C.N.R.S.
 
Article complet 
StructureSans exempleCompletFormesExemples
FamilleTextesSourcesImpressionAide à la lecture
     JETER     
FEW V 12b jactare
JETER, verbe
[T-L : jeter ; GD : geter ; GDC : jeter ; DEAF, J262 jeter ; AND : geter ; DÉCT : jeter ; FEW V, 12b : jactare ; TLF : X, 691a : jeter]

I. -

"Imprimer à un objet un mouvement qui l'éloigne de soi ; envoyer à quelque distance de soi"

A. -

"Envoyer à quelque distance en donnant une impulsion qui projette dans l'espace ; lancer"

 

1.

"Tirer, envoyer (des projectiles)"

 

a)

[D'une pers.]

 

-

[L'obj. dir. désigne un projectile]

 

.

[Avec un compl. locatif] : Sathan, bien soiez tu venant (...). Tu as bien jetté ça et la, Je croy, ton dart. (Mir. ev. arced., c.1341, 135). Einsi nos gens se sont retrait, Qui sont en plus de cent lieus trait, Dont les fers ne sont mie hors, Et bleciez en teste et en corps De pierres et de mangonniaus Que li Turc ont getté sur eaus (MACH., P. Alex., p.1369, 156).

 

.

[Avec un compl. d'objet second] Jeter qqc. à qqn : Dont les dames de Cyconie, Pour itant que leur druerie Ne volt avoir, le lapiderent. Car dars et lances li getterent, Pierres, caillos et roches dures (MACH., C. ami, 1357, 92). Il veoient le grant desroy Des annemis Dieu qui traioient à eaus, et pierres leur gettoient Fort et dru et espessement, Et si très felonessement Que ne le vous saroie dire. (MACH., P. Alex., p.1369, 154).

 

.

[Sans compl. désignant le but ou la destination] : Et s'a bonnes tours près à près, Bien garnies d'artillerie Et de gens qui ont la maistrie De bien traire ; car ce sont gent Qui de ce sont trop diligent, Si que de toutes pars trairont Et vostre gent mehaingneront. Or resgardez que ce sera, Quant chascuns de haut gettera Pierres, caillaus et mangonniaus. (MACH., P. Alex., p.1369, 81). Ou se aucun vouloit monstrer a un autre comment l'en doit traire et jetast un dart sens que il cuidast aucun ferir, et toutesvoies il ferist aucun a cas d'aventure. (ORESME, E.A., c.1370, 181). ...audit Jaquemart, maistre charpentier des engins pour avoir habillié, assiz et appointié ledit canon, mis la poudre, gictié la pierre en la présence de MdS (Comptes Lille L., t.1, 1411-1412, 24). Et fut logé en son logis de devant pres la Citadelle et le soir recommencerent a faire feux en plus de cent lieux en gettant fusees ardans, lances enflambees de feu gregoys (LA VIGNE, V.N., p.1495, 275).

 

.

[En contexte allégorique] : Quel resconfort ou quel secours Vous puet il venir de ma part, Se voustre mal vous vient d'Amours Ou du trait d'un plaisant regart, Ou de Reffus, dont Dieu vous gart, Car mieulx vauldroit tenir prison ? Celle qui a geté le dart Porte avec soy la garison. (CHART., D. Rev., a.1424, 309).

 

-

Empl. factitif [L'obj. désigne une machine de guerre] "Faire lancer (des projectiles)" : Ilz ont eschielles et manteaulx, Et si portent pis et marteaulx Et getent fondes et perreres Et garros de pluseurs manieres. (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 263).

 

-

Jeter un jet : Ces deux, pour aucung estrif, comparurent à jour ordonné au lieu de Valenciennes, armés comme il appertenoit pour combatre à pied, et devoient iceulx jecter ung gect de lance, et puis combatre de haches, jusques à vingt cinq coups. (LA MARCHE, Mém., II, c.1470, 406).

 

-

Empl. abs. "Lancer des projectiles" : ...tantost leur coururent seure Si fierement, qu'en petit d'eure La place qui estoit perdue Leur fu tout quittement rendue, Et les mirent, qui que s'en pleingne, Jusques au piet de la montaingne Et si près que li Sarrazin Qui leur estoient dur voisin Pooient geter pleinnement Sur eaus, sans nul empeschement. (MACH., P. Alex., p.1369, 152). De tieulx y a, ainçois yront En une fosse si parfonde Qu'on n'i getteroit d'une fonde, Et a peine les trebuchiez Verra l'en jamais rehuchiez A joye, n'a bonne adventure (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 114). Et ès greigneurs vaisseaulx de guerre fait-on à la foys tours et barbacanes, affin que, ainsi que on fait des haulx murs, on puisse getter contreval et navrer et occire. (BUEIL, II, 1461-1466, 56).

 

-

[L'obj. dir. désigne une personne] "Percer à coups de traits" et p. ext. "Percer d'un coup d'épée" ( (Éd.))

 

.

Au passif : Autant d'escus, qu'à la renverse Vous l'avés sus son lict jectée. Dea ! vostre personne gectée Y sera ; donnés-vous-en garde ! (Gent. moun. T., c.1500, 334).

 

b)

[D'une machine de guerre, d'une arme de jet] : Item, et se les ennemiz sont puissans et qu'ilz ayent batu la place en manière que on les voye prestz d'assaillir, est de neccessité à ceulx de dedans avoir feu, fer et pierres, de quoy ilz se aident et deffendent par grant force et vigueur, et aussi coulleuvrines, ribaudequins, serpentines et aultres engins gettans pierres et plombées, avecques bonnes grosses arbalestres bien garnies de ce qui est neccessaire, et gens convenables pour jouer desdis engins. (BUEIL, II, 1461-1466, 52).

 

-

[L'obj. désigne le poids du projectile] : Item quatre grans canons gettans de quatre à cinq cens livres pesant le plus groz, le second gettant environ trois cens livres et les autres deux gettans deux cens livres ou plus. Item ung canon especial de cuivre gettant cent livres pesant. (BUEIL, II, 1461-1466, 46).

 

-

Empl. abs.

 

.

[Avec compl. locatif] : Et puis après A grans roches tout entour, nom pas près, Eins sont si loing dou chastel qu'il n'est fers, Engiens, ne ars qui y getast jamès. (MACH., J. R. Beh., c.1340, 110). Li grans Caramans et ses os Sus la montaingne estoit logiez. Deux engins y avoit dreciez Qui toudis jour et nuit getoient Eu chastel, et tout le gastoient. (MACH., P. Alex., p.1369, 137).

 

.

[Sans compl. locatif] : Et les engins getoient toudis, maiz ilz ne peurent riens faire (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 167). ...se par nuit on trait, on doit lier tysons ardens aux pierres, que on trait, car, par ce tyson pourra l'en sçavoir comment l'engin giette et combien pesant on y pourroit mettre. (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 230). Après icelles messes dites et célébrées, messire Jacques monta à cheval (...) et alla voir une bombarde que le duc faisoit jeter pour abattre et démollir la muraille d'icelui chastel de Poucques, c'est à savoir entre la porte et une tour qui estoit très-forte, et aussi d'autres engins à poudre, tant mortiers et autres veuglaires comme de petits canons. (CHASTELL., Chron. K., t.2, c.1456-1471, 360).

 

2.

P. ext. "Lancer (un objet quelconque)"

 

a)

[Avec un compl. locatif] : Discorde la sans mander vint. Et scez tu de ce qu'il avint ? La mauvaise et la decevable Devant nous getta sus la table Ceste pomme d'or que tu vois, Et puis cria a haute vois : "Donnee soit a la plus belle !" (MACH., F. am., c.1361, 204). Mais pour tenrement plourer Ne le puis faire cesser Ne alentir, Qu'einsi comme on voit geter Yaue en feu pour embraser Et enasprir, Fait mon desir agrandir Mon triste plour, Et fait souvent ma colour Teindre et palir, Quant ne puis vostre valour Voir n'oïr. (MACH., Ch. bal., 1377, 608). Et premierement, ce est a entendre de mouvement purement naturel qui n'est pas violent, si comme quant l'en jecte une pierre en haut, et qui n'est pas selonc fantasie et appetit de beste, si comme courir, voler, noer, qui sont mouvemens mixtes et de corps mixtes. (ORESME, C.M., c.1377, 66). Et avoech ce, il tourse derriere lui unes besaces plainnes de farine, en celle entente, qant il ont tant mengié de char mal quite que lor estomac samble estre wape et afoiblis, il jettent celle plate piere ou feu et destemprent un petit de leur farine de iaue. Et qant leur piere est escaufee, il jettent de celle clere paste sus celle caude piere et en font un petit tourtiel a maniere de une oublie de begine, et le menguent pour conforter lor estomach. (FROISS., Chron. D., p.1400, 127). Aprèz, jouxte l'entencion, S'ensuit une description De trociz, à purifier L'[air] mauvaiz et rectifier, Qui les vouldra ou feu jeter (LA HAYE, P. peste, 1426, 144). ...il fut trompé par l'orde eaue que l'amant de sa dicte femme getta par une fenestre sur elle (C.N.N., c.1456-1467, 9). ...elle luy gecta ung coussin sur la teste, et le fist cheoir a pates (C.N.N., c.1456-1467, 344). ...lui estant en mer, congnoissant la tempeste et voyant l'influence contre lui, pour son sauver gecta grande somme d'or en la mer, disant qu'il aymoit mieulx sa richesse submerger que lui estre submergé par icelles. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 64 r°).

