C.N.R.S.
 
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     NOIR     
FEW VII niger
NOIR, adj. et subst. masc.
[T-L : noir ; GD : noir ; GDC : neir ; DÉCT : noir ; FEW VII, 129b : niger ; TLF : XII, 179b : noir]

I. -

Adj.

A. -

Au propre

 

1.

"De couleur noire, sombre" : Son front estoit Blanc et poli, ne fronce n'i avoit, Sans vice nul compassé si a droit Que trop large n'estoit, ne trop estroit ; Et si sorcil Qui estoient de taille trés gentil Dessus le blanc sambloient un noir fil, Dont il fussent prisié entre cent mil. (MACH., J. R. Beh., c.1340, 69). Li setiemes [soleil] fu moult horribles, Espouentables et terribles : Coulour ot de sanc et de feu, S'avoit un noir glaive en mi lieu. (MACH., F. am., c.1361, 238). Pluseurs ont escript que quant un petit serpent appellé ceps point un honme tout le corps de cel honme remet et char et olz et devient ausi comme une masse de pois noire et ronde. (ORESME, C.M., c.1377, 320). ...estans en la ville d'Amiens, logez en une hostellerie, mal prindrent et emblerent, oudit hostel, IIJ chevaulx, c'est assavoir : l'un rouge, l'autre noir et l'autre gris (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 369). Et dit que ycellui compoingnon estoit assez hault, et de l'aage d'environ quarante ans, et avoit la barbe façonnée et aguë, noire, et petiz cheveulx (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 463). ...ilz se disoient telz [jacobins] et en portoient l'abit, c'est assavoir que ilz estoient vestus de leurs chappes noires, fendues devant, et dessoubz vestuz de blanc. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 464). ...et lui bailla, ledit Pierre, une pierre noire pour faire ledit saing. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 466). ...et lui ont esté delivrés une coule noire, ung petit psaultier et ung vieil breviaire (FAUQ., II, 1421-1430, 94). ...une hopellande à usage de femme, de drap vert, doublée de cendail noir (FAUQ., II, 1421-1430, 346). ...si avrez deux chapperons, l'un d'escarlacte, l'autre noir (LA SALE, J.S., 1456, 58). ...sur lequel sercueil y avoit une grant couverture de veloux noir a tout une grant croix de satin blanc (LA VIGNE, V.N., p.1495, 310).

 

-

P. compar. : Si [Vénus] li a dit moult doucement : "Amis, dessous le firmament N'a creature qui t'eschape, Tant ait cours draps ne longue chape. Tuit congnoissent ta grant puissance Et tuit te font oubeïssance. Vesla Pluto, le dieu d'enfer, Qu'est plus dur et plus noir que fer. Moustre li ce que tu sces faire, Car il est de si put affaire Que signeur ne te vuet clamer. Ami, je te pri, fai l'amer". (MACH., C. ami, 1357, 85). [Phébus au corbeau] En signe de memoire Sera ta blanche plume noire Et tuit li corbel que l'ont blanche L'aront plus noire que n'est anche A tous jours perpetuelment (MACH., Voir, 1364, 704). Nous cheismes des lieux haultains Et avons esté descendu Et en cest infer confondu Et transfigurez laidement Plus noirs que ne soit airrement (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 238). Haro, tous les dyables d'enfer, Horribles et plus noirs que fer (Myst. st Adr. P., c.1450-1485, 2).

 

.

Plus / aussi noir que meure : La se bestourne et se detort, Si que les quatre mons escrosle Dont li rois d'enfer de ce crosle Ot tel paour que tout en l'eure Sus trois chevaus plus noirs que meure Yssi hors de sa mansion Pour faire visitation S'il avoit crevace ou fendure En murs de l'infernal closture (MACH., C. ami, 1357, 85). Et pour ce sont mi chant de rude affaire, Qu'il sont tuit fait d'un cuer plus noir que meure, Triste, dolent, qui larmes de sanc pleure. S'en sui repris et blasmez durement. (MACH., Bal., 1377, 557). Et ce seroit pechiés, à dire voir, Quant tu me fais à cuer plus noir que meure Haïr mes jours pour ta longue demeure. (MACH., L. dames, 1377, 205). Dont cuer port Noir com meure Et doleur dure, aspre et fort. (MACH., Lays, 1377, 312). Tant se compleint, Qu'à toute heure Li las pleure : S'en devient plus noirs que meure, Ne solas n'est en son plour, Qui aqueure Ne labeure Pour li, si qu'on le sequeure De confort en sa dolour. (MACH., Lays, 1377, 353). Avant ! avant ! il fault qu'il meure [Laurent]. Soit fait aussi noir comme meure De fine force de brusler. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 247). ...Froyer son trau, qui est plus noir que meure. (Parn. sat. S., a.1500, 127).

