C.N.R.S.
 
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     MENER     
FEW VI-2 minare
MENER, verbe
[T-L : mener ; GD : mener ; GDC : mener ; AND : mener1 ; DÉCT : mener ; FEW VI-2, 100,101 : minare ; TLF : XI, 637a : mener]

I. -

"Idée de mouvement vers un lieu (propre ou fig.)"

A. -

Mener qqn

 

1.

Mener qqn (qq. part/à, devers qqn.)

 

a)

"Conduire, accompagner, guider, amener qqn vers un lieu, une personne" : Mon ami, (...) Maine moy jusqu'a son hostel. (Mir. femme roy Port., c.1342, 155). Il fault que je te maine au roy (Mir. ste Bauth., c.1376, 87). Et lors lui qui parle, qui estoit dehors, mena ycellui peletier en sa maison, et là le lessa, et retourna audit deffunct, qui estoit à son huis (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 413). ...[il] a suy et frequenté routes de gens d'armes, et mené routes de gens par les fins et mettes du royaume de France (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 188). Or vous lerrons a parler d'eux, et vous dirons de la contesse et des autres grans dames, qui actournerent Melusigne et la menerent moult richement appareillie a la chappelle (ARRAS, c.1392-1393, 42). Hermine fu menee en sa chambre, qui faisoit tel dueil que c'estoit grant pitié à veoir. (ARRAS, c.1392-1393, 123). Et le mena [Geoffroy] le soudant en Jherusalem, qui pour lors n'estoit pas reparee ne refremee de la destruction que Vaspasie et Thitus, son filz, y orent faicte (ARRAS, c.1392-1393, 237). Adont Ymeneüs me meine En sa sale (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 38). Lors me print par la main et mena devers le roy (LA SALE, J.S., 1456, 102). L'Anglois le mena en une place assez près de la et en prison le bouta. (C.N.N., c.1456-1467, 55). ...l'ypocrite pervers, de sa montaigne descendu, luy mect son baston creux a l'oreille, en luy commendant (...) qu'elle maine sa fille a l'ermite (C.N.N., c.1456-1467, 102). Montbleru les mena en la grand eglise d'Envers (C.N.N., c.1456-1467, 399). Et a tant partirent et leissarent les seigneurs. Et le lendemain, (...) les menarent jusques audit Saint Simphorien (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 32). Il luy fault faire le col rompre. Accop, menons le [Jésus] sus le roch ! [Réf. à Luc 4, 29] (Pass. Auv., 1477, 122).

 

-

[De l'étoile de Noël] : Droit en la terre de Juda Est l'enfant neis : or le quereis ! La belle estoille vous maienra [sic] Tout droit o ["où"] vous le trovereis. (Jeu Etoile T., c.1400-1500, 106).

 

-

[Avec effacement du compl. de lieu]

 

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[Sentence (à propos de mauvais conseillers)] "Guider qqn" : Et vous le veez par exemple : car, quant ung aveugle maine l'autre, ce n'est pas de merveille se ilz cheent tous deux en une fosse. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 17).

 

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"Amener (qqn vers le lieu où se trouve le locuteur)" : "...je vous menray IIIIc chevaliers qui sont mes subgets." (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 213). Sirus, Janus, alez avec luy, Et chascun de vous en manra [l. manrra] ung. (Pass. Auv., 1477, 171). "Mons. le grant maistre, Dieu mercy et Nostre Dame, j'ay prins ceste ville et m'en voys à Nostre Dame de la Victoire. Et, à mon retour, je m'en voys en vostre quartier et vous meneray bonne compaignie..." (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 365).

 

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Qqc. mene qqn. "Quelque chose amène qqn, quelque chose fait que qqn vient" : Si li dist a la grosse alaine : "Beau pere, grant besoing me maine..." (Tomb. Chartr. Trois contes S., c.1337-1339, 110). Sire, Jhesucrist vous pourvoie ! Dictes moy quel besoing vous maine ; Je ne vous viz mez dessemaine Prez de sa traire. (Vie st Fiacre B.C.P., c.1380-1400, 18). Et entendez ce qui me maine, Car je n'ay fors a vous recours (CHART., E. Dames, 1425, 362). Car c'est raison que mette paine D'acomplir le cas qui te maine, Nous t'y devons tous secourir. (Cene dieux, c.1492, 128).

 

.

[Dans une formule de bienvenue] Quel vent vous mene ?/Qu'est ce qui vous mene ? : Que querez vous ne qui vous maine, Par cy aval ? (Mir. st Guill., c.1347, 50). Tu soies le bien arrivez, Volant. Qu'est ce la qui te maine ? (Mir. chan., c.1361, 164). AMILLE. (...) Chier compains, (...) De moy soiez le bien trouvé. Que fait la dame ? est elle saine ? Dites me voir, quel vent vous maine ? Ou alez vous ? AMIS. Amille, mon chier ami doulz, Sachiez droit a vous m'en venoie (Mir. Amis, c.1365, 32).

 

-

Mener qqn + inf. "Emmener qqn pour lui faire exécuter ou subir qqc." : LE CONTE. (...) Traiez la de prison, Et si soit sanz arrestoison Menee ardoir. (Mir. enf. ress., 1353, 65). Maine le couchier et le met En un bon lit. (Mir. fille roy Hongrie, c.1371, 43). ...par un des religieus de l'abbaye de Saint-Jehan, estant en ladite ville de Chartres, il fu mené boire en unne chambre d'icelle abbaye (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 217). Après graces print la dame Remondin par la main et le mena rasseoir sur la couche, et chacuns se tray en sus. (ARRAS, c.1392-1393, 30). ...non pourquant elle n'y entreroit jamais jusques a tant que elle y peust mener son enfant. (GERS., P. Paul, a.1394, 500). ...il s'avança une foiz pour la mener dancer (C.N.N., c.1456-1467, 181). ...[il] prend la damoiselle et la baise et la maine bancqueter (C.N.N., c.1456-1467, 211). Son espouse fut menée coucher après les dances en une chambre (C.N.N., c.1456-1467, 333). ...elle s'en alla querir ses enfans et les varletz de l'ostel et les mena veoir la belle compaignie. (C.N.N., c.1456-1467, 367). Et furent ledit jour de dimenche iceulx ambassadeurs, au partir de ladicte eglise de Nostre-Dame, menés disner en l'ostel de ladicte ville de Paris, là où illec ilz furent moult bien festoiez. (ROYE, Chron. scand., II, 1460-1483, 127).

 

-

Mener qqn son/un chemin. "Conduire qqn à destination/qq. part" : Lors il qui parle, et un appelé Jaquet Le Bastard, dist audit seigneur qu'il le garderoit bien et le meneroit bien son chemin. Et lors le menerent autre chemin, et le mena à un villaige où il n'y a que une maison, appellée Senaye, là où il savoit bien que les Englois estoient en enbusche (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 55).

 

-

Se faire mener qq. part. "Se faire conduire, transporter quelque part" : Pour lesqueles bateures, afin de soy faire guerir et garder mieulx que elle n'eust esté en sa maison, pour ce qu'il estoient très-povres gens, elle qui parle se fist mener et porter à l'Ostel-Dieu de Paris (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 270). [Le soudant] se fist mener par X. de ses hommes a Damas (ARRAS, c.1392-1393, 236). Mais or me faictes mener devers le lieu ou je le pourray trouver [le géant], car j'ay grant desir de le veoir. (ARRAS, c.1392-1393, 262). Et se fist mener ledict duc Philippes deBourgongne en sa grant vieillesse en une lictière (COMM., I, 1489-1491, 95).

 

-

[D'un moyen de transport] : Et fu le navire si grant que pour bien mener trois mil hommes d'armes. (ARRAS, c.1392-1393, 84). Item plus passé led. moys Anthoine Bret ung navey qui menave deux somes de sal et six quintaux de fer... (Journal Bellev. H.D., 1424-1425, 99). [Forme francoprovençale de l'imparfait]

 

b)

"Conduire qqn (qq. part) contre son gré, par la force" : ...et juedi derrien passé fu ledit Montagu environ X heures mené du Petit Chastellet du Petit Pont à Paris en une charrette es hales de Paris (BAYE, I, 1400-1410, 292).

 

-

"Amener qqn pour être jugé" : ...firent quelque accusacion contre lui envers ledit roy Charles, où il fut mené accusé de supersticion ; lequel se monstra devant le roy et plusieurs grans clercs pur et net astrologien (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 157 r°).

 

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Mener qqn en main de justice. "Déférer quelqu'un à la justice" : LE IIIIe CHEVALIER. Faire le nous convient tantost [détacher un prisonnier], Et a bandon je le menray, Comme vous, en main de justice. (Myst. st Adr. P., c.1450-1485, 130).

