I. -

Empl. trans.

A. -

"Tremper, mouiller" : Prendre au matin du pain tosté Taint en vin aigre, sans mesleure, Ou en vin aigre et eaue pure, Ou en bon vin mixtionné De tel liqueur comme est sonné (LA HAYE, P. peste, 1426, 125). JHESUS. (...) Et de mon grey, tu le sauras : Regarde a qui tu me verras Donner du pain ung morceau taint : C'est celuy, et le tien estaint Et secret, n'en fay mencion Devant ce que ma passion Soit faicte comme je desire [Jean 13, 26 : intinctum panem]. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 659).

B. -

"Faire prendre (à une étoffe) une couleur différente en la plongeant dans un bain" : Et ce pendant, vint à Paris, et puis les retourna querir et les aporta à Paris, chez un freppier (...), excepté les trois aulnes et demie de drap vermeil, que il fist taindre en brunete (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 18). En ce lit estoit la gisant, vestue de drap de soye taint en cramesy (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 185). ...une piece de veloux cramoisy taint en poulpre (LA SALE, J.S., 1456, 239). Item, y avoit toutes autres toilles tainctes comme bougrans, futaines de toutes sortes, sarges et sayettes de toutes couleurs ung nombre infiny (LA VIGNE, V.N., p.1495, 262).

-

Teindre en laine : Cestuy cy [ce drap] est il taint en laine ? ["A-t-on teint celui-ci avant de le tisser ?" (Éd.)] Il est fort comme ung cordoen. (Path. D., c.1456-1469, 64).

C. -

P. ext. "Donner telle ou telle couleur à qqc., colorer qqc." : Si s'avisa d'une grant subtiveté, car celle nuit il monta sur sa maison et assist un heaume sur le crepon devant, puis descendi aval et taignist l'une partie de son huys de vermeil et l'autre partie de blanc. (Bérinus, I, c.1350-1370, 413). Homs de Dieu maudit et hais, De ton sanc sera taint le fer De ceste lance (Mir. emp. Julien, 1351, 196). Vezci un fer qui a coru Parmi le corps (...) De Julien. Vezci le sanc Dont encore est taint et soullié (Mir. emp. Julien, 1351, 211). ...a moult noble compaingnie Se combati par tel maniere Eu milieu d'une grant riviere Que l'eaue en fu vermeille et teinte Une demi lieue d'enseinte (MACH., C. ami, 1357, 106). ... le roy estoit, du senestre costé de la hanche jusques au talon, tous rouges de son sang, et la place ou il arrestoit, toute tainte et arrousee du sang de son corps. (ARRAS, c.1392-1393, 106). Et si est si durement froide Que comme marbre y devient roide Toute personne en petit d'eure, Noircie et tainte comme meure (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 128). Je cuide que je l'ay actaint. Le baston ma lance en est taint. Je croy que veez cy de son sang. (Pass. Auv., 1477, 231). ...lui bailla jour et heure de ellection de soy mectre en ung grant vaisseau d'arain, plain d'eaue, tainte en rouge, au raiz du Soleil, en aucune chambre, devers les fenestres orientalles (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 48 v°). ...et l'orrible bataille qui fut entre le roy Philippe de France et Edoard roy d'Angleterre, qui fut si vehemente que la mer fut tainte du sang des mors par plusieurs jours (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 135 v°).

-

[Du soleil] "Hâler" : Et messire Jacques fut tout esbay, car il ne pensoit pas que ce fut il, car il ne le cognoissoit en cest habit, et aussi qu'il estoit molt teint et noircy du soleilh (LA CÉPÈDE, Paris Vienne K., 1432, 304).

D. -

Au fig.

1.

Teindre qqn. "Faire changer qqn de couleur, faire pâlir qqn" : Or te pri, Virgne purainne, Que, se pechiés nous constraint Et nous taint, Que no claint Aient vois en ton demainne, La ou toute joie maint. (FROISS., Joli buiss. F., 1373, 239). ... douze mille saudoiiers et gens... n'avoient de quoi vivre et ... estoient ja tout taint et velu de famine (FROISS., Chron. R., X, c.1375-1400, 203).

-

Teindre le coeur. "Affecter le coeur" : Qu'Amour, ma dame, Qui son cuer art, teint, bruit et enflame, Et moy qui sui encor a tout ma flame, En ceste amour le tenrons (MACH., J. R. Beh., c.1340, 128). ...c'est ce qui mon cuer teint Et qui mon vis et ma couleur desteint Et qui muer la fait en divers teint Et fait esteindre Mon bon espoir, dont ma vigour esteint. (MACH., F. am., c.1361, 159).

-

Teindre sa couleur. "Changer d'attitude à l'égard de qqn" : Bien voi que sa couleur a taint Pour conclure que par viellesce, Par fragilité, par foiblesce, Sui d'avoir respit decheü. (LE FÈVRE, Respit Mort H., 1376-1380, 16).

2.

Teindre qqc. "Donner son apparence à qqc." : ...au monde qui est tains De villains Pechiez tres horriblement (DESCH., Oeuvres Q., t.2, c.1370-1407, 314). Je me complains qu'a nostre deshonneur Nature humaine [,] en peché salle et tainte, Croist, multiplie et prospere en valeur, Où nous avons dommaige et perte mainte [Interprétation proposée par J. Frappier, qui voit en salle "sale" et tainte des adj. qui qualifient Nature humaine (Bibl. Hum. Ren. 24, 1962, 508). Le glossaire de l'éd. interprète salle comme une forme du verbe saillir et tainte comme une forme du verbe teindre "qui veut dire viser" ; interprétation également contestée par F. Lecoy, Romania 84, 1963, 416]. (Cene dieux, c.1492, 109).