 

-

Jeter sur soi de l'eau benite. "Se signer" : ...que aussi, quant elle yroit au monstier aus dimenches ou autres jours de la sepmaine, elle ne prenist ou jettast sur elle aucune ou point d'eaue benoite (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 290).

 

-

[Dans la question judiciaire] Jeter de l'eau sur qqn. "Verser de l'eau dans un entonnoir placé dans la bouche du prisonnier étendu sur le petit ou le grand tréteau" : ...pour ce que ledit Jehannin Brigon, prisonnier, ne voult autre chose cognoistre que dit est, fu mis à question sur le petit et le grand tresteau ; et quant il y ot un petit esté, et que l'en li ot jetté un petit d'eaue sur lui, requist que l'en le meist hors d'icelle, et il diroit verité. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 212). ...et avant ce que l'en jettast sur lui aucune eaue, requist instanment que hors d'icelle question l'en le voulsist mettre, et il diroit verité de plusieurs larrecins qu'il avoit fais et commis. (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 105).

 

-

[Supplice] Jeter des pierres sur qqn. "Le lapider" : Si survint Alexandre, meu de despit, comme il le trouva sur la rive des fossez, le precipita dedans, et lors ses gens gecterent tant de perres sur lui qu'il mourut (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 60 r°).

 

b)

[Avec un compl. d'obj. second] Jeter qqc. (à) qqn : Et sy tost comme il fu feru, lui qui parle dist audit Jehan Eustace que il avoit fait que faulx et que traitre de l'avoir ainsy feru, après l'accort dessus dit, et lui gecta le baston de fagot que il tenoit, duquel cy-dessus est faite mencion, et l'en assena par la teste. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 415). Auquel Haussibut, au departement qu'il fist d'elle deposant, elle lui jetta pour paiement plain son poing de cendres. (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 296). Tant lui firent de grans despis Ses .II. enfens de mal en pis, Que le pere si fort se yra, Un jour, que tout se dessira Le visage, et les yeulx du chief S'esrachia (ce fu grant meschief !) A ses filz les giette au visage, Et ceulx, qui de mauvais plumage Furent, aux piez les deffoullerent Et par grant cruaulté soulerent. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 295).

 

-

[D'une force naturelle] : Et quant nous fusmes montez ainssy que les deux pars de la montaigne, le vent se vira et nous getta celle puante fumee contre nous tellement que cuidasmes estrangler. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 145).

 

-

En partic. "Envoyer en direction de qqn, pour donner" : Au povre lors un pain jetta Non pas de bonne voulenté, Non, mais, a dire verité, Par grant despit et par grant ire. (Mir. Pierre Changeur, c.1378, 247). Maiz tantost qu'il vint a table, sentit Radus la chaleur de la pire et pensat qu'il avoit du venin a la table. I petit prent de pain pour savoir le larcin, sy l'at moulhiet en poivre ; et le getit ung chien qui estoit devant les tablez, qui tantost le mengat et se tourne trois foys et puys morit. (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 178).

 

c)

[Sans complément marquant le but ou la destination]

 

-

Part. passé. [D'une chose] : Et telle qualité est cause du mouvement des choses jetees quant elles sont hors de la main ou de l'instrument (ORESME, C.M., c.1377, 144).

 

-

Empl. abs. [D'une force] "Propulser qqc." : Et pour ce, qui veult tres bien gecter une chose, il convient que la vertu qui gecte et la chose soient deuement proporcionees une avecques l'autre. (ORESME, C.M., c.1377, 322).

 

-

JEUX

 

.

[Jeu qui donne lieu à des paris] Jeter la pierre. "Lancer la pierre (le plus près d'un but)" : Et trouva d'aventure à la barriere Perrot le Bernois et grant foison de ses compaignons, qui se esbatoient à getter la pierre (FROISS., Chron.[Livre IV] V., c.1400, 481). Doit un chascun en sa maison Labourer et s'exerciter, Pour greigneur péril éviter, Dont s'ensuit que c'est chose sote Que jouer lors à la pelote, Courre, lutier, jeter la pierre, Et cheminer de fervent erre, Et tous autres telz excez faire Qui peuent à Nature desplaire (LA HAYE, P. peste, 1426, 85).

 

Rem. Cf. DU CANGE, IV, s.v. jactare2 ; J.-M. Mehl, Les Jeux au royaume de Fr. du XIIIe au déb. du XVIe s., 1990, 103. V. aussi pierre I B 1.

 

.

Jeter le dé / des dés : Que cuides tu qu'il sceust bien Deux dez asseoir et jetter...? (Mir. st Alexis, 1382, 348). Dea, je n'ey pas le dé gecté. (Pass. Auv., 1477, 204).

 

.

[P. méton. de l'obj.] Jeter coup de dé : Lequel argent icelli prisonnier perdi tout, ausdiz jeux, aus trois compaignons qui illec s'estoient assemblez, sanz ce qu'ilz jettassent coup de dé, ne couchassent ou engaigassent aucunement leurdit argent (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 139).

 

.

[Le compl. désigne le résultat obtenu] "Jouer, amener (un certain nombre de points) aux dés" : Je ay giter XII [aux dés], par ma foys ! Cectez robe enporteray, Quart certe ganié l'ay. (Pass. Autun Roman F., c.1400-1500, 203).

 

.

Empl. abs. : Je vous diray que nous ferons : Quatre daz aporter ferons, Et celuy que mieulx giteray, Certes la robe ganiera. (Pass. Autun Roman F., c.1400-1500, 202). Mais, par Dieu, la robe est bonne, Quar il n'y a point de costure ! Gaignier la faul a ceste heure ! Mais quatre debz fasons apporter Et cil que pourra plus gecter Aura la cotez ainssy gaignie Avant toute la compaignie. (Pass. Autun Biard F., 1470-1471, 109).

 

.

Jeter chance. "Lancer un coup de dés" : Dieu me doint une fois gietter Chance qui soit aucunement A mon propos, car autrement Mon cueur sera pis que martir, Se ne puis, ainsi qu'ay desir, Gaangnier le jeu entierement. (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 68).

 

-

Loc. [Par brachylogie pour "jeter les dés ou un autre objet afin de déterminer ou d'apprendre qqc."]

 

.

Jeter un / le / son sort. "Tirer au sort (pour prendre une décision)" : Et puis qu'il ara ce fait, cil de la nef getteront un sort, et cil sur qui le sort escharra montera par deseure moy, sy y trouvera un anel gisant, lequel y getera en la mer. (Bérinus, I, c.1350-1370, 222).

 

.

[Avec une interr. indir.] Jeter les sorts lequel. "Tirer au sort pour savoir lequel..." : Les juvenceaus ont geté les sors, liquelz de euls beseroit premiers sa mere. (BERS., I, 1, c.1354-1359, 56.11, 94).

 

.

Jeter son sort / ses sorts. "Recourir à une pratique de divination (pour savoir qqc.)" : La mere Corbarant, ou tant ot soutieuté, Sorti a chelle feste Saint J[eh]an en esté ; Elle geta ses sors, et furent recordé, Et tout chou qu'elle dist en voit on averé. En cheste ville chi furent li sort geté, Si seront chi endroit tout li sort confremé (Bât. Bouillon C., c.1350, 75). Grinus se baissa et prinst l'annel qui moult lui sembloit bon et bel, et l'emporta, et Sehir qui l'avoit perdu, tantost qu'il s'en aperçut, getta son sort et vist que Grinus avoit trouvé son annel. (Bérinus, II, c.1350-1370, 31).

 

.

Jeter son sort que. V. sort

 

.

Jeter les sorts de qqn. "Décider de la destinée de qqn" : Là me confort, Là seulement me deport, Là sont geté tuit mi sort Et là me tir ; Là vueil je vivre et morir Et là m'acort ; Là seront tuit mi ressort Jusqu'au morir. (MACH., Ch. bal., 1377, 615).

 

.

Jeter aux lots. V. lot

 

Rem. FEW V, 15b : «Dup. 1573 - Mon 1636».

 

.

Empl. adj. [D'un office] Jeté en boules. "Tiré au sort" : Et que les dis offices, ainsi mis et jectés en boules, li dit esquevin donront à personnes boines, loyauls et convenablez, et qui les dis offices exerceront et prometteront à exercer. (Hist. dr. munic. E., t.1, 1356,,, 352).

 

3.