 

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Plus noir que tacre. V. tacre

 

-

[D'une plante, pour distinguer les différentes variétés, selon la couleur des fleurs ou des semences] : Il est toutesvoies aucuns corps qui ont une couleur par dehors et l'autre par dedans, sicomme le poivre qui est noir dehors et blanc dedens, et es grains des pommes est il ainsi, et es parois qui sont paintes dehors et non pas dedens. (CORBECHON, Couleurs S., 1372, 372). Prenez de faufel [l. fanfel], c'est à dire De poivre noir, selon maint Mire, De rouge et blanc sandal louable, De chascun partie semblable, Et de roses, nompas flestries, Deux et demie de parties (LA HAYE, P. peste, 1426, 151). Fanfol, c'est poivre noir (LA HAYE, P. peste, 1426, 202). Poyvre noir est un grain moult cogneu. Poyvre est le grain d'un abre qui croist en Inde et y a troys manières de poyvre, savoir est long, noir et blanc, et toutes ces manières sont de chaulde et sèche nature et proffitent à l'estomac froit et valent contre abondance de flegme. (LA HAYE, P. peste, 1426, 223). A la saulse pour l'esturion, il y fault percilh, vin aigre, ongnon et mectre par dessus au dresser. Au eron, fault poivre noir : du pain aslé assez noir, et de greine, et de girofle, et noiz muscade. (Recueil Riom L., c.1466, 83). Cestui trouva la nature de l'eleborre blanc et noir et de plusieurs autres herbes et gommes. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 19 v°).

 

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Poivre noir. "[Sauce au poivre]" : Poivre noir. Prenez clou de giroffle et ung pou de poivre, gingembre, et broyez tresbien. Puis broyez pain ars, trempé en meigre aue de char, ou en meigre eaue de chouls qui mieulx vault. Puis soit bouly en une paelle de fer, et au boulir soit mis du vinaigre. Puis mectez en ung pot au feu pour tenir chault. Item, pluseurs y mectent de la canelle. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 260).

 

-

[Du pain, du vin...] "Qui est le plus sombre dans son genre" : Jamais ne vivray fors de fruiz Et de noir pain. (Mir. st Guill., c.1347, 43). Et des cormes et des prunelles Et des boutons et des cynelles Et des prunes noires et blanches Queudras a meÿsme les branches (MACH., Voir, 1364, 634). ...Ung pain tant noir, gras et recuict (Sots, c.1480-1500, 271).

 

Rem. Doc. 1343 (Reims, pain noir) ds FEW VII, 130b.

 

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Vin noir. V. vin "Vin rouge foncé"

 

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Empl. subst. Les blanches et les noires. "Tout (ce que l'on mange)" : Pour mengier soirs et mains Les blanches et les noires, Il empoigne a deux mains Et masche a deux maschoires. (Prov. rimes F.M., c.1485-1490, 51). [Cf. LA CURNE VIII, 40, 16]

 

-

Couleur noire : ...elz ont noire coulour (DESCH., M.M., c.1385-1403, 135).

 

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[Comme symbole de deuil] : La couleur noire donc segnifie tristece et deul et desplaisance, et tel foiz, desesperance et mort, sy come ceulx communement pretendent qui se vestent de noir. (EVR. CONTY, Eschez amour. mor. G.-T.R., c.1400, 621).

 

2.

