C.N.R.S.
 
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     JUGER     
FEW V judicare
JUGER, verbe
[T-L : jugier ; GD : jugier/jugié ; GDC : jugier ; DEAF, J687 jugier ; AND : juger ; DÉCT : jugier ; FEW V, 56b : judicare ; TLF : X, 786b : juger]

I. -

[Domaine juridique et domaines apparentés, idée d'évaluation suivie de décision]

A. -

[D'une personne ayant autorité en matière de justice]

 

1.

Juger qqc.

 

a)

Juger un procès... "Soumettre à la décision de sa juridiction" : ...le Roy mandoit à la Court qu'elle jugast un certain procès qui pendoit ceans (BAYE, I, 1400-1410, 68). Ce jour, maistre Jehan Vivian, president en la Chambre des Enquestes, à l'instance d'aucuns de la Chambre desdictes Enquestes, qui estoient assemblez en la Grant Chambre pour jugier le procès dessusdit, ou jugement duquel les presidens et conseilliers de la Chambre de Parlement estoient partis, fist protestacion... (FAUQ., I, 1417-1420, 214). Et se amuse l'en aussi en lieu de juger les procés au matin a rapporter requestes, et dit on que on en prent argent, et de tous les abus qui peut estre on s'en doit rapporter aux gens du roy. (JUV. URS., Verba, 1452, 334).

 

b)

Juger le droit. "Rendre la justice" : A Romme apres, bien m'en recorde, Usoient les Rommains de droit, Mais tout est failli orendroit. Et se bon mon conseil vous semble, Aviser povez tous ensemble En quel lieu du monde asseoir, Et ou mieux il pourra seoir, Pourrez ce debat pour jugier Le droit ; visez y sanz targier, Selon voz grans discrecions. (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 263).

 

-

Au passif : Qant ces lettres furent leutes, li rois d'Engleterre fist faire requeste a tous les signeurs qui la estoient que tout fesissent feaulté et honmage. Tout chil qui requis en furent le fissent de tant que tenu estoient dou faire. Et tantos la en drois fu clamet et respondut entre parties conme devant l'empereur et jugiet droit a la semonse de li. Et fu la en droit renouvellés et affremés uns estatus et jugemens qui aultre fois avoit esté dis et fais en la court de l'empereour liquels estoit tels... (FROISS., Chron. D., p.1400, 294).

 

c)

"Prononcer (un arrêt, une décision)"

 

-

Juger un arrêt, une sentence... : Me Phelippe de Morvillier, premier president, et aucuns autres des conseilliers de ceans alerent en la Chambre du Conseil leiz la Chambre des Comptes pour conseillier et jugier l'arrest d'entre Thomas Orleant, appellant des gens des Comptes, d'une part, et Jehan du Croix, Guillaume Cename et autres marchans de Paris, d'autre part, et veu le procès par l'evesque de Noion, president es Comptes, et ledit de Morvillier, me G.. Perriere, me G.. Le Breton (...) a esté conclu, ut sequitur : Conclu a esté que... (FAUQ., III, 1431-1435, 60).

 

.

Au passif : Et, ce fait, fu fait mener à son derrenier tourment, et illec fu le jugement dessus dit prononcé et jugé contre ledit Nicolas de Barseloigne (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 52). Et, ce fait, par ledit mons. le prevost, et en sa presence, lui fu dit, jugié et prononcié la sentence ou jour d'ier contre lui conseillée. (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 99). Ce jour, la Court a commis Jaquot de Marcilly à l'exercice et gouvernement de l'office de garde et concierge de l'Ostel du Roy à Gouvieux, selon la teneur de certain arrest jugié en la Chambre de Parlement (FAUQ., I, 1417-1420, 337).

 

-

Juger que : Et quant les barons virent qu' ilz n'avroient de cellui affaire autre conseil, si regarderent que bon seroit que on feust delivre de ce corps, et l'emperiere mesmes s'i absenti ; dont aviserent et jugerent qu'il feust pendus, et loërent que celle nuit il feust gaitiez et gardez... (Bérinus, I, c.1350-1370, 418).

 

.

Au passif : Et par la congnoissance dessus dite, o l'avis desdiz conseillers, a esté jugié par mondit seigneur le juge que il avoit mort desservie, c'est assavoir d'estre ars. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 474). Mais il semble que en ses argumens n'est ja mestier insister, et peult on respondre peremptoirement que la chose fut jugee, decidee et determinee des la mort du dit roy Loys dit hutin, si fut elle aprés la mort du dit Charles le bel, qui avoyent filles ; car il fut dit, jugié, sentencié et prononcié par maniere d'arrest que fille ne devoit point succeder ne ne succederoit ou royaulme, et la quelle sentence fut exequtiee et approuvee et emologuee... (JUV. URS., T. crest., c.1446, 46).

 

-

Juger qqc. estre... : Oyes lesqueles oppinions, et veu ledit procès, ledit mons. le prevost le ordonna, prononça et juga ainsi estre fait, et en la presence dudit Courbras, prisonnier. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 379). ...l'evesque adnichilla et jugea estre nul ledit mariage de ladicte cordoanniere au barbier. (C.N.N., c.1456-1467, 417).

 

-

Jugier qqc. à qqn. "Attribuer qqc. à qqn par une décision de justice" : Car aussi en jugement contencieus, le juge corrumpu qui a jugié injustement un champ a la partie, il ne prent pas pour soy le champ, mais il prent argent. (ORESME, E.A., c.1370, 315).

 

.

Au passif [D'une terre] Estre jugé à qqn à avoir : Et saichiez que ses filz Oliviers du Pont le Leon vous en combatra. Mais assez brief le desconfirez, et seront le pere et le filz condempnez a estre penduz. Et gehira le pere toute la traïson, et vous sera vostre terre jugiee a avoir par les pers du pays. (ARRAS, c.1392-1393, 51).

 

-

Juger une peine à qqn. "Prononcer une peine contre qqn" : Mais quant ceste paine arbitraire On me juga par tricherie, Estoit il lors temps de moy taire ? (VILLON, Poèmes variés R.H., c.1456-1463, 74).

 

2.

Juger qqn

 

a)

Juger qqn. "Soumettre qqn à la décision de sa juridiction" : Quant il orent dit leur plaisir, Li roys n'i quist autre loisir, Einsois en l'eure leur bailla Et sa sentence leur tailla, Et dist : "Vez ci que vous ferez : Selonc vo loy le jugerez, Puis que tesmongnage ne trueve Par quoy son entention prueve." Si le jugierent et preïrent Et en un chastel le meïrent Qui est appellés Bonivant. Et là fu mis par tel couvent Qu'onques puis dou chastel n'issy, Eins y fu mors en grant sousci. (MACH., P. Alex., p.1369, 252). Et le prevost, homme discret et sage et en justice tresexpert, fist assembler les hommes et puis manda le prisonnier. Et ainçois qu'il le feist venir devant les hommes desja tout prest pour le juger, s'il confessoit par geheyne ou aultrement l'orrible cas dont il estoit chargé, parla a luy a part, et si le conjura de dire verité. (C.N.N., c.1456-1467, 159).

 

-

Estre jugé pour... : Mais se il retourne, elle se doibt partir du second et retourner au premier. Et se elle ne le fait, elle est jugié pour adultere. (Sacr. mar., c.1477-1481, 70).

 

-

Pour juger. "Pour être jugé" : Mais le bon roy vueil excuser Sans flaterie et sans ruser, De ce que si tost pour jugier Leur delivra le chevalier, Ja soit ce que leur loy deïst Que li roys einsi le feïst. (MACH., P. Alex., p.1369, 253).

