C.N.R.S.
 
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     JOIE     
FEW IV gaudium
JOIE, subst. fém.
[T-L : joie ; GD : joie ; GDC : joie ; DEAF, J422 joie ; AND : joie ; DÉCT : joie ; FEW IV, 81a : gaudium ; TLF : X, 718b : joie]

A. -

"État plus ou moins durable de bien-être intérieur, de plaisir, lié à des circonstances très variables selon les personnes"

 

1.

[Différents aspects]

 

a)

"État d'équilibre intérieur, de satisfaction, qui fait qu'on est heureux de vivre" : Mére, regardez ma doulour Et muez en joie le plour Dont mi oeil sont si anoiez (Mir. abbeesse, 1340, 86). Doulce amie, puis que vous tieng, Je sui hors de toute tristesce Et plain de joie et de leesce. (Mir. nonne, 1345, 334). LA DAME. (...) Car d'enfant avoir j'esperoie Que me venist solaz et joie. (Mir. enf. ress., 1353, 70). Et Remond lui escrie : Fuiez de cy, faulx traitre, vous me avez fait par vostre faulx traitre rapport parjurer contre la meilleur et la plus loyal dame qui oncques nasquist après celle qui porta Nostre Createur. Vous m'avez apporté toute doulour et emportez toute ma joye. Par Dieu, se je creoie mon cuer, je vous feroye mourir de male mort, mais raison naturelle le me deffent, pour ce que vous estes mon frere. (ARRAS, c.1392-1393, 242). Haa, Melusigne, dist Remond, dame de qui tout le monde disoit bien, or vous ay je perdue sans fin. Or ay je perdu joye a tousjours mais. Or ay je perdu beauté, bonté, doulcour, amistié, sens, courtoisie, charité, humilité, toute ma joye, tout mon confort, toute m'esperance (ARRAS, c.1392-1393, 243). LA MARQUISE [au marquis]. (...) Et de tant que j'ay demouré Avec toy en grant dignité En honneur, dont digne n'estoye, Long temps en honneur et en joye, Dieu et toy, sire, regracie. (Gris., 1395, 81). LA MARQUISE. (...) Sire, toute joye a toudis Vous doint Dieux et sa douce Mere, Et gard d'ennuy et de misere Voz gens et vostre compaignie ! (Gris., 1395, 92). Brief, il ne te fault penser fors de avoir toute la joy et tous les esbatemens que tu pourras en ce monde. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 13). Aussi vault moult, celle saison, Eviter, par toute raison, Angoisse, paour, tristesce, ire, Comme choses qui pevent nuire. Et jà soit ce que l'action De joie donne occasion Parfoiz de moisteur corporele, Ce néantmains est naturele Pour résister à pestillence (LA HAYE, P. peste, 1426, 111). Ioye est un autre accident de l'ame qui conforte le cuer, maiz qu'elle ne soit excessive, et accroist l'umidité du corps. (LA HAYE, P. peste, 1426, 207). Adieu ! Je pers soulas et joye. Je prens congié, adieu, adieu, Puis que dens ces blancs draps vous ploye ! (Pass. Auv., 1477, 259). LE CHRESTIEN. (...) Par Povreté suis impuissant, Gemissant, Privé de tout honneur et joye. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 74). LA FEMME DU CRESTIEN. (...) J'en ay eu [de notre ruine] cent mauvaises nuitz, De dueil, grief courroux et ennuis Et en est ma joye finee. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 75).

 

-

P. méton. "Ce qui provoque la satisfaction, le bonheur de qqn"

 

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[À propos d'une pers.] : ...je ne fuy mais puis icy Que mon enfant y perdy, qui Ma joie estoit et ma leesce (Mir. st J. Paulu, c.1372, 127). Hé, mon bon filz, Tous mes amis Et mes joyes me laissent bien (Pass. Auv., 1477, 244).

 

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En appellatif. : LE ROY. Belle fille, mon cuer, ma joie, Je vois a toy ysnel le pas. (Mir. st J. Paulu, c.1372, 144). ...avance toy, mon chier enfant, qui jadiz estoyes la joye de tout mon cuer, haste toy pour moy secourir, pour moy tirer et delivrer de ce tres doloreux tourment (GERS., Déf., 1400, 227). ...souvent tristresse me guerroye Et si me fait tous plaisirs delaisser Quant je suis longtain de vous, ma belle joye. (LANNOY, WERCHIN, Ball. P., 1404, 356). Loyaument et a tousjours mais, De pieça et plus qu'oncques mais Je suis voustre et voustre me tien, M'amour, ma joye, mon seul bien, Mon espoir, mon desir, ma paix. (CHART., R. Bal., c.1410-1425, 385). Car escript m'avez pour m'oster Ennuy qui trop fort me guerroye : "Mon seul amy, mon bien, ma joye, Cellui que sur tous amer veulx, Je vous pry que soyez joyeux En esperant que brief vous voye." (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 56). Nom recouvré [Marie d'Orléans porte le nom que la Vierge a paré de grâces], joye de peuple, Confort des bons, des maulx retraicte, Du doulx seigneur[Charles d'Orléans] premiere et seule Fille de son cler sang extraicte (VILLON, Poèmes variés R.H., c.1456-1463, 40). Plus ne vous pourroie dire mot, Si n'est "Adieu". Adieu, ma joye ; Adieu, mon bien (Pass. Auv., 1477, 103).

 

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[À propos d'une chose] "Ce qui provoque du plaisir" : [DIEU]. Or sus tost Gabriel, car te metz en la voie, A Marie la vierge pourteras ceste joie : Pour le salut des hommes dedans ly veul descendre, En ses precïeulx flans veul char humaine prandre (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 54). Assez tost aprés ilz oïrent pardedens ce palais une joye tant plaisante et delectable de toutes manieres de instrumens que c'estoit grant deduit a oïr. (Percef. III, R., t.2, c.1450 [c.1340], 92).