Jeter qqn : ...si tresfort dormoit que, pour le porter du chariot en sa maison et sur son lit le gecter, jamais ne s'esveilla ! [D'un ivrogne] (C.N.N., c.1456-1467, 64).

 

-

Jeter qqn loin / au loin / loin de soi. "Rejeter, repousser qqn" : Quant Nabugodonosor sot Tout son songe, pour un ort sot Tint le plus sage et le plus mestre Qui en son païs peüst estre Contre Daniel le prophete, Et long de li tous autres gette Pour Daniel qu'il aimme et prise Et fait faire honneur et servise. (MACH., C. ami, 1357, 17). Es tu foul, hors du sens ou yvre, Ou veulx contre moy guerre prendre, Qui as fait le maleureux livre, Dont chascun te devroit reprendre, Pour enseigner et pour aprendre Les dames a geter au loing Pitié la debonnaire et tendre, De qui tout le monde a besoing ? (CHART., E. Dames, 1425, 363). Il commence de faire ses approuches quand il vit son point ; mais Dieu scet comment on le jecta loing de prinsault. [Un séducteur malheureux] (C.N.N., c.1456-1467, 410).

 

-

Jeter qqn abandon. "Laisser à l'abandon, laisser tomber" : Item, [je ne donne] riens a Jacquet Cardon, Car je n'ay riens pour lui d'onneste - Non pas que le gecte habandon - Synon ceste bergeronnecte (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 135).

 

4.

En partic. [L'obj. dir. désigne un animal]

 

a)

FAUCONN. "Lancer (un oiseau de proie) en vol libre pour chasser le gibier" : Et cils s'estoit si bien prouvez Qu'il estoit si bien esprouvez Qu'onques mais n'avoient veü Nul oisel si bien esleü En quanqu'on pooit deviser, Tant y sceüst on près viser. Et fu getez premierement, Et il vola si hautement Qu'on ne sot quel part il tourna. Mais assez briefment retourna, De quoy il fist a son retour Un fort et mervilleus estour. (MACH., D. Aler., a.1349, 356). Et quant pour voler le gettoie [le gerfaut] A aucune certeinne proie, Tant que voler le couvenoit, Trop envis vers moy revenoit, Einsois de sa maniere estrange Aloit volentiers au rechange. (MACH., D. Aler., a.1349, 378).

 

-

Jeter en haut / amont : Quant ton faucon ara esté pluseurs fois loirré a pié et a cheval et que il sera tout hors de sauvagine et prest d'estre gesté en haut... (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 188). "Avant, mauvais ribaut failli, Giete ce laneret amont !" (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 102).

 

-

Jeter dessous le pied. "Faire monter droit au-dessous du faucon" ( (Éd.)) : Maiz ne vous hastés mie monlt, Car, se getés dessous le pié, L'autre oysel ne sera pas lié (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 358).

 

-

Jeter le leurre à un oiseau : Et se ton faucon a cachié et il revient, si li giete le loirre (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 190).

 

b)

CHASSE Jeter des chiens. "Lancer des chiens (derrière un animal)" : Et, s'il a des alanz qu'il giete aux abaiz dedanz le bois, ilz ne le [l'ours] laisseront ja partir d'une place jusques a tant que on l'ait tué. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 229). Si on li [au loup] gete moult de levriers, il regarde devers chascun quant il les voit venir, et cognoist tantost celluy qui le veult prendre (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 98).

 

5.

Au fig. : Aussi celui qui est liberal, ou resgart de l'avaricieus semble estre trop large. Et ou resgart de fol large, il semble estre avaricieus. Et pour ce, ceuls qui sont vicieus et es extremes il jectent le moien l'un a l'autre. Et ainsi celui qui a la vertu de fortitude, le paoureus l'apelle trop hardi et le trop hardi l'apelle paoureus. Et ainsi est il es autres choses proporcionelment. (ORESME, E.A., c.1370, 170).

 

-

Jeter de la neige sur qqn. "Se moquer de lui" ( (DI STEF., 577c)) : Vela comment Charlot le paige Fut du foing doublement pugny, Chascun luy gettoit de la neisge Aprés et se mocquoyt de luy. (COQUILL., Oeuvres F., 1478-p.1494, 295).

 

-

[L'objet désigne un effet magique] "Recourir à la magie, à un sortilège " : Et Basin luy gette ung sort, qu'il fut avis Fernagus qu'il estoit en ung jardin. (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 149). Et revint en l'estour en getant I charne, qu'i fut avis Basin qu'il estoit en la mere en une galee tout seul sans aviron, sy se levat ung oraige, qui la neif affondrat ; et Basin se gette a terre et se prent a noiier sus l'erbe. Atant fine le charne. (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 219). [Premières attestations (Éd.)] Mon cuer [se combat a mon eueil, Jamais ne les treuve d'acort.] Se je treuve que Bel Acueil Ayt gecté entre eulx aucun sort, Je la condampneray a mort (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 465).

B. -

"Envoyer vers le bas, faire tomber" : Et en celle grant tourmente fusmes toute celle nuit, gettans VII gros ancres en la mer pour retenir la nave que, a tout l'abre secq, alloit contre les roches de Lyppre ferir. (LA SALE, Sale D., 1451, 155). Les fillés il vous fault gecter A la pesche tout maintenant. (Pass. Auv., 1477, 125).

 

-

Empl. abs. "Tendre des rets" : On prent les lievres as levriers et as chiens courans a force, as pouchetes ou bourses, as filez et royzeuls et as cordeletes menues, getant ou elle a fet ses brisees quant elle va a son viandeïs, comme j'ay dit devant. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 82).

 

-

Jeter jus : Li oisiaus fu aparilliez Et en la main dou roy bailliez, Et li roys en l'eure le prist. Or diroit aucuns qu'il mesprist, Car en tel maniere en ouvra Que la teste li dessevra Tantost en l'eure de son corps - Einsi m'en fu fais li recors - Et le geta sans nul respit Jus a la terre par despit. (MACH., D. Aler., a.1349, 358). La ot mainte larme plouree En la tenebreuse valee Des ames qui entroublierent Leurs peinnes dou chant qu'escouterent. Aussi li roys des infernaus Getta jus craus et gouvernaus Et se cessa, pour la merveille, Que plus les ames ne traveille. (MACH., C. ami, 1357, 83). Les beles Dyanes ["Danaïdes"] geterent Jus les tamis qu'elles porterent Et leurs sëaus qui sans fons sont (MACH., C. ami, 1357, 90).

 

-

Jeter pluie / foudre / gelée : Pourtant si gecte [Dieu] pluye ou tonne, Ou le fouldre qui fort estonne, Ou la gelee aspre et dure, Ou aucunesfois le sulphure, Dont tue maintes gens en somme, Il n'appartient pourtant a l'homme Se insister en faictz ou en dictz Contre luy ou bien ses escriptz (RIVIÈRE, Nef folz D., 1497, 178).

 

-

TOURN.

 

.

Jeter son baston. V. bâton

 

.

[Loc. indiquant le geste par lequel on engage un adversaire au combat singulier] Jeter son gage de bataille : Alors ledit appellant doit et puelt dire qu'il ne le pourroit prouver par tesmoings ne aultrement que par son corps contre le scien ou par son advoué en champs clos, comme gentil homme et proudomme doit faire, en nostre presence, comme leur juge et prince souverain. Et alors doit getter son gaige de bactaille ; lequel gaige receu par le deffendant, doit puis faire sa retenue de conseil, d'armes, de chevaulz et de toute aultre chose neccessaire et convenable a gaige de bactaille, et que en tel cas, selon le noblesse et condicion de lui, se appartient, avec toutes les protestacions qui s'enssievent. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 210). ...et qu'il avoit dit en plain Parlement que l'on ne povoit justement fere tel jugement, sans sçaver que vauldroit dire le bon roy Richard, pour ceste cause fut il mis en prison de ce pas à Saint Alban et ses biens qu'il avoit furent pillez, et furent audit Parlement gectez plus de XL gages de batailles. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 149 r°).

 

.

[En signe de défi] Jeter le gant : Dangier, je vous giette mon gant, Vous apellant de traïson, Devant le Dieu d'Amours puissant Qui me fera de vous raison : Car vous m'avez mainte saison Fait douleur a tort endurer, Et me faittes loings demourer De la nompareille de France. (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 65). Alors, quant tous seront en point, laquelle chose leur sera demandee, le mareschal, par nostre ordonnance, yra vers le millieu du champ, qui portera le gant du gaige en sa main. Lequel, a haulte voix, par troiz foiz dira : Laissiez les aller ! laissiez les aller ! laissiez les aller ! Et a la derraine parolle gettera le gant au millieu des lisses. Alors part, a piet ou monté a cheval, qui voldra ; car en gaige de battaille et de querelle, se il n'est emprins, face chascun le mieulx qu'il pourra. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 221).