 

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Mener qqn prisonnier. "Mener qqn en prison" : Dimenche, VIIJe jour de juing, messire Jehan de Villiers, chevalier (...) fu arresté et mené prisonnier en la bastide Saint-Anthoine (FAUQ., II, 1421-1430, 17). Et fut ledit de Nemours, de l'ordonnance du roy, mené prisonnier ou chasteau de Vienne. (ROYE, Chron. scand., II, 1460-1483, 11).

 

-

Mener qqn au pilori : ...[ils] delibererent et furent d'oppinion que iceulx prisonniers et chascun d'eulx feussent condampnez à estre menez en une charrete depuis le Chastellet jusques au pilory, ès hales (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 305). ...que l'en ne les povoit espargnier que elles ne feussent excecutées comme sorcieres, c'est assavoir d'estre arses, et, pour solempnité et exemple à tous, elles feussent mittrées et menées ès hales de Paris, et illec piloriées (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 338).

 

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Mener qqn en justice. "Amener qqn au lieu d'exécution" : Acoup, sans plus longue trainee Mener la convient en justice. Ce seroit mal fait que ung tel vice Ainsi demourast impugny. (Myst. jeune fille L., c.1413-1445 [c.1530], 41).

 

-

Estre mené à son dernier tourment : Et, ce fait, ledit prisonnier fu mené à son derrenier tourmant, et illec persevera et continua ès confessions dessus escriptes (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 119).

 

-

Estre mené chauffer en la cuisine. "Être réchauffé à la suite d'un interrogatoire" : Et, ce fait, fu mis hors d'icelle question, et mené chauffer au feu en la cuisine du Chastellet, ouquel lieu il persevera et continua ès confessions cy dessus dites et escriptes (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 38). Si fu osté d'icelle question, mené chofer en la cuisine en la maniere acoustumée, et, en après ce, remis en la prison dont il estoit partis. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 145).

 

-

[D'un élément naturel] "Entraîner, pousser qqn" : LE MAISTRE MARINIER. Secourez nous a ce besoing, Dame des anges souveraine : A contraire trop fort nous maine Vent et orage. (Mir. emper. Romme, 1369, 286). LE MARINIER. Egar ! (...) le vent s'est tout au contraire Tourné, si que ne pouons traire Fors la ou mener nous vouldra. (Mir. st Alexis, 1382, 342). Au tierch jour, vens lor revint a droit souhet, et qui les mena et bouta droit contre Engleterre (FROISS., Chron. D., p.1400, 72).

Prov. Qui asne et femme mene sans peine ne va mie : [Florent vient d'enlever Marssebille ; un groupe de cavaliers le poursuit] ...Si chevauche souef qu'elle ne fut blacie, Pour ce fu raconceu de la gent maleïe, S'en fu en avanture de mourir a hachie. Pour ce dit on parole qui est bien averie : Qui asne et femme maine sans paine ne va mye. (Flor. Flor. L., c.1475-1485, 123).

 

c)

"Emmener qqn avec soi" : ...partout ou li contes de Montfort aloit et cevauçoit, et a toutes ces receptions il menoit la contesse sa fenme (FROISS., Chron. D., p.1400, 464). ...il est homme vacabond, alant par le pays, frequentant foires et marchez, suyant les ribaux et ribaudes, menant femmes par le pays (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 150). ...[il] avoit nagueres prinse à Chailliau une joine fille et icelle vestue en habit de homme pour la mener par le païs et en faire sa volunté (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 525). ...ne soiez ja si presumptueux de cuider que le chevalier la vous laisse mener sans la defendre. (C.N.N., c.1456-1467, 549).

 

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Mener qqn avec soi : Si viseta li rois d'Escoce son pais, et mena ces chevaliers et ces esquiers de France partout avoecques lui, pour euls monstrer le roiaulme d'Escoce. (FROISS., Chron. D., p.1400, 563). ...je vois pour esbatre et passer temps doulcement, la menant avec moy, acompaigné de mes gens (C.N.N., c.1456-1467, 550). Herodias, avec vous menés Vous chavaliers et damoyselles. (Pass. Auv., 1477, 90). Menés avec vous voz appostres. (Pass. Auv., 1477, 148). ...lequel seigneur de Crussol passoit lors par les pays de monseigneur le duc de Bourbon, menant avecques soy sa femme et plusieurs de ses biens, tous lesquelz furent en arrest en la ville de Cosne en Bourbonnoys. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 38).

 

d)

Mener un animal qq. part : ...il qui parle faingny ouyr passer au devant de ladite taverne marchans de son pays qui menassent bestail à Paris (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 563). ...icelle chienne il acouploit avec une autre chienne pour les mener à la chasse, où il convenoit qu'il menast les chiens dudit seigneur d'Amboise (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 274). GRISELDIS. Mon pere, bon jour vous doint Dieux ! Noz brebis, les menrai je aux champs ? (Gris., 1395, 27). Aussi, le jour de la feste des azimes, qui se fait le VIIIe de avril, le peuple tout assemblé environ l'eure de IX heures, "circum aram Templi tantum lumen effulsit, ut clarissimus dies putaretur et hoc usque ad dividiam pro mansit horam" ; item, se mesmes jour ung beuf que l'on menoit au sacriffice "agnum in medio fano peperit". (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 76 r°).

 

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Prov. Les oisons menent les oies paistre. : ...Oncques mais ne vot croire Jesuscris ne son non [le roi Kalefrin], Et yl est convertiz par .I. seul dansillon Qu'encor n'a que .XVI. ans ; lors saina se fachon.¨"Par me foi, dist Jourdain, je croi que li oison Menront les auwez paistre." (Jourd. Blaye alex. M., a.1455, 877). Par saint Jehan, tu as raison : Les oisons mainnent les oes paistre. (Path. D., c.1456-1469, 194).

 

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Mener la vache devant le taureau : Qui veult avoir de ses vaches et l'yver et l'esté burre frais, il doit quant elles sont en sault, les mener devant le thaur et les lui laissier flairier sans touchier, et mener la vache trois tours autour du thaur et puis lui laissier saillir, et pour vray vous aurez toute l'année frais burre. (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 109).

 

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Mener + inf. : ...et dudit lieu de Salucet se parti à la fin desdis trois mois ou environ, heure de prime, en menant abreuver deux des chevalx dudit capitaine (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 124). ...samblablement, en la ville de Breban, de nuyt, en une estable qu'il ouvry, print une jument qu'il mena vendre en la ville de Chaalons dessus dite. (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 163).

 

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Mener un oiseau de proie. "Purger (un oiseau de proie)" : Et aucuns en y a qui sont si fors a mener que, pour estre plus fort purgiés, on leur peut aucune fois donner un grain ou deus de une herbe qui est appelee cacapuche (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 204). [Cf. menaison "diarrhée"]

 

2.

[Le transfert est figuré et la destination est un état] Mener qqn à qqc. (la bonne voie/la guérison/le salut...). "Guider qqn vers qqc." : Vostre oreison conduit lui face, Qui de communion n'out grace, Et le maint tost a sauvement Qui de Dieu n'out garnissement. (Vie st Evroul S., c.1350, 94). Et que ceste cause fut en saint Pol, il appert pour ce qu'il se exposa lors et aprés a tous perilz constamment, et que mesmement il desiroit la mort ; et ce qu'il la fuyoit estoit non mie pour soy mais pour les autres mener a bonne voye et a salvacion (GERS., P. Paul, a.1394, 500). Si n'y a meilleur que soustenir par ung peu de temps la doleur de penitence, qui maine a garison, affin que on ne languisse pas ainsy par mauvaise convoitise et male arsure jusques a la fin. (GERS., Déf., 1400, 243).

 

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Mener qqn au port. "Conduire qqn au but" : ...[Espérance] maine les vrais amans jusques au port qu'ilz desirent, ou leur salut et leur grand delit est. (EVR. CONTY, Eschez amour. mor. G.-T.R., c.1400, 742).

 

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Mener qqn (à maladie et) à (la) mort : ...maladie les prist, chaleurs, fievres et froidures qui les menerent jusques à la mort. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 96). Et depuis ay je sceu que ceste vielle s'apelle Melencolie, qui trouble les pensees, deseiche le corps, corrompt lez humeurs, affoiblit les senssitifz espris, et maine l'omme a langueur et a mort. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 4).

 

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[De la Fortune] "Mettre qqn (dans un état défavorable)" : Fortune, qui moult se desguise, Qui tant d'onneur lui ot donné, L'a bien or en dur point mené ! (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 24).