 

b)

Juger qqn. "Prononcer un jugement, une sentence à l'encontre de qqn"

 

-

Au passif : ...veu le procès, confessions, denegacions et deposicions dessus dites, fu dit et deliberé que pour savoir par sa bouche la pure verité des fais dessus dis, elle feust mise à question ; et ainsi fu jugée par ledit mons. le prevost, et en sa presence. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 264). Tous lesquelz delibererent et furent d'oppinion qu'il n'estoit pas homme qui deubst joïr de previlege de clert, et qu'il avoit abusé et mesusé d'icelle tonsure, et qu'il devoit estre rez tout jus comme homme lay. Et ainsi fu jugié et condempné ledit prisonnier, et en sa presence, par ledit mons. le prevost (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 295).

 

-

Juger qqn par sentence : Et pour finale issue de ceste matière, afin que jamais ne fust plus mémoire des enfans, le duc les jugea par sentence : que le fils seroit moine en Affligem emprès Alost, et la fille jacobinesse en une religion emprès Bruges, dont la sentence fut accomplie et mise à effet. (CHASTELL., Chron. K., t.4, c.1456-1471, 269).

 

-

Juger qqn + adj. : A che propos dist aussi saint Augustin ou livre des Questions ou .IIIIxxIIIe. chapitre : "Le prince ou le juge juge chelui qu'il a condempné indigne d'estre pugni par sa main, et pour che le commet a ung aultre a qui compete tel office" (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 184).

 

c)

En partic. Juger qqn. "Déclarer qqn coupable et le frapper d'une peine" : Quant Susanne son jugement Vit et sa mort apertement (...) prist a crier : "Sire Dieus (...) Tu scez tout, einsois qu'il soit fait ; Tu scez que je n'ay riens meffait Et que malicieusement Ont tesmongnié et faussement Li faus juge qui m'ont jugie, Par qui le corps pers et la vie.(...)" (MACH., C. ami, 1357, 11). Si Pilate jucge Jhesus le prophete tresgrand, A tous vous faiz comandement Que l'estranglés luy et sa femme, Car Jhesus est homme sans blasme, Tresparfait et juste personne. (Pass. Auv., 1477, 167).

 

-

Juger qqn à + subst. : E ! doulx roy d'Escosse, et pour quoy M'avez jugée a telle mort Com d'ardoir ? (Mir. fille roy Hongrie, c.1371, 57). ...fu accusé et attaint de crieme commis, fut mis en prison, co[n]dempné a mort par sentence, tout le sien confisquié au roy et jugié finablement a la restitucion de iii.c mil d'amende arbitraire. (CHASTELL., Temple Boc. B., 1463-1464, 57).

 

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Jugier qqn à mort : Quant uns homs est grieteusement Tauxez a mort par jugement D'un bon juge sans mesprison, Et il le met en grief prison D'enfermeté en lieus divers (...) c'est bien enfers. La est il de foy en destour, Pour renoier son creatour ; Volentiers le renieroit Qui de la le delivreroit. Mais en celle heure qu'il est pris, Jugiez a mort par juste pris, Trop mieus li vaut qu'on l'en delivre Par la mort, qu'en tel dolour vivre. (MACH., J. R. Nav., 1349, 207). Se tu as deux serviteurs qui ayent tous deux forfait contre ta vie et ton estat, tu en puez l'un jugier a mort et a l'autre pardonner. Sy est droit et raison que nostre Dieu puisse faire de nous toutes, ses creatures, a sa franche voulenté (GERS., Trin., 1402, 163). ...Denis le cruel tirant ot jugié l'un de eulx à mort (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 153).

 

-

Juger qqn + inf. passif : Le roy, soy appercevant de la trahison que cestui a qui tant de biens avoit fait lui pourchassoit, le fist ung jour convenir devant lui et, la verité sceue, il le jugea estre traynné parmy la cité. (COLART MANS., Dial. créat. R., 1482, 255).

 

-

Juger qqn à + inf. : Ma dame, faictes l'advertir, Fin qu'il ne jucge a morir Le bon prophete Jhesus. (Pass. Auv., 1477, 168).

 

.

Au passif : Il fut tantost prins et congnut l'affaire, ainsi comme il en avoit alé. Il fut jugié à morir et fut amenez à Ville-Arpent et là eubt-il trenchié la teste. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 90).

 

.

Juger qqn à pendre. "Condamner qqn à être pendu" : Vray est qu'on a jucgé Jhesus A pendre en croix au Mont Calvaire. (Pass. Auv., 1477, 177).

 

.

Empl. factitif : On a fait maintenent les cris Qu'on vaise avec les seigneurs, Lesqueulx par leur maulvaises meurs Ont fait juger Jhesus en croix Devoir pendre. (Pass. Auv., 1477, 182).

 

-

[Avec pour suj. un inanimé] : Lors li doi prestre se leverent Enmi le pueple et s'aünerent. Quant Susanne fu la venue, Chascun d'eaus sa main toute nue Mist sus la teste de Susanne, Qui de son cuer efface et planne Tout pechié, toute villonnie, Et en Dieu seulement se fie. Adonc deïrent li faus juge Au pueple : "Ses meffais la juge ; Et nous aussi la jugerons Selonc ce que nous vous dirons..." (MACH., C. ami, 1357, 9).

 

-

Part. passé en empl. subst. "Condamné" : ...quant Denis le cruel tirant ot jugié l'un de eulx à mort, le dit jugié requist que on le laissant un pou de terme aler en son hostel pour ordonner son testament (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 153).

 

3.

Empl. abs. "Rendre la justice" : Mais aucun cognoist les drois et il juge injustement, il fait avaricieusement ou pour grace et profit acquerir ou pour paine et damage eviter. (ORESME, E.A., c.1370, 315). ...et en l'eschaffaut feust, comme traittres du roy nostre sire et de son royaume, decapitez, et en après ce, le corps et la teste mis et pendus à la justice. Et ainsi prononçasmes et jugasmes. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 25). ...pour ses demerites et larrecins par lui faiz et commis, cogneuz et perpetrez, il seroit oujourd'uy mis à mort et justicié comme larron, et ainsi lui fu dit, jugié et prononcié par ledit lieutenant, en ensuïant et enterinant le jugement contre ledit prisonnier, ou jour d'yer conseillié. (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 90). Monseigneur l'official, pour appoinctement, fist couvrir un lit en sa maison, et ordonna par arrest que les deux mariez yroient coucher ensemble, enjoignant a la mariée qu'elle empoignast baudement le bourdon joustouer et le mist ou lieu ou il estoit ordonné. Et quand celle sentence fut rendue, la mere dist : "Grand mercy, monseigneur l'official, vous avez tresbien jugé. (...)" (C.N.N., c.1456-1467, 501). Or sa, il n'en fault plus parler. Il [Pilate] est jucge et a jucgé. (Pass. Auv., 1477, 216).

 

4.

Empl. intrans. "Siéger au tribunal, à l'audience" : Raoul Payen, Jehan de Le Barre et Jehan d'Estrées, hommes feaux du roy nostre sire, juganz en sa court à Saint-Quentin, ad ce appellées (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 386).

 

5.

Inf. subst. "Jugement" : Ce procés tant plaisant et nouveau, affin qu'il fust de pluseurs gens congneu, fut en suspens tenu et maintenu assez et longuement ; non pas que a son tour de rolle ne fust bien renvoyé et mis en jeu, mais le juger fut differé jusques a la fasson de cestes ! (C.N.N., c.1456-1467, 37). ...icellui deffendeur eust requis mainlevée qui lui eust esté ottroyé moiennant ce qu'il eust promis d'ester a droit et de payer le jugier (Trés. Reth. L., t.3, 1462, 417).

 

6.

Part. passé en empl. subst.

 

-

"Jugement, sentence" : NOSTRE DAME. Certes, biau filz, or ay je joye, Quant de son injure est vengié Mon sergent, par vostre jugié (Mir. ev. arced., c.1341, 142).

 

-

"Projet de jugement (rédigé par la Chambre des Enquêtes du Parlement de Paris, avant l'arrêt définitif prononcé par la Grand-Chambre ou Chambre de Parlement)" : ...pour ce que certain arrest ou jugié avoit esté fait en la Chambre des Enquestes (BAYE, I, 1400-1410, 146). A conseiller l'arrest sur certains erreurs receuz par les maistres des Requestes de l'Ostel du Roy à juger ceans sur certain jugié de la Chambre des Enquestes (BAYE, I, 1400-1410, 272).