 

-

CHASSE Jeter ses brisées : Et en ce cas doit le veneur venir la ou ilz [les chiens] l'ont failli et regarder et penser ce que le cerf pourroit et devroit avoir fet, et mettre l'ueill a terre sur le chemin ou descendre, si mestier est. Et, s'il voit qu'il fuye la voye, ou amont ou aval, au long du chemin, il doit geter ses brisees par tout la ou il en voit, en criant a ses chienz et disant : "Veez le fuir la voye ! Veez le fuir la voye !". (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 199).

 

-

[En contexte métaph.] : L'ame qui a son esperance A Dieu, en sa chambre se boute Comme espouse, et toudis se doubte Que ne soit digne d'y entrer, C'est ou secré de son penser Son lit paré par grant science De pure et vraie conscience ; La gette les flours de vertus, Lors dit : "Beaus amis, chiers tenus, Nostre lis est beaux et jolis Et aournez de flours de lis, De cypprès est nostre maison Et de cedre en est la cloison ; A tous n' est pas communiquée." (DESCH., M.M., c.1385-1403, 254).

C. -

En partic. "Lancer ou faire tomber qqc. pour s'en débarrasser"

 

1.

[Avec un compl. locatif]

 

a)

Jeter qqc. (concr.) : ...et que quant il fu prins à la Ferté-Bernart, il avoit en sa tasse, sy comme il cuidoit, deux d'iceulx noëz ; mais il ne y en trouva que un, lequel il jetta en la boë et le foula aus piez, affin que l'en ne le trouvast de ce saisy. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 457).

 

-

Jeter qqc. au feu : ...je les commençai a lire [la lettre] plus de .X. fois, et si ne les pooie parlire, tant avoie le cuer courecié et les yeus plains de larmes ; si les ai arses et jette[e]s ou feu, ad fin que je ne les voie jamais, car elles me coureceroient toutes fois que je les verroie. (MACH., Voir, 1364, 540). ...la fausse gent ont pris Toutes les chartres dou païs, Où les coustumes et les loys Estoient, et les drois des roys ; Si les ont arses et brulées Et en un ardant feu getées Si que mais ne seront veües, Ne retrouvées, ne leües. (MACH., P. Alex., p.1369, 272).

 

-

Jeter qqc. jus : Et cil tantost se desveti De ses garnemens precieux : Jus les jetta, s'en print uns vieux (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 272). ...a cest coup, bon mary perdit pacience et n'en peut plus oyr ; si jecta jus chape et surplis [Déguisé en prêtre un mari entend sa femme en confession] (C.N.N., c.1456-1467, 465).

 

b)

Jeter qqc. (abstr.)

 

-

Jeter qqc. (en) puer. "Repousser, négliger" : Certes bien est jettée en puer Sa bonne vie. (Mir. abbeesse, 1340, 84). Mais d'Esperence me souvint ; Et vraiement, adont couvint, Se je voloie avoir victoire, Que je recourisse au memoire Que j'avoie escript en mon cuer, Et que je ne gettasse en puer Nuls de ses dous commandemens, Ne de ses bons ensengnemens. (MACH., R. Fort., c.1341, 124). ...de ce qu'avez jetté puer Et relenqui ydolatrie (Mir. st Sev., 1362, 217).

 

-

Jeter qqc. derrière le dos. V. dos

 

-

Jeter qqc. au vent : Merencolïeuses pensees Me fault getter du tout au vent. (Myst. jeune fille L., c.1413-1445 [c.1530], 11).

 

2.

[Sans compl. locatif] : Et celui qui a la vertu de fortitude peut legierement gecter son escu et fuir en quelconques partie (ORESME, E.A., c.1370, 416). Et de ce Vallerius dit que, pour v(e)oir, Juppiter, le grant dieu des Rommains, eust grant pitié de la vertu rommaine que emprumpta ayde a callidité, quant il regardoit que, en souveraine deffaulte de vivres, ilz gettoient ce qu'ilz devoient plus garder. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 39).

 

-

Au fig.

 

.

Jeter qqc. "Renoncer à qqc." : Si n'est pas, ce sachiez, m'entente Des biens de la vie presente Que qui bien les poursuit les jete. (Tomb. Chartr. W., c.1337-1339, 125). ["doive les jeter" ("y renoncer") (Éd.)]

 

.

"Chasser, repousser qqc." : Uns enfes de petit aage Qui a le cuer gay et volage, Si comme de .X. ans ou douse, Que Juenesse en son cuer arrouse, En ouevre de getter s'enfanse, Et on n'i met point de deffense, Eins conjoit en tout son affaire, En quanqu'il fait et qu'il vuet faire, A quoy il se puet adrecier Pour une bonne ouevre drecier. (MACH., D. Aler., a.1349, 241).

 

.

Jeter jeunesse : Dame, dist ses mariz, vous estes rassotee ; Il convient, et c'est droiz, jonesce soit gettee. (CUVELIER, Chans. Guescl. F., c.1380-1385, 13).

 

.

Loc. fig. Jeter le manche après la cognée. V. manche

 

.

Jeter en vente. "Vendre qqc. à bas prix, comme une chose sans valeur" ( (Éd.)) : Et se Dieu donne a ung homme la grace d'estre tenu ou reputé si sage qu'i soit appellé au conseil d'ung prince et, pour complaire au peuple ou a ses amis ou a aulcun particulier ou meismes a son roy ou a son prince, il donne conseil aultre que bon et honeste et selon Dieu et raison, et que l'appetit de la glore ou grace qu'il desire avoir des hommes le maine en ceste cecité et aveuglement de faveur, il estime peu sa sapience et la prudence dont il est renommé, car il la jette en vente et la donne pour ung si legier pris que pour ung pou de vaine glore transitore comme le vent. (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 253). ["Première attestation de jeter dans ce sens" (Éd.)]

 

-

[D'un animal]

 

.

[D'un cervidé, d'un bouc] Jeter sa tête. "Perdre naturellement ses bois" : Aprés il [les cerfs] laissent le harpaill et s'acompaignent deux ou troys ou quatre cerfs ensemble jusques atant qu'ilz viennent au mars qu'il getent leurs testes communement, aucuns plus tost, selon ce qu'il sont vieulz cerfs, et aucuns plus tart, selon ce qu'il sont juenes serfs ou ont eu mal yver ou l'en les a chaciez ou il sont malades, quar lors muent il leurs testes et se reparent plus tart. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 59). Des qu'ilz sont retrez du ruit, ilz getent leurs testes, car pou de chevreulx trouverez, s'ilz ont passé deux ans, qu'ilz ne soyent muez a la Toussains, puis refont leurs testes velues ainsi comme le cerf et froyent en mars communement. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 75).

 

.

[D'un oiseau] Jeter ses pennes / ses plumes. "Muer" : Se ton faucon n'a geté nulles de ses pannes ne de ses plumes u mois de juillet, tu en peuz bien voler tout le mois d'aoust au[s] pies et aus perdris (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 203). Au commencement de juillet Aiez esprevier ramaget, Que aucuns appellent pasquerés (...). Jusqu'a my aoust volera, Que poy de plumes gettera, Ne maiz qu'il soit tenus bien aigre En le faisant un petit maigre. (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 493).

D. -

P. ext. "Mettre"

 

1.

[Avec un compl. locatif] "Placer qqc. à un endroit d'un mouvement vif"

 

-

Jeter le siège qq. part : Au roy Ference aide quit ; Lors lui bailla, sa mere assit A Mycenes, a la cité. Son siege a tout autour getté : Rendre ne se vouldrent a li (DESCH., M.M., c.1385-1403, 86).

 

-

Jeter le feu qq. part : Grant mestier eurent de la pluie, Car le feu fut par tout getté : .XV. jours ardit la cité, Ou li feux fu de toutes pars. La fut li chastiaux du roy ars, Qui sur Marne sist en la ville (DESCH., M.M., c.1385-1403, 374).

 

-

[En contexte métaph.] : Prist seur Sarrasins son voiage. La esprouvoit il son barnage Et s'en ala sans nul sejour, Tant qu'il vint a un certein jour En un lieu de certeinneté Ou il avoit son cuer geté, Pour un fort chastel assegier. (MACH., D. Aler., a.1349, 313). Toutesfoys escoutez encores la fraude et decepcion de l'ennemy ! Car il ne souffist pas que l'ame qui se est mise sa parrochienne et sa subjecte soit tellement ensevelie ; mais affin d'acroistre le mal, et que d'aucune aventure remede n'y soit mis par misericorde, il gette dessus l'ame ung drap fait et tissu d'ypocrisie, de faintise et simulacion pour apparoir belle au monde. (GERS., Purif., 1396-1397, 66).

 

-

Au fig.

 

.

Jeter le prix sur qqn. "Accorder le prix à qqn" : Ou pallais a Tollette li consaulz s'acordait Au pris parfaitement ; de ciaulz qui furent la Chescun endroit de ly sur Lion le getait, Car on vit clerement que bien deservir l'ait. (Lion Bourges K.P.F., c.1350, 623).

