester de cheminer, car son intencion estoit telle qu'elle n'arresteroit jamais et ne se donneroit a cognoistre jusques a qu'elle l'avroit retrouvé. (Percef. III, R., t.2, c.1450 [c.1340], 251).

2.

Laisser ester

a)

Laisser ester qqc. "Laisser qqc. en l'état, mettre un terme à qqc., faire cesser qqc." : NOSTRE DAME. Amis, ta lamentacïon Laisse ester huy mais, par amour. Trop longuement y faiz demour ; Met toy en pais. (Mir. enf. ress., 1353, 62). Ly ostez cuert aprez qui li cuide oster, Mais nel puet raconsievre [et] se le lait ester. (Hugues Capet L., c.1358, 108). Gabriel, a Josaphat dire Vas qu'il laisse son dueil ester (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 278). Et pour ce, amis chiers, je vous lo que Vous laissiés ceste amour ester Et plus n'i veuilliez arrester (MACH., Voir, 1364, 656). Puis que je voy que j'ay le temps perdu Par simplece de loyaument amer Et foy porter ne m'a pas secouru Sur desespoir, je vueil tout oublier, Et des or mais lessier desir ester, Car nulz ne doit estre tenuz pour sage Qui femme croit se ce n'est sur bon gage. (MACH., App., 1377, 641). Laissiez, dame, ester le plourer, Car nul bien faire ne vous peut (Mir. fille roy, c.1379, 13). Ore laissons ce ci ester Et n'en soit ici plus parlé. (Mir. st Alexis, 1382, 300). Laissiez vostre plourer ester : Vous n'y pouez riens conquester (DESCH., M.M., c.1385-1403, 132). L'ystoire dit que le roy fu moult doulens quant il vit sa fille mener telle douleur. Si lui a dit moult amiablement : Ma fille, laissiez ester ce dueil, car, en chose qu'on ne puet amender, c'est folie de s'en donner trop grant courroux, combien que c'est raison naturelle que la creature soit doulente de son amy ou de son proesme, quant on le pert. (ARRAS, c.1392-1393, 120). Qant la contesse fu la venue, elle fist bouter le feu en plus de trente lieus. Li feus et la fumiere s'esleverent ; la noise et li cris conmenchierent a lever. Chil qui asalloient, laissierent tout quoi ester les assaus, et s'esmervilloient que ce pooit estre. (FROISS., Chron. D., p.1400, 515). Lessons ester l'incertain estat et la gloire caduque dez turbateurs de la terre (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 142). Laysons ester la voye de fayt Et que ung chascun mette son fayt Par escrip et s'antancion (Lord. Tart Ab. L., a.1465, 178). O barons sarrazins, laissés ester cestuy assault, qui me vient a damaige sy irrecuperable (BAGNYON, Hist. Charlem. K., c.1465-1470, 121). ...laissons toutes rihotes et debas ester (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 107).

-

Tout laissier ester. "Laisser les choses en l'état, les accepter telles quelles" : Si cheü en autre pensée, Pour ce que folie esprouvée Est en tout homme qui se duet De chose qu'amender ne puet ; Et me pensai que, se li temps Estoit encor pires dis tans, Voire cent fois, voire cent mil, N'i a il conseil si soutil Comme de tout laissier ester, Puis qu'on ne le puet contrester... (MACH., J. R. Nav., 1349, 141).

-

Empl. abs. "Abandonner, cesser (cf. fam. laisser tomber)" : Laissiez ester : ralons nous ent Trestouz ensemble. (Mir. ev. arced., c.1341, 121).

b)

Laisser ester qqn. "Laisser là qqn, ne plus s'occuper de qqn" : "Ce ne sera pas maintenant, car la matière en est trop longue et nous sommes à ville, si comme vous veez." - A ces mots, je laissay le chevalier ester, et assez tost après nous venismes à Tarbe. (FROISS., Chron. M., XII, c.1375-1400, 63). Qant li rois de France entendi ces paroles et les responses des Flamens, si les laissa ester, et comsidera assés lor maniere et vei bien que ils n'en averoit aultre cose (FROISS., Chron. D., p.1400, 823).

-

"Laisser qqn tranquille" : Pour Dieu, alez vous ent de cy. Laissiez m'ester. (Mir. nonne, 1345, 319). Laissiez moy ester, car je n'ay cure de vostre delivrance, et vous conjure de Dieu et de son pouoir que vous vous en alez d'icy (Bérinus, I, c.1350-1370, 242). Sire, ostez voz mains de mes draps et me laissiez ester, car je ne vueil pas luitier a vous. (Bérinus, I, c.1350-1370, 369). Je vous pri, lessez moy ester, car la teste me rompt et vous ne sentez pas le mal que j'ay. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 25). La belle Euryant, aux yeulx plain de larmes, luy respondy et luy dist : «Sire, je vous prye que me laissiés ester...» (Gérard de Nevers L., c.1451-1464, 28). ...l'Anglois le [le prisonnier] ferit troys fois, le plus fort qu'il peut ferir sur le coul tout a nu, et oncques ne l'entama ny ne blessa ny ne luy fist mal. Et quant l'Anglois vist et apperceut qu'il ne l'avoit point blessié, si le laissa ester (Mir. ste Cath. Fierbois C., 1470-1483, 54).