 

b)

"Satisfaction, plaisir qu'on éprouve à voir les autres heureux ; plaisir partagé de deux personnes qui s'aiment ; plaisir qu'on éprouve à aimer" : Car les grans fortunes qui adviennent a nos amis nous doivent notablement mouvoir a joie ou a tristece. (ORESME, E.A.C., c.1370, 137). LA MARQUISE. (...) Avec ceste dame, et non mie Avec autre, joyeuse vie Et bieneuree demenras [le marquis], Et toute joye y averas Si com je l'espoire et desire (Gris., 1395, 94). Vous racontez Les haulx plaisirs, la joye et les bontez Ou jeune cuer est par Amours montez, Mais les douleurs ne les maulx ne comptez Dont tant y a Que oncq homme qui en amours se lÿa, Et qui souffert a certes les y a, En sa vie puis ne les oublÿa (CHART., D. Fort., 1412-1413, 179). Et tel estoit Cellui ou mon cuer s'arrestoit, Qui tant de joie m'apprestoit Et doulcement m'amonnestoit Que lie et cointe Me tenisse et que sans racointe Son cuer estoit du mien acointe, Une joie en deux cuers adjoincte (CHART., L. Dames, 1416, 224). Un cuer loyal de fine espreuve A plus de joye, quoy qu'il tarde, Que n'ont ceulx qui font dame neuve De chascune qui les regarde. (CHART., D. Rev., a.1424, 311). Et la furent donnez baisiers, et baisiers renduz sans compte et sans mesure, tous acompaigniés de piteux souspirs, et tant furent en ce tres doloreux plaisir et en celle tres desconfortee joye que la myenuit sonna, dont furent tous esbaÿs. (LA SALE, J.S., 1456, 97). Saintré, qui voit l'amour de Madame envers lui florir tous les jours, tant humblement qu'il puet et sceit l'en remercie, dont, pour abregier, print d'elle congié, et toute nuyt eust tant de joye que de ce nouvel pensement il ne dormist. (LA SALE, J.S., 1456, 151). Et cy laisseray a parler des honneurs, des vins, des viandes que le roy tous les jours leur envoioit, et des affaires du jour enssievant pour les armes a pié, et diray de Madame et de Saintré, et de la tres parfaite joye que celle nuyt ilz firent ou preaul. (LA SALE, J.S., 1456, 161). Sa joye est qu'en peu d'espace le plus chetif bien eureux face. (LA SALE, J.S., 1456, 303). ...comme ung jour ensemble estoient (...) et se devisassent (...) comment ceste leur joye impareille continuer se pourroit seurement, sans que l'embusche de leur dangereuse entreprinse fust descouverte... [De deux amants inquiets pour leur avenir] (C.N.N., c.1456-1467, 92). Je prie a Dieu qu'il vous doint plus de bien et plus de joye qu'il ne m'appartient d'en avoir. (C.N.N., c.1456-1467, 168).

 

-

P. antiphr. : La tierce joye de mariage si est que, aprés ce que le jeunes homs et sa femme, qui est jeune, ont bien prins de plaisances et delectacions, elle devient grousse, et a l'aventure ne sera pas de son mari, qui advient souvent. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 18). La quinte joye de mariage si est quant le bon homme qui est marié, par les grans travaulx et paines qu'il a endurees et portees longuement, est mat et las et est ja sa jeunesse fort resfredie. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 33).

 

c)

"Sentiment de bonheur lié à la satisfaction des désirs de qqn" : Et sur ce, pour le present, mon tresredoubté seigneur, autre ne vous escrips, fors que si treshumblement comme je sçay et puis me recommande a vostre tresbonne et desiree grace, ou que je soye, et prie le Dieu des Dieux qu'il vous doint entiere joy de trestous voz desirs. (LA SALE, J.S., 1456, 309). De vostre bien j'ay grant joye (Sots gard., a.1488, 109).

 

d)

"Satisfaction, plaisir liés à des circonstances très diverses" : Car ire meut soudainement, Maiz la commotion de joie Est volentiers trempée et quoie (LA HAYE, P. peste, 1426, 110). La demoiselle (...) baille au bon seigneur a demain l'heure de besoigner, dont il est tant content que son cueur tressault tout de joye (C.N.N., c.1456-1467, 74). ...pour la joye qu'elle eut de ce que son mary n'estoit point si mal ne si desvoyé qu'elle esperoit (...) elle s'en alla querir ses enfans (C.N.N., c.1456-1467, 367). ...pour la grand joye et ardent desir qu'elle avoit de tenir son clerc en sa maison, trembloit et ne savoit tenir maniere. (C.N.N., c.1456-1467, 571). Despesche toy de l'apporter [le présent] Affin que tout chascun le voye, Je te promectz, j'auray grant joye S'il peut estre assez magnificque. (Feste roys, c.1475-1500, 309).

 

e)

THÉOL. Joie (célestielle), joie (de paradis). "Béatitude" : ...et doubte avoir perdu pour ses pechiez la joie des cieulx. (Mir. emp. Julien, 1351, 187). Sire, qui es lassus en joye Pardurable sanz finement... (Mir. prev., 1352, 234). ...Sanz lequel croire nul ne vient Aux grans joies de paradis. (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 263). Que diray je de Gloutonnie qui fait l'ame toute yvre de vins et de viandes, tellement que elle oublye Dieu et soy meismes, et tourne tout a fable et moquerie tout ce que on luy dit des joyes de paradis et des peines d'enfer, car a riens ne peut penser fors a sa panse ? (GERS., Purif., 1396-1397, 65). Et en ce faisant, j'ay esperance que aurez joye en ce monde et a la fin la joy de paradis (JUV. URS., Aud. illos, 1432, 45). Et se je souffroye pour dire verité je cuideroye estre eureux et que ce seroit en remission de mes pechiés et gaigneroye la joye de paradis (JUV. URS., Loquar, 1440, 366). ....cest celle [méditation] qui fait ia en ceste vie gouster et sauourer la doulceur du repos pardurable et des ioyes celestielles. (CIB., p.1451, 180). Pense la grant beaulte [l. beaulté] et le bel ordre qui est entre les sains, la ioye, la melodie, les doulx cantiques des sains glorieux. (CIB., p.1451, 189). ...pense les douaires du corps et de lame [l. l'ame], pense apres lestat [l. l'estat] glorieux et les aureoles des sains martirs, des sains docteurs et des saintes vierges, comment ilz aront speciale ioye que les autres sains naront [l. n'aront] pas. (CIB., p.1451, 189). ...donques par ainsin le escouter et retenir les nobles histoires, exemples et enseignemens, pourrez acquerir la pardurable joye de Paradis (LA SALE, J.S., 1456, 77).

 

f)

Au plur.

