A. -

[Idée de dépassement d'une limite]

1.

[Dans l'espace]

a)

Outrer la mer. "Traverser la mer" : Puis que voulez la mer oultrer, Alons touz en la nef entrer (Mir. fille roy, c.1379, 59).

b)

S'outrer de. "Sortir de, quitter (un lieu)" : Ha ! sire [Dieu], quant je me recors Que des cieulx vous estes oultré Et a moy vous estes moustré... (Mir. Oton, c.1370, 373). ...puis si t'en vas (...) Devant ce vergier toy monstrer Et d'ilec en passant oultrer Et courre fort, se l'en te chace (Mir. fille roy, c.1379, 100).

2.

[Dans le temps]

-

Part. passé. [Du temps, d'une durée...] "Écoulé" : ...celui (...) Qui t'a, ou temps qui est oultré, Du saint autel admenistré Le sacrement. (Mir. st Lor., 1380, 163). Oultrez estoit celle journée : L'on savoit sa douleur finée, Et estoit desconfiz ly champs (DESCH., M.M., c.1385-1403, 21).

-

Empl. intrans. ou pronom. "Se terminer" : La feste se prist a outrer Quant on eut assés esbatu (FROISS., Pris. am. F., 1372-1373, 50).

3.

Au fig.

a)

"Dépasser, outrepasser qqc." : Car par amours est pres ma vie oultree (FROISS., Orl., 1368, 85). Quar quant amours maint en cuer debonnaire, Juene, gentil, de franchise paré, Plein de cuidier et de joieus affaire Et de desir par plaisence engenré, C'est trop fort à contrester, Qu'il font souvent sens et mesure outrer ; Pour ce adès pense à ces poins et regarde Qui de s'onneur vuet faire bonne garde. (MACH., L. dames, 1377, 182). S'aim miex que je li die ma langour, Qu'einsi morir, sans avoir la savour De la joie qu'est parfaite douçour À savourer ; Et dou dire ne me doit nulz blamer Qu'amours, besoins et desirs d'achever Font trespasser mesure et scens outrer. (MACH., Motés, 1377, 496). Moab li connestables (...) là vot le commant trespasser De David son segneur. Atant m'en voel passer, Mais loiautés li fist obédience outrer. (Geste ducs Bourg. K., c.1410-1419, 317).

-

"Repousser qqc. dans sa limite, dans son achèvement, outrepasser la limite qui devait être la limite finale de qqc. sans qu'elle soit effective (en sorte que cette chose reste contamment inachevée)" : ...celle [Marie] deprie Qu'elle te face ta besongne. (...) Car se tu n'as par elle entrée [au ciel], Ta besongne est sanz fin oultrée (Mir. pape, 1346, 374).

b)

"Vaincre qqn ou qqc. ; tuer qqn ; anéantir qqn ou qqc."

-

"Vaincre qqn ou qqc." : Pour Dieu, doulx amis, dy moy veritablement se Logre est du tout oultrez et se il avoit mais nul pouoir de lui deffendre. (Bérinus, I, c.1350-1370, 176). Sire, qui (...) As volu prendre humanité Et toi Dieu et homme moustrer Et mort as mort par mort oultrer... (Mir. st Panth., 1364, 362). Sa maniere seüre, Douce et simple, à mon gré, Et la riche faiture De sa plaisant biauté Par leur douce pointure M'ont conquis et outré. (MACH., Ch. bal., 1377, 597). Et puis, quant la place est oultrée, Orrez que ceuls de la contrée Diront que se le plus eust trait Contre le moins par autre trait Qu'ilz ne firent, tuit fussent mors Et que nulz ne leur fust estors, Mais ce qu'a droit n'ouvrerent point Les a destruis. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 360). Gualien y moult estoit lassés, Trois fois est [Gualien] lés l'estandart pasmés, Ernault et Emeri cuident qu'il soit oultrés. (Galien D.B., c.1400-1500, 141). ...vous en irez sans teste ou vous vous tendrez pour oultré et jurerés a faire ma voulenté. (Percef. I, R., t.1, c.1450 [c.1340], 146). Mais nonobstant il ne fut pas content et se plaingnist au duc Baudouyn, lequel lui dist qu'il avoit tort et que, puisque son adverse partie estoit deffendeur, il le devoit oultrer dedans le soleil couchié, ou aultrement il perdoit sa cause. (BUEIL, II, 1461-1466, 111).