-

Laisser qqn ester de qqc. "Laisser qqn tranquille au sujet de qqc." : Et atant je vous laisseray de ce ester (Bérinus, II, c.1350-1370, 136). LE ROY. Touz jours es par ton parler prest (...) De moy courroucier, ce me semble. Laisse moy de ton Dieu ester (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 296).

c)

[Dans une formule narrative de transition] "Ne plus parler de" : Des tromperies infinies Y a la, dont gent sont honnies, Mais atant vueil laisser ester, Ennuy seroit du reciter (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 56).

-

Laisser ester qqn : Et ces termes je vous met avant pour les merveilles qui sont en l'ystoire de quoy je vous pense a traictier, au plaisir de Dieu, mon Createur, et au command de mon dessuz dit tres puissant et noble seigneur. Laissons les atteurs ester et racontons ce que nous avons ouy dire et raconter a noz anciens, et que cestuy jour nous oyons dire qu'on a veu ou pays de Poictou et ailleurs, pour coulourer nostre histoire a estre vraye, comme nous le tenons, et qui nous est publiée par les vrayes croniques. (ARRAS, c.1392-1393, 3).

-

Laisser ester (à qqn) de qqc. : Et de ceulx vous leray ester et vous diray des VIII. vaisseaux qui furent esgarez par la tourmente, quel chemin ilz tindrent. (ARRAS, c.1392-1393, 128). Mais de ce lais adés ester, Pour entendre a m'euvre haster. (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 148). Entr' eulx fu puis l'estrif moult grant Et d'eulx entr'occire engrant, Mais de ce lairay or ester, Car d'abriger m'esteut haster (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 95).

.

Laisser ester à qqn le parler de qqc. : ...car rudesse de nature ne se puet bonnement appliquer a la nature nourrie en noblesse. Quant de ce je vous lerray ester le parler, et retourneray au conte Emery et Remondin, quel chose il leur advint cy après. (ARRAS, c.1392-1393, 17).

C. -

P. ext. "Être, rester, se tenir qq. part ou dans tel ou tel état"

1.

"Être, rester, demeurer"

-

[D'une chose] "Subsister" : ...car matiere ne peut ester ne estre par soy ne forme materiele aussi. (ORESME, C.M., c.1377, 616).

-

Ester + adj. attribut. "Se trouver, rester" : Mais toutes les choses que l'en peche, non pas pour ignorance, mais quant les pechans sont estans ignorans pour aucune passion qui n'est pas naturele ne humaine, tels pechiés ne sont pas venialx ne a pardonner. (ORESME, E.A., c.1370, 309).

-

[D'une chose abstr.] Ester qq. part. "Régner qq. part" : Treschier cousin, touchant la reformacion del cisme esteant en seinte esglise (...) nous avons tresgrande joie que Dieu vous ad ensi inspiréz et donnéz le corage de travaillier en si seint fait et a si seinte fyn (Lettres agn. L., 1395, 160).

-

Ester + inf. "Être établi (en tant que règle, en tant que coutume...) de" : Et pour ce que, selon l'ancienne coustume de la cité, estoit faire les malfaitteurs publicquement morir (LA SALE, Sale D., 1451, 131).

-

Ester à qqc. "En rester à, s'en tenir à" : ...et s'en rapporte ausdis originaulx et aussi à ladicte copie qui lui a esté leue, excepté que s'il y avoit en ladicte copie aucune faulte en sillabes, vocables ou lettres, qu'on doye ester ausdis originaulx. (ESCOUCHY, Chron. B., t.3, Pièces justif., 1448, 302).

-

Ester de + inf. "Prendre le parti de..." : Or les at pechie aueulleis, Se sont sor l'heur de tresbuchier En ce ort, puant le touuiert D'infier, qui tant est perilleux ; Et si vos n'y esteis conuoiteux De perde, vus n'aueis qu'esteir D'ieaux por vos grace rasenseir Et de metre ens ou droit sentire ; Celuy qui ne se puit aydier, Doit ons aidier, ce m'est auis. (Sept péchés C., c.1300-1350 [p.1478], 223).

-

Ester contre. "Se dresser (contre qqc.), résister" : ...a ce que vous puissiez resister et ester contre les agaiz de l'anemi (Mir. st Val., c.1367, 123).

-

Ester pour + inf. "Être en passe de, risquer de" : ...j'ay engagee tout ce que j'avoie pur aider et secourer moy mesmes (...) et ay manulevé atant que si je n'ay relevacioun de vous, derechief j'estoise pur estre destruit a touz jours (Lettres agn. L., p.1412, 99).

-

S'ester + part. passé. "Se trouver" : Environ le mois d'aoust, prinrent, les gens du roy Charles, la ville de Han sur Somme, que tenoient les gens messire Jehan de Luxembourg, conte de Ligney. Et le rendirent leurs habitans, pour ce que leur garnison, sachans la venue d'yceulx François, s'estèrent partis d'eulx et les laissièrent en dangier. (MONSTRELET, Chron. D.-A., t.5, c.1444-1453, 95).