[Du temps qu'il fait, de l'air, de la mer...] "Qui est obscurci, assombri" : Car sa face blanche et vermeille (...) Si clerement resplendissoit Que sa clarté esclarissoit Les tenebres, la nuit obscure De ma dolereuse aventure, Et de son ray persoit la nue Qui longuement s'estoit tenue Tourble, noire, anuble et ombrage Seur mon cuer et seur mon visage, Si que, comment qu'a meschief fusse Tel que de mort paour eüsse, Moult volentiers la resgardoie, Pour ce qu'en vëoir me sentoie Un petit et reconfortez De mes dures maleürtez. (MACH., R. Fort., c.1341, 55). ...ces tempestes cesserent, Mais tels bruïnes engendrerent, Tels ordures et tels fumées Qui ne furent gaires amées ; Car l'air qui estoit nès et purs Fu ors et vils, noirs et obscurs, Lais et puans, troubles et pus, Si qu'il devint tous corrompus (MACH., J. R. Nav., 1349, 148). Car quant la chose est bien eslite, Par raison homs plus s'i delite, Et dames et cils qui le lit Penre y doivent plus grant delit, Et cils dont il sera leüs Soit ou nombre des esleüs. Mais mettre n'i vueil chose laide, Car quant y tonne et il eslaide, Li temps est noirs, obscurs et lais, Mais assez est plus dous que lais Contre Mesdit, par sainte Helainne ! Pour ç'a toute chose villeinne Vueil renuncier, et la delay. (MACH., F. am., c.1361, 144). Et quant il fu bien eslongiez, Grant paour ot d'estre plungiez, Qu'en la mer qui est noire et brune Leva une si grant fortune Qu'onques homs si grande ne vit. (MACH., P. Alex., p.1369, 131).

 

-

Nuit noire : Je soushaide que tels gens fussent En païs ou il ne sceüssent Chemin, ne voie, ne sentier (...) Et que leur cheval encloé Fussent tuit d'un piet ou de deus, Et que tuit li mauvais piet d'eus Fussent defferré tuit ensamble ; Si n'i eüst chesne ne tramble, Homme, femme, ami, ne parent Ou il treïssent a garent ; Et qu'il fust noire nuit serrée, Pleinne de froit et de jalée, Si ne peüssent chevauchier (MACH., D. Lyon, 1342, 204). Nostre gent apres eaus alerent, Et grant damage leur porterent, Qu'il se ferirent en la queue. Mais la nuit, qui fu noire et bleue, Les fist par force departir Et retourner. Là departir Maintes colées veïssiez, Et maint mort, se vous y fussiez. (MACH., P. Alex., p.1369, 167). ...et par celle noyre nuyct les Gantois se desroberent de la compaignie (LA MARCHE, Mém., III, c.1470, 284).

 

-

[D'un lieu] "Obscur, privé de lumière" : Ha ! doulce mére Dieu, Confortez moy ; trop est ce lieu Obscur et noir. (Mir. marq. Gaudine, 1350, 140). Les maisons y sont descouvertes, Obscures, noires et plueuses (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 126).

 

-

Il fait noir : Soleil n'estoile ne veez luire, Si noir fait que on ne voit goutte (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 132).

 

3.

MÉD. "Noir, de la couleur caractéristique de l'humeur mélancolique" : En toutes maladies ou commencement, se le fiel noir yst par dessus ou par dessoubz, c'est chose mortel. (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 73). Les egestions noires si comme sang, venant par nature, en fievre sont tres mauvaises, et sans fievre ; et tant plus seront de couleurs, tant plus sont mauvaises (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 73). ...colle noire (SAINT-GILLE, Comment. A.Y. L., 1362-1365, 310). Le colerique communement et generalment est iracondeux cruel, sans doulceur, ingenieux et de legiere apprehension, agu, legier, instable, impetueux, de corps megre et sec, moult mengant, de couleur noir, et tenue de corpulence. Telz coleriques doiuent fort et diligemment moderer la passion de ire... car ilz sont moult enclins et sont hastifz et ardans comme le feu du quel ilz ont les qualitez cestassauoir chault et sec. (CIB., p.1451, 219).

 

-

[Dans les complexions, peut marquer la qualité de chaleur, la fièvre] : De rechief, la couleur des choses monstre leur complexion car blanche couleur est signe de froidure et noire couleur est signe de chaleur, sicomme dit Aristote. (CORBECHON, Couleurs S., 1372, 372). Et pour ce la noire couleur est aucune fois causee de froidure et adonc elle est signe de mortificacion ; et aucune fois elle est causée de chaleur, et pour ce dit Gilles que une orine noire peut signifier pluseurs choses : car elle est aucune fois signe que la quartaine se prent ou corps de la personne, et aucune fois elle est signe de mort quant elle est noire en fievre agüe, sicomme dit Gilles le phisicien. (CORBECHON, Couleurs S., 1372, 381).