 

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[D'une chose] Mener qqn à (telle) fin : Li chevaliers comsidera que (...) chil enghien les menroient a fin et a destruction. (FROISS., Chron. D., p.1400, 397). De toy [Mort] me plaing de toute riguer plaine, Quant ta durté a tort me desherite Du riche don de joye souverainne, Et que ton dart a piteuse fin maine Le chois d'onneur et des dames l'eslite. (CHART., Compl., 1424, 321). Puis que de Mort aulcun homme n'eschape, Mais tout ravist soubz son mantel et chape Et qu'en ses faictz n'a reparation, (Empereurs, rois, ducs, contes et le pape Tous maine a fin, n'est celluy qu'el ne hape) Pour t'exempter n'a point d'exception. (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, 26).

 

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"Amener qqn (vers tel état)" : Viellesce a feiblece me maine (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 259). Entens ça a moy, Gabriel, A Barlaam de ci t'en vas Et li diz qu'il ne laisse pas Qu'au fil d'Avennir roy ne viengne Et qu'il li monstre et li enseigne Conment aux biens celestiens Maine la foy des chrestiens Et quelle elle est. (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 263). Or vient lors de cire le miel, Quant femme, en doulz parlant, son fiel Boute en l'omme et blandissement, Qui est cause de son tourment Temporel et perpetuel Par le vice et fait actuel Du delit de la char mal saine, Qui a dampnacion le maine. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 187). Ton penser te desvertue, Ton fol sens te nuyt et tue, Et a non sçavoir te maine. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 4).

 

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Mener un aspect de la personne à + inf. "Pousser à"  : Car le proufit et la proye mainent les affections legieres et variables des convoiteux a soy mettre en aventure, mais l'onneur et la loiaulté des vertueux mainent le cuer, le sens et l'entendement, a leurs vies exposer pour le salut publique. (CHART., Q. inv., 1422, 53).

 

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[Dans une compar.] Estre mené à la main. "Être guidé, dirigé" : La raison si est, car la nature des choses simples nostre entendement ne puet parfaitement entendre ou comprendre si non par negation, par quoy se remeuvent les choses qui ne competent a icelles pour leur simpleté. Et par teles negatives et remouvemens, nostre entendement est comme mené a la main pour congnoistre aucunement les choses simples sans composition et divines. (Somme abr., c.1477-1481, 141).

 

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[D'une pers.] Estre mené (dans un état mystique). "Être ravi (dans un état mystique)" : Toutesuoies ie treuue par les dis dung saint docteur qui en auoit comme ie croy des experiences et qui estoit grant contemplatif que la personne contemplatiue est menee par la grace de Dieu en ce rauissement, exces ou alienacion de pensee pour trois causes et en trois manieres. (CIB., p.1451, 190). Ie dy que aucunesfois la personne est menee et esleuee sur soy aussi comme en alienacion, en grandeur de deuocion quant elle est toute embrasee du feu et de lardeur de desir celestiel (CIB., p.1451, 191).

B. -

Mener qqc. (qq. part)

 

1.

Mener qqc. (à qqn)/(qq. part)

 

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"Transporter, faire transporter qqc." : ...Bertau de Malignes (...) est au jour d'uy renommez le plus riche homme d'or et d'argent qu'on sache par les grans frais et marchandises qu'il maine par mer et par terre (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 145). ...ainsi comme entre nuit et jour, trouverent un marchant qui menoit sel sur un petit cheval fauvelet à courte queue (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 63). ...ce bon marchant avoit prins grand plaisir en sa marchandise, pendant le temps qu'il la menoit (C.N.N., c.1456-1467, 558).

 

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[D'un animal] : ...et que les ymbres seroient cy très grandes et, par ce, les terres si très molles et embeues d'eaue, qu'il fauldroit XXX chevaulx à mener un muy de vin ou ung toneau (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 132 r°).

 

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Mener à roues un engin. qq. part. "Faire rouler un engin d'un endroit à un autre" : Et fist li rois de France faire par grant fuison de carpentiers un grant berfroit à trois estages, que on menoit à roes, quel part que on voloit. (FROISS., Chron. L., IV, c.1375-1400, 194).

 

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"Apporter qqc. à qqn" : Mons. le grant maistre, Mons. de Fontenailles a escript à Mons. de Bueil que vous autres doubtez que le duc de Bourgoigne se veulle loger à une abbaye qui est dehors de la ville, deça la riviere, et s'i veult fortifier pour garder qu'on ne vous mene nulz vivres. (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 298).

 

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"Conduire (un moyen de transport) qq. part, se faire accompagner de (moyens de transport)" : Et sont chevalier et esquier bien monté sus bons gros ronchins, et les aultres honmes de gerre sus jumens ou sus hagenees. Et ne mainnent point de charoi, pour les diverses montagnes que il ont a passer ens ou pais de Northombrelande. (FROISS., Chron. D., p.1400, 126). ...a aprins et suy le mestier de chartier, et mené chars et charretes chargiez de vins et de marchandises, tant à Bourges en Berry, en Flandres, en Picardie et en Alemaigne. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 394). ...elle qui parle, en sa compaignie un homme nommé Ancel Gohier et deux varlés chartiers, n'est recorde de leurs noms, et une charrete qu'ilz menerent, se partirent de la ville de Paris pour aler en la ville de Pontoise querre les mesnages dont dessus est faite mention (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 345). ...je n'y menasse point voluntiers mon chariot (C.N.N., c.1456-1467, 312). ...il vouloit aller, ung jour tel qu'il nomma, mener a Saint Omer une charette de blé (C.N.N., c.1456-1467, 441).

 

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[Mythol.] : Climene pleure pour Pheton Qui emprist le kar dou Solel A mener, et maudist le don De Phebus et tout son consel, Quant son fil vit en tel essel Qu'il l'en couvint mort rechevoir. (FROISS., Ball. B., c.1362-1377, 18). Tu engenras en Climené Pheton, qui tant fu gens tousiaus, Qui, sans solers et sans housiaus, Emprist a gouvrener ton kar Et les chevaus a mener, kar Esprouver volt se c'ert tes fis (FROISS., Pris. am. F., 1372-1373, 96). ...si que il est dit en poisie au livre d'Ovide Methamorphoseos de Pheton qui, par la presompcion et oultrecuidance, se voult mesler de mener le char du souleil ; (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 81).

 

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Mener les corps à sépulture : Item, de la tierce musique meisme firent mencion pluseurs anciens paiens qui establirent que l'en menast les corps a sepulture en chantant en signe que les ames retournent a la douceur de la musique divine selon ce que recite Macrobes. (ORESME, C.M., c.1377, 482).

 

-

"Précéder, marcher devant (un véhicule)" : Le bourrel tout a pié ira Devant, la charrette menant (Mir. marq. Gaudine, 1350, 162).

 

-

[D'un animal] "Tirer qqc." : Et est aussi comme un char qui est meu par les chevaulz qui le mainent (ORESME, C.M., c.1377, 508).

 

-

Empl. pronom. à sens passif. "Être transporté" : ...près de une ville nommée Wichi, jouxte une petite montaigne où la riviere court au pié très doulce, touteffois en icelle sont puis, non gueres parfons, osquelx l'eaue est très sallée et, quant est sur le feu cuite, devient dure à merveilles et se maine par la province ; touteffois ne dure que demy an, car de Noël à la Saint Jehan ceste merveille dure et l'autre moitié de l'an ne s'en peut riens fere (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 90 r°).

 

3.

[Dans un mécanisme] Qqc. mene qqc. d'autre. "Une chose entraîne une autre chose" : Et doit avoir en l'arbre de la roue du mouvement ung paignon qui doit avoir 10 dens, et en ung aultre qu'il maine 20, qui ne fait en deux heures que ung tour, et sont deux en icelluy arbre, dont il en y a ung a l'aultre bout qui maine la roue qui porte le soleil, chacun jour naturel ung tour (Traité d'horlogerie Z., c.1380, 276).

C. -

Empl. intrans. [D'une voie de communication] Mener qq. part : Le chemin de plus courte fin Qui est de cellui au delez, Que tu vois plus large en tous lez, Cil, je te creant fermement, Conduit jusques au firmament Qui bien le scet a droit tenir Et la droite voie y tenir, Combien qu'autre chemin y maine. (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 39).

II. -

P. ext. [Idée d'action, d'influence exercée sur qqn/qqc.]

A. -

Mener qqn

 

1.

[D'une pers.]