2.

DR. Ester à/en droit. "Comparaître, se présenter devant un tribunal, ester en justice" : Car il convient que il donnent caution de ester adroit et que il eslisent domicile, et les citoiens ne funt pas tele chose. (ORESME, Pol. Arist. M., c.1372-1374, 115). ...nous de nostre grace especiale (...) éoms pardonéz au dit W[illiam] S. de C[ampedene] (...) et lui ent éons grantéz nostre ferme pees issint q'il estoise a droit en nostre court si aucuny vouldra parler devers lui du larcyn avantdit (Lettres agn. L., 1390, 176). ...qui à jour et à droit ne vouldroient venir et ester, chascun de nous en fera et devra faire à son povoir d'en avoir la force à l'ordenance de nosdis commis (Trés. Reth. S.L., t.2, 1391, 372). Pur quoy (...) supplions a vostre dit roiale magestee (...) que a icelle plaise (...) comander a vostre dit seneschal (...) que au dit Amanu de Canhac (...) ovesque fermances sufficientz d'ester a droit, la dite quinte partie du fruit et ce qu'en est salhi le leissent (Lettres agn. L., 1405, 398). ...et pourveu que ledit Bureau comperra ceans au Vermendois prouchain pour ester à droit et respondre à ce que ledit d'Orleans voudra proposer et dire (BAYE, II, 1411-1417, 23). ...et ycellui Faudin a promis ester à droict à l'ordenance de ladicte Court (FAUQ., II, 1421-1430, 47). ...s'est rendu prisonnier es prisons de son ordinaire pour ester à droit sur ce que dit est (Paris domin. angl. L., 1422, 69). ...le dit suppliant lui respondy que s'il pretendoit aucun droit à l'encontre de lui, qu'il le fist convenir par justice et il esteroit à droit, ainsi qu'il appartendroit par raison (Doc. Poitou G., t.9, 1448, 95). Dont par ainsi fust laissié aller : sy vrayement qu'il baillast caucion de ester et estre a droit sur la paine de .III^m. deniers d'arain (LA SALE, Sale D., 1451, 224). ...et fut ordonné qu'ilz seroient delivrez (...) en baillant caucion d'ester a droit (LE BOUVIER, Chron. Ch. VII, C.C.J., c.1451-1455, 399). Le dit Estienne de Montigny a esté eslargy quo usque à la caucion de maistre Jehan Barrière et Pierre Castel et chacun d'eulx pour le tout qui l'ont pleigé et caucionné de fournir et ester à droit jusques à la somme de 20 l. (Aff. Jacques Coeur M., 1453-1457, 175). ...ledit Portier a esté par plusieurs foiz adjourné à comparoir en personne sur certaines et grans peines à nous à appliquer par devant noz amez et feaulx conseillers les gens tenans nostre parlement à Grenoble pour ilec ester en droit, mais il ne s'est aucunement voulu comparoir (Lettres Louis XI, V.M., t.10, 1464, 217).

-

Ester à qqc. (un jugement, un acte judiciaire...) "Se soumettre à" : ...les ditz maire et communalté sont prestz d'esteer et obeier de leure part a toute manere d'ordennan[c]e sur lez ditz debatz par noz ditz commissairs a faire (Lettres agn. L., 1403, 47). ...le maire de Sar[esbirs] et autres gentz vaillantz un jour d'accorde fuist prys par entre les ditz parties, et tous matires et debates par entre eulx pendantz mys en arbitracioun de quatre persones nomméz par lour commune assent, et de esteer a lour arbitrement et agarde ambedeux parties furent juréz en presence de chivalers et escuiers, et que tous processes et suytes sibien de l'une partie come del autre serroient retractz (Lettres agn. L., 1403, 124). Et d'Artois (...) sauve les droiz de la coronne, en baillant bonne seurté d'ester ad ce que la justice souveraine en jugera. (Lettres Louis XI, V., t.8, 1479-1480, 322).

-

Ester en jugement. "Comparaître, se présenter devant un tribunal, ester en justice" : ...donnanz et octroyanz a ses diz procureurs et a chascun par soy pour le tout plain pooir, auctorité et mandement especial de ester pour lui en jugement et hors, de lui deffendre et essoinier... (Chartes Abb. St-Magl. T.F., t.3, 1348, 156). ...plain pooir, auctorité et mandement especial de ester et comparoir pour elle en jugement et hors ycellui, et toutes ses causes et besongnes excuser, deffendre et essoinier (Chartes Abb. St-Magl. T.F., t.3, 1348, 158).

V. aussi estant
 

Empl. intrans. "Se tenir en dessous" : Substo (...) : soubz estre, soubz ester, arrester ou subsister (LE TALLEUR, Vocab. E.M., c.1490, 377).

REM. Gloss., Paris B. N. lat. 7679, c.1400-1500 (substo : soulzester), ds GD VII, 548b.