II. -

Empl. intrans.

A. -

"Déteindre"

Rem. Myst. process. Lille K., t.4, a.1485, 55/103.

B. -

[D'une pers., du visage...] "Changer de couleur, pâlir, être altéré dans son teint" : Il l'art, il l'alume, il l'esprent, Et puis d'autre part le reprent, Car il le fait palir et teindre (MACH., D. verg., a.1340, 37). Sire, nuls ne m'en puet aidier, Ne nuls fors Dieus ne porroit alegier La grief dolour Qui fait palir et teindre ma colour (MACH., J. R. Beh., c.1340, 64). Car sans faillir Teindre, trambler, muer et tressaillir, Pleindre, plourer, souspirer et gemir, Et en paour de desespoir fremir Me couvendra (MACH., J. R. Beh., c.1340, 64). Nompourquant, quant de son regart Sentoie le trés dous espart, Je perdoie toute vigour Par sa force et par sa rigour, Et me faisoit teindre et palir, Fremir, trambler et tressaillir (MACH., R. Fort., c.1341, 14). Car quant elle me fait plus teindre, Dementer, gemir et compleindre, Tant plus m'enseint. (MACH., R. Fort., c.1341, 52). ...Et tournai vers li a grant peinne Ma chiere teinte, pale et pleinne De maniere desconfortée, Triste, dolente et esplourée. (MACH., R. Fort., c.1341, 57). Mais coulour pluseurs fois muay, Einsi com je parloie a li, Dont j'eus le vis teint et pali. (MACH., R. Fort., c.1341, 125). Je voy le roy, ce m'est avis, Qui de courrous a taint le vis (Mir. femme roy Port., c.1342, 197). LE ROY. Pour nient n'a pas la face tainte, Dame : si a dure nouvelle. (Mir. st J. Cris., c.1344, 273). Helas ! pére, le vis vous taint Et palist. Bien voy que morez. (Mir. st Guill., c.1347, 49). ...Dont il convint la vierge debonnaire D'ire, d'annuy, de dueil et de grevance Taindre, fremir, rogir, palir et taire. (Mir. prev., 1352, 277). Voit le ly connestablez, sy taint comme carbon [qui devient rouge comme braise (de colère)] (Hugues Capet Lab., c.1358, 120). Pour vostre amour palis et tain Souvent et ay cuer esperdu (Mir. Oton, c.1370, 344). D'ardant desir pris et atains, Tains sui, et ceste ardeurs m'afine. (FROISS., Joli buiss. F., 1373, 187). Mais no plaint Sont remis a voie sainne Par ton Fil, qui nous ramainne La crois, ou on Le vit taint Et destraint Et ataint De mort horrible et villainne. (FROISS., Joli buiss. F., 1373, 239). ...dolans, si m'estuet pleindre Souvent en dolereus pleint, Quant trambler, fremir et teindre Ensus de li et mal maint Me fait (MACH., L. dames, 1377, 47). Tout taint et de noire couleur Et si maigre, bien dire l'os, Qu'en tout son corps n'a que les os Et la pel (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 104). ...et s'en tourne En ses chambres, ou moult fu morne Plusieurs jours, et pallye et tainte, Pour l'amour Jason (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 36). Posé qu'on soit au cuer attains Du mal d'Amours qui fait pasmer Ou qu'on en soit palles et tains... (TAILLEV., Bien allée D., p.1440, 261). ...plourer, lamenter et gemir, tordre leurs poins et leur face taindre et pallir pour la douleur que ils avoiient de la mort de la bonne dame (WAUQUELIN, Manequine C.T., a.1448, 114). ...et lui commencha le visage a taindre et a palir de viergoingne (WAUQUELIN, Manequine C.T., a.1448, 123). Et pour deux enffans que j'avoye Commençay a palir et taindre, Voyant que jamais ne savoye Pour eulx a quelque bien actaindre (CHAST., Temps rec. D., 1451, 47).

Rem. DESCH., Oeuvres Q., t.5, c.1370-1407, 375 ; Jourd. Blaye alex. M., a.1455, gloss. ; Trois fils rois P., c.1454-1463, gloss. ...

-

Au fig. [Du coeur] (Se) teindre. "Être affecté" : Or ne soit point vostres cuers teins De paour pour trop loing aler (MACH., J. R. Nav., 1349, 161). Car ses cuers demorroit espris, Et li cuers de l'amant de pris Seroit selonc nature esteins, Dont li siens cuers seroit plus teins Pour cause de la departie (MACH., J. R. Nav., 1349, 170). Mais l'amoureuse litargie Dont mes cuers est feruz et tains... (Mir. emp. Julien, 1351, 216). ...Dont j'ay cuer teint et vis pali : Certes, riens tant ne me tourmente (MACH., C. ami, 1357, 75). Pour ce mes cuers gemist, pleure et se teint. (MACH., F. am., c.1361, 159). Car Fortune, qui trop me fait doloir, De moy grever fait tous jours son pooir, Dont j'ay cuer teint et viaire pali. (MACH., L. dames, 1377, 182). ...dessous la mamelle Mes cuers teint, tramble et chancelle, Fant, fremist, mue et sautelle (MACH., Les lays, 1377, 313). Car de dueil a si son cuer taint Que jamais n'en ert alegiez (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 306).

.

Le coeur me teint. "J'éprouve une grande affliction" : De deul que j'ay le cueur me taint Tant suis remply de deul et d'ire. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 480).