 

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"Plaisirs, émotions agréables" : Las ! Mon amy [Remondin], or sont noz amours tournees en hayne, noz doulceurs en durté, noz soulaz et noz joyes en larmes et en plours, nostre bon eur en tres dure et infortuneuse pestillence. (ARRAS, c.1392-1393, 256). Et ceulx qui me souloient faire grant joye quant ilz me veoient, se deffuiront de moy, et auront paour et grant hidour de moy quant ilz me verront. Et les joyes que je y souloye avoir me seront peines, tribulacions et griefs penitences et pestillences. (ARRAS, c.1392-1393, 259). A l'oppinion desquelx on pourroit dire que ung homme n'a pas bon sens, qui est en joies et delices du monde come en jeunesse garnie de franche voulenté, et de son propre mouvement, sans necessité, trouve l'entree d'une estroicte chartre douloureuse et plaine de plours et se boute dedens (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 1). Je pers toutes joyes et saulx Pour vous assaulz [l. assaulx]. (Pass. Auv., 1477, 200).

 

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Joies (temporelles). "Plaisirs de ce monde" : Tu pers les joies temporelles Que tu ne pues jamais avoir, Et si te fais bien assavoir Que perdre puez semblablement La joye de ton sauvement (DESCH., M.M., c.1385-1403, 355). ...n'est fors boe, ordure et neant toutes les joyes que desirer ou souhaidier en cestui monde se pourroient envers celles de la gloire celeste que reçoivent enfin ceulx qui bien trespassent, dont de ce disoit Boece, en la .IIIIe. part de son livre (CHR. PIZ., P.V.H., 1416-1418, 43).

 

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"Réjouissances" : Et de ladicte nativité fut grant joye faicte et espandue par tout le royaume de France, et en furent chantez en divers lieux Te Deum laudamus et autres belles louenges à Dieu, les feux faiz parmy les rues, tables rondes et autres grans joies et esbatemens. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 242).

 

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Mener joies. "S'adonner à des réjouissances" : Icy [au cimetière des Innocents] n'y a ne riz ne jeu. Que leur valut [aux gens de bien] avoir chevances N'en grans liz de paremens jeu, Engloutir vins, engrossir pances, Mener joyes, festes et dances, De ce fere prest a toute heure ? Toutes faillent telles plaisances, Et la coulpe si en demeure. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 133).

 

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Prov. Aprés grandes joies mondaines aucunefois adviennent les pleurs et regrés : Aprés grans joyes mondaines aulcunesfois adviennent les pleurs et regrés, pour ce que verité est que ceste fragilité mondaine est de pou de duree (Hist. seign. Gavre S., c.1456, 184).

 

g)

[Avec un adj. à valeur négative ou restrictive]

 

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Petite joie

 

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Avoir petite joie de qqn. "Éprouver de la tristesse à cause de qqn" : LE MARI. (...) Las ! Mais j'en ay petite joye, Car l'aventure est si amere (Mir. enf. ress., 1353, 63). Sachiez de vray que vostre fils A esté de vos gens occis, De mes mains le m'ont esrachiet Et decopé et detranchiet, Et du mien propre que j'avoie Ay je aussi eu petite joie, Car avec le vostre il est mort, Dont je morray de desconfort. (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 62).

 

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Avoir pauvre joie de qqn. "Avoir piètre satisfaction avec qqn, être déçu par qqn" : Un homme qui femme prent par mariage doit savoir qu'elle ne soit nee sur jour perilleux, s'il n'en veult avoir povre joye. (Ev. Quen., II, c.1466-1474, 143).

 

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Froide joie. "Malheur" : Les François ont du [l. ont eu] froide joye Qu'i est mort d'eulx un tres grant nombre ; Leur ville fault tumber et fondre Avant qu'i soit six jours entiers. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 403).

 

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Avoir froide joie de sa peau. "Avoir peur, craindre pour sa peau" : Et lui fist le roy de grans paours et esfroiz, dont ledit de Roussy cuida avoir froide joye de sa peau. Mais, en conclusion, le roy le mist à XLm escuz de raençon, et lui fut par lui donné terme de les trouver et rapporter devers le roy dedens deux moys après ensuyvans (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 354).

 

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[Dans une formule de malédiction plaisante] : Il seroit bon de savoir se elle ne resveilla point son mari Ployart au couchier. Ahay ! respondy Mehault, et pour Dieu, qu'on le laisse desormais en paix car il ne vault desormais a riens et moins que riens. Que male froide joye en puist on avoir ! (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 106). ...quant j'alay espouser Janot Bleue Levre mon mari, ma taye me salua en priant que je peusse avoir bon et roide encontre, dont je l'en merciay. Mais il m'en avint tout autrement car je le trouvay si doulz qu'on le eust lyé au droit neu ; qu'on en ait froide joye ! (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 109). L'OMME. Reviens tu ja ? Que froide joye Ayez tu des costes, dÿable ! (Moralité st Antoine B.B., 1427, 58). Par ma foy, voicy compagnie Qui vient. (...). Ha ! bon gré bieu, Pas n'est celuy que je cuidoye. Si est ! qu'il en ait froide joye, C'est frere Pierre Serre-porte (Sav. moine T., c.1475-1480, 147).

 

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Male joie. "Malheur" : Si les peut on de legier prendre, Car, par les champs s'en vont fuyant, Et les Juïfs les vont huyant, Qui les occient a troppiaulx, Male joye y ont de leur piaulx Les Persens (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 228). La manequine male joye Ara, se fas ce que queroie. (Mir. fille roy Hongrie, c.1371, 54). Et lors respondit la royne : "Elle fist sa male joye, que pour un moynne laissier cellui qui tant l'amoit." (LA SALE, J.S., 1456, 303).

 

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[Dans une formule d'imprécation ou de serment] : Delivre toy ! que male joie T'anvoie Tavergant nostre dieu ! (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 112). Lucifer luy dont malle joye, Sathan et le faulx Belezebust, Et l'etrangle d'une coroye, Puis es enfers soit son tribust ! (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 599). Ie puisse auoir malle iournee Mal an malle heure et malle ioye. Si plus tost me soustiendroye Sur la teste que sur les piedz. (Myst. st Martin K., a.1500, 191).

 

2.

[Syntagmes, loc.]

 

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À (grande) joie

 

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"En signe d'allégresse" : Adoncques ilz marcherent et entrerent en la ville, les sains et trompettes sonnans à grant joye et à grant hu. (BUEIL, I, 1461-1466, 194).

 

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"Pour la satisfaction, le bonheur (de qqn)" : Ainsi nagiames jour et nuit, Sanz riens trouver qui nous ait nuit, Tant qu'a grant joye et a deport Nostre nef arriva au port. (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 36).