B. -

P. anal.

 

1.

[Dans le rituel des tournois]

 

-

[Avec une complét.] : Mais pour ce que vous, messeigneurs les François, par voz vaillances avez sans desmarchier tenue la bataille sur le parti et terrain de messeigneurs les Allemens, l'empereur veult, juge et ordonne que pour ce ilz se acquictent et vous paient les premiers, et puis vous a eulz, affin que voz tres belles dames ne perdent point leurs droiz, et encores que au saillir des lices soiez deux, per a per, et vous, messeigneurs les François, pour l' onneur de voz armes et de vous, saillirez a la main destre. (LA SALE, J.S., 1456, 268).

 

.

Au passif empl. impers. : ...de ce dire il s'en deffendera a l'ayde de Dieu et de nostre dame, par son corps ou de son advoué, par loyalle essoyne de son corps, se il est dist et jugié que gaige de bactaille y soit, au lieu, jour et place que par nous, comme leur souverain, ou aultre juge sera ordonné. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 211).

 

-

[Avec un attr. de l'obj.] Jugier qqn pour...

 

.

Au passif : Aultre ordonnance du roy : comment les deux combatans doivent entrer es lysses. Encores, et jassoit que par les anciennes coustumes de nostre royaume, l'appellant doit estre ou champ avant l'eure de dix heures et le deffendant devant l'eure de midy, et quiconcques deffault de l'eure, il est tenu et jugié pour convaincu, se nostre mercy, ou du juge, ne s'y estend (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 214).

 

-

Juger qqc. à qqn. "Décider d'attribuer qqc. à qqn" : ...le seigneur roy a vous, noble escuier, vous a jugié le pris. (LA SALE, J.S. E., 1456, 192).

 

-

Empl. abs. : Et quant l'eure fut venue de commencier le pas, leur deux juges, roys d'armes de Champaigne et Jarretiere, acompaigniez de leurs heraulx, furent montez sur leur hourt pour mieulx jugier, lors commença la jouste qui fut forte et fiere et treshonnorable pour tous deux... (LA SALE, J.S., 1456, 176).

 

2.

[De Dieu] "Prononcer la sentence finale sur les vivants et les morts"

 

-

Juger qqn : LA MÉRE AU PAPE. Hé ! mére Dieu, or say je bien Que sui a ma derraine fin. Dame, je vous pri de cuer fin Que pour moy priez au vray juge Vostre filz que pas ne me juge Selon mes grans iniquitez. Car s'il m'i juge, veritez Est que je n'ay n'en faiz n'en diz Fait par quoy j'aye paradiz, Car je sui pecherresse grande. (Mir. mère pape, c.1355, 395).

 

.

Au passif : ...souviengne toy, bonne ame, en souvent racordant les choses quy te seront trest darrieres - c'est la mort, quy est treu qu'i convient paier neccessairement -, que a ll'artycle de celle mort jugié seras selon tes operacions, soyent bonnes ou mauvaisez, et la tu congnoistras l'amour que tu as a ton espoux. Recorder te convient les painnes eternelles et les painnes purgatoires que puelx rachetter en ce monde. (CRAP., Cur Deus, De arrha B.H., c.1450-1460, 287).

 

-

Empl. abs. : Aussi as tu des bons amis Que Dieus t'a donné et tramis Qui si fort pour toy prieront Que leurs prieres t'aideront Envers le Dieu qui a droit juge. Et si as bon et loial juge, Sage, piteus et veritable, Qui t'est chose si pourfitable Qu'i te pardonra ton meffait, Se tu avoies bien meffait, La quel chose je ne croy mie. (MACH., C. ami, 1357, 65). Vous savez bien (...) Qu'entre les gens Diex sagement Juge touzjours et droitement (Mir. ste Bauth., c.1376, 154). Doncques la creature ne se doit pas pener par oultrageuse presumpcion que les jugemens et fais de Dieu vueille comprendre en son entendement, mais y penser et soy esmerveillier ; et, en soy esmerveillant, considerer comme il saiche doubter et glorifier Cellui qui si celeement juge. (ARRAS, c.1392-1393, 2).

C. -

P. ext.

 

1.

[Dans un débat, un litige...]

 

a)

"Prendre position à propos de qqc."

 

-

Juger de qqc. : Pour che dist saint Augustin a che propos contre ung nommé Fauste que "nul n'est tenu de croire a toute doctrine se non a la sainte Escripture, mais en toute aultre nous est laissié franchise de jugier de verité ou de la faulseté". (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 59). Pren doncques en gré, mere, ce que le peuple me contraint de respondre et juge de nostre debat a ton bon plaisir, car de ma part je m'en cuide assez estre deschargié. (CHART., Q. inv., 1422, 26). Si l'[Pan jouant de la flûte] oyt Midas, qui moult s'en esiouyt et dist qu'oncques mais il n'avoit oui si doulcement fresteler. Et de ce se glorifia Pan tellement qu'il se osa vanter de mieulx chalemeller de son dit fresteau que Phebus ne sauroit jouer de sa vielle. Et de ce voulut il attendre jugement et fut d'accord que le mont de Tignole dessus nommé en jugeast. (Ovide mor. B., 1466-1467, 269). Il [Jethro] vit Moyse qui seoit, du commencement du jour jusques a la nuyt, a ouyr les quereles et questions du peuple et se consommoyt de labour et travail qu'il prenoit pour discuter et jugier de leurs differens et si ne pouoit a tous satisfaire souffissamment, car il vouloit tout faire de luy seul. (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 184). Se telz consaulz sont a croire et a ensievyr, en jugent les sages et ilz trouveront que c'est contre justice et contre raison, contre les drois de nature et contre les loix divines et humaines. Car soy enrichir des biens d'aultrui, Dieu le defent. (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 212).

 

-

Juger + interr. indir. totale : Dame, s'il vous plaist, or jugiez Selonc la vostre opinion, Se j'ay tort a m'entencion. (MACH., J. R. Nav., 1349, 168). La tierche [science] est logique, qui est science de ordonner propositions declarees selonc les figures de logique, pour eslire ou extraire conclusions par lesqueles on parvient a la congnoissance des choses dittes, pour jugier de ycelles s'elles sont vraies ou fausses. (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 76). Delectacion nous est si doulce et si amiable, si atrahant, blandissant et decevant que tantost et presentement nostre appetit, qui ad ce est enclin, la prent et poursuit senz actendre que raison ait espace de considerer et deliberer et jugier se c'est bien ou mal, qui ne s'en guecte et n'y prent garde soingneusement. (ORESME, E.A.C., c.1370, 173). Anselme : - Enteng donc et distingue et par droite justice juge se l'omme puet satisfaire a Dieu par equalité de pechié, s'il ne restitue a Dieu, en vaincant le deable, ce que il a osté a Dieu... (CRAP., Cur Deus, De arrha B.H., c.1450-1460, 201).

 

.

Au passif : Soit jugié maintenant se telz sont a sage prince a recepvoir pour conseilliers : il est cler que non. (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 161).

 

-

Juger + interr. indir. partielle : Par m'ame, sire, Et de ma part je vueil et ose dire Que de mon cuer le jugement desire. Or regardons qui nous volons eslire Qui sans deport Sache jugier li quels de nous a tort ; Car avis m'est que li maus que je port Est si crueus qu'on ne puet plus sans mort. (MACH., J. R. Beh., c.1340, 101). ...ne savoient juger, non fist oncques personne qui depuis la veist, de quoy elle estoit, si c'estoit os ou corne (C.N.N., c.1456-1467, 430).