 

a)

[Celui qui conduit est celui qui dirige et commande]

 

-

"Commander un groupe de personnes, une armée, conduire comme chef une armée (qq. part)" : ...et devoit adviser tout à son pooir, et savoir, s'il pooit, quel voïaige le roy vouloit faire, et où il vouloit emploïer et envoïer ou mener ses gens d'armes, ou [en] Engleterre, ou en Espaignie (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 387). ...mais or me dictes se gens qui auroient povoir de mener de IJm. a XXVc. hommes d'armes, se ilz y pourroient venir a temps pour secourir cellui roy. (ARRAS, c.1392-1393, 82). Monseigneur, le duc Oste de Baviere si m'envoye par devers vous savoir mon que vous querez en son pays et se vous lui voulez se bien non ; et aussi qui vous estes qui menez si noble compaignie comme je voy cy assemblee, car il scet bien que vous n'alez mie a tel route que vous n'aiez grant affaire. (ARRAS, c.1392-1393, 179). ...une grande decepcion d'un quidam qui se dist estre nouvel Moïse, qui fist devant aucuns plusieurs merveilles et signacles, leur promettant les mener en la terre de promission et les faire passer à pié seq la mer et les tira et mena jusques en l'isle de Crete où il en fist noyer plus de cinquante mil. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 91 r°). ...fut aussi à la desconfiture et deffecte de XXXm Anglois que menoit Jehan de Monfort, filz aisné du duc de Bretaigne (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 142 r°). ...et s'en venir par Venize et par Itallie, où il mourut plusieurs de ses gens de pouvreté et si très noble chevallerie qu'il avoit menée, pouvre et lasse fut contrainte s'en venir, ung baston blanc en la main, et mourir par les chemins et hospitaulx. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 150 v°).

 

-

[De Dieu] "Diriger, guider, inspirer" : S. ANDRIEU. C'est grant chose, Jehan, mon amy, De veoir plourer la Magdaleine. S. JEHAN. C'est Dieu que son esperit maine. Qu'en dites vous, Jaques, mon frere ? [Réf. à Luc 7, 36-50] (Pass. Auv., 1477, 155).

 

-

"Éduquer qqn" : "Mais le roi voel je deporter, car c'est uns enffes ; on li doit pardonner, il ne scet que il fait, il va ainsi que on le maine." (FROISS., Chron. R., XI, c.1375-1400, 40).

 

-

"Gouverner, diriger (un pays, une collectivité)" : "Mi enfant et bonnes gens de Flandres, par la grace de Dieu, j'ai ja esté vos sires un mout lonc tamps et vous ai menés et gouvernés en paix à mon pooir." (FROISS., Chron. R., IX, c.1375-1400, 133). ...il (...) se tenoit en la marce de Bristo en wiseusses et en deduis, et ne faisoit compte conment li roiaulmes fust menés ne gouvrenés, mais que il euist ses plaisances et or et argent assés (FROISS., Chron. D., p.1400, 55). Se leur office loyaument Font, sanz mener trop rudement Le menu peuple besongneux, Et sont diligens et songneux De faire en tous cas leur devoir, Preu et loz en doivent avoir (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 142). Et pourquoy cuides tu doncques que Dieu lui fust tant propice ou fait de ses guerre et que la bonne fortune de roy Edouart d'Angleterre, qui tant avoit mené mal ce royaume par si long temps decheust ? (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 139).

 

-

[D'une pers.] Estre mené à qqc. "Être orienté vers qqc." : C'est forte chose que un homme des sa joenesce soit mené et adrescié a vertu se il n'est nourri soubz bones loys (ORESME, E.A., c.1370, 532).

 

-

Mener maistrie sur qqn. "Tenir qqn sous sa coupe, exercer son autorité sur qqn" : Ma fame maine grant mestrie Suz moy, s'en sera tourmentee ; Quant je veul pois, n'ay que poiree. Trop me desprise malement, Sy en ara grief paiement En brief termine. (Vie st Fiacre B.C.P., c.1380-1400, 29).

 

-

[D'une chose personnifiée] Mener qqn en laisse. "Tenir qqn sous sa coupe" : ...Force le vieil laisse Et Maladie le prent et maine en lesse. (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, 84).

 

-

Empl. pronom. réfl. "Se comporter (de telle ou telle manière)" : Je me suis malement mené, Comme orguilleux et mal sené (Renart contref. R.L., t.2, 1328-1342, 13). ...moult ay de pensées Pour Guillaume, duc d'Acquitaine, Que je voy que si mal se maine Qu'a nul bien faire ne s'atrait. (Mir. st Guill., c.1347, 6). ...si t'en vas la en ce bois ; Cel homme qui seul est avoies Au port de mer (...) Et a ses dames le ramaines Et conme homme entre elles te maines Et y habites. (Mir. fille roy, c.1379, 53). Tant est plaisant Qu'il se maine par semblans en taisant, Non pas en bruit et en noise faisant. (CHART., D. Fort., 1412-1413, 177).

 

b)

"Traiter qqn (de telle ou telle manière)"

 

-

Mener qqn. "Malmener qqn (moralement ou physiquement)" : Guillaume, li quains de Poito, M'a de m'esveschié puis un po Chacié (...). Ainsi a tort me chace et maine. (Mir. st Guill., c.1347, 15). Baudewins de Sebourc (...) Sus le chief en va si le glouton assener Que les iex li a fait de la teste voler, Et le chervèle en fist à le terre couler, Quant li Sarrasin virent Gontacle ensi mener, Hors de la charcre issirent ; si prisent à uller. (Baud. Sebourc B., t.2, c.1350, 288). ...se ne li ose je dire comment, pour s'amour, je sui estrains et menés, car je doubte tant a estre escondis et refusés que, s'il avenoit que je le fuisse, lors seroi je par ocis. (FROISS., Pris. am. F., 1372-1373, 57).

 

-

[Le traitement est qualifié par un adv., une loc. adv.]

 

.

[Avec une valeur positive] : JANICOLA [à sa fille]. Assez as de pene enduree Ceens (...) Si ne pués pas tousjours en paine Vivre sanz aucune lÿece. (...) Si vuelt raison et equité Que plus doulz en soies menee, Car je say bien qu'en ta pensee N'a se bien non, dont moult suis liez. (Gris., 1395, 34). LA BRU. Venez vous en, venez, Que je vous meine bien, vrayment. (Maistre Mim. T., c.1480-1490, 269).

 

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[Avec une valeur négative.] "Malmener qqn/une collectivité ; traiter qqn de façon injuste" : "...Et de vostre poissance, sans loy, droit ne raison, l'avés demené et mené villainnement : de quoi moult courouciés sons..." (FROISS., Chron. L., IV, c.1375-1400, 181). Quant le roy le voit sy mal meneit, sy dist : "Par saint Jacques, Halbadu, se je savoie qui batu vous at, du corps le comparoit, sy que le fait y apperroit !" (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 118). ...ycelle gent en pluseurs lieux du royaume de France s'espandirent, en Guiene et autre part, et partout, où ilz passerent, n'est mie doubte que moult domagierent le pais et plus l'eussent mal mené, se ne fust la resistance, qu'ilz trouverent (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 202). ...et le duc (...) s'estoit argué et enfelli en coeur de quoy lui qui estoit prince de justice et de toute raison, estoit ainsi mené par ceux du parlement, qui de ses subgès lui vouloient oster la cognoissance et l'auctorité d'en ouvrer en raison (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 86). N'ayez peur que mal on vous maine, La Chose publicque on pourmaine, Rien ne trouverez que tout doulx. (Sots mal., c.1480, 90).

 

-

Mener dure vie/la mauvaise/male vie à qqn . "Harceler, maltraiter qqn" : ...touz les plesirs qu'il fist oncques a sa femme sont oubliez, mais a elle souvient bien des riotes qu'il lui a menees, et dit a ses voisines qu'il lui a esté mal home et lui a mené si malle vie que, si elle n'eust esté femme de grant pacience, el n'eust peu tenir menasge avecques lui. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 74). ...elle ne povoit demourer ne plus estre avec ledit de Ruilly, son mary, pour la mauvaise et oultrageuse vie que il lui menoit (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 305). Mais assez tost après, les diz Carmentueil et sa dicte femme, fille du dit de Marsay, furent ennuyez du dit de Marsay et lui menerent dure vie, et ne lui tenoient pas ce qu'ilz lui avoient promis et convenencié (Doc. Poitou G., t.7, 1414, 271).

 

-

[D'une chose] "Faire souffrir qqn" : ...et le corps se pourmaine Pour vëoir ce qui si griefment me maine Qu'il m'en convient en cheminant gesir. (CHART., R. Bal., c.1410-1425, 377).