 

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[Dans un souhait] : SECOND HERMITE. Dieu m'envoie moult belle offrande : Loez en soit il haultement. J'aray un hoste de sa gent : A joie soit il cy venuz. (Mir. enf. diable, c.1339, 39). LE CHASTELLAIN. Dieu nous vueille a joie envoier, Se il lui plaist, celle journée Que ma fille soit coronnée Par son plaisir. (Mir. femme roy Port., c.1342, 163). LA SECONDE DAME. (...) Qu'enceinte [Griseldis] est ja grandement. Dieu l'en face a joye delivre (Gris., 1395, 42). Mon mary ! dit elle ; helas ! il est bien loing d'icy ; Dieu le ramaine a joye et bref ! (C.N.N., c.1456-1467, 112). ...je prie a Dieu (...) qu'il m'en delivre a joye et a honneur [D'une accusation injustement portée] (C.N.N., c.1456-1467, 383). Partez quant il vous plaist, ma seur, A joye puissiés vous retorner. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 161).

 

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En partic. Recevoir qqn à (grande) joie. "Accueillir qqn chaleureusement" : Il entra en Poito, et vint en le cité d'Angouloime, devers le prince, qui le rechut à joie. (FROISS., Chron. L., VII, c.1375-1400, 133). Li rois avoit bien oi parler de messire Guillaume Douglas (...) et le rechut a grant joie et toute sa compagnie ; et li fist avoir sa delivrance et son estat bien et grandement, et le plus a ses coustages. (FROISS., Chron. D., p.1400, 168). A grant joye, les ont receups, Et au temple alerent tout droit Dieu remercïer (Ce fu droit !) (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 228). ...pensons de l'aler En Grece, ou a joye serés Receue, quant vous y venrez. (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 46).

 

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De joie. "Avec plaisir" : Vostre conman feray de joie, Mon chier seigneur. (Mir. emper. Romme, 1369, 248).

 

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Avoir (grande) joie. "Être heureux" : Ly roys Elinas, a qui il ne souvenoit de la promesse qu'il avoit fait a Presine, sa femme, dist : Beau filz, si feray je. Et s'en vint despourveuement et entra en la chambre ou Presine baignoit ses trois filles. Et, quant il les vit, il ot grant joye et dist : Dieux beneye la mere et les filles. (ARRAS, c.1392-1393, 9). Par foy, dist le roy, j'en loue Jhesucrist quant il lui plaist que j'aye tant d'onneur devant ma mort que de faire chevalier si hault et si vaillant prince. Sachiez que j'en mourray plus aise. Quant Hermine ouy celle nouvelle, elle ot si grant joye ou cuer qu'elle ne scot que faire. (ARRAS, c.1392-1393, 116). TROP JOLÏET, le messagier. (...) A vis m'est que doye voler, Tant ay grant joye en mon coraige. (Gris., 1395, 21). SECONT BERGIER. (...) Uns homs qui ne prent grans travaux Et ne met son corps a proesce, Il n'est pas digne qu'on le laisse Avoir joye, paix, ny honneur. (Gris., 1395, 45).

 

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Avoir (grande) joie de qqc. "Être content, heureux de qqc." : J'en doy au cuer grant joie avoir. (Mir. enf. diable, c.1339, 35). LA DAME. Voulentiers les vous diray [les nouvelles], sire, Car j'espoir que vous en arez Grant joie, quant vous les orrez. (Mir. enf. ress., 1353, 10). Et est a savoir que en .II. manieres puet aucun estre mal delitable en visitant son amy bienfortuné : ou pour ce que il ne monstre pas que il ait grant joie de son bien, ou pour ce que il semble que il s'en esjoïsse plus pour son propre proffit que pour autre chose. (ORESME, E.A.C., c.1370, 493). De vostre venue ay grant joie. (Mir. Clov., c.1381, 227). ...ledit prisonnier, qui venoit de devers la ville sur ledit pont, encontra il qui deppose, et lui dist que par bonne compaignie il s'en voit en son pays avec lui ; et il qui parle lui respondi que il en avoit grant joye. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 557). Et dit que tous ceulx dudit pays de Limosin tenans le parti des Englois qui povoient savoir l'entreprinse de lui qui parle, en avoient très-grant joye, et que s'est le fort d'environ tout ledit pays de Limosin de la prinse duquel ilz auroient la plus grant joye. (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 190). Sire chevaliers, sachiez que j'ay grant joye de vostre venue, car certainement vous resemblez assez un mien frere, qui moult fu vistes et appers, qui se party de ce païs il a bien LX. ans, pour une noise qu'il ot, et ne scay pas la cause ne pourquoy, au nepveu du roy qui pour le temps regnoit en ce pays. (ARRAS, c.1392-1393, 53). LE FAULCONNIER. (...) Vostre faulcon a ja saisi Le hairon et mis dessoubz lui. Si fault aler querre la proye. Prise la voy, dont j'ay grant joye Bien eüreux sommes de vol. (Gris., 1395, 6). LE TIERS BARON. (...) Car chascun singulierement En auroit [du mariage du marquis] grant joye endroit soy (Gris., 1395, 10).

 

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"Se réjouir (du malheur de qqn)" : Car je voy bien que tu me nuis Et que joie has de mes anuis, Quant le cuer de ma dame duis à moy fuir. (MACH., Compl., 1340-1377, 245). La .Ve. branche si est d'avoir joie du mal d'autruy ou de son empeschement, et destruire a son pouoir le bien quant il scet qu'il doit venir a autruy. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 27).

 

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Avoir (grande) joie de + inf. : Chascun de nous, dame, a grant joie De faire tout vostre plaisir. (Mir. pape, 1346, 380). De plourer ne s'est pas tenue, Quant a Pollinicés veü, Qui joye a d'elle veoir heu Et ses serours, qu'il tant amoit. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 314).

 

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Faire joie. "Se réjouir" : LA SECONDE DAME. (...) Faites joye, sire marquis, Car un beau filz, Dieu grace, avez. (Gris., 1395, 59).

 

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"Mener joyeuse vie" : Mon chier enfant, de ta nature Te deüsses porter jolis, Et avoir gent corps et polis Et chevauchier et faire joye. (Vie st Fiacre B.C.P., c.1380-1400, 17).