 

-

Empl. abs. : Paris respont : "Je ne porroie Bien jugier, se je ne savoie Ou vëoie tout en appert De quoy chascune d'elles sert, Et se n'avoie en ma baillie La pomme qui tant est prisie". (MACH., F. am., c.1361, 214). Je dis certes que le jugement droit cy n'est pas sy purement divin que nostre humanité aussy ne jugast bien autant par naturele lumiere. (CHASTELL., Temple Boc. B., 1463-1464, 153). Duquel jugement Midas ne fut mye content, mais le blasma de ce qu'il avoit jugié foulement (Ovide mor. B., 1466-1467, 270). JHESUS. Simon, on dit Q'un usurier deux debteurs avoit. L'un cinq cens deniers luy devoit, L'aultre cinquante a payer ; Tous deux n'avoient pas ung denier. L'usurier leur a tout donné. Dy moy lequel est mieulx amé, Et qui plus amer doit de ses deux ? SIMON. Raby, j'estime certes que mieulx Est amé celluy a qui plus L'usurier donna sans reffus. Aussi le doit il plus aimer. JHESUS. Droit as jucgé, Simon, sans doubter.[Réf. à Luc 7, 43] (Pass. Auv., 1477, 153).

 

b)

"Décider"

 

-

[Avec une complét. par que] : En ce temps, s'esmeult discention entre les ducz d'Orléans et de Bretaingne, pour ce que le duc de Bretaingne se vouloit mectre au dessus du duc d'Orléans. Le roy en eult la congnoissance et en décida, et juga que le duc d'Orléans yroit au dessus du duc de Bretaingne, tant en aller, seoir, escripre, que en toutes aultres choses. (LEFÈVRE ST-RÉMY, Chron. M., t.1, c.1462-1468, 123). Et puis, quant Phebus ot touché sa dicte vielle de son arçon, le dit mont Tignolus, qui en oyt la melodie, jugea que la dicte vielle valoit mieulx que le freteau. (Ovide mor. B., 1466-1467, 270).

 

-

Jugier qqc. à qqn. : Et Venus ne fut pas rebelle De lui pronmettre noble don En disant : "Paris ! ha bandon Je vous feray amie avoir Qui vaura mieux que tout l'avoir De cest monde, ne tout le sens, Afin que ce soit vos assens De me jugier la riche ponme." (Livre amour. all. F., c.1398-1430, 16).

 

-

Juger qqn à qqn : Et vint Richart, qui apporta le gantelet du prisonnier, lequel advoua le dit prisonnier et congneust bien que Richart estoit cellui qui l'avoit priz par dessuz la main et lui avoit osté son gantelet ; et confessa qu'il disoit tousjours : je me rens. Mais neantmoings il fust jugié à Gervaise pour ce qu'il avoit mise sa main dedans celle de Gervaise et lui avoit donné sa foy. (BUEIL, I, 1461-1466, 224).

 

2.

[La décision concerne le sort d'une personne]

 

a)

Au passif Estre jugé à qqn.

 

-

Au passif : N'avoir ne quier jamais bien ne deport Ne riens qui en joie me mette, Puis qu'à vous ay failli, doucette. Eins vueil morir, com loyaus amoureus à qui la mort est jugie à grant tort, Et je sçay bien que ce sera mes preus, Car je sui si arrivez à mais port Que toute riens à moy grever s'amort. (MACH., L. dames, 1377, 107).

 

b)

Juger qqn à/de... "Réserver tel sort à qqn, condamner qqn à"

 

-

Au passif Estre jugé à qqc. : ...Vueil .J. lay retraire De celle qui traire Me fait tant contraire, Par .J. soustil regart traire Qui à li amer m'amort, Que je ne m'en puis retraire, Eins m'en lay detraire Pour s'amour attraire Qui me vuet deffaire, S'autrement ne li puis plaire, Dont jugiés me tieng à mort. (MACH., Lays, 1377, 309).

 

-

Empl. pronom. réfl. Se juger à + inf. : Se pour ma mort le bien publicque D'aucune chose vaulsist mieulx, A mourir comme ung homme inique Je me jugasse, ainsi m'est Dieux ! (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 31). Se Dieu m'eust donné rencontrer Ung autre piteux Alixandre Qui m'eust fait en bon eur entrer, Et lors qui m'eust veu condescendre A mal, estre ars et mis en cendre Jugié me feusse de ma voys. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 33).

 

-

Au passif Estre jugé de + inf. : Est ce vers moy qu'envoyez ce souspir ? M'aporte il point quelque bonne nouvelle ? Soit mal ou bien, pour Dieu, qu'il ne me celle Ce que lui veuil de mon fait enquerir. Suis je jugié de vivre, ou de morir ? Soustendra ja Loyauté ma querelle ? (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 318).

 

c)

Empl. pronom. réfl. Se juger à qqc. "Décider de se consacrer à qqc." : Et mesmez, affin que plus complaisent a leur maistre, roy et prince de toute perverse malice, ilz se offrent voluntairement a perpetrer ces crismes et n'y sont meus par espoir d'acquerir aucun prouffit desiré ne par quelque passion et mouvement de envie, yre ou hayne, mais se jugerent a tous maux pour faire seulement plaisir au pere de tenebres (Inv. secte vaud. V.B. D., p.1460, 60).

 

d)

[Avec un attr. de l'obj.] Juger qqn + nom. "Attribuer à qqn telle fonction, tel titre" : Jamais n'en seroient lassez, Tant qu'ilz font bien par leur parole Croire bonne femme estre fole, Et la bonne par leur parler Font ilz bien en l'empire aler ; Ilz font d'un sot un vaillant homme, Ilz jugent empereur de Romme Un chetif, puis qu'il leur donrra. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 285). "Roulant," dist Ganelon, "fait m'avez messaiger, Au roy Marcilion me faictes envoyer. Dieu doint que je me puisse d'un tel ennuy venger ! (...)" Roulant en prent a rire quant s'ouÿ menacier, Puis a dit coyement Roulant sans detirer : "Ganelon vrayement fait l'ay pour moy venger, Car jadis en Vienne, dont li mur sont planier, Quant [Charlez] l'asciega et ces nobles princer, La me feïstes vous ung messaige juger, Or m'en a souvenu sçavez de mon mestier. (...)" (Galien D.B., c.1400-1500, 36).

II. -

[Idée d'évaluation]

A. -

"Fixer la valeur de qqc." : Car en tele amistié, chascun a son entente as choses de quoy il a mestier, et donne ou fait courtoisie pour la grace et pour la fin d'avoir teles choses. Mais ordener la dignité ou quantité de la retribucion ou recompensacion appartient a celuy qui premier donne ou a celui qui premier prent. Et semble que celui qui donne octroie a l'autre l'auctorité de estriver, jugier et taxer la recompensacion. (ORESME, E.A., c.1370, 453). Et pour congnoistre de deux ou plusieurs nombres lequel est le plus grant, convient adviser s'il y a plus de figures en l'ung que en l'aultre, car cellui ouquel y a plusieurs cellui est le majeur. Et s'il advient qu'il y ayt autant de figures en l'ung que en l'aultre, l'on doit adonc regarder si l'une des derrenieres est de plus grant valeur que l'aultre, car adonc cellui nombre sera plus grant. Et si les derrenieres sont egales, l'on doit juger des penultimes ou des devant penultimes se besoing est, en continuant jusques aux primes. (NIC. CHUQUET, Triparty, 1484. In : Chrestom. R., 239).

 

-

Juger de qqc. comme aveugles de couleurs : Par cuer retiens ce que j'en ay apris, Car plus ne sçay lire ou Livre de Joye, Tant sont [les yeulx de mon cuer endormis !] Chascun diroit qu'entre les rassotiz, Com avugle des couleurs jugeroye ; Taire m'en weil, rien n'y voy, Dieu y voye ! (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 305). ...à faulte de sçavoir la differance des bons ars et des mauvais et sçavoir aussi separer le vray du faulx, le blanc du noir et le pur de l'impur, mais jugeans de ce à travers, comme aveugles font de couleurs, suivans seullement leur affection desordonnée (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 2 r°).

B. -

"Porter un jugement, émettre une opinion sur"

 

1.

Juger qqn/qqc.