 

4.

Monnaie noire. "Monnaie de cuivre (p. oppos. à la monnaie d'argent, dite monnaie blanche)" : Que toutes nos monoies d'or et d'argent et noires (,) couront et demourront au pris que elles furent mises et ordenées aux brandons dessusdiz (Ordonn. rois Fr. L.S., t.2, 1332, 85). Item, le samedy, XXXe jour du dit mois de mars, et fu le samedy devant Letare Jherusalem , fu trouvée une grant quantité de monnoie noire de divers coings, et en y avoit environ une baignoere plaine, sur I pillier de la petite Maison-Dieu de Senz (Chron. Jean II Ch. V, D., t.1, c.1375, 229). ...desdites monnoyes blanches et noires (Ordonn. rois Fr. V.B., t.11, 1419, 45). ...la Court dit que les ouvriers et monnoiers dudit serement de l'Empire (...) pourront ouvrer et monnoier es monnoies royaulz d'icellui royaume monnoie blanche et noire, pareillement que ceulz dudit serement de France. (FAUQ., II, 1421-1430, 359). ...toutes monnoyes estranges, blanches, noires, autres que celles qui sont faictes à noz coingz et armes... (Ordonn. rois Fr. P., t.19, 1485, 595).

 

Rem. JUV. URS. ds GDC X, 197c.

 

-

[Nom d'une monnaie + noir] : ...2220 escus d'or monnoye royal avaluez et ramenez par la deliberacion de messeigneurs des Comptes escripte à l'encommencement de ce present compte à la (...) nouvelle monnoye de doubles noirs la piece en la valeur de 2 deniers tournois (Comptes Etat bourg. M.F., t.1, 1419, 206).

 

5.

[D'une pers.]

 

a)

[D'un homme de couleur] "Noir" : ...la couleur des gens aussi vient dedens eulx selon la nature du païs, sicomme par nature ceulx de Ethiope sont noirs et ceulx d'Alemaigne sont blans par la condicion du pays. (CORBECHON, Couleurs S., 1372, 373). En songe je veyes liompars, Chiens, chatz, loups et renars, Ouls, lions, colevres, sanglers, Noirs hommes et fort estrangiers, Trestous a l'environ d'un jucge, Qui disoyent : "Si Pilate jucge Jhesus le prophete tresgrand, A tous vous faiz comandement Que l'estranglés luy et sa femme, Car Jhesus est homme sans blasme, Tresparfait et juste personne". (Pass. Auv., 1477, 167).

 

-

Aussi noir que charbon : ...un Sarrazin aussy noir comme charbon (BOUVET, Appar. Meun A., 1398, 9).

 

-

[Des cheveux, de la tête] : Les blans chappeaux couvrent les noires testes. (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 433).

 

b)

"Vêtu de noir"

 

Rem. Doc. 1463 (mes noires filles "en dueil") ds GDC X, 197c.

 

-

Moine noir. "Moine vêtu de noir (moine bénédictin, p. oppos. au moine blanc, moine dominicain)" : [Var.] ...et y mist des noirs moynes del ordine saint Benoit (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 115). Sy estoit cest évesque de Toul, abbé de Saint-Bertin, moine noir (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 332).

 

c)

Noir de froid. "Transi de froid"

 

Rem. LA TOUR LANDRY, 237 ; Prov. H., 176 [N25].

 

-

Noir de peur. "Figé par la peur" : ...Car de paour devint tout noir. (Pastor. B., c.1422-1425, 218). ...Et de paour fu noir que marbre (Pastor. B., c.1422-1425, 224).

 

6.

[D'un animal] Bestes noires. V. beste "Bêtes sauvages au poil sombre, sanglier, laie (loup, renard)" : Et, se on parle ou l'en li demande des fumees, il doit apeler fumees celles de cerf, de rangier, de dain et de bouc et de chevreul, et des ours et des bestes noires et des loux il les doit nommer laisses. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 156). [Autres ex. p.280] En septembre l'en commence a chacier les bestes noires jusques a la Saint Martin d' iver. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 212). ...et semblablement, ont le bois des haiez faictes en ladicte forest pour chasser aux bestes noires, et le pevent emporter si tost que Karesme prenant est passé. (HECTOR DE CHARTRES, Cout. R., 1398-1408, 247). À Jehan Mouton, veneur de MdS, la somme de vint francs - pour lui aidier à supporter les frais qu'il auoit eus en la saison dernière passée que MS l'envoya chassier aux senglers et bestes noires (Comptes Lille L., t.1, 1425-1426, 226). ...Toutez bestes, et noires et vermeilles (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 386).