Rem. Renart contref. R.L., 1328-1342, gloss. ; Myst. process. Lille K., t.4, a.1485, 44/137 ; 58/112...

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Outrer la bataille. "Emporter la bataille, vaincre" : Au ber Huon Capet le pris pour le journee ! C'est ceus qui au jour d'ui a le bataille outree ! (Hugues Capet Lab., c.1358, 226). ...la bataille oultra (MARTIN LE FRANC, Champion dames D., t.4, 1440-1442, 228).

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Outrer d'armes. "Vaincre par les armes" : ...tous furent oultrez d'armes et envoyez à la prison de la belle Sidone. (Ponthus Sidoine C., c.1400, 70).

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"Tuer qqn" : Et aussi estoient les lions qui, pour plaie qu'ilz eüssent, ne laisserent point a courre sur Aigre, ainz le penerent et travaillerent tant, que il estoit prez de l'outrer, car quant il se deffendoit a l'un, l'autre le rassailloit (Bérinus, I, c.1350-1370, 316). A Antheon l'ont bien monstré, Qui par ses propres chiens oultré Y fu, si tost com cerfs devint (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 22). Puis qu'ainsi est que dieu des dieux est vray Pour gerre humain a créé toute chose. A tort seroit par peste a mort livré(r) Quelque chose que nature propose, Et soustiendray, tandis que je vivray, Que encore doibt vivre bien longue pose Sans estre oultré, ne blecé, ne navré Tant que viellesse a son gré en dispose. (Cene dieux, c.1492, 111).

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Part. passé Outré. "Mort" : Morte se fist, qu'on l'enterrast (...). Mais le conte Raymon n'avoit Regret a elle, et ne pouoit Croire que du tout fust oultree, Ains toudis en Dieu se fioit Qu'elle seroit ravigoree. (MARTIN LE FRANC, Champion dames D., t.2, 1440-1442, 104). Moult fu Oriabiel de malage apressee ; Ne mengüe ne boit nes quant elle fu nee, Ne voit, ot ny entent nes qu'elle fust outree. (Jourd. Blaye alex. M., a.1455, 370).

Rem. Erec C.T., c.1450-1500, gloss.

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Outrer le corps. "Mourir" : Mieulx vault oultrer Le corps, que soy faire moustrer Au doy sans oser encontrer Les bons n'en compaignie entrer. (CHART., L. Dames, 1416, 227).

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Outrer sa vie. "Mourir" : Si rencontrerent Si mal que leur vie y oultrerent. (CHART., L. Dames, 1416, 283).

-

"Dépasser, détruire, anéantir qqn ou qqc." : ...Et de laissier Fedry cez bataillez [ses propres troupes] outrer (Hugues Capet Lab., c.1358, 214). Et s'elle vuet vers moy estre si dure Que d'un regart ne me vueille enrichir, À tout le meins la tres grief mort obscure, Que j'ay pour li, deingne penre en plaisir. Et se c'est trop de tel don requerir, Rage d'amours le fait qui m'a outré. Et malades, quoy qu'il soit, de senté, Prent volentiers ce dont il ha desir. (MACH., L. dames, 1377, 61). Et se je suis par la grant cruauté De ma dame menez jusqu'à la mort, Miex me vaura que vivre en tel durté, Qu'entendement, scens, maniere et deport Ay tous perdus ; et com plus m'humelie, De tant croist plus la dure maladie Qui m'art et seche et me fait esperer Qu'Amours n'a pas pouoir de moy donner Mercy : tant sui je outrés crueusement De la doleur que j'endure humblement. (MACH., L. dames, 1377, 64). ...au departir sera ta joye oultree Q'ung dur regret (SAINT-GELAIS, Séj. honn. D., c.1490-1495, 190). L'eage ferree commença durement Car Vertu fut subitement oultree, Paix espautree hors de toute contree, Foy rencontree au cueur amerement. (ANTITUS, Poés. P., c.1500, 34).

c)

Part. passé en empl. adj. Outré de. "Dépassé par, plein de" : ...tournoyant comme homme oultré de desplaisir (SAINT-GELAIS, Séj. honn. D., c.1490-1495, 247).

-

Outré de deuil. "Dépassé par la douleur" : La royne Mirro, oyant l'entreprise de Jason, tant fu oultree de doeil qu'il lui sambla que l'en la frapast d'une lance ou travers du cuer, tant amoit Jason. Toutesvoyes elle tinst maniere le mieulx qu'elle poeut. (LEFÈVRE (R.), Hist. Jason P., c.1460, 142). ...mon dolent cueur, qui tant estoit de dueil oultré et desconfit par forte peine (SAINT-GELAIS, Séj. honn. D., c.1490-1495, 292).