 

a)

Juger qqn

 

-

Au passif : ...elles [les femmes de cour qui disent du mal de leur maîtresse] jugent autrui, qui est contre le commandement de Dieu, qui dit : Ne juges se tu ne veulx estre jugiéz. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 145). S'il souloit regarder a deux yeulz, il voit a quatre ; s'il souloit jouster, danser, chanter, luittier, saillir, il adresce au bien faire et juge ou loe les meilleurs (Devin. R., c.1470, 68).

 

-

En partic. "Considérer qqn comme coupable" : Et de toutes ces choses de quoy ta conscience te juge tu t'en dois confesser, et de tout ce dont tu te scens coulpable et qui regarde le pechié d'avarice, et dire l'un aprez l'autre par l'ordonnance que dessus.. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 34).

 

b)

Juger qqc. : Chascun si juge bien les choses que il cognoist et en est bon juge. (ORESME, E.A., c.1370, 107). Aprés ce que nous avons determiné de chose voluntaire et de involuntaire, il s'ensuit que nous passons oultre et traictons briefment de eleccion meïsmement, car c'est une chose qui est propre a vertu et doit l'en mieulx jugier les meurs d'un homme par le eleccion que par les operacions. Il semble que eleccion soit chose voluntaire. (ORESME, E.A., c.1370, 184). A la foiz a part se tiroit Pour raffermer sa contenance, Et trestendrement souspiroit Par doloreuse souvenance. Puis reprenoit son ordonnance Et venoit pour servir les mes, Mais a bien jugier sa semblence, C'estoit un piteux entremés. (CHART., E. Dames, 1425, 335). O quant grant difference est entre l'eternelle science de Dieu, qui toutes choses congnoist telles qu'ellez sont, et le petit entendement de homme, qui juge les choses ainsi que il les comprent ! (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 157). Dit aussi en icellui que n'est chose juste que ceulx qui n'ont bien veu lesdits livres, presument de les juger et villipender. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 125 v°).

 

2.

Juger de qqn/qqc.

 

-

Juger de qqn

 

.

Empl. impers. au passif : Tres noble seigneur, et pour ce que c'est la chose qui plus raporte et fait savoir l'abit et estat du courage et sa disposicion que la parleure de l'omme, par laquelle est jugié de lui ou bien ou mal selon l'usage des parolles yssans de la bouche le plus communement, si que dit le proverbe commun... (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 169).

 

-

Juger de qqc. : Ce n'est pas chose droituriere ne raisonnable en nulle maniere de ensuivir les fortunes en jugeant de la felicité ou de la misere d'un homme. (ORESME, E.A., c.1370, 133). Et quant a cest propos, il est ainsi des bons et des mauvais comme il est des corps sains et malades ; car ceuls qui sont bien disposéz selon le corps jugent bien et selon verité des viandes et leur semblent bonnes celles qui leur sont saines ; et ceuls qui sont malades et enfermes en jugent souvent autrement et les jugent autres et d'autre saveur. Et les choses qui sont doulces selon verité leur semblent aucunes fois ameres et les viandes chaudes leur semblent froides et les legieres pesantes ou au contraire, et ainsi des autres choses. (ORESME, E.A., c.1370, 195). Item, synesie n'est pas avoir prudence ou acquerir prudence ; mais aussi comme symenay signifie user de science, semblablement synesie est en user d'opinion pratique en jugeant des choses de quoy est prudence et en bien jugier de ce que un autre dit. (ORESME, E.A., c.1370, 352). Comme il aviengne de commun cours que faveur à soy meismes ou envie avugle et destourne l'omme à jugier au vray de l'autrui chose quelque bonne ou belle qu'elle soit (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 118).

 

.

Juger de qqc. à/par... : Assez pourroie dire de cestui prince sage en jeune aage, de laquel chose on peut jugier par ce que on voit de lui ; se il vit jusques au temps de vieillece, ce sera prince de grant excellence par qui mains grans biens seront fais. (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 175). Car il est a penser a un chascun que femme qui aime bien son mary ne luy sera ja faulce, si ne puet faire autre certificacion de sa loyaulté fors par l'amour que elle lui monstre et les signes de par dehors par lesquelz on juge communement du courage, car autrement ne puet on jugier de l'entencion des gens fors par les oeuvres, lesquelles, se elles sont bonnes, tesmoingnent la personne bonne, et aussi au contraire. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 57). Car nonobstant qu'en toute court soit bien seant que les femmes y soient d'onnestes meurs, toutevoies pourroit cheoir plus grant peril en compagnie de joenne princepce qu'en autre pour deux especiaulx raisons : l'une qu'on juge communement a l'estat et maintien qu'on voit a la maignee, de l'estre et condicion du seigneur ou de la dame, pour quoy se les femmes n'estoient de belle ordonnance, aucuns pourroient supposer que non fust la maistresse, - laquelle chose pourroit estre desacroiscement de l'onneur d'elle. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 91).

 

3.

[Marque l'attribution d'une qualité à qqn ou qqc.]

 

a)

Juger qqn + attr. de l'obj.

 

-

[Attr. en constr. dir.] : ...car, comme disoyent les voyagiers, c'estoit une moult noble cité que Constantinoble, et avecques la pitié, la destruction du peuple et l'amandrissement de la foy chrestienne, faisoit moult à plaindre la mort et la destruction du noble Empereur et sa personne ; car, sans aultre prince blasmer ou amandrir, je juge l'Empereur de Constantinoble, vivant, la plus noble personne du monde (LA MARCHE, Mém., II, c.1470, 336). Et sy puis seurement dire que, combien que ung prince ne ait en soy lettres ne science acquise, se il use du conseil de sages et lettrez, que il les interrogue en ses affaires et sçache par eulz ce qu'est de faire et que voulentier les oït et les croit et revolve en son entendement ce qu'il oït de eulz, tel prince est a jugier sage, tel le doit on tenir, tel le doit on nommer. (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 157).

 

.

Au passif : Chilz est jugié mauvais compaignon, qui est enclin a accuser les aultres. (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 266). Et ceste meisme verité Valere par auctorité Touche ou lieu la ou il recorde Du philosophe de concorde Socrates, qui par la responce D'Appollo, le dieu de semonce, Fu jugié en trestoutes sommes Le plus sage de tous les hommes, Que cellui Socrates disoit Que homme nul ne souffisoit A regner n'a gouverner gent, S'il n'estoit prudent et sachant (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 218).

 

.

Empl. pronom. réfl. : Ce jugement avoit saint Pol quant il se jugeoit le premier entre les pecheurs (GERS., P. Paul, a.1394, 504). Quant saint Pol plus proffitoit en charité, et plus indigne se jugeoit quant en soy et de soy (GERS., P. Paul, a.1394, 504).

 

.

[En tour factitif] Faire juger qqn + attr. de l'obj. : ...il convient Que nue dedans le bain entre, Car on verra dessoubz mon ventre Que n'aray pas d'omme le membre Et (...) Mes mamelles si apperront, Qui femme jugier me feront (Mir. fille roy, c.1379, 102).

 

-

Juger qqn à + syntagme nom. : ...c'estoit uns oiseaus parfais, Car il le me moustra par fais. Par fais ? Voire, parfaitement, Au meins selonc mon jugement, Et cil qui voler le vëoient A parfait oisel le jugoient. Il prenoit a point ses volées Et faisoit si hautes montées Que chascuns s'en esbaïssoit (MACH., D. Aler., a.1349, 333).

 

b)

Juger qqc. + attr. de l'obj. : Le lendemain commencèrent les escarmouches jusques aux portes de Paris, où estoient dedans monsr de Nantouillet, grant maistre, qui bien y servit, comme j'ay dit ailleurs, et le mareschal Joachin. Le peuple se veit espoventé et d'aucuns autres estatz eussent voulu les seigneurs dedans, jugeans à leur advis ceste entreprinse bonne et profitable pour le royaulme. (COMM., I, 1489-1491, 50).

 

4.