B. -

Au fig.

 

1.

"Triste, affligé, troublé" : ...le viaire (...) mat et noir (FROISS., Ball. B., c.1362-1377, 7). Au jour d'ui sont de ce temple regent Maint d'Abyron, qui devendront tuit noir Par les respons que l'en donne a la gent. (DESCH., Oeuvres Q., t.1, c.1370-1407, 111). Las ! or ay tant de contraire Qu'en plourant chant de cuer noir : "Hé ! tres douce, debonnaire, Quant vous porray je veoir ?" Las ! einsi ne sçay penser Que je doie devenir, Fors que la mort esperer. (MACH., L. dames, 1377, 46). Helas ! je ne puis aler ne venir Par devers vous, se n'est quant il avient Qu'Amours et vous et Fortune assentir Vous y volés ; et pour ce me convient Souvent durement doloir Et humblement vous prier de cuer noir Que de par vous gringneur joie me veingne Et que pité de m'ardure vous preingne. (MACH., L. dames, 1377, 87). Dont je me doy bien doloir Et avoir cuer triste et noir, Quant de si plaisant miroer M'est couverte la veüe. (MACH., Lays, 1377, 471). Vers les felons paiens ay je le ceur bien noir ["en colère"] (Galien D.B., c.1400-1500, 128).

 

-

Plus noir que meure : Triste, failly, plus noir que meure... (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 34).

 

.

(Avoir) le coeur aussi / plus noir que meure : Mon povre cueur plus noir que meure Ne requiert que ta sauvegarde. (Myst. jeune fille L., c.1413-1445 [c.1530], 48). J'é le ceur aussi noir que meure Dont n'avons peu resister (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 637).

 

-

[D'un état psychique] "Affligeant, triste" : Pesance doloreuse et noire Aux Rommains avint (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 243).

 

-

Noir de qqc. "Affligé de ne pas avoir qqc., désireux d'avoir qqc. (?)" : Pour la noble baniere dont vous ["vous vous"] monstrastes noire, Pour vo grant desirer... (Percef. lyr. L., c.1450 [c.1340], 51).

 

2.

"Souillé (par le péché)" : Or sont li menistre fait noir Par pechié (Best. lap. Rosarius S., c.1330, 43). ...plaisante et desirable est celle [beauté] de ton ame, a laquelle garder tu doys mettre toute ta cure, o ame devote, tellement que point tu ne soyes halee par l'ardeur de luxure, enflee par orgueil, noire et tachee par envie, aveuglee et chascieuse par mescreance et ignorance (GERS., Concept., 1401, 418). LUCIFER. (...) Heure, vil dyable, heure, heure ! De les faire plus noir que more Par pechiez ne soyés faintiz. Heure, vil dyable, heure, heure Sus grans, sus moyens et petis ! (Myst. st Adr. P., c.1450-1485, 111).

 

3.

"Sombre, mauvais, hideux" : ...S'assemblèrent en Parlement, Qui fut tenu piteusement En temps d'yver, quant la froidure Déust régner par sa droiture Dedenz le palaiz ou manoir De Saturne, hideux et noir, Au contraire d'umain lignage (LA HAYE, P. peste, 1426, 25). Hé, alés ! orde vielle noire ! (Pouvre peuple H., c.1450-1492, 211). Car tu cuides Que les femmes laides et noyres Ayent affaire de cuidoyres ? (Pipée R., c.1470-1480, 165).

 

Rem. Sur le noir diabolique, cf. Sénéfiance 24, 1988, 80 (F. Dubost).

 

4.

[D'une monnaie] "Faux" : Et encores, pour certain, ceste faulseté serait pire que en la mutacion du poix, car elle est plus sophistiquée et moins appercevable, et plus peult nuyre et blessier la communaulté ; et, pour ce, ou telle mixtion ou noire monnoie se fait, la communaulté doit pour elle garder, en lieu ou lieux publicques, l'exemple et prinse d'icelle proporcion et qualitez d'icelles mixtions, à eschever les perilz, affin que le prince (que Dieu ne vueille !) fist monnoïer telles mixtions (ORESME, Monnoies W., c.1365, XLII).