 

.

Jeter qqc. sur qqn. "S'en remettre à qqn pour qqc. (?)" : Or sceit bien Florantine que Lion averait, Car ceu fuit cilz que li sien perre prisait, Et pour ceu la pucelle sur le roy le getait Qu'elle sceit moult trez bien qu'a s'antante vanrait. (Lion Bourges K.P.F., c.1350, 243). [L'éd. traduit par "accorder"]

 

2.

En partic. "Fondre, couler (dans un moule)"

 

-

Jeter du plomb : Item, ung petit tabler à gecter le plomb en table, 20 s. tournois. Item, deux tables sur quoy se font les chandelles, 2 s. 6 d. tournois. (Aff. Jacques Coeur M., 1453-1457, 268).

 

-

[Par méton. de l'obj.] Jeter une monnaie : ...ledit suppliant ala en ladicte chambre, où il trouva deux moles à monnoye et appersceut bien que ledit maistre Loys s'estoit essayé gecter et faire de la monnoye en iceulx ; lesquelz moles qui estoient de verre ledit suppliant print, rompy et gecta ès aisemens dudit hostel (Doc. Poitou G., t.10, 1462, 403). ...ledit Grant Jehan dist ausdiz Girard et sa femme qu'il leur aprandroit à gecter desdiz florins et austres monnoyes et leur monstra ung fer plat, lequel il emploie de cendre passée, destrampée d'eaue salée et mettoit sur ladicte cendre ung gros de Bretaigne, pour en former la marche, ou autre monnoye (Doc. Poitou G., t.12, 1482, 530).

 

-

Au fig. : Ne poet on croire a ma parole ? Oïl, car on dist a l'escole Que la bouce dou coer parole. Certes, ce fait. Vois de la mienne n'ist ne vole Que mon coer ne le jette en mole, Et sent bien s'elle est sage ou fole Ains le retret : S'elle est bonne, en avant le met ; Si non, par derriere le let. (FROISS., Espin. amour. F., c.1369, 109). ["Pas un mot ne s'échappe de ma bouche qui ne soit façonné par mon coeur, c'est-à-dire qui ne réponde à un sentiment réel", trad. de Scheler, citée par l'éd. p. 183]

 

3.

[L'obj. désigne des signes d'écriture, un dessin]

 

a)

"Tracer (à la hâte, grossièrement)" : Sy vey que perdedens ces tables l'ancien preudhomme jectoit ses figures astronomiennes tout afait qu'il avoit conceu aucune chose en regardant les planetes et estoilles du ciel. (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 498).

 

-

CONSTR. "Dessiner le projet de (travaux de construction)" ( (Éd.)) : Environ la premiere sepmaine de septembre, Me Raymon ordenna que, pour geter et aviser les huisseries et fenestrages..., l'en feist venir Me Jaques de Chartres sur le lieu... (Hist. industr. commerce F., 1330-1500, 132).

 

-

[D'un tailleur] "Tracer, dessiner (le contour d'un vêtement) sur une pièce d'étoffe" : Et lui aulna le drap devant lui et rompi la lisière, prist sa mesure, et gecta la manière de l'abit qu'il devoit faire pour ledit Thévenin d'autre drap (Ch. VI, D., t.2, 1386, 159).

 

b)

"Mettre par écrit" : Jehannin Bietris, clerc de Panneterie, pour I papier neufs acheté par lui pour l'office de Panneterie 8 s. p. ; II douzaines de parchemin 14 s. la douzaine ; une escriptouere neufve, garnie de cornet, canivet et laz de soye 24 s. p. ; un bureau 12 s. p. ; un cent gestouers 4 s. p., pour gester et enregistrer les parties dudit office (Comptes hôtel rois Fr. D.-A., 1380-1381, 64). Ce jour, au souper, où furent maistre Guillaume Euvrye et son compaignon, lequel Euvrye geta une supplique pour bailler à Monsr de Betheford et une autre à son confesseur, pour pain blanc, vj d. (SAINT-RIQUIER, Compte B., 1422-1423, 249). ...et ay gecté et asommé les parties et sommes desdiz papiers depuis le derrenier jour d'octobre mil IIIIcXLVIII jusques au XXIIe jour de décembre mil IIIIcL, toutes lesquelles parties comprinse la dicte cédulle se montent en somme toute 1.423 escus 16 s. (Aff. Jacques Coeur M., 1453-1457, 144).

 

-

[P. méton. du compl.] : Et aussi ay vacqué à gecter et assommer le plomb des terriers, regrectz, mesnage et utencilles et autres biens meubles qui furent de Jacques Cuer, estans en la maison et ès martinetz de Pampalieu et aussi le plomb amené par mon ordonnance en ceste ville de Lion (Aff. Jacques Coeur M., 1453-1457, 334).

 

-

Jeter un compte. "Faire le brouillon d'un compte" : Le maistre de la Chambre aux deniers, pour faire escripre, doubler, tripplier, gicter et collacionner ce présent compte (Comptes hôtel rois Fr. D.-A., 1401, 141).

 

-

Jeter une lettre. "Rédiger une lettre" : Je delivrai son messagier Le lendemain aprés mengier. Mais de ma grant adversité Que j'ay ci devant recité Avoie jetté une lettre Que je li voloie tramettre. Si l'encloÿ en ces presentes (MACH., Voir, 1364, 512).

 

4.

[Par référence à la façon de calculer en disposant sur la table des jetons]

 

a)

"Compter en utilisant des jetons, calculer" : ... après ce que lesdites dettes auront esté extraites par lesdits Clercs d'embas, et bien collationnées, jettées et corrigées, icelles soient apportées au Burel... (Ordonn. rois Fr. S., t.7, 1388, 260). Se tu veulx aucuns nombres gecter et aucunes sommes savoir tu dois en ton ymaginacion fourmer et figurer certaines lignes contenans les getz de certaine value, et lors tu dois asseoir les getz selon leur value (LEGRAND, Archil. Sophie B., c.1400, 261). Lors demenday se g'y liroye, Ou se mieulx lire lui plaisoit ? Il dit que trop peine prendroye. Pourtant a lire commançoit ; Et puis getoit et assommoit Le conte des biens et dangiers (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 153).

 

-

Empl. abs. : ...je te faiz assavoir Qu'Arismetique est de moult grant pouoir, Tous les .VII. ars en puissance surmonte : Elle enrrichist, elle giette, elle compte, Finance fait venir de mainte gent ; Nulz n'a estat se bien ne scet que monte Compter, getter et mannier argent. (DESCH., Oeuvres Q., t.2, c.1370-1407, 161). De là fuz pour aprandre à lire, à escripre, compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arismeticien (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 156 v°).

 

-

Empl. pronom. à sens passif : ...entre autres, il fist sur la part future et sur les autres parties qui se gectent par les maisons et dist que c'estoit la part qui signiffioit choses secretes et abscondites et par laquelle se precongnoissoient les choses advenir (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 34 v°).

 

b)

En partic.

 

-

"Calculer, compter, répartir (une imposition)" : ...laquelle taille doit estre gectée et assignée par la consideration des eschevins dudit lieu. (Trés. Reth. S.L., t.2, 1374, 212). Le bailli monseigneur Hugues de Bourgoingne requeroit que deniers qui avoient esté getiéz sur les hommes de la terre dudit H., qui estoient saisiz par monseigneur, feussent dessaisiz. Prononcié est que le giet fu fait de la dite terre estant en la main monseigneur, pourquoy les deniers ne seront point dessaisiz. (Cout. bourg. glosé P.M., c.1380-1400, 154).

 

Rem. FEW V, 16a.

 

.

Empl. impers. : ...se aucun ou aucune receu en la bourgoisie ou à recevoir en la forme dessus dite se soit partiz ou partoit de cy en avant d'aucun lieu ou d'aucune commune, il paiera les tailles et les fraiz de la ville, de tant comme il sera tailléz ou getéz sur lui (Cout. bourg. glosé P.M., c.1380-1400, 294).

 

.

Empl. pronom. à sens passif [D'une imposition] "Être réparti" : ...laquelle taille se doit jecter, imposer et asseoir par icelle justice (Trés. Reth. L., t.3, 1443, 215). ...la moitié de vint deux livres par. de taille esbondée, qui se jecte et impose chascun an egalment, au jour saint Remi on chief d'octobre, par les maieur, eschevins et justice du lieu, sur pluseurs hommes et femmes de condicion servile, de fourmariage et non tonsurables (Trés. Reth. L., t.3, 1449, 297).

 

-

"Soumettre qqn à (un impôt)"

 

.

Jeter (une imposition) à qqn : ...refusanz à paier ceu qui leur avoit estez gestiez et imposez por nous diz Mahours et escheviz du regiest avec la taxation des trois cartheranches por journaul de terre à la perche acostumée à Rouvre. (Chartes communes Bourg. G., t.1, 1357, 488).