 

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Empl. pronom. réfl. "Souffrir" (Éd. ; se menoit semble fonctionner ici comme un substitut des verbes précédents) : ...Virgile raconte en Farmaceutria disant que "come a un meismes feu le lymon de terre seche et la cire se font, ainssi Daphnis se menoit de nostre amour." (FOUL., Policrat. B., I, 1372, 123). [Lat. limus ut hic durescit, et haec ut cera liquescit uno eodemque igni, sic nostro Daphnis amore. "comme ce limon se dessèche et comme cette cire fond à un même feu, ainsi Daphnis s'est desséchée et a fondu à notre amour"]

 

c)

[Pour désigner des actions militaires]

 

-

"Serrer de près (un ennemi)" : Et encores n'estoit li fors chastiaus d'Auroy gaegniés. Mais chil de dedens estoient si près menet et apresset de famine qu'il avoient mengiet par huit jours tous leurs chevaus. (FROISS., Chron. L., II, c.1375-1400, 158). "Quant il vey son maistre ainsi mener que près sur l'outrance, il fut moult courroucié, et vint à son maistre et print la hache entre ses mains dont il se combatoit." (FROISS., Chron. M., XII, c.1375-1400, 53). "...de petit en petit je menrai tel Jehan Lion que il sera tous rués jus." (FROISS., Chron. R., IX, c.1375-1400, 163). Si issirent baudement hors, et les assallirent de grant corage ; et les menèrent telz qu'il en tuèrent bien la moitiet, et leur tollirent tout leur pillage. (FROISS., Chron. L., II, c.1375-1400, 18). Et furent là li Flamenc desconfi, et se quidièrent recouvrer pour entrer en Dunquerque ; mais li Englès, en eux recullant et cachant, les menèrent si dur et si roit que il entrèrent o eulx en la ville. (FROISS., Chron. R., XI, c.1375-1400, 106). Tant les va menant fierement Qu'a force reculer les fait. (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 122).

 

-

"Infliger des dégâts (à un ennemi), malmener" : Chil Flamenc se missent grandement à deffense, mais cil archier, au traire, les commenchièrent à berser et à mener malment. (FROISS., Chron. R., XI, c.1375-1400, 105). Au departement dou roi de la ville de Courtrai, elle fu mallement menée, car on l'ardi et destruisi sans deport. (FROISS., Chron. R., XI, c.1375-1400, 70). "Enssi voellent Flament estre mené, ne on ne doit entre euls tenir conte de vies d'ommes ne avoir pité nient plus que des arondiaulx ou aloettes, c'on prent en leur saisson pour mengier." (FROISS., Chron. R., X, c.1375-1400, 83).

 

-

"Attaquer (une place)" : Adont, par ses sergens fist prendre Athior, qu'il ne volt entendre, Et devant Benuble mener, C'yert un chastel, qu'ot fait mener Et assegier, pres des montaignes, Droit a l'issue des champaignes (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 220).

 

-

Mener beau qqn. "Donner du fil à retordre à qqn" : Has ! Quelle journee doloreuse D'avoir perdu ce bel joyau, De ceste place vertueuse, Et qui tant François menoit beau ! (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 483).

 

d)

[Idée de leurre, de manipulation]

 

-

"Influencer, manipuler qqn" : ...mon cousin le roy a pour le present tel conseil dalez luy que il croit plus que soy-meismes ; et ce conseil le mainne ainsi qu'il vuelt. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 25). Tant furent menet, traitiet et parlementet li quatre baron gascon que il se tournèrent françois. (FROISS., Chron. R., IX, c.1375-1400, 14). ...d'Artevelle estoit si bien en la grasce des Flamens que il les menoit ou il voloit. (FROISS., Chron. D., p.1400, 411). Li dus de Braibant (...) mainne et pourmainne (...) ce roi d'Engleterre. Il ne le soustient pour aultre cose que pour le pourfit. (FROISS., Chron. D., p.1400, 337).

 

-

"Abuser, tromper qqn" : Par tieulx tours sont mené souvent Ceulx qui aux grans cours sont servant, Pour ce dit le commun lengage Que "service n'est heritage" (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 90).

 

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Mener qqn de/par paroles : Chil qui i furent envoiiet, fissent bien lor devoir de faire lor message, mais il ne pooient avoir nulle response ; avant estoient menet de paroles. (FROISS., Chron. D., p.1400, 244). ...li contes fu tellement menés de paroles, tant de ses gens que de ces signeurs d'Engleterre, que il s'acorda a ce (FROISS., Chron. D., p.1400, 802). Par ainsi devisa à faire la maniere comment on faisoit le dit azur, et par experience de fait lui monstra, et le fist devant lui, et après lui demanda son salaire ; enfin lui dist que riens ne lui en paieroit et, comme cellui le menast par paroles, enfin lui dist que riens ne lui en paieroit, car il lui devoit apprendre à faire l'azur, et ne lui avoit mie apris, car il ne le sçavoit faire. (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., II, 1404, 77). Me mocqués vous, Joyeux Espoir ? Par parolles trop me menés. (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 72).

 

.

[Même idée] : ...Loys de Baiviere vei (...) que il estoit des cardinaus et dou pape menés d'uiseuses et de frivoles (FROISS., Chron. D., p.1400, 243).

 

-

Mener qqn de terme en terme. "Faire attendre qqn en différant ce qu'on attend de lui, amuser qqn" : ...comme jà pieça Estienne Bertran, charpentier, eust pris du dit exposant certains ays à soier, parmi certains priz d'argent que le dit exposant lui en paia avant la main, et pour ce que le dit Bertran ne delivroit point au dit exposant ses diz ays et qu'il les lui tenoit trop longuement et le menoit par journées et par delaiz (Doc. Poitou G., t.5, 1377, 61). [Des juges attendent depuis un certain temps l'avis du duc de Bourgogne en ce qui concerne un duel judiciaire (un champ) réclamé par un justiciable]...le duc les mena de terme à autre par autres empescemens qu'il avoit, mais leur promettoit infailliblement que le champ en souffreroit faire court ou long, et qu'en ce ne devoient mettre doute, car mesme le vouloit voir (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 43).

 

-

Mener qqn en main. "Tromper, mener par le bout du nez" : Quand le roy sçut cestes nouvelles, il s'en contint au mieux qu'il put ; mais disoit bien que Anglois l'avoient mené en main et fait croire monts et vaux, de quoy l'avoient abusé et non tenu convent. (CHASTELL., Chron. K., t.5, c.1456-1471, 94).

 

-

Mener qqn à sa main. "Faire faire à qqn ses volontés, imposer à qqn ses volontés" : ...cestui conte de Saint Pol (...), pensant pooir mener a sa main le seigneur de Croy et le vaincre et faire confuz par puissance appostolique, s'en alla vers le cardinal d'Avignon, legat en France (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 81).

 

-

Mener qqn contre son veuil. "Faire faire qqc. à qqn contre son gré" : ...ce dit elle affin qu'elle puisse veoir son serviteur en chemin et luy dire comment elle estoit forcée et menée contre son veil. [Une jeune fille veut faire savoir à celui qu'elle aime que c'est contre son gré qu'on veut la marier à un autre] (C.N.N., c.1456-1467, 170).

 

-

Mener qqn à qqc. "Contraindre, condamner qqn à qqc." : ...guerroyé de ses propres subjectz, descongneu de son peuple, clos hors de ses villes et citez et mené a povreté et a disette (CHASTELL., Temple Boc. B., 1463-1464, 133).

 

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Mener qqn à ce que. "Contraindre qqn à faire qqc." : ...en fin elle fut ad ce menée qu'elle cogneut son piteux cas [Une jeune fille avoue qu'elle est enceinte] (C.N.N., c.1456-1467, 69). ...par force d'armes ad ce la mena que refuser ne luy peut nullement ce que pluseurs devant et après ne peurent obtenir. (C.N.N., c.1456-1467, 227).

 

2.

P. anal.

 

a)

[D'un poison] Estre avant mené. "Atteindre un certain seuil d'action" : Il le volt faire enpuissonner ; et rechut li rois de France le venin, et fu si avant menés que tout li cheviel dou chef li cheïrent. (FROISS., Chron. R., IX, c.1375-1400, 280).

 

b)

[D'une chose abstr.)]

 

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"Avoir de l'influence sur qqn" : ...car le debonnaire veult dire en ceste maniere autant comme celui qui ne se turbe pas et qui ne se laisse pas mener par le mouvement et passion de yre et de courrouz. (ORESME, E.A., c.1370, 260).

 

.

"Diriger qqn" : Or en est il une [ame] qui oeuvre selon raison tant seulement, par ce que elle est menee et conduite par raison et y doit obeïr, c'est la partie sensitive (ORESME, E.A., c.1370, 121).

 

.

Mener qqn en danse. "Entraîner qqn" : Quant je contemple seulement a par moy De ce Martin la grant oultrecuidance Qu'il a en luy, je prens dessus ma loy Que sa folye le mayne bien en dance. (LA VIGNE, S.M., 1496, 247).

 

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Mener qqn à qqc. "Pousser qqn à qqc." : Et ainsi le vice de illiberalité les encline et maine au vice de injustice. (ORESME, E.A.C., c.1370, 241).