Empl. abs. : Jugez, amans, et voiez ma dolour ! Comment Amours et ma dame ensement M'ont fors bani de leur plaisant sejour Et esloigné de merci durement, Sans avoir fait ne pensé Envers ma dame que bien et loyauté (MACH., App., 1377, 653). Item, quant nous avons respondu aus raysons des oppinions contraires, il ne semblera pas que nous condempnons ces oppinions de voulenté et sanz cause, quar il convient que ceulz qui enquierent la verité jugent souffisanment et non pas comme anemis et adversaires des oppinions contraires. (ORESME, C.M., c.1377, 178). Lors a songier Prins a leur fait, car c'est dangier, Faucte de sens, vouloir legier, De tart entendre et tost jugier (CHART., L. Dames, 1416, 273).

 

-

Prov. : Qui tost juge, tost se repent (Prov. H., 143).

 

-

A droit juger : Et quant j'eus oï le deduit Des oisiaus, tous seus, sans conduit, M'en alay parmi le vergier, Pour ce qu'onques, a droit jugier, Nul si trés bel veü n'avoie ; Car il n'i avoit lieu ne voie Qui ne fust semez de flourettes Blanches, jaunes et vermillettes Ou d'aucune estrange colour. (MACH., D. verg., a.1340, 14). N'a droit jugier, Amans ne puet avoir homme si chier Qu'il le vosist avoir a parsonnier En ses amours, sans plus, nès par cuidier. (MACH., J. R. Beh., c.1340, 98). Pour ce que nous avons parlé a la doctrine des dames et damoiselles ouquel noble estat les dames de religion, de qui qu'elles soyent nees, pour reverence de Dieu a qui se sont donnees et mariees peuent bien aler au renc, voire devant toutes a droit jugier, voire quant a honneur pour reverence de leur Espous et d'ordre de religion, qui est entre les estaz selon Dieu de mout grant hautece. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 165).

 

-

A brief juger : J'ay veu dames et damoiselles Maintesfoiz chanter et dancer, Et de gracieuses pucelles Qu'il faisoit moult bon regarder, Mais il me semble, a brief jugier, Que ma dame si est bien telle Par quoy je la doy appeller Entre les autres la plus belle. (GARENC., Poésies N., 1400-1415, 22).

 

5.

Inf. subst. "Avis, opinion"

 

-

A mon/son... juger. "A mon/son...avis" : Si s'avise qu'a levriere à garder. Pour tant s'elle ne fait ce qu'elle doit, Il n'en doit pas estranges chiens tuer, Car plus grant mal venir li en porroit. Car se le chien come il doit se pourvoit Et la levriere laist le sien pour autrui, à mon jugier la peine em porteroit, Qu'an riens n'i ont les chiens mort desservi. (MACH., App., 1377, 649). Qu'est ce, à ton jugier, de cest oeuvre ? N'est ce pas le tresor dont l'université du monde mieulx estorée de haulx engins se pourroit facilement assouvir ? (ROBERTET, Oeuvres Z., c.1450-1500, 129).

C. -

P. ext.

 

1.

"Avoir une idée de qqc., se le représenter, l'imaginer"

 

-

Juger (la) verité : Quant homme est plain de yre il ne voit riens fors toute forcenerie et mauvaistié. Et Cathon meismes l'acorde disant : Yre empesche tellement le courage qu'il ne puet jugier verité. (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 172). Ja, cy dessus, avons allegué les Ditz des philosophes, comme Aristote, Byas et aultres, qui ne veulent yre admettre en conseil, mais nous ne y avons assigné quelque raison, pour quoy veons qui les meut ad ce dire. Cathon le sage en met une principalement quant il dit que yre tourble et empesche en tele maniere l'entendement et le courage de l'omme qu'il ne peut user de raison et ne peut veoir ne jugier la verité de ce qu'est a faire ou laisser. Pour ce dit Socrates que, qui s'en sent surprins, il ne y a remede que de avoir en soy ceste patience que ceste passion soit passee, et puis aprés deliberer meurement et sans passion. (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 241).

 

-

[D'un animal] Juger de qqc. : Ainsoys tu seras presques semblable aux bestes qui ne jugent fors des choses sensibles et corporelles. (GERS., Trin., 1402, 154). ...a l'exemple du chat huant qui ne puet riens veoir sans aucune lumiere du soleil, non pourquant ne puet il veoir le soloeil en sa pureté, et ne juge riens du soloeil, ainsoys luy est le soleil comme tenebres et obscurté, car yl n'y puet goutte veoir. (GERS., Trin., 1402, 159).

 

-

Juger+ interr. indir. partielle

 

.

Au passif : Ire, comme dit saint Gregore ou .Ve. livre de ses Morales, telement aveugle l'omme que il pert toute sapience et ne scet ou il est ne qu'il dit ne qu'il fait. Si est a jugier quel conseil home yreuz estant en son yre peut donner, mais, que pis est, ce que ung aultre dira qui sera bon, juste et raisonnable, l'omme couroucié le impugnera et le pervertira contre toute rayson. (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 241).

 

-

[D'une chose, le verbe prenant une valeur factitive] "Permettre de connaitre ; manifester, signifier" : Cil qui songe qu'il soit mort, mort signifie empeschement de foy et longueur de jours (...). Et s'il songe qu'il soit ou sepulcre, par le sepulcre est signifié perdicion et ennuy ; se privacion y est de exeques et chans des mors, la privacion dicte juge espoir de salut. (Expos. songes B., 1396, 141). NOSTRE DAME. Vous ne le trouvez quelque part, Vostre semblant assez le juge. (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 129). Mon amy, dist la gouge, je ne sçay qui vous a troublé, mais vostre maniere et voz parolles portent et jugent qu'il vous fault quelque chose, que je ne saroie penser ne inferer que ce peut estre, si vous n'en dictes plus avant, si non ung peu de jalousie qui vous tourmente, ce me semble, de laquelle, si vous estiez bien sage, n'ariez cause de vous accointer. (C.N.N., c.1456-1467, 234).

 

.

Juger à qqc. : Cil qui songe qu'il dorme avec aucun resuscité, le sommeil juge à perpetuel salut et repos. (Expos. songes B., 1396, 142).

 

2.

"Préjuger ( (Éd.))" : Homme propose et Dieu dispose, En brief on voit le temps changier : Aller vouldroit qui se repose, Temps advenir n'est a jugier ; Veillant, dormant, boire ou mangier, Jour ny heure seure n'avons ; Dieu si n'est mie mensongier, Ses fais et dis croyre devons. (GARIN, Compl., 1460, 70).

D. -

ASTR.

 

1.

Juger qqc.

 

-

"Interpréter (un phénomène astronomique)" : Cestui jugea l'eclipse de la Lune, qui fut le XIe des kalendes d'avril, environ l'eure de neuf heures, le sabmedi devant Rameaux, c'est de Pasques flories, et predist les grans vens intemperez, qui continuerent par IIII jours (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 117 r°).

 

-

Juger qqc. sur qqc. "Prédire qqc. à partir de qqc." : Thebicq fut le plus subtil de son temps et sur les jugemens particuliers jugea choses à merveilles precises (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 117 v°). Cestui maistre Jaques jugea, sur aucune revolucion, la douloureuse prinse de Constantinoble et la piteuse mort de l'empereur (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 156 r°).

 

2.

Juger de qqc. "Prononcer un jugement astrologique sur (une chose ou sur un événement)" : ...et fist la direction dudict Mercurii ou degré opposite de Jupiter, qui est son cas, et fist la direction au quadre du degré de Mercure et en jugea moult vertueusement. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 20 r°). ...et icelui Phador ung jour lui monstra sa nativité et jugea de sa vie moult precisement (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 81 v°). ...composa le livre pour juger des urines sans les veoir par la science de astrologie (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 103 v°). Joachin, abbas, jugea par la science estoilles de plusieurs choses advenir (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 115 r°).

 

3.