 

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Faire joie de qqc. "Être content de qqc." : ...finablement se perçut [le duc de ourgogne] de l'abboy d'un chien parce que près estoit de la maisoncelle d'un povre homme. Sy en fit grant joie et s'en tint à plus paré que de tous les biens laissés à Brusselles (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 256). ...de quoy les ambassadeurs hongrois firent grant joye et se tinrent à moult honorés en leur ambassade et d'avoir bien besongné (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 311).

 

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Faire (telle) joie à qqn.

 

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"Faire tel accueil à qqn" : Et a tant laisseray cy a parler des loanges et honneurs dont il fut interroguez par la royne et les dames et diray de la tres parfaite joye et bonne chiere que Madame lui fist (LA SALE, J.S., 1456, 141).

 

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"Faire plaisir à qqn" : S. NICOLAS. Pour faire a mon serviteur joye, Ceste ame remettray au corps. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 147).

 

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[D'une chose] : Ha ! Dieux, onques mais n'oy dire Chose qui tant me feist joie. (Mir. nat. N.S.J.C., c.1343, 224). ...ces requestes et nouvelles luy firent grant bien et très parfaicte joye, car il se veoit à chief pour ung grant temps de sa guerre (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 105).

 

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Laisser à qqn toute la joie de qqc. "Laisser qqn assumer seul le plaisir de qqc., les retombées de qqc."

 

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P. iron. : Item, et [j'ordonne] a mon plus que pere, Maistre Guillaume de Villon, Qui esté m'a plus doulx que mere, Enffant eslevé de maillon - Degecté m'a de maint boullon Et de cestuy pas ne s'esjoye ; Sy lui requier a genoullon Qu'il m'en laisse toute la joye (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 77).

 

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Larmoyer/pleurer/rire (ou autre manifestation extérieure) de joie : Je [Remondin] les combatray [ceux qui m'ont privé de mon héritage], au regart du noble et juste jugement de vostre court, voire l'un après l'autre. Et en ce disant, gette jus le gaige, mais il n'y ot homme qui mot respondisist. Et quant Alain et ses enfans l'ouyrent, si le coururent acoler et baisier, et plouroyent de joye et de pitié. (ARRAS, c.1392-1393, 59). Quant ly noble cuer ouïrent ce mot, si le tindrent a grant sens et a grant vaillance. Si s'en vont tous en une flote ferir dessoubz sa banniere, en lermoiant de joie et de pitié des mos que Uriiens leur avoit dit. (ARRAS, c.1392-1393, 109). LA MARQUISE. Ha ! mes doulz enfans, ne puis rire, Mais de joye pleure et souspir, Car tant ay joye que souffrir Ne me puis de vous faire feste. (Gris., 1395, 95). A ceste parole, plora moult tendrement la dame de joie et de pité (FROISS., Chron. D., p.1400, 61). ...qant elle vei ce et ces banieres et ces estramieres flamboiier et venteler, de joie elle se laissa ceoir. (FROISS., Chron. D., p.1400, 524). ...messires Godefrois de Harcourt estoit si resjois de ce que il veoit que il enteroient en Normendie, que de joie il ne s'en pooit ravoir (FROISS., Chron. D., p.1400, 676). ...à rire bonement de joie Me prens pour le temps yvernage Qui se depart, où je souloie Me tenir tristement en cage. (CHR. PIZ., J. d'Arc, 1429, 28). Le cuer lui vole Et de joye pert maintien et parolle (CHART., D. Fort., 1412-1413, 162). Elle en eult telle joye en son cuer qui luy esvanuy et fu comme ravie en plaisance ; et ne fust son amy Olivier qui le soustenoit par lez bras, la bonne et leale fust fondue en ung mont, mais (...) le contretint plus roidement que par avant et bon besoing en fu (Comte Artois S., c.1453-1467, 107). Et quant Saintré entend les tresgrans biens, les honneurs et la tresgrant amour que Madame lui porte, comme ravy de joye a perdu le parler, toutesfoiz a genoulz se mist et tout le mieulz qu'il peust la remercia. (LA SALE, J.S., 1456, 79). En devisant de ces choses, Madame, qui de joye ses yeulz bougier ne pouoit de regarder Saintré, et Saintré, regardant puis ça puis la, et puis tout a cop son regart fleschissoit sur elle, alors Madame lui fist son signal, auquel gracieusement il respondit. (LA SALE, J.S., 1456, 159). Et, incontinent après ledit cry, tout le populaire, oyant icellui, crioient de joye et de bon vouloir Noel. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 77). Quant les François furent ainssy devant les reliques, de joye ilz vont tous plourer moult tendrement, et l'un aprés l'autre les vont baiser a genoulx moult humblement. (BAGNYON, Hist. Charlem. K., c.1465-1470, 96).

 

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Mettre qqn en joie. "Réjouir qqn" : Et nonpourquant sa mere, sa suer et Orchas se mettoient en paine de le mettre en joie, mais tout adez il pensoit et souspiroit tant, que Cleopatras sa mere lui demanda se il estoit de riens courrouciez (Bérinus, II, c.1350-1370, 80). Quant un jour suis sans que je voye Un seul plaisir que mes yeulx ont, Toutes les lëesses qui sont Ne me mectroient pas en joye. (CHART., R. Bal., c.1410-1425, 383). Aprés vindrent les grans pensïonnaires (...), Les grans mignons pour parler brief et court, Si bien en point, si tres bien acoustrez, Qu'incontinent qu'ilz se furent monstrez Et qu'on leur vit d'avoir si grant montjoye Dedens Florence en tel estat entrez, Les ungs ploroyent, autres ryoient de joye. (LA VIGNE, V.N., p.1495, 217).

 

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Porter la joie de qqc. "Se réjouir de qqc." : Par foy, dist ly contes, veez cy merveilles. Remondin se marie et ne scet quelle femme il prent, ne de quel lignaige. Monseigneur, dist Remondin, puis que il me souffist, il vous doit assez souffire, car je ne pren pas femme pour vous, a mon escient, mais la pren pour moy ; si en porteray le dueil ou la joye, lequel il plaira a Dieu. (ARRAS, c.1392-1393, 36).

 

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Prendre plaisance et joie à qqn. "Éprouver un grand bonheur en compagnie de qqn" : O Jehan, mon filz, dy moy a qui Je prendrey plaisance ne joye ? (Pass. Auv., 1477, 265).

 

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Prendre joie à + inf. "Prendre plaisir à" : LE SECOND SOT. Portons les dedans une hocte Affin que tout chascun les voye. LE PREMIER SOT. Je n'y prendroye point trop grant joye De les porter, je m'en depporte. (Feste roys, c.1475-1500, 306).