II. -

Subst. masc.

A. -

"Couleur noire" : LE FOL. (...) A il cy entour qui reteingne Viez chapperons de noir en blanc ? (Mir. parr., 1356, 30). Car entre blanc et noir qui sont couleurs contraires sont pluseurs couleurs moiennes. (ORESME, C.M., c.1377, 700). ...la profitable messon Va parmains liex a meurison Et la vendenge trait au noir ["le raisin mûrit"] (Pastor. B., c.1422-1425, 208). ...à faulte de sçavoir la differance des bons ars et des mauvais et sçavoir aussi separer le vray du faulx, le blanc du noir et le pur de l'impur (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 2 r°).

 

-

HÉRALD. : Saches de vray qu'en tout endroit Ou on descript armes a droit La couleur de pers est clamée Asur, s'elle est a droit nommée, Le rouge gueules, le noir sable, Et le blanc argent ; mais sans fable Je te di qu'on appelle encor Le vert sinople et le jaune or. (MACH., R. Fort., c.1341, 68). ...deux beaux jeunes enfans portans le noir en leur devise (MART. D'AUV., Arrêts Am. R., c.1460-1466, 151).

 

-

[Symbole de douleur, de deuil] : Saches que le pers signefie Loiauté qui het tricherie, Et le rouge amoureuse ardure Naissant d'amour loial et pure ; Le noir te moustre en sa couleur Signefiance de douleur, Blanc joie, vert nouveleté, Et le jaune, c'est fausseté. (MACH., R. Fort., c.1341, 68). Car jaune, c'est fausseté, Blanc est joie, vert est nouvelleté, Vermeil ardeur, noir deuil ; mais ne doubt mie Que fin azur loyauté signefie. (MACH., L. dames, 1377, 235). Il [mon coeur] porte le noir de Tristesse (CH. D'ORLÉANS, Compl. C., 1433-p.1451, 263).

 

Rem. Cf. J. P. Jourdan, Pas d'armes, joutes et tourn. ... au XVe s., 211.

 

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Loc. Faire du blanc noir : Et lors je me treï arriere Devers dames et damoiselles Qui enquirent de mes nouvelles Et me firent pluseurs partures D'amours et de ses aventures. Certes, et je leur respondoie Moult long de ce que je pensoie, Car toudis leur fis dou blanc noir, Tant que nous fumes au manoir De quoy nous estiens assez près. (MACH., R. Fort., c.1341, 142).

 

Rem. Prov. H., 176 [N24]. Cf. : ...et tout ce consenti le roy Richard, car il estoit si aveuglez de ce duc d'Irlande que se il desist : "Sire, cecy est blancq", et qu'il fust noir, le roy n'eust pas dist le contraire. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 23).DESCH., Oeuvres Q., t.6, c.1370-1407, 165, GDC X, 197c.

 

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Il n'y a ne rouge ne noir. "Il n'y a pas à chipoter, à chercher la petite bête" : Bref, il n'y a ne cinq ne six, Rouge ne noir, jaulne ne blesme, Car nous voulons qu'il soit occis Pour tant que nostre loy blapheme. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 422).

 

-

"Matière (colorante) noire"

 

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DRAP. Noir de chaudiere. "Mélange d'écorce d'aune, de poussière tombée de la meule des taillandiers et de limaille de fer" (Éd.) : Item, l'en ne pourra mettre feul, fustel, glaioleure, balocier, ne noir de chaudiere avecques laine ou il ait waide, brunette, rouge ne jaune, sur paine de... (Doc. 1340. In : L. Demaison, Bibl. Éc. Chartes 89, 1928, 33).

 

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Pot à noir. V. pot "Pot à poix" : ...Mon pot au noir (Sav. serg. D.L., c.1480-1490, 33).