 

.

Au passif Estre jeté à (une imposition) : Savoir vous faisons que, à la supplicacion de nostre amée et feale la dame de Preaux, nous aus habitans des parroisses et villes d'Angus, de Gisencourt et de Velly, ses hostes et subgiez, avons quitté et remis... tout ce à quoy il sont assis, giettez ou imposez pour la cause dessus dicte... (Mand. Ch. V, D., 1364-1380, 154).

 

.

Part. passé en empl. subst. "Celui qui est soumis au paiement (d'une redevance)" : ...audit jour, la moitié d'une geline et de ung quartel aveine, que ung chascun desdis jettez et imposez a ladite taille doient paier (Trés. Reth. L., t.3, 1449, 297).

II. -

[Avec un complément locatif indiquant une direction] "Faire aller dans une direction donnée"

A. -

Jeter qqn ou qqc. "Pousser vivement qqn ou qqc."

 

1.

Jeter qqn

 

a)

"Pousser vivement qqn qq. part" : Tant en occist [la mort] et devoura, Que tous les jours a grans monciaus Trouvoit on dames, jouvenciaus, Juenes, viels et de toutes guises, Gisans mors parmi les eglises ; Et les gettoit on en grans fosses Tous ensamble, et tous mors de boces, Car on trouvoit les cimatieres Si pleinnes de corps et de bieres Qu'il couvint faire des nouvelles. (MACH., J. R. Nav., 1349, 150). Mais se j'amoie une chetive, On me devroit dessus la rive Jetter en une yaue parfonde, Ou esserveler d'une fonde (MACH., Voir, 1364, 324). ...saint Jehan le Paulu, hermite, qui par temptacion d'ennemi occist la fille d'un roy et la jetta en un puiz (Mir. st J. Paulu, c.1372, 91). Mais miex vorroit estre à Romme Ou outre mer en essil Ou getés dedens la Somme, En flun Jourdain ou en Nil Que croire riens que predomme Ne puist croire sans peril (MACH., Lays, 1377, 410). Mon avoir en l'escrin boutay Et puis en la mer le jettay Afin que par toy fust conduit, Biaux sires Diex... (Mir. march. juif, c.1377, 215). ...et que pour ce que icelui homme se mist à deffence, le despouillierent tout nu, nonobstant qu'il criast bien hault, et, en après se, par l'un de leursdiz compaignons fu jetté en la riviere de Saine et noyé. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 374). ...en laquele sa chambre ycellui Baudet se efforça moult de congnoistre elle qui parle charnelment, la jetta en la ruelle de son lit où ilz furent eulz deux bien le quart d'une heure (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 511). Le maleureux pere avalerent En une orde fosse et gicterent (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 295). Il n'ala gueres loing, car assez près de son pacient, sur une couche jecta sa dame (C.N.N., c.1456-1467, 505). De son jeune acge, sire, Souvent le diable l'a gité Au feu et en l'eau mené. [Réf. à Marc 9, 22] (Pass. Auv., 1477, 162). ...et aussi l'afaire des Juifz causée par le miracle qui advint de l'enfant juif, gecté par son pere ou four ardent pour ce qu'il avoit esté recevoir le corps Nostre Seigneur avecque autres enfans chrestiens (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 97 r°).

 

-

[En contexte métaph.] : ...et digne d'estre bannie de toutes gens de bien et puis gectee ou tresgrant et puant abisme du pechié de ingratitude en ame et en corps (LA SALE, J.S., 1456, 29).

 

-

Jeter à / par / contre terre : En celle heure, songat l'empereur Charlez qu'il estoit en une place, avec luy Nalme, Ogier, Charlot et pluiseurs aultrez, s'avoient trovei[z] une grande bisse et l'avoient prise, quant III lupars ont getté Charlot a terre, Charlez et Nalmon navreit (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 44).

 

.

Jeter mort à terre : Mais tantost qu'elle [une tres orrible beste de merveilleuse grandeur] perceut l'ost elle ferit dedeans comme une chose dervee, et la fit ung tel esparpillement d'ommes d'armes abbatus dont lez uns avoent lez jambes brisees, lez aultres les bras, lez aultres le col, et lez aultres elle gectoet mors par terre. (WAUQUELIN, Conq. faits Alexandre, c.1448. In : Chrestom. R., 108).

 

.

[En contexte métaph.] : Orgueil y entre a tout la massue de presumpcion, lieve l'ame en hault, puis la fiert ou front, et gette contre terre. (GERS., Purif., 1396-1397, 65).

 

-

Jeter jus. "Abattre, renverser" : Ha ! Fortune, conme tu m'as A ce cop du hault de ta roe Jetté jus et mis en la boe ! (Mir. march. juif, c.1377, 189).

 

-

[D'une force naturelle] : On n'osoit aler ne venir, N'on ne se pooit soubstenir, Car si horriblement venta Que li vens mainte fois jetta Pluiseurs gens plus loing, par saint Pierre, De .C. pas ou d'un jet de pierre. (MACH., Voir, 1364, 608). Car tant a fait tempeste en mer Que nostre nef rompy en deux. Ne say conment eschapay d'eulx ; Mais la mer icy m'a jetté (Mir. emper. Romme, 1369, 287). Car souvent la mer par mainte onde Jouoit de moy conme a la bonde Et me jettoit puis ça, puis la (Mir. fille roy Hongrie, c.1371, 81).

 

-

Estre jeté souvin. "Être abattu, renversé" : ...Et la failli l'enchantement Qui vint de son dous chantement [d'Orphée], N'onques puis chanson ne chanta, Bois ne rivieres n'enchanta, Einsois le poette divin Fu la mors et gettez souvin. (MACH., C. ami, 1357, 92).

 

-

Empl. pronom. Se jeter. "Se précipiter"

 

.

Se jeter en qqc. / dedans : Pour ce dist il que cellui seroit eureux, qui se adventureroit gecter dedans pour apaiser et sauver tant de popullaire, lors Marcus Curtius, tout armé et monté à cheval se gecta dedans, comme dessus est dit et fut la plage cessée et la terre reclose. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 51 v°).

 

.

[En contexte métaph.] : Aussi faut il que je pas ne m'estrange De Bon Espoir, ne que face l'estrange A Dous Penser, qu'a estre de leur range Faut que je tende. Car vraiement, qui d'euls deus se desrange, S'il aimme fort, il se gette en la fange, Et s'en doit bien cils qui les mue ou change Paier l'amende. (MACH., F. am., c.1361, 175).

 

.

Se jeter à bas : HANNEQUIN LE HASARDEUR. (...) A tous les deables me commande. (Il se gecte a bas et demeure pendu.) (LA VIGNE, S.M., 1496, 387).

 

.

Se jeter à terre : Et quant les VI aultres le oyrent, ja fussent ilz de puissance pareille a Dairès, toutteffoiz descendirent ilz tantost de leurs chevaulz et se getterent a terre, selon la maniere des Persans, et le saluerent comme roy. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 30).

 

.

Se jeter à genoux : ...[il] fist semblant de tirer sa dague. Adoncques la pouvrette se jecta a genoux et s'escrya a haulte voix (C.N.N., c.1456-1467, 374).

 

.

Se jeter aux pieds de qqn (en signe d'humilité, d'imploration ou de respect) : Sire, qui secoru m'avez, A voz piez me doy bien jetter. (Mir. marq. Gaudine, 1350, 169). Leur roy au piez jaicter se voult Du consule (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 246). ...la bonne pucelle se gecta aux piez du ribaulx, en luy faisant pluseurs piteuses remonstrances (C.N.N., c.1456-1467, 552). ...et arrive la Pucelle devant le Roy, laquelle se gette a ses piez et les baise (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 507).

 

b)

Au fig. Jeter qqn (dans un sentiment, une situation). "Plonger qqn dans" : Concluons que [c]e traitre flateur ne nous gette en excommeniement, affin que nous, en saluant Nostre Dame, soions d'elle resaluez (GERS., Annonc., a.1400, 236). Et puez delivrer et tirer hors, moy, ceste povre chartriere, moy, ta povre mere jadis, qui a present est mise et gettee toute en affliction. (GERS., Déf., 1400, 227).

 

-

Empl. pronom. Se jeter. "Se précipiter" : Aucuns homs sara que sa fame Se gettera en un diffame Par sa folie et son outrage, Dont elle ara honte et damage, Ou d'un amant sa bien amée Qui porra estre diffamée Par la maniere devant dite Que j'ay en sousposant descrite. (MACH., D. Aler., a.1349, 388). En monde n'a si belle dame Que, s'elle se jette en diffame Tant qu'en perde sa renommee Par son deffaut, que mains amee N'en soit et souvent mains prisie, Et que on ne la hee et maudie L'eure et le jour qu'elle fu nee, Quant elle s'est ainsi portee (MACH., Voir, 1364, 322).

 

.