 

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[Dans des formules de salutation, d'invocation] : Doulce amie, Dieu vous doint joie ! Que voulez dire ? (Mir. st J. Cris., c.1344, 291). Sire evesque, Dieu vous doint joie ! Mon seigneur le roy vous envoie Querre (Mir. st J. Cris., c.1344, 295). Mon seigneur, onques mais ne vy Lettre ressembler miex la moye : Je ne say, se Dieu me doint joie, Se je la fis. (Mir. st J. Cris., c.1344, 295). LA CHAMBERIERE. Voulentiers, se Dieu me doint joye, Ma dame (Mir. enf. ress., 1353, 28). LE JUIF. J'ay esté un peu trop fetart ; J'aperçoy le prevost au lieu. Vous, sire prevost, le grant Dieu Si vous tienne en joye et santé. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 128). LE PRESTRE. Assemblement Le glorieux sainct Nicolas Nous doint a tous joye et soulas Et si tres bien nous secourir Que vrays conféz puissons mourir ! En allant hors du jeu. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 157).

 

3.

[Prov., sentences]

 

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Bien mussé porte joie petite : Le donné vault plus que le remenant Car bien mucé porte joye petite. (CHART., B. Nobles, c.1424, 405).

 

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(De chiens, d'oiseaulx, d'armes, d'amours), Pour une joie cent douleurs : Pour ce je vous diray le dit D'un proverbe, qui ainsi dit : De chiens, d'oyseaulx, d'armes, d'amours, Pour une joye cent doulours (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 386). D'armez, de chace et d'amours, pour une joye, cent doulours. (THOM. SALUCES, Chev. errant W., 1394, 1059). TURELUTUTU. Gemissons sa noble figure [d'Holopherne], Dont nous avions si grant secours. GRANCHE. D'amours, c'est régle de droiture ; Pour une joye cent doulours. (Myst. Viel test. R., t.5, c.1450, 350). Or ont ces folz amans le bont Et les dames prins la vollee. C'est le droit loier qu'amans ont, Toute foy y est vïollee. Quelque doulx baisier n'acollee, De chiens, d'oiseaulx, d'armes, d'amours, C'est pure verté devollee, Pour une joye cent doulours. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 63).

 

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C'est droiture qu'en amour ait joie et ardure : Adoncques a toutes lour di, Et m'en souvint, Ainsi qu'a la bouche me vint Pour le cas qui alors avint De l'esglentier, dont el revint, Que c'est droicture Qu'en amours ait joie et ardure, Car oncques Raison ne Nature Ne firent doulceur sans pointure Et tous le voient : "Rosiers qui des roses pourvoient Ont piquans..." (CHART., L. Dames, 1416, 254).

 

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De courte joie grand meschef : LE MAISTRE DE L'ARTILLERIE (d'Holopherne) Evidamment icy se preuve Courage de femme prefix. Seulement pas l'avoir occis, Mais avoir emporté le chef, Encor de mouvement rassis ! De courte joye grant meschef. (Myst. Viel test. R., t.5, c.1450, 350).

 

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De vieille joie nouveau deuil : ...je me voy sans deporter Fort enviellir, dont je me dueil : De vielle joye nouveau dueil. (TAILLEV., Passe temps D., c.1440, 152).

 

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En amour il y a plus de joie que de douleur : Pour ce soustien, a droit et sans foleur, Qu'en amours a plus joye que douleur. (CHART., D. Fort., 1412-1413, 178).

 

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Grande joie vient après grant deuil : Ne vous esbahissez en rien ; Il n'est nulle si forte guerre Qu'au derrain ne s'appaise bien (...) ; Grant joye vient aprés grant dueil. (CH. D'ORLÉANS, Compl. C., 1433-p.1451, 273).

 

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Grande tristesse abat grande joie : Grand tristesse abbat grant joye. (Pass. Auv., 1477, 108).

 

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Il n'est telle joie comme paix de conscience : N'est telle joye comme paix de conscience ; et telle paix est donnee par penitence, et par plaisir mondain ostee. (GERS., Déf., 1400, 243).

 

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Joie de vieux chien gist en cor. "La joie du vieux chien est dans le cor de chasse ; vieux, on se souvient avec plaisir de ce qui nous réjouissait, jeune." : Aprés dit : "Maintenant que n'ay je La joye que jadiz m'advint !" Et ne se souhaite qu'en aage De dix et huit ans ou de vingt : C'est le temps qu'amoureux devint. Il feroit merveilles encor... Joye de viel chien gist en cor. (ALECIS, Passe temps P.P., 1480, 149).

 

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Joie en la fin tourne en tristesse : ...Ma conscience fort me mort De folies faictes en ieunesse Qui me sont a rebours tresfort [:] Joye en la fin tourne en tristesse. (Danse macabre femmes H., p.1480, 68).

 

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Joie ou deuil, tout est à commun : Las ! Il n'a pas En un mesme cuer deux repas, Maiz une vie et un trespas ; Et doit passer un mesme pas Ce qui est un. Joie ou deul, tout est a commun ; Une mort a l'autre et a l'un, Une seule vie a chascun. (CHART., L. Dames, 1416, 215).

 

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Joie s'en va comme feu de feurre : [La Mort à la jeune mariée] En dansant ie vous viens saisir Au iour dhuy [l. d'huy] seres [l. serés] mise en terre [;] Mort ne vient iamais a plaisir [:] Joye sen [s'en] va comme feu de ferre[.] (MART. D'AUV., La Dance des Femmes, éd. L. Götz, 1460-1508. In : Z. fr. Spr. Lit. 57, 1933, 325).

 

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Il n'est bien ni joie que l'on prise se on l'obtient à peu de peine : Mais il n'est bien ne joye si haultaine Que l'en prise se on l'a a peu de paine, Ne ce n'est droit, Car se chascun avoit ce qu'il vouldroit, Ne bien servir ne souffrir n'y vauldroit (CHART., D. Fort., 1412-1413, 165).

 

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Il n'est joie sans tristesse : Qui est celluy qui passe un jour, Soit en nopces ou en plaisance, Sans avoir ennuy ou doulour, Mouvement de concupiscence, Despit, apetit de vengeance (...) : Brief, il n'est joye sans tristesse. (ALECIS, Déb. omme mond. P.P., c.1500, 161).

 

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[Même idée] Qui a joie de tout, il ne sait quel en est le goust : Au fort, qui a joie du tout, Il ne scet quel en est le goust, Car nul bien n'est prisié sans coust (CHART., L. Dames, 1416, 250).