Juger sur qqc. (un phénomène astron.). "Faire des pronostics à partir d'(un phénomène astronomique)" : Cestui jugea sur la quarte conjunction qui fut l'an 3418. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 20 r°). Tola, le fils Yppote, residant en ce temps ès ysles de Fubitreas ou Subitreas, fut très expert en la science des estoilles et prenostica longtemps au peuple et jugea de plusieurs choses, et predisoit à la disposicion de l'air à merveilles justement (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 21 v°). ...fist jugemens merveilleux sur les enfans et sur les plus grans des plus grans de Romme, jugea aussi sur les grandes conjunctions et sur les eclipses. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 41 r°). ...jugea sur l'eclipse qui fut le XIe des kalendes de juillet, en la fin de Gemini. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 117 v°). Blaise de Payona juga sur la revolucion de l'an mil IIIIcV et sur la conjunction de Saturne et de Jupiter, qui fut celui an, le XIIe jour de janvier. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 148 r°).

E. -

MÉD. "Faire un pronostic au sujet de"

 

-

Juger qqc.

 

.

Au passif : La vraye tiercaine, s'elle est jugee en VII periodes, est dicte tres longue. (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 77).

 

-

Juger de qqc. : ...sitost que maistre cyrurgien vit cest oeil il le jugea comme perdu, ainsi par adventure qu'ils sont coustumiers de juger des maladies (C.N.N., c.1456-1467, 503).

 

-

Juger sur qqc. : ...et combien que ce signe senefie que la fame a conceu, toutesfoiz convient il avoir plusieurs autres signes, avant que nous en puisons estre certifiez et renduz seurs. Et pour mieulx et certainement jugier et pronostiquer sur telle concepcion ou grossece, je racompteray les signes par quoy on peut savoir la certaineté, si comme Avicene les racompte, ou IIIe de son Canon... (SAINT-GILLE, Comment. A.Y. L., 1362-1365, 121).

F. -

CHASSE

 

-

Juger le poil du cerf. "Déterminer la couleur du pelage du cerf ( (Éd.))" : Des cerfs juge l'en le poill en moult de manieres, espiciaument en trois, que on dit l'un brun, l'autre fauve et l'autre blont. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 60).

 

-

Juger les fumees. "Déterminer l'âge, le sexe et la taille de la bête, qu'on ne voit pas, par les fumées ( (Éd.))" : Et, quant il ne se peut plus deffendre, pou de sanglers sont qui ne se plainhent et crient quant ce vient sus le mourir. Ilz getent leurs lesses comme les autres porcs et selon leurs menjues ou molles ou dures, mais on ne les porte a l'asemblee ne ne les juge l'en comme fet dou cerf ou d'autre beste rousse. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 91).

 

.

Empl. pronom. à sens passif : La se jugeront les fumees Qui auront esté apportees, Et adoncques en parleront Ceulx qui le mieux se congnoistront (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 372).

 

-

Juger un animal par/à... : L'aprentis demande a quex signes l'en puet connoistre grant cerf. Modus respont : "L'en puet jugier et connoistre grant cerf a cinc signes : le primier est par les traches, le secont par les fumees, le tiers par les freoirs, le quart par le lit, le quint au bois porter..." (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 17). L'en puet jugier et congnoistre grant cerf au bois porter, si te diron comment. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 22). On ne fet point de suite de limier au dain ne vet en queste comme au cerf, ne ses fumees ne sont point en jugement comme celles dou cerf, mais l'en le juge par le pié et par la teste, einsi comme je diray plus a plein ci avant. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 68).

 

-

Juger d'un animal contre un autre. "Distinguer un animal d'un autre" : De la truye encontre le sangler puet il jugier, quar la truie ne fet pas si bon talon comme fet un bien jeune porc, et aussi ses ongles sont plus longes et plus agues [l. agües] devant que d'un juene porc, et aussi ses trasces plus ouvertes devant et estroites darriere. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 159).

 

-

[Avec une interr. indir.] : Le quart a quoi tu pues juger se cerf est chassable, c'est par le lit, et le saras par ces signes. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 21). La seconde maniere d'aler en queste, d'aler aus champs, es bles et es tremois, ou les cerfs vont viander ; et ne te chaut comment tu y voises matin, fors que tu puisses veoir a terre et juger quelx bestes y aront viandé. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 24).

 

-

[Avec un attr. de l'obj.]

 

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[Attr. constr. directement] : Et, s'il voit que la fourme du pié ait la largeur de quatre doiz, il le puet juger grant cerf par les foulees (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 155).

 

.

Juger un animal pour... (par qqc.) : Et, si la semelle du pié a encore trois doiz largement, il le puet juger pour cerf de dis cors. Et aussi, s'il voit qu'il poyse bien et ront bien la terre et presse bien l'erbe, c'est signe qu'il est grant cerf et pesant. (...) Et, s'il n'en puet veoir en nul lieu, si doit mettre la main sus la fourme du pié, quar lors trovera il comment il ront la terre des ongles du pié de chascunne part et le pourra jugier pour grant cerf ou pour cerf chassable, einsi comme j'ay dit des foulees de l'erbe. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 155). Et voulentiers grant sangler fet pigasse ou devant ou darriere ou de chascun, c'est a dire que l'un ongle de ses trasses est plus longue que l'autre. Et, ou il verra les signes dessus diz plus granz, il le pourra jugier par les trasces pour plus grant, et de moins moins. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 159).

 

-

Juger par qqc. que : Et quelque teste que cerf porte, soit grosse ou gresle, se les meules sont pres de la teste, c'est le plus grant signe qui soit veu sur le cerf qu'il soit viel et par quoi l'en puet miex jugier que il soit vieil cerf. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 35).

 

-

Empl. abs. : Encore puet il quester aux champs et blez, vignes, vergiers et tremois et autres choses ou les cerfs vont viander aux champs hors du bois. Et y aille bien matin, mes qu'il puisse veoir a terre et bien jugier. Et, s'il voit chose qui li plaise, il puet geter ses brisees. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 162).

III. -

[Verbe d'opinion]

A. -

"Tenir pour vrai (au terme d'un jugement, d'une évaluation, d'un examen)"

 

1.

[Avec une complét. par que]

 

a)

Juger que + ind. : Et se cestes gens ne treuvent pas goust ne plaisance es operacions vertueuses qui sont plaines de delectacion pure et liberal, et se pour ce ilz refuient et se traient as delectacions corporeles, l'en ne doit pas pour ce estimer ne cuidier ou jugier que teles delectacions corporeles soient plus eslisibles que ne sont celles qui sont en operacion de vertu. (ORESME, E.A., c.1370, 516). Et je juge que c'est raison Et m'en acquitte. (Mir. ste Bauth., c.1376, 146). Pourquoy jugoient les juifs que les apostres estoient ivres ? Je respon que pour leur malice : comme maintenant se ung veult bien vivre, on le repute I fol. (GERS., Pent., p.1389, 84). Je congnois et juge que tout ce que vous faictes et voulez faire est justement fait, saigement fait, doulcement fait, soit en punissant par justice, soit en pardonnant par grace. (GERS., Trin., 1402, 164). Or n'est le soleil plus cler ne plus tenebreux pourtant, se l'omme qui se gist aux fenestres fermeez juge qu'il est encores nuyt. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 158). "(...) Et quant ce vint a vous nommer, je vous prommés que la couleur lui mua et commença a rendre grans souppirs et faire une admiracion telle que je jugay en moy mesmes incontinent que c'estiez vous a qui il en vouloit." (Percef. III, R., t.2, c.1450 [c.1340], 138). Ce damoisel amenerent ilz devant Passelion. Quant Passelion le vey, il juga selon sa corpulence qu'il seroit preu chevalier (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 935). Et si tost qu'elle vit les bourgois entrer, elle jugea tantost que le chevalier estoit mort (C.N.N., c.1456-1467, 551). Lors Cesar, qui avoit souvenance que Lucius Cassius lors qu'il estoit consul de Romme avoit esté occis par les Suisses, et que son ost avoit esté vaincu et mis en subjection, ne pensa point que ce fut chose a accorder et ne jugoit point que gens aians hayneux courage contre les Rommains, aprés qu'ilz aroient puissance de faire leur chemin par la province, se poeussent retarder de faire injure et malefice... (GAGUIN, Comment. César, 1485. In : Chrestom. R., 253). Ce bruyt d'artillerie faisoit croire de tous les deux costéz quelque grant entreprise ; le temps estoit fort obscur et trouble, et noz chevaucheurs, qui s'estoient fort approchéz de Paris, veoient plusieurs chevaucheurs et, bien loing oultre, veoient grant quantité de lances debout ; ce leur sembloit et jugeoient que c'estoient toutes les batailles du roy qui estoient aux champs et tout le peuple de Paris ; et, ceste ymagination, leur donnoit l' obscurité du temps. (COMM., I, 1489-1491, 73).