Se jeter à. "Se diriger, tendre vers" : Lui loër en bonne maniere, Par ce conferma joie entiere. Si m'en alay seürement Celle part, et plus liement, Ou li alerions estoit A qui mes cuers tous se getoit. Je vins la, si fui bien venus, De ceaus prisiez et chier tenus Qui ce gentil lieu frequentoient Ou quel mes pensées estoient. (MACH., D. Aler., a.1349, 309).

 

2.

Jeter qqc. "Faire tomber, abattre" : Fist deux ymages de cuyvre sur les montaignes de Ethna, qui gectent le feu, lesquelz, quant le vent qui jectoit la flame et challeur sur terre ventoit, ilz souffloient en longues bucines (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 70 v°). ...et la couverture de l'eglise Saint Perre en la plus grande partie, avecques les trabs furent tumbez et gectez par terre et en plusieurs lieux, villes et chasteaulx corruerent (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 106 r°).

 

-

Au fig. Jeter jus : Cette auctorité [de Zacarie] jette jus Ce que vous yci debatez Et de ce point vous rent matez. (Mir. st Sev., 1362, 229).

B. -

[L'obj. dir. désigne une partie du corps du sujet ou l'action réalisée avec une partie du corps]

 

1.

[L'obj. dir. désigne une partie du corps du sujet] "Mouvoir (une partie de son corps) dans une direction"

 

-

Jeter la main qq. part. "Jeter, poser sa main sur, saisir vivement" : Et quant la belle m'aprocha De pres, par mon nom me hucha Et jetta sa main a ma bride, Dont j'os grant paour et grant hide, Car elle dist : "Vous estes pris Et vous menrai en mon pourpris." (MACH., Voir, 1364, 376). Il vint après jecter la main sur son gros derriere (C.N.N., c.1456-1467, 321).

 

-

Jeter ses gris sur qqn : Se sur vous je gette mes gris ["griffes"], Vous dirés une pie. (Obstin. femmes T., c.1480-1500, 50).

 

-

[D'un faucon] Jeter le pied à qqn. "Griffer qqn, serrer la main de qqn trop fort avec les doigts" ( (Éd.)) : Le vallet a le faucon pris, Et son maistre si li a mis Ges et clochetes, mais le pié Li gete si que l'a blecié. (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 97).

 

-

Au fig. Jeter son coeur à faire qqc. : Ma dame, a genoulz nous mettons : A Dieu prier noz cuers jettons Devotement. (Mir. fille roy, c.1379, 52).

 

2.

[L'obj. dir. désigne l'action réalisée avec une partie du corps]

 

a)

"Faire (une action, un geste) dirigé qq. part, adressé à qqn"

 

-

Jeter son / un regard à / sur qqn : A la feste et au caroler Puelent parler tout a leur aise Ceuls qui aiment, par saint Nichaise, Ou faire signes qui le valent A celles qui dancent et balent. Ilz leur gettent de doulz resgars (DESCH., M.M., c.1385-1403, 134). ...elle se mectroit au perron, parée le plus gentement qu'elle pourroit, affin que au passer, quand il jecteroit son regard sur sa beaulté, il la convoitast (C.N.N., c.1456-1467, 570).

 

.

Jeter sa vue qq. part : Ce fait, elle regarda et voit a coup que au destre lez de l'autel pendoit ung escu doré sans autre enseigne. Puis jecta sa veue a l'autre lez et y vey l'escu du mauvais roy de Norwegue (Percef. III, R., t.2, c.1450 [c.1340], 251). ...il marchoit si gracieusement qu'il ne jectoit sa veue ne ça ne la. (C.N.N., c.1456-1467, 570).

 

.

P. méton. Jeter l'oeil / ses yeux à qqn / qq. part : L'AMANT. (...) Vezla la ou elle [ma dame] ses yex M'a jetté. Je vois celle part. (Mir. Theod., 1357, 76). Il couroit amont et aval, Si geta l'eul a son cheval, Qui s'en fuioit droit a la ville (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 186). A ceste parole s'est [s]'est eslevé ung bruit et murmur entre les Vertuz, et en parlant les unes aux autres et [et] approuvent l'oroison de Prudence, gectoient de costé leurs yeulz envers Justice qui bien vaincue estre sembloit. (GERS., Concept., 1401, 404). Tantdiz que ce bon laboureur gettoit ses yeulx de tous costez après son veau, veez cy nostre homme et sa femme qui se boutent ou boys (C.N.N., c.1456-1467, 88). ...la seur de nostre gentilhomme, qui oyoit ce propos, jectoit l'oeil souvent et menu sur ce bergier (C.N.N., c.1456-1467, 358).

 

-

Jeter un ris à qqn : Et la mere acolloit son doulz anffan tousdis, Et li vait baisant et la bouche et le vis, Et de foid a aultre li getait maint de ris (Lion Bourges K.P.F., c.1350, 631).

 

-

Jeter un coup (d'estoc / d'escremie...) contre qqn : ...il, de ladite demie-lance, jetta un coup contre ycellui Criquetot d'estoc, et l'eust feru, se ce n'eust esté ledit Gieffroy Olivier, qui print et empoingna ycelle lance. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 417).

 

.

[Compl. de destination sous-entendu] : L'ung requiert l'aultre de tailhe et d'estocque, et d'esquermerie ont mains coupz geteit. (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 195). [Dernière attestation de cet emploi (Éd.)]

 

.

[P. ellipse de l'obj. dir.] Jeter à qqn. "Donner un coup à qqn" : "Par le Dieu qui fut le sien sanc espandut en l'arbre de la crois, se ne fussiés mon oncle, a mon acher[in] brant avroy le poing qui me getat !" (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 180).

 

b)

Au fig.

 

-

Jeter son los de + inf. V. los

 

-

Jeter son avis que. "Décider de faire qqc." : Et orent ce premier jour et le second assés bon vent, et avoient jetté lor avis signeurs et maronniers que par la grasce de Dieu, il iroient prendre terre au port a Orvelle, en la marce de Exsesses. (FROISS., Chron. D., p.1400, 72).

 

-

Jeter sa visée à ce que

 

.

"Considérer, estimer que" : Bien sçavoient chil qui congnisoient le roiaulme d'Engleterre, que li jones rois Edouwars avoit une jone soer a marier. Si regarderent et jetterent lor visee a ce que, se lors sires li rois Davids pooit avoir a fenme et espeuse la serour le roi d'Engleterre, par ceste aliance ou temps avenir, il en deveroient mieuls valoir, et que paix raisonnable en poroit bien venir, au pourfit de l'un roiaulme et de l'autre, car la guerre avoit trop longement duré. (FROISS., Chron. D., p.1400, 171).

 

.

"Décider que" : Or monterent grandes murmurations parmi la conté de Flandres, qant les nouvelles s'espardirent que Jaquemés d' Artevelle avoit jeté sa visee a ce que li princes de Gales seroit sires de Flandres, et que on en feroit une ducee. (FROISS., Chron. D., p.1400, 636).

 

c)

P. ext. [Sans compl. marquant la destination] Jeter sauts. "Exécuter (un mouvement) de façon vive" : Clochettes d'or, d'argent, fines cymballes, Larges plumaulx blancs, noirs, rouges, pers, vers, De grant richesse avoit plus de dix balles Dessus coursiers, sur genetz entr'ouvers, Qui les grans saulx de tort et de travers Sur le pavé par grant despit gettoyent (LA VIGNE, V.N., p.1495, 218).

III. -

"Faire sortir qqc. ou qqn de qqc."

A. -

[Avec un compl. locatif marquant l'origine : de qqc. / hors de qqc. / dehors...]

 

1.

"Faire sortir qqn ou qqc. d'un lieu"

 

a)

[L'obj. désigne un inanimé] : ... faire es murs dou dit parc deux portes neuves en divers lieux, pour giter et charroyer hors le bois de la vente que l'an y a faite de nouvel (Comté Champ. Brie L., t.3, 1330-1372, 311). Et, quant le pastour vit la blesseure, d'une aguille subtillement luy tira l'espine hors de son pié et en gecta la pourriture et luy oignyt sa playe. (MACHO, Esope R., c.1480, 111).

 

-

P. métaph. Jeter l'ame du corps. "Tuer" : ...et pour ce que le dit Aymery s'en apperceut et qu'il vit le dit prestre repairer et converser avecques sa dicte femme, il dist au dit prestre que, s'il le trouvoit avec sa femme, il lui gecteroit l'arme du corps. (Doc. Poitou G., t.7, 1404, 44).

 

b)

[L'obj. désigne un animé] : "Alixandre est si fort cité Et si poissant, qu'en verité Tous li mondes ne la penroit. Li amiraus en geteroit Cinq cent mil hommes en une heure (...)" (MACH., P. Alex., p.1369, 65).

 

-

Empl. pronom.

 

.

Se jeter hors / puer du monde : ...sachiez qu'après m'iray rendre En un hermitage et bouter Pour moy hors du monde jetter (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 288). Amis, et je me jette puer Par ce change de tout le monde, Car je ne voy qu'il y habonde Fors que vanité et malice (Mir. st Alexis, 1382, 321).