 

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La joie du juste est que justice soit faite : Si povons conclurre de lui ce qui est dit es Proverbes : «La joye du juste est que justice soit faitte». (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 64).

 

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Mener joie trop excessive A honneur repugne et estrive : SALOMON. Mener joye trop exessive A honneur repugne et estrive ; De joye les extremitez Ce sont pleurs et calamitez (Myst. Viel test. R., t.4, c.1450, 401).

 

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Qui de joie ist en deuil trebusche : ...Viellesse m'atendoit au pas Ou elle avoit mis son embusche : Qui de joye ist en dueil trebusche. (TAILLEV., Passe temps D., c.1440, 137).

 

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Qui entre en grande joie à moindre joie sort. "Les débuts sont joyeux, la fin l'est moins" : Povre homme et viel a dolleurs cent Quant Penser lui fait souvenir Du temps qu'il fust adollescent Et qu'il estoit en son venir Car tel ne puet redevenir. C'est ce qui son bien amendrist : Qui entre en grant joye a mendre yst. (ALECIS, Passe temps P.P., 1480, 149).

 

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Qui sans donner à fol promet, de neant en joie le met : C'est voir que j'ay oy nuncier : "Qui sanz donner a fol promet De noyent en joie le met." De promesse ay esté amis, Dont en joie com fol m'a mis ; Car quant du fait li parle a part, Plus fiére la truis que liepart (Mir. emper. Romme, 1369, 265).

 

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Tost passe la joie de ce monde : ...Tost devia la noble Rosemonde, Tost fut Dido d'amours desheritée, Tost se passe la joye de ce monde ! (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 563).

 

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Trop grande joie est fort nuisible, si charnalité delicieuse la regit en mal appetible : Tropt grant joye est fort nuyzible, Si charnalité dilicieuse La regit en mal appetible (Pass. Auv., 1477, 106).

 

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Une joie contre mille maux pese : Et nëantmoins En ceste foy je demeure et remains Que sages cuers atrempez et humains Pour bonne amour ne pevent valoir mains, Tant est courtoise, Car quelque ennuy qui leur en vieigne ou voise -- De quoy souvent aux fins amoureux poise -- Une joye contre mille maulx poise. (CHART., D. Fort., 1412-1413, 192).

 

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Vieux deuil est apaisé par nouvelle joie : Scez tu pas bien que viel dueil est apaisé par nouvelle joye et la vielle destresse par nouveau reconfort...? (Hist. prem. destruct. Troie R., c.1470-1480, 224).

B. -

[Sentiment collectif]

 

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"Liesse, allégresse" : Lors fait noncier par toutes les eglises qu'ilz feissent sonner les sains et facent processions a croix et a gonfanons, en louant et regraciant le Createur des creatures et en priant qu'il les vveille conforter contre les Sarrasins. Et commenca la sonnerie, et la joye grant quant la nouvelle fu espandue par la ville. (ARRAS, c.1392-1393, 96). Et se continuerent ces festes en bien, en joie et en reviel. (FROISS., Chron. D., p.1400, 459). Et aussy au soyr l'en a fait par les rues publiquement feus en signe de joye et de leesse pour la revenue dudit seigneur. (BAYE, I, 1400-1410, 261). Il revint (...) et Dieu scet la joye qui fust a l'ostel, et comment il fut festoié a son retour (C.N.N., c.1456-1467, 324). Et, ce mesmes jour, ces choses furent publiées à son de trompe par les carrefours de Paris, en la presence de sire Denis Hesselin, esleu sur le fait des aides à Paris. Et, incontinent après ledit cry, tout le populaire, oyant icellui, crioient de joye et de bon vouloir Noel. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 77). ...mondit seigneur du Maine, en retournant de l'ost desdiz Bourguignons, dist aux portiers de ladicte porte Saint-Anthoine qu'ilz feissent tous bonnes cheres, et que, au plaisir de Dieu, avant qu'il feust huit jours lors à avenir, tous auroient cause de joye et de crier "Noel." (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 101). ...et, en icellui voyage, moiennant la grace de Dieu et de la benoiste vierge Marie, le roy et mondit seigneur de Guienne furent reünis et mis en bonne paix et amour l'un avec l'autre, dont moult grant joye fut incontinent espandue par tout le royaume, et pour ceste cause dit et chanté en saincte eglise Te Deum laudamus (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 231).

 

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À grand joie. "Avec des manifestations de liesse" : L'ystoire dit que le roy Uriien et la royne Hermine s'en vont par my leur royaume, visitant leurs fors et leurs bonnes villes, la ou on leur fist de beaulx presens moult, et y furent receuz a grant joye. (ARRAS, c.1392-1393, 123). LE SECONT BARON. A tresgrant joye yrons [accueillir la mariée] (Gris., 1395, 33). GRISELDIS. (...) le marquis, nostre seigneur, A grant joye et a grant honneur Doit au jour d'uy estre espousez (Gris., 1395, 33).

 

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Avoir grande joie (de qqc.) : SECONT BARON [au marquis]. (...) Car saichiez bien, et dire l'ose, Que le commun avra grant joye, Maiz que de ce [votre mariage] la nouvelle oye (Gris., 1395, 18). Environ mienuit, vinrent li premier en l'oost, dont on ot grant joie, car honmes et chevaus estoient si afamet que plus ne pooient. (FROISS., Chron. D., p.1400, 134). ...onques depuis il n'orent parfaite joie, car trop de priés lor touça la mort dou gentil conte le signeur desus dit (FROISS., Chron. D., p.1400, 645).

 

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[Manifestation matérielle de la liesse] Feu (luminaire, carole) de joie : Lors qui verra fouyr de toutes pars Toutes noz gens, murtriers, larrons, pillars, Et tous les bons faire les feux de joye, Et tout partout trestous crier monjoye, Et drecer tables par my ces carrefours, Aporter vin, rostz et patez de fours... (NESSON, Lay guerre P.D., c.1424-1429, 64). Ces choses faictes, s'en retournerent les Gantois moult joyeulx, et fut la paix criée en leur ville, et firent feuz, luminaires et carolles de joye parmy la ville, et celle nuict plusieurs compaignons s'allerent festoyer à Gand et eurent grant chiere. (LA MARCHE, Mém., II, c.1470, 332). ...toute la noblesse et gens d'auctorité, tant de l'Université que de Parlement allèrent au devant à grant triumphe et furent faites pluseurs hystoires et feus de joye à sa venue. (MOLINET, Chron. D.J., t.2, 1474-1506, 512).