 

b)

Juger que + subj. : ...lesquelles choses et contenances sont cause de mouvoir a envie voz autres servans et de jugier que vostre cuer soit enamouréz ou que ce soit. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 112).

 

2.

Juger + discours direct : N'est homme (...) qui ne jugast et deist : Cest homme cy s'en va en gloire (Mir. prev., 1352, 243).

 

3.

Juger qqn/qqc. + inf.

 

-

Juger qqc./qqn + estre : Mais il ne dient pas bien ; car, se ilz jugent et dient une chose estre indeterminee et non bonne pour ce que selon elle l'en est denommé et dit tel plus ou moins, il convendroit que ilz deïssent semblablement de justice et des autres vertus comme de delectacion. (ORESME, E.A., c.1370, 500). Sa face reluysoit trop plus vivement et resplendissoit que le soleil, par quoy on pouoit bien jugier sa naissance estre plus divine et celeste que mortelle ou terrienne. Elle ot nom : Charité l'amoureuse, premiere fille du vray Dieu d'amour (GERS., Concept., 1401, 392). Sy me juge bien estre ung neant au regart de vostre haultesse, estre une chose nice et fole au regart de vostre saigesse sans nombre (GERS., Trin., 1402, 164). Quant il propose, il eslit le finit devant l'infinit jugant par la partie raisonnable la chose finie estre meilleure que celle qui est sans fin (Somme abr., c.1477-1481, 177). Dès ce que le duc de Calabre, appellé don Ferrand, dont plusieurs foiz a esté parlé, fut revenu à Napples, le père, roy Alphonce, se jugea n'estre digne d'estre roy, pour les maulx qu' il avoit faictz tant, en toutes cruaultéz, contre les personnes de plusieurs princes et barons... (COMM., III, 1495-1498, 77).

 

.

Au passif. : Et pour ce, les choses qui sont faites par yre ne sont pas jugiees estre faites par previdence ou premeditacion comme devant avisees. (ORESME, E.A., c.1370, 308).

 

-

Empl. pron. Juger qqn + autre inf. : Disoit aussy qu'il estoit le premier entre les pecheurs, et qu'il ne se jugoit riens scavoir fors Jhesu Crist crucifié. (GERS., P. Paul, a.1394, 501).

 

4.

[Avec un attr. de l'obj.]

 

-

Juger qqn + adj. : Aucuns pour echever le parler des gens, et afin que on ne les juge devos, se abandonnent a paroles et vie mondaine, et a boire et a mengier, et souvant trebuchent en pis. (GERS., Pent., p.1389, 82). ...c'est ce qui fait communement jugier les cuers changiéz quant les contenances se changent. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 112). ...seur Jehanne (...) a monstré mon urine et compté mon cas a ung tel medicin, qui m'a jugée morte (C.N.N., c.1456-1467, 142).

 

.

Juger qqn comme + adj. : ...sitost que maistre cyrurgien vit cest oeil il le jugea comme perdu (C.N.N., c.1456-1467, 503).

 

-

Juger qqn + syntagme prép. à valeur adj. : ...nul ne l'eust vu a ceste heure qui ne l'eust jugé en tresgrand dangier. (C.N.N., c.1456-1467, 535).

 

5.

Juger qqc. de qqn. "Estimer que cette chose est le fait de cette personne" : Avez vous perceu en moy aultre chose qu'on ne doit veoir et juger d'une bonne, loyale et preude femme ? (C.N.N., c.1456-1467, 444).

 

6.

[Avec un inf.]

 

-

Juger + inf. : ...Dieu priez devotement Que (...) Tellement leur querelle affine Et attrempe conme vray juge, Que chascune partie y juge Prouffit avoir. (Mir. ste Bauth., c.1376, 136). Souvent et tres studieusement de maintes creatures suis priés et requis, tant par paroles, en escripz, comme autrement, que aucunes questions de nostre foy et raisons, lesquelles j'ay usez en mes responses, que en enquerant je traittasse par escript, a cause de memoire perpetuelle, car pleuseurs dient que ces responces leur sont plaisans et jugent estre satisfeiz de leurs doubtes par mez responces (CRAP., Cur Deus, De arrha B.H., c.1450-1460, 165).

 

-

Juger qqn de + inf. : Arguant toutesvoyes et debatant contre moy mesmes, en fin, par obeissance non par presumption, deliberay l'entreprendre et regardant comment requis avoye esté de une dame de luy faire aucun traittié sur fortune, jugay a cop de luy pouoir sattifaire par ce mesme comme par nulle riens plus propre (CHASTELL., Temple Boc. B., 1463-1464, 195).

B. -

[D'une chose, le verbe ayant une valeur factitive] "Faire penser, faire tenir pour vrai"

 

1.

Le coeur juge à qqn...

 

-

[Avec une compl. par que] : Secré, discré et joli, Plain de toute courtoisie Et de maintien agensi, Digne d'avoir belle amie, A tel amer ne fail mie Et mon coer me juge, voir, Que j'en doi pité avoir. (FROISS., Pris. am. F., 1372-1373, 164). Mais incontinent qu'elle fut couchie, elle commença a penser sus ce que l'escuier lui avoit dit du Chevalier Sauvaige. Car le cuer lui jugoit que c'estoit le Chevallier a l'Esprivier qu'elle amoit tant parfaitement, et d'autre part elle avoit doubte qu'il ne fust mort, veu que sy long temps n'avoit eue aucune nouvelle de lui... (Percef. III, R., t.1, c.1450 [c.1340], 48). [Ilz] virent passer nostre curé, et leur jugeoit le cueur qu'il retourneroit la nuyt dont il estoit party (C.N.N., c.1456-1467, 353). ...le cueur tousjours luy jugeoit qu'ilz l'avoient tué et murdry. (C.N.N., c.1456-1467, 551).

 

-

[Avec le pron. le] : - Sire, dist Estonné, le lieu est bel de son grant, mais je suis esbahi que vous dittes que c'est icy le lieu pour faire vostre penitence. - Sire, dist le Tors, je le cognois par ceste lettre et sy le me juge le cuer. (Percef. III, R., t.2, c.1450 [c.1340], 37).

 

2.

[Avec un autre sujet]

 

-

[Avec une compl. par que] : Comme sa complexion soubtille fust impoissant de porter longuement fais de si grieve maladie, en bien pou de jours fu à merveilles debilités, et tant que sa saine discrecion, non empeschée jusques à la mort, pour quelconques souffrance du corps lui jugia que brief seroit le terme de sa vie ; pour ce, voult disposer ses desreines ordenances et tendre au salut de son ame (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., II, 1404, 182). Et à yceulx donnoit bien et largement dudit argent de sa gibbeciere, à l'un plus, à l'autre moins, selon que sa discrecion lui jugeoit que mieulx fust employé selon les charges et maynage des dis povres hommes, et leur disoit que de fois à autres, tournassent vers lui, sont yceulx tres reconfortéz prioient Dieu de tres bon cuer pour lui (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 156).

 

-

[Avec le pron. le] : Par quoy, si la guerre va avant et que l'effet en ensieut, comme la peur le me juge... (CHASTELL., Chron. K., t.5, c.1456-1471, 457).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Corinne Féron

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