-

Outré de ire : Mais il fu si tresperciez et oultrez de yre que raison naturelle s'en estoit fuye de lui. (ARRAS, c.1392-1393, 255). ...quant Estonné veyt qu'on le ruoit ainsi, il fut tout oultré de ire (Percef. I, R., t.1, c.1450 [c.1340], 318).

-

Outré de peur. "Dépassé par la peur, mort de peur" : ...tout de paour yert oultrez (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 49).

d)

Inf. subst. Sus l'outrer. "À la limite (de rupture)" : Vrais Diex, si sui je si atains Pour s'amour que priés sus l'outrer, Ensi que je le voel moustrer, Mais que j'aie tamps et loisir (FROISS., Pris. am. F., 1372-1373, 44).

B. -

P. ext. [Idée d'atteinte d'une limite]

1.

"Achever, terminer qqc." : GUILLAUME. Dame, fait avez un devis Ou ma grant deshonneur moustrez, Mais li procès n'est pas outrez, Ne mis en fourme justement. Pour faire certein jugement, Vous me deüssiez dire en quoy J'ay forfait, et tout le pourquoy Amener a conclusion. (MACH., J. R. Nav., 1349, 166). Dame, foy que doy sainte Eglise En qui ma foy est toute assise, Pour nulle rien ne le feroie ; Eins iray tout outre la voie Dou fait, puisque j'y suis entrez. Dès que mes jugemens outrez Est de moy, je le soustenray, Tant com soustenir le porray. Mais qui vorroit avant venir Pour le contraire soustenir, Moult volentiers oubeïroie A quanqu'oubeïr deveroie. (MACH., J. R. Nav., 1349, 172). C'est uns homs a cui il ne chaut A tort ou a droit soustenir ; Tout aussi chier s'a il tenir Vers le tort comme vers le droit, Si com vous orrez orendroit. En un debat sommes entré Dont nous devons de fait outré, Sire, devant vous plaidïer, Mais qu'il ne vous doie anuier. Moy bien meüe et il meüs, Pour juges estes esleüs ; Dont c'est pour nous belle avenue, Biau sire, de vostre venue. (MACH., J. R. Nav., 1349, 188). Le pape s'est assiz, Charles se va encliner Et par devocion a Dieu mercy prier Qu'i lui laisse sa confession benignement oultrer (Renaut Mont. B.L. V., c.1350-1400, 39). A ce que miex la chose oultrée Soit, pére, faites nous savoir Conment il [cest enfant] puist baptesme avoir (Mir. st Panth., 1364, 320). Il est au jour d'ui la journée Que bataille doit estre oultrée De nous deux. (Mir. Amis, c.1365, 35). ...jusques ad ce que la battaille d'eulx deux fust oultree. (Gérard de Nevers M., c.1451-1464, 169).

Rem. Myst. process. Lille K., t.2, a.1485, gloss.

2.

"Accomplir qqc." : Vous plaist il mieulx me veoir oultrer Mort devant vous pour voustre esbat, Que pour un confort demoustrer Respitier la mort qui m'abat ? (CHART., B. Dame, 1424, 356). Et tantost que ces gens veirent que la bataille estoit oultree et que... (Percef. III, R., t.1, c.1450 [c.1340], 135). Li uns desiroit l'autre, leur plaisance ont monstree [var. outree] (Jourd. Blaye alex. M., a.1455, 288). [aussi v.11074]

-

"Conclure, fixer (le prix offert au cours d'une vente)" : ...pour iceluy [encherisseur] ou ceux plus offrant et dernier encherisseur tenir ledict moulin et usine hereditablement a luy ou a ses hoirs perpetuellement, pour le pris et somme de la vallue qu'ilz seront outrée au jour de la couppée (Trés. Reth. L., t.3, 1441, 202).

-

S'outrer de + inf. "Se hâter de" : Or tost, mareschal, sanz attente, D'aler encontre eulx vous oultrez Et vostre pouoir leur monstrez, Et nous vous suiverons après. (Mir. fille roy, c.1379, 74).

3.

Outrer qqn. "Convaincre pleinement qqn" : YPOLITE. Nous vous mercion humblement Du grant bien que vous nous monstrez. En l'amour Dieu sommes oultrés Et voulon mourir en la loy. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 237).