B. -

Mener qqc. "Être à l'origine de qqc. ; diriger le déroulement, l'exécution de qqc., exercer une action sur qqc."

 

1.

"Conduire qqc."

 

-

"Construire qqc." : Et par ce s'ensuit et est verité que qui feroit une tour bien haute et meneroit le mur tout droit en haut a plon, celle tour seroit plus large par haut que par bas. (ORESME, C.M., c.1377, 574).

 

-

"Maîtriser (une chose abstr.)" : Car aussi ne dit l'en pas que femmes soient incontinentes pour ce que ilz ne mainnent pas ou gouvernent les concupiscences, mais sont menees par elles. (ORESME, E.A., c.1370, 381).

 

-

"Conduire correctement (une procédure judiciaire)" : Et en sentence Virgile dit ainsi en la personne de Anchises : "Sachent les autres faire biaus ymages, les autres bien mener les causes, les autres astrologie". (ORESME, E.A., c.1370, 98). Vrais Diex, c'est bien chose certaine Que cil maine bien sa querelle Qui de cuer humblement t'appelle. (Mir. march. juif, c.1377, 217).

 

-

Avoir mené avant une entreprise. "Être avancé dans la réalisation de qqc." : Plus honnourable et profitable leur estoit de tenir leur siège devant Saint Brieu de Vaus, puis que si avant l'avoient mené qu'il le devoient dedens sis jours avoir, que soudainnement yaus partir de là et faire une nouvelle emprise. (FROISS., Chron. R., VIII, c.1375-1400, 201).

 

-

Mener un traité (à qqn). "Mettre en place les conditions d'un traité (avec qqn)" : "Sire, vous avés mené les trettiés et les paroles a ceuls qui nous ont asegiés..." (FROISS., Chron. D., p.1400, 524). En menant ce traicté, l'on murmuroit des deux costéz contre le conte de Sainct Pol, connestable de France (COMM., I, 1489-1491, 243).

 

-

Mener qqc. à effet. "Exécuter, réaliser qqc." : ...car, ja soit ce que un honme soit en volanté de faire aucune chose, il luy vient plusieurs enpechemens pour lezquelx il ne puet mener a effect sa volanté. (Songe verg. S., t.1, 1378, 370). ...et tellement que ce qui est en ta voulente [l. voulenté] par propos de bien faire tu le puisses mener a effect de bonne operacion. (CIB., p.1451, 178).

 

-

Mener qqc. à chef. "Achever, mener à terme qqc." : Or couvient que je meine a chief Mon ystoire. (CHR. PIZ., M.F., IV, 1400-1403, 24). ...par quoy luy, qui ala a bonne intention au commencement et ne la pooit mener a chief comme il eust volu certes, quand le survenu a volu tenir les termes de son viel ploy et non soy amender, ly, le receuillant, en a receu les males graces et les menasces de beaucop de dangiers (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 93).

 

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Mener qqc. à fin/à conclusion : ...pour finir et mener ad fin et toutes nos causes, querelles et besognes... contre toutes personnes nos adversaires par devant tous seigneurs et tous juges en Parlement et ailleurs. (Trés. Reth. S.L., t.2, 1402, 89). Bonnes gens tres bien vous sçavez Ou au moins sçavoir le devez Que l'homme qui laboure ou oeuvre Et en oeuvrant commence ung oeuvre, S'il ne maine a conclusion Son oeuvre et operacion, Son labeur petit lui proffite Et guieres n'acquiert de merite. (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 216). ...faictes bonne chere, car j'espere bien ceste besoigne mener a fin. (C.N.N., c.1456-1467, 297). Cest advis descouvrit a sa dame pour en avoir son oppinion, qui luy conseilla souverainement estre propice (...) pour mener a fin leurs amoureuses intencions. (C.N.N., c.1456-1467, 439). Quel nom doncques lui imposerons nous [au roi Charles VII défunt], o vous les inspecteurs des choses ? Lui attribuerons nous le tiltre de diligent par ce que diligence est mere de richesse, espoenteresse de fortune, et qui seulle vainct et maine affin toute difficille oeuvre ? (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 318). ...et faisoit ce qu'il devoyt pour vaincre et mener à fin son emprinse. (COMM., II, 1489-1491, 193).

 

-

Mener que + sub. "Faire en sorte que" : Car on trouveroit a paine Prestre [ne] lay qui ne maine Que du droit chacun desvie. (Cene dieux, c.1492, 133).

 

-

Mener un mestier. "Exercer un métier, une fonction" : Et ainsi s'en retournoit aucunes foys bien las et presque tousjours courroucé à quelque ung: car c'est ung mestier qui ne se conduyt pas tousjours au plaisir de ceulx qui le mainent. (COMM., II, 1489-1491, 326).

 

-

Mener sa note. "Exécuter, diriger sa musique"

 

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Loc. Mener sa note selon ce que qqn veut danser. "S'accorder (à la volonté de qqn)" : [Mauvaise Volonté sous l'habit de dissimulation :] Leurs plaisirs vuellent [le seigneur et le peuple], leurs plaisirs ayent ; par Dieu je n'y contrediray ja, et deust tout leur fait aler a perdicion ; selon ce que eulz vouldront dancer, je meneray ma note ; et porteray la lumiere de ma science par le chemin lequel eulz vouldront prendre, et y deussent rompre le col. (GERS., Noël, p.1404, 305).

 

Rem. DI STEF., 590b, s.v. note à propos du même ex. : «Diriger la musique».

 

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Mener la danse

 

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[À propos d'une séance de torture] "Diriger les opérations" : Prenons cestuy [truand], menons la dance Et le ruerons en la fornaise D'enfer, treshorrible et pugnaise, Ou son ame est ja toute emprise. (Myst. st Adr. P., c.1450-1485, 181).

 

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"Garder l'initiative (dans une opération militaire)" : Seigneurs, se Sarrazins Meinnent longuement ceste dance, Tuit serons à pié, sans doubtance. D'autre conseil user nous faut ; Lassé sommes et il fait chaut, Si ne porrons aler à pié. (MACH., P. Alex., p.1369, 215).

 

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Mener la danse de personnes. "Conduire un groupe de personnes, être à sa tête, son porte parole" : Qui est celluy qui pourroit pis avoir Que de finir ses jours par fine rage, Sans y savoir par nul moyen pourveoir, Combien que je fusse encor en mon jeune eage ! Jamais ne fut veu si cruel ouvrage ! Des malheureux enfans maine la dance ! Ceulx qui viendront me debvront faire homage, Et ceulx qui furent, sans nulle difference. (ANTITUS, Poés. P., c.1500, 61).

 

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Mener melodie. "Chanter, interpréter un air" : RAPHAEL. Chantons et menons melodie, Puisqu'il plaist au doulx roy des roys. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 251).

 

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Mener son langage + compl. de manière. "Parler (en public) d'une certaine façon" : ...en ce qui touche isnelleté de parolle, c'est que on se garde bien que trop tost ne soit menée, comme en trop hastiveté ne puist avoir bon ordre ne si plaisant à ouir, ains est comme chose brouilleuse et mal entendible. (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 168). Et pour ce, tres noble prince, que cy devant, en parlant de la vertu de verité, m'est venu à memoire matiere de eloquence et parleure, comme ce soit souveraine chose à prince avoir faconde et langaige bel et mené par atrempance, me plaist en parler un petit, non mie de moy, mais seullement ce que les aucteurs en dient en la louant parfectement, par especial en prince. (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 165).

 

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Mener la bataille : Et adonc ledit grant maistre, qui avoit de coustume de mener la bataille, pour ce qu'il estoit lieutenant du roy en l'abscence du connestable, fors et reservé quant ledit connestable y estoit, vint devers icelluy connestable et l'advertist du nombre de gens qu'estoient lesditz ennemys, ainsi que ledit prisonnier l'avoit raporté (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 303).

 

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Mener guerre (à qqn.) : Les Anglois souloient dire que nous savions mieulx danser et caroler que mener guerre. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 133). ...VIJ ans a ou environ, il estoit en la compaignie et soubz le conte de Savoye, qui menoit guerre pour nostre saint pere le pappe contre ceulx qui tiennent le parti du pappe Berthelemi (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 115). Mitridatés grant guerre aprés Leur mena (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 261). ...considerons que a prince qui maine guerre et a puissance de gens convient avoir trois choses principales : savance, chevance et obeissance. (CHART., Q. inv., 1422, 45). Comment le roy voloit mener guerre au duc Philippe, et de l'ordre de la Thoison que on tint a Saint Omer en l'an LX [l. LXI]. (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 263). ...nous (...) promettons audit duc de Bretaigne sur nostre honneur et batesme que apourtasmes dessus les fons que, ou cas que mondit seigneur le roy meneroit guerre audit duc de Bretaigne, de jamais ne l'acompaigner ne servir hors du royaulme, ne avecques ce courir en ladicte duché et païs dudit duc, ne y faire entreprise, pilherie aucune (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 361).