 

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Faire joie. "Manifester de la réjouissance" : Dames et damoizielles (...) Conmenchierent le fieste par tel devision Que moult font grande joie chevalier et baron (Flor. Rome W., c.1330-1400, 158).

 

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Faire (grande) joie à qqn. "Faire fête à qqn, donner à qqn l'occasion de se réjuir" : Et quant ceulx sceurent les nouvelles, si furent moult joyeux, et avalent le chief Saint Andrieu, et firent moult grant joye a noz gens, et envoierent au Lymacon un de leurs freres annoncier la venue du secours qui venoit pour secourir le roy et son pays. (ARRAS, c.1392-1393, 91). LE SECRETAIRE en lisant. (...) ...j'ay entencïon (...) De prendre femme a marïage (...) Si vueil faire, combien qu'il couste, Joye et feste a tous mes amis (Gris., 1395, 23). Tuit a l'encontre sont venus, Lui faisant joye, feste et chiere, Et tuit aourent sa baniere, Disant que " bien puist cil venir, Qui en vie les fait tenir Et par qui de leur ennemis Seront gardez et a paix mis." (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 81). A l'arriver que fist le doulx mary, Dieu scet la joye et grand feste qu'on luy fist (C.N.N., c.1456-1467, 462).

 

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Faire grande joie de qqc. "Manifester son bonheur de qqc." : Et firent les barons de Bretaigne moult grant joye de la venue de Remondin, especialment Alain, son oncle, et ses deux enfans, et cilz de son lignaige. (ARRAS, c.1392-1393, 65). LE PREMIER BERGIER. (...) Mais quoy ! or s'est il ravisez ["il a arrêté d'éprouver Griseldis"], Dont on fait grant joye sur terre (Gris., 1395, 100).

 

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Demener/mener (grande) joie. "Manifester du plaisir, montrer qu'on est heureux" : PREMIER DYABLE. Il seront nostre : or nous convient Mener joie com bon ribaus. (Mir. enf. diable, c.1339, 8). Or vous commande je a tous et a toutes que vous laissiez ce dueil ester, et tendez et appareilliez ceste sale, et menez joye ; et faictes appareillier la messe ; et après le service faictes drecier les tables, et après disner faictes cy, devant moy present, la feste comme se je feusse sur piez, car sachiez que ce me allegera moult mon mal. (ARRAS, c.1392-1393, 121). Qant ceste victore fu ensi avenue au roi Edouwar d'Engleterre (...) li rois et toutes ses gens demorerent la nuis Saint Jehan (...) menant grant noise et grant joie des instrumens que il avoient. (FROISS., Chron. D., p.1400, 409). Adont Ymeneüs me meine En sa sale, ou grant joye on meine, Ou tant ot menestriers cornans Que l'en n'y ouÿst Dieu tonnans (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 38). Si vont tant par champs et sillons Qu'elz viennent a leurs pavillons, Ou demainent grant joye et feste, A grant honneur et grant conqueste. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 208). ...de ceste adventure tous ceulx qui presens estoient commencerent a rire et menerent grand joye. (C.N.N., c.1456-1467, 395). SOTIE. Ha sotz ! [ha !] vous demenés joye Et je suis ainsi [subvertye]. (Vig. Trib., c.1480, 227).

 

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Au plur. "Manifestations de liesse" : Toutes joies i furent de toutes gens qui la vinrent au devant, qant il sceurent que ce estoit li rois et messires Hues li Espensiers (FROISS., Chron. D., p.1400, 88). Et furent ces festes continuees en joies et en esbatemens (FROISS., Chron. D., p.1400, 597).

C. -

En partic. "Plaisir de l'amour charnel" : Quant Ogier l'ot, sy est estechiéz : il soy tournat et at embraciéz ; celle le baise qui mult disiroit. En celle joye fut engenreiz Baulduinet, qui Charlot puis occit a Monlaon (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 34). Item, a celle [mon ancienne maîtresse] que j'ay dit Qui si durement m'a chassé Que je suis de joye interdit Et de tout plaisir dechassé, Je lesse mon cueur enchassé, Palle, piteux, mort et transy. Elle m'a ce mal pourchassé, Mais Dieu luy en face mercy ! (VILLON, Lais R.H., c.1456-1457, 15).

 

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Au plur. : ...et tout [les tracas de la journée] ne luy fait de mal [au mari] pour ce qu'il est resconforté de l'esperance qu'il a aux cures que la femme prendra de luy a son retour, aux aises, aux joyes et aux plaisirs qu'elle luy fera, ou fera faire devant elle : d'estre deschaux a bon feu, d'estre lavé les piez, avoir chausses et soullez fraiz, bien peu, bien abeuvré, bien servy, bien seignoury, bien couché en blans draps et cueuvrechiez blans, bien couvert de bonnes fourrures, et assouvy d'autres joyes et esbatemens, privetez, amours et secretz dont je me taiz. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 99). ...ilz se trouverent au jardin, et lors commencerent l'un l'autre a festoier, ou furent mains baisiers donnez et mains baisiers rendus. La furent leurs joyes, la furent leurs desiers conjoings et leurs cuers et leurs mauls garis, ausquelz deliz ilz furent depuis XJ heures jusques a deux heures aprés myenuit que force leur fut l'un de l'autre departir. (LA SALE, J.S., 1456, 141).

 

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[D'un mari] Prendre ses joies ailleurs. "Prendre son plaisir ailleurs" : Car se vous estes la clef de son plaisir il vous servira, suyvra et aymera pour ce ; et s'il a plaisir a autre chose il la suyvra, et serrez derriere. Si vous conseille et admonneste de faire son plaisir en trespetites choses et tres estranges et en toutes. Et se ainsi le faictes vous, ses enffans et vous mesmes serez son menestrier et ses joyes et plaisirs, et ne prendra pas ses joyes ailleurs, et sera ung grant bien et une grant paix et honneur pour vous. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 89).

 

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Fille de joie. "Prostituée" : Et après que ledit suppliant eut beu, il s'en ala en ung villaige nommé le Chasteau, auquel lieu on luy dist que, en la maison d'un nommé Jacques Grelier, où ne demouroit personne, y avoit une jeune fille de joye qui y estoit mussée. (Doc. Poitou G., t.12, 1480, 317).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Pierre Cromer

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