B. -

DRAP. "Drap de couleur noire" : Mais leurs gens vestent si ensamble Que riens n'i a qui se ressamble, Car li uns est vestus de pers Qui en cuide estre plus apers ; L'autre est entortillié de vert ; Li autres a son corps couvert De camelin ou de fusteinne, De toile ou d'autre drap de leinne ; L'autre l'est de noir ou de blanc ; L'autre l'est plus rouge que sanc ; Qui de jaune porte une bende ; L'autre porte une houpelande, L'autre un pourpoint, l'autre un lodier. (MACH., C. ami, 1357, 131). ...lesquelx houppellande, petite coste et chapperon de noir lui furent resqueux et hostez par sondit cousin, à deux lieues par deçà Chinon, emmi les champs, là où sondit cousin qui le poursuïoit l'ataigny. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 5). ...pour souspeçon qu'il n'ait mal prins un mantel doublé d'un vermail et d'un noir, à usaige d'omme, qu'il avoit vestu. (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 275). Cedit jour, entra à Paris la duchesse d'Orleans, mere du duc d'Orleans qui à present est, et la Royne d'Angleterre, femme dudit duc et fille du Roy, oncle dudit duc, en une litiere couverte de noir (BAYE, I, 1400-1410, 238). Son hostel de noir de Tristesse Est tandu (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 183). ...pour la façon et estoffes d'une houppelande à mi jambe de noir de Hesdin, faicte à XXIIII girons, doublé de mesmes, colet assiz, grans manches closes, décoppée par desoubz à quarreaulx (Comptes Lille L., t.1, 1416, 140). ...la somme de 133 frans demi, en deniers paiez à Regnault Lobet pour draps pris de lui pour couvrir de noir et fere oreilliers pour les charioz de madite dame la duchesse de Bourgoingne (Comptes Etat bourg. M.F., t.2, 1419, 253). ...troys aulnes de gros noir pour doubler l'escapouchin (Comptes roi René A., t.2, 1451, 3). Don à père Jehan, qui dit les heures avecques le roy, (...) pour avoir deux cannes de fin noir, pour faire une cappe par dessus son habit (Comptes roi René A., t.2, 1478, 101).

 

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Se vestir de noir./Vestu de noir : Plourez, dames, plourez vostre servant, Qui toudis ay mis mon cuer et m'entente, Corps et penser et desir en servant L'onneur de vous que Diex gart et augmente. Vestez vous de noir pour my, Car j'ay cuer teint et viaire pali, Et si me voy de mort en aventure, Se Dieus et vous ne me prenez en cure. (MACH., L. dames, 1377, 206). ...un nommé Yvonnet, qui est Bourguignon, grant et gros homme vacabonde, court vestu de noir de mantel et houppelande (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 38). La couleur noire donc segnifie tristece et deul et desplaisance, et tel foiz, desesperance et mort, sy come ceulx communement pretendent qui se vestent de noir. (EVR. CONTY, Eschez amour. mor. G.-T.R., c.1400, 621). Le duc pour ceste mort se vesti de noir (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 384). ...lequel portoit le doeul pour la mort du marquis de Brandebourg, son beau père, et ses gens estoyent tous vestus de noir. (MOLINET, Chron. D.J., t.1, 1474-1506, 503).

 

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[Cont. métaph.] : Je suy cellui au cueur vestu de noir (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 36).

 

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Porter le noir. "Porter le deuil" : Nul ne porte pour my le noir (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 133). ...et n'y avoit aucun de ses parens à conduire le corps que monseigneur de Richemont qui portoit manteau et le noir ainsi qu'il devoit (GRUEL, Chron. Richemont L., c.1459-1466, 6). ...car ne pooit morir prince de nulle fame en crestienneté, feust de France, feust de l'Empire, feust d'Angleterre ou d'Escoce ou d'ailleurs, qu'il [le duc de Bourgogne] n'en portast le noir et qu'il n'en feist le service a la congruité de leur appartenir et personnes (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 225). Un povre amant (...) Portant le noir... (Amant cord. M., 1490, 6).

C. -

"Obscurité" : Et ainsi vint le noir de la nuit (...) ...et par celle noyre nuyct les Gantois se desroberent de la compaignie (LA MARCHE, Mém., III, c.1470, 284).

III. -

Subst. masc. et fém.

A. -

"Personne au teint foncé, aux cheveux noirs" : Et par ce point entendre dois Que les noires pour soy deduire, Si comme elles veulent conduire, Valent plus que blanches ne font. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 135).

B. -

"Diable" : LUCIFER. (...) Que tous les noirs De l'orrible lieu desolé Te ramainent ars ou brullé ! (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 352).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Robert Martin

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