 

2.

"Gérer qqc" : Et pour ce dit Salemon, comme Il soit escript que chascun fuie Estrange femme comme pluie, Pour son blandir et sa malice, Que sa maison maine par vice Et encline jusqu'a la mort (DESCH., M.M., c.1385-1403, 185).

 

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Mener son fait. "Gérer son affaire" : Qui son fait maine par mesure, Raison accorde que il dure. (Renart contref. R.L., t.1, 1328-1342, 14). Car je fus simple et nyce oudit roy Leomedon qui folement me crut et mal se gaitta d'iceulx Grigois, en qui je fus saige et vraie, si que saigement menerent leur fait par l'aide et disposicion de Fortune, conduiserresse de leur bon eur, si que toute destruirent et ardirent la cité, le roy occirent et toute la gent. (CHR. PIZ., Avision R.D., 1405, 79).

 

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Empl. pronom. à sens passif [D'une chose] "Être géré, traité" : La poursuite d'amour est grans, Ce dist Platon et Lysias, Qui en ses escrips sur ce cas Termine et met les grans dommaiges Venens de ces amours sauvaiges : Tel amour par vray jugement Ne se maine, mais autrement Par fureur (DESCH., M.M., c.1385-1403, 175). Et passe temps sepmaine aprés sepmaine Et ne lui chault en quel point tout se maine -- Qui soit perdu ne qui soit recouvert -- Et veult que on soit devant lui descouvert Et que on die qu'il est noble a merveille ? (CHART., B. Nobles, c.1424, 404).

 

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"Se maintenir" : ...lesquelles serimonies royales susdittes n'acomplissoit mie tant au goust de sa plaisance, comme pour garder, maintenir et donner exemple à ses successeurs à venir que par solemnel ordre se doit tenir et mener le tres digne degré de la haulte couronne de France, à laquelle toute magnificence souveraine est deue, pertinent et redevable. (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 51).

 

3.

"Remuer, malaxer (une substance malléable)" : ...et prennés vostre amidon et le coulés tresbien avecques ledit boullon et menés ledit amigdon avecques ledit boullon en tant qu'il se lie bien et fort. (CHIQUART, Cuis. S., 1420, 145). ...et mennent la farce fort et fermement a une grant poche perciee a .II. mains (CHIQUART, Cuis. S., 1420, 157).

III. -

Au fig. [Sans idée de mouvement ou d'action sur]

A. -

[Le compl. désigne une façon d'être, de vivre, de se manifester] Mener telle vie/tel état. "Pratiquer telle vie/vivre dans tel état"

 

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Mener (bonne) vie

 

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"Mener une vie honnête" : Ilz furent espouzez, et menerent longtemps bonne vie ensemble. (ARRAS, c.1392-1393, 9).

 

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"Prendre du bon temps, s'amuser" : Et pluiseurs sont qui par oyseuse Mainent bonne vye et joyeuse (Renart contref. R.L., t.1, 1328-1342, 2). Ilz mainent bonne vie et bon esbatement, Les gentilz cousturiers, Quand ilz ont de l'argent. (Coust. Esop. T., c.1500, 159). [D'apr. l'Éd., la présentation des vers est conforme au ms.] ...Estre galant et tousjours bon compain, Chanter, mener la vie soir et main. (BAUDOUIN, Instruct. vie mortelle M., c.1431-1439, 541).

 

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Mener (du) bon temps. "Jouir de la vie" : ...Et en apert en font encor lour feste. "Laisse moi, laisse", font il, "mener bon temps" (BAUDOUIN, Instruct. vie mortelle M., c.1431-1439, 541). L'AMOUREUX. Se mon instrument est cornu, Ung jour venra que je l'auray, Par le bon temps que je menray, Grant et gros, vif, vert et vainu. (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 624).

 

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Mener droite vie : À ceulx qui veullent estre bons et mener droit vie, la IIIJ.e condicion qui affiert au serviteur est diligence de bien servir son maistre, et à tout heure estre prest, esveillé et prompt, en laquelle diligence est comprise obeissance en toutes choses quelconques justes et raisonnables. (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 86).

 

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Mener grande vie. "Mener joyeuse vie" : Et à la ville de Souvigni, le jour de Noël, l'endemain, et l'autre, fut menée la plus grant vie que l'en peust faire (CABARET D'ORV., Chron. Loys de Bourb. C., 1429, 7).

 

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Mener joyeuse vie : Et la fu le conte de Poittiers, et la contesse et sa fille, et les barons du pays, et le conte de Forests, et pluseurs autres nobles de pluseurs nacions, et tant de dames et de damoiselles qu'il devoit souffire. Et fu la feste bien joustee et bien dancee, et menerent moult joyeuse vie, et moult amoureusement furent ensemble. (ARRAS, c.1392-1393, 46). ...c'est tout ce que j'aime Que de mener vie joyeuse, Amoreuse, Sans faire domacge a arme. (Pass. Auv., 1477, 135).

 

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Mener laide vie : ...il la faillit laisser aller a sa maison, tant menoit laide vie. (C.N.N., c.1456-1467, 342).

 

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Mener mauvaise vie : Pas n'ay mené mauvese vie Com vous, qui si me malmenez, Pour les putains que vous tenez, Qui ceste riote me font. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 129). Comment le roy Alphonse feït couronner son filz Ferrand et de la mauvaise vie que avoit menée le vieux Ferrand, son père, et luy aussi. (COMM., III, 1495-1498, 76).

 

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Mener sainte vie : Et le clerc lui aidoit a dire ses heures, et mena Remond moult saincte vie. (ARRAS, c.1392-1393, 273). Plusieurs estiment qu'il soit saint pour la saincte vie qu'il menoit très austere et aspre, et faisoit plusieurs aumosnes. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 92 r°). Johannes Wosfigram, Anglois, fut environ ce temps très erudiq en la science de astrologie et en fist plusieurs beaux et singulliers jugemens, puis se fist carme et mena sainte et bonne vie, fut grant philosophe et homme moult aprecié en son temps. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 137 r°).

 

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Mener simple vie : Avisiez moy d'une pucelle Qui soit sy avenant et belle Que a Fïacre puisse plaire Afin que le face retraire De la simple vie qu'il maine, Qu'elle me semble trop vilaine Et dissolue. (Vie st Fiacre B.C.P., c.1380-1400, 18).

 

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Mener vie estroite : Quoy que vie mainent estroicte, Sy ont ilz largement entre eulx Dont povres filles ont souffrecte, Tesmoing Jacqueline et Perrecte, Et Ysabeau qui dit : "Enné !" (VILLON, Test. M., 1461-1462, 123).

 

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Mener vie solitaire : Et nous disons la chose estre par soy souffisant non pas quant elle est bonne pour .I. qui vit pour soy ou a soy tout seul, qui mainne vie solitaire (ORESME, E.A., c.1370, 118). SAINCT MARTIN. En cest habit je veulx Dieu suivre Et mener vie solitaire, Pour mon saulvement aconsuivre Et es cieulx mon ame retraire. (LA VIGNE, S.M., 1496, 363).

 

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Mener vie. "Donner libre cours à ses sentiments, ici laisse éclater sa douleur" : Quand la mere entendit ces doloreuses nouvelles, Dieu scet quelle vie elle mena (C.N.N., c.1456-1467, 499).

 

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Mener tel état "Avoir tel train de vie" : Et appert assés par ce que nous voions, jouxte ce que fu dit ou chapitre precedent, que ja pieça aucuns povres de ceste policie murmurent et parlent contre les autres en disant que gens de Eglise ne doivent pas avoir teles possessions et que les premiers prestres ne menoient pas tel estat. (ORESME, Pol. Arist. M., c.1372-1374, 189).

 

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Mener (grand) estat. "Mener grand train" : Dou grant estat que li chevaliers menoit, tant en son hostel que sus les rues, estoient pluiseurs gens de la ville esmervilliet. (FROISS., Chron. R., IX, c.1375-1400, 128). ...le chemin de cy a Saint Nicolas n'est pas bien seur, mesmement pour gens qui mainent estat et conduisent femmes (C.N.N., c.1456-1467, 171).

 

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Mener grand arroi : En ces .CCCC. chevaliers estoient vint et wit banerés (...) et menoient casquns de ces signeurs grant arroi. (FROISS., Chron. D., p.1400, 416).

 

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Mener vie solitaire : SAINCT MARTIN. En cest habit je veulx Dieu suivre Et mener vie solitaire, Pour mon saulvement aconsuivre Et es cieulx mon ame retraire. (LA VIGNE, S.M., 1496, 363).

 

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Mener la vie de Jesus-Christ. "Vivre à l'imitation de Jésus-Christ" : Je croys que tu es bien [le] sire Que pour nous soffriré martire. Tous ceulx que meneront ta vie Auront de paradis la vie. (Pass. Autun Roman F., c.1400-1500, 172).

 

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Mener gourmandise. "Être cupide" : Et, pour mener tel gourmandise, Ne leur en chaut il en quel guise Facent faulx ouvrage a la gent, Mais qu'ilz puissent tirer argent. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 75).

 

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Mener des dépenses : Je ne met pas gens a mesaise, Ne ne les fais aler en guerre : Mes gens ne veulent que paix querre, Ne d'autre riens ilz n'ont espans Fors de mener les grans despens, Jouer, dancier et eulx esbatre. (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 126).

 

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Empl. pronom. réfl. Se mener à qqc. "S'adonner à qqc. (ici l'ivrognerie)" : Si a toy je parler osoye, Qui boy vin d'Anjou et Osoye, Puis ypocras, dieppe et taincte, Parquoy ta vertu est extaincte, (Quand l'invroigne bons vins a bus, Il commet aprés granz abus, Car trop a ce mestier se maine, Par tous les jours de la sepmaine), Cuydes tu venir a valeur Pour estre de vins avaleur ? (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, 47).

 

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Se mener à + inf. "Se complaire à" : Souldainement, jour et sepmaine, Se maine Amour cuers entamer. Vray Dieu, qu'amoureux ont de paine ! (Au grey d'amours F.-H., c.1400-1500, 244).

B. -

[Le compl. désigne un sentiment, ou la manifestation d'un sentiment] Mener tel sentiment. "Exprimer tel sentiment"

 

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Mener joie : Sachiez que, non contretant que Remond eust esperance de la ravoir [Mélusine], si avoit il telle douleur au cuer que nulz ne le vous sauroit dire. Et ne fu puis homs qui le veist rire ne mener joye. (ARRAS, c.1392-1393, 262). Et en lieu de pleurs, ilz mainent faulse joye, solas et esbatement. (GERS., Purif., 1396-1397, 67). ...les barons et chevaliers d'Engleterre (...) menerent grant joie et grant reviel toute la nuit (FROISS., Chron. D., p.1400, 741). ...de ceste adventure tous ceulx qui presens estoient commencerent a rire et menerent grand joye. (C.N.N., c.1456-1467, 395). Icy [au cimetière des Innocents] n'y a ne riz ne jeu. Que leur valut [aux gens de bien] avoir chevances N'en grans liz de paremens jeu, Engloutir vins, engrossir pances, Mener joyes, festes et dances, De ce fere prest a toute heure ? Toutes faillent telles plaisances, Et la coulpe si en demeure. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 133).

 

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Mener chere lie. "Se réjouir" : Chantons et menons chere lye (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 85).

 

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Mener feste : Celle grant feste solempnee Ne fu pas un seul jour menee, Mais .C. et .LXX. jours Dura et, sanz cesser, tousjours Y estoient nouveaulx solas. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 261). ...le peuple d'autre part aloit menant feste sanz faire aucun ouvrage, resjois de la nativité de leur prince, criant : "Noe !" (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 162).

 

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Mener soulas. "Se réjouir" : Je vouldray ja mectre estudie A moderer dictiéz serains Pour resjouÿr les souverains De lÿesse haulte et nouvelle, Car journee si solempnelle Requiert bien de mener solas. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 830).

 

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Mener douleur : Quelle doleur, quelle tristesce Mainray pour toy dès ore mais ! (Mir. st Alexis, 1382, 366). En nom Dieu, dist le chevalier, nous yssimes hier sur noz ennemis, et, au retourner, fu le roy feru du soudant d'un dart envenimé, telement que on n'y treuve remede. (...) Et sachiez que la fille du roy maine tel douleur que c'est pitié a veoir ; il a ja deux jours qu'elle ne voult ne boire ne mengier. (ARRAS, c.1392-1393, 114). Sa contenance moult lui plaist, Mais trop lui grieve et lui desplaist Dont il est cause du grief plour, Dont il lui voit mener doulour (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 115).

 

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Mener deuil : La saige femme y est, qui maine Grant dueil que plus tost ne delivre. (Gris., 1395, 49). Mais n'y a qui plus grant dueil meine Pour Paris que fait dame Heleine (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 139). Se j'ay esperance, elle est vaine [la douleur] Et ne puis perdre espoir sans paine, Ne je ne sçay quel dueil je maine. (CHART., L. Dames, 1416, 263). Ma seur, c'est folie de mener tel dueil et si grand (C.N.N., c.1456-1467, 164). ...n'est pas a vous dire le dueil qu'elle menoit de ceste adventure. (C.N.N., c.1456-1467, 259). ...[il] se laissa cheoir du hault de luy, menant trespiteux dueil en regretant sa bonne femme. (C.N.N., c.1456-1467, 313).

 

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Mener orgueil : N'y ait nul de vous angelz quil mener orgueil ose, Loéz Dieu de sa gloire, des cieulx estes la rose. (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 5).

C. -

[Le compl. désigne une manifestation sonore]

 

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Mener bruit/noise/hutin/revel/tambour : C'est Girart et Regnier qui mainent grant revel Ausi legierement s'en vont com voille oysel (Hern. Beaul. D.B., c.1350-1400, 4). Voient devant le trèf au roy maint Sarrasin Et maint fel Moryen, qui font mal que venin : Surryen et Turquoys qui mainent grant hustin, Sonner maint riche cor et clicquier maint bacin. (God. Bouillon R., t.2, c.1356, 155). La gette dou chastiel d'amont conmença de la trompete a mener noise et grant solas, et tant que chil de l'oost s'en perchurent. (FROISS., Chron. D., p.1400, 524). Et paiens d'aultre part si mainent grant tembour (Galien D.B., c.1400-1500, 124). ...au partir qu'il fist, il mena si grant bruyt que l'asne du pouvre homme (...) commence a racaner et cryer. (C.N.N., c.1456-1467, 469). ...et n'y failloit soir qu'il ne fist assayer tousjours nouveaux engins, grosses serpentines, veuglaires et canons à renouveller, qui menoyent un bruit, telle fois fut, que le ciel sambloit fendre (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 129). Dictes moy ou n'en quel pays Est Flora la belle Romaine, Archipïadés ne Thaÿs, Qui fut sa cousine germaine, Echo parlant quant bruyt on maine Dessus riviere ou sur estan, Qui beaulté ot trop plus qu'umaine. (VILLON, Test. M., 1461-1462, 44). Nous vendrons o nostre bataille, aprez que serez descenduz et bien disparez de voz chevaulx, qui n'y aura plus riens qui maine noise ne qui nous puisse nuyre. (BUEIL, I, 1461-1466, 188). Je me vueil du tout disposer De partir, ainsi qu'i soit mynuyt, Moy et mes gens, sans mener bruit ; D'Estampes veil desamparer. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 578).

 

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Mener son sabbat : Et les Anglois menoient leur sabat En grans pompes, baubans et tiranie. (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 157).

 

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Mener tempeste. "Faire du vacarme" : Et, quant celle bombarde desclicquoit, on l'ooit par jour bien cinq lieues loing et par nuit de dix. Et menoit si grant tempeste au desclicquer que il sambloit que tous les deables d'enfer feussent sur le chemin. (FROISS., Chron. R., X, c.1375-1400, 248). Lors, quant elle [Melusine en guise de serpent] ot le fort environné troiz foiz, si se vint fondre si rudement et si orriblement sur la tour Poitevine, en menant tel tempeste et tel escroiz, qu'il sembla a ceulx de leans que toute la forteresse cheist en abisme, et lors sembla que toutes les pierres du massonnage se remuassent l'une après l'autre. (ARRAS, c.1392-1393, 261).

 

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Mener pleurs (et cris) : Comment les forestiers et les veneurs apportent le corps Emery et le porc mort, menans grans pleurs et grans criz. (ARRAS, c.1392-1393, 28). ...cellui plour Vont a Troye si grant menant Que l'en n'y oyst Dieu tonnant. (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 108).

 

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P. méton. Mener sa voix. "Émettre des sons" : La seconde merveille c'est que il [le rossignol] semble qu'il ait la science parfaicte de musique aussy comme naturelment, car il maine sa voix puis bas, puis hault et puis moiennement et la varie et la froisse aussy sy tres menuement et en tant de manieres que c'est une merveille grant a considerer. (EVR. CONTY, Harm. sphères H.P.-H., c.1400, 92).
 

DMF 2020 - Synthèse Pierre Cromer

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