 

.

[Le suj. désigne un oiseau de proie] Se jeter hors. "S'écarter de la voie, aller en direction d'une autre proie" : Plus [le gerfaut] ne se pooit abaissier : Cis poins ci plus me desplaisoit Que le remenant ne faisoit, Et tout pour cause de despit, Qu'avis m'estoit que sans respit Devoit bien estre despitez, Quant einsi s'estoit hors getez. (MACH., D. Aler., a.1349, 387).

 

2.

En partic. Jeter qqn

 

a)

[L'action se fait au détriment de l'être que désigne l'obj. dir.] "Chasser qqn d'un lieu, l'en expulser" : De la main dont je vous jettay, Sire, hors de vostre eveschié (...) Pour faire satisfacion, Vous en met en possession En nom d'amende. (Mir. st Guill., c.1347, 21). "Ha ! dist le Cappitaine, j'ayme mieulx qu'ils s'en voissent que, par faulte de gouvernement, ilz nous jettassent hors de la ville honteusement." (BUEIL, I, 1461-1466, 91). Cestui Clovis (...) ayma moult la science des estoilles et s'en sceut bien servir contre les Saxons et contre les Gotz, lesquelz il gecta de son royaume (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 97 v°).

 

-

P. métaph. : Visitez les maladifz corps, Mundez lepres, suscitez mors, Gectez deables des creatures (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 160). De nous racheter avoit [Jésus-Christ] grant cure : Maintes dyables des corps gecta, Et maintes ladre resuscita. (Pass. Autun Biard F., 1470-1471, 67).

 

b)

[L'action se fait au bénéfice de l'être que désigne l'obj. dir.] "Délivrer" : "Il n'est plus de dieu vraiement Que le Daniel seulement Qui l'a geté sain et en vie Dou lac ou mis fu par envie." (MACH., C. ami, 1357, 44). Lors respondi Dieu a David et dit, "Je suis ton Seigneur et ton Dieu qui te geteray de la prison d'Egipte. Euvre ta bouche et je l'empliray. Demande ce que tu veus et je le te donray." (MÉZIÈRES, Vertu sacr. mar. W., c.1384-1389, 148).

 

-

[En contexte métaph.] : Tenus me sui longuement de chanter, Mais orendroit ay loyal occoison D'estre envoisiés et de joie mener, Car mes cuers est gietés hors de prison Où il fut mis doucement. (MACH., L. dames, 1377, 50).

 

-

[En contexte religieux] : Car Dieus y fu crucefiez Pour nous tous et martyriez, Qui nasqui de sa Vierge mere, Par le comandement dou pere, Et d'enfer tous nous racheta, Et ses bons amis en geta. (MACH., P. Alex., p.1369, 14). Le bel, le bon, le sage, Qui Fils de Dieu le Pere estoit, Qui consentoit Et qui voloit Que fourme et char humeinne aroit Et qu'il morroit Et getteroit D'enfer l'umein lignage. (MACH., Lays, 1377, 409). O tres parfonde Deité (...) vueilles moy oster et jaicter hors (et deffendre que je n'y renchiee) du tres maudit, escommenié, et de toy haÿ pechié d'orgueil (CHR. PIZ., Psaumes allég. R., 1409, 106). Freres, alons accompaignher Juc aux limbes l'ame Jhesus, Qui va les peres visiter Pour les gecter du lieu confus. (Pass. Auv., 1477, 225).

 

.

[Sans compl. prép.] "Délivrer, sauver" : Par vraie humilité Nous ha tous respité, Quant en toy, douce rose, Prist nostre humanité Li Fils par amité. Ce nous ha tous getté, Dont Sathans ne repose. (MACH., Lays, 1377, 409).

 

-

[Le compl. prép. évoque un doute] : Toutesvoiz une chose il reste, laquelle me refaiblit et diminue la felicité de celle dillection parfaite, ce la main de ta bonté ne m'en gecte certainement. (CRAP., Cur Deus, De arrha B.H., c.1450-1460, 266).

 

-

[Le compl. prép. désigne une situation difficile] "Soustraire qqn à qqc." : ...A qui il vint en voulenté (...) De faire ce veu a saint Pierre A celle fin que de peril De mort le jettast. (Mir. pape, 1346, 358). Helas ! en ce parti En lit de mort sui à desconfiture, Se Dieus et vous ne me prenez en cure. Mais certeins sui qu'en vous de bien a tant Que dou peril, où je sui sans attente, Me geterez, se de cuer en plourant Priez à Dieu qu'à moy garir s'assente. (MACH., L. dames, 1377, 206). Si ne voy pas que noz contentions ou noz parolles semees en appert ou en secret des ungs contre les autres nous puissent gecter de ce dangereux pas, ains fault tirer au collier et prendre aux dens le frain vertueusement (CHART., Q. inv., 1422, 44). De servacge [Jésus] nous vient gecter Et degiter. Tantost serons en liberté (Pass. Auv., 1477, 132). Et par venture il guaignhera Et de debat nous gectera. (Pass. Auv., 1477, 205).

 

.

Au passif : ...vous aveiz tueit Ogier, Rollant et Olivier et les plus grans de leur linaige, que vous aveiz fait oultre convent, dont je suys getteit de grant mal. (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 204).

 

.

Empl. pronom. réfl. : Ne fait il donc bon avoir femme Et espouser ? Certes, oil : On s'en gette de maint peril, De pechié, de courroux, d'ordure ; Belle vie est, quant elle dure, Et que chascuns doit moult amer : Pour ce ne le doit nul blamer. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 330).

 

-

Se jeter de blasme : Lors pour elle jetter de blame, Fuit en sa chambre d'un escueil Et se couche la larme a l'ueil, Pour plus son mary assoter. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 121). Et pour ce que nous vous cuidons tel que bien vous savrez excuser et deffendre de ceste charge quant vous en serez adverti, nous vous envoions le double, esperans que vous mectrez peine a vous geter hors de ce blasme a voustre honneur et a l'esjouissement de ceulx qui plus volentiers verroient voustre los croistre que amendrir. (Lettres Chart., 1425, 360).

 

-

[Le compl. prép. désigne un état, une disposition d'esprit] "Faire cesser d'être (dans un état, une disposition d'esprit)" : Or parlez a li, belle fille, Car vous estes assez soutille, Et si estes sage et discrete, Bele, douce, simple et secrete, Et s'a en vous assez confort Pour li geter de desconfort, Qu'o le scens avez le pooir. (MACH., F. am., c.1361, 221). Mais premiers parla de Venus A cui il estoit tant tenus Que toute sa vie honnourer, Servir, amer et aourer La voloit come sa deesse Qui l'avoit getté de tristesse, Donné joië et aligence, Bon confort et vraie esperence D'avoir la joie qu'il atent, Ou de bien et de joie a tant Que l'esperence de l'avoir Vaut mieus que de Juno l'avoir. (MACH., F. am., c.1361, 233). La fait .IX. jours ma demeure hai ; Et ainsi com je y demourai, Ma dame ne s'oublia mie, Ains mist sus une chevauchie De dames et de damoiselles Cointes, gentes, juenes et belles Pour moi vëoir et viseter Et de mancolie jetter. (MACH., Voir, 1364, 262). Homs doit par dehors ordonner, Femme doit dedenz gouverner : Elle est si doulce en sa parole, Son mari sert, baise et acole, Et fait, quant il est a martire, Qu'elle le puisse getter d'ire. S'il a griefté, celle le garde, Et piteusement le resgarde, Et mainte foiz par sa douçour Le retrait de mortel langour (DESCH., M.M., c.1385-1403, 11). ...et son pere, pour la de son duel gecter, ly parla d'un autre nouvel mary. (LA SALE, J.S., 1456, 5). ...car Luy qui tenu m'a longuement en ceste estroite povreté et mérencolie, a bien pouvoir de m'en jetter dehors, quant à sa bonté samblera que je le vaille. (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 249).

 

.

Empl. pronom. réfl. Se jeter (hors) de. "Sortir d'(un état fâcheux)" : Lors un autre propos fourmay Le quel dedens mon cuer fermay. Par celi me gettay hors d'ire (MACH., D. Aler., a.1349, 260). Amis, je te vieng conforter Et joie et solas aporter Et de ces tenebres oster Ou je te voy ; Et aussi te vien j'enorter Que tu te vueilles deporter De faire dueil et toy getter De cest anoy. (MACH., F. am., c.1361, 222).

B. -

[Le compl. d'obj. dir. désigne le lieu d'où l'on enlève qqc. (rare)] Jeter un vivier. "Enlever les ordures de, curer" : ...quattre overir qui ont getter par II jornée le tour de gran vivir (Terre Jauche D., 1486-1487, 244).

IV. -

[L'objet émane du sujet] Jeter qqc.

A. -

[L'obj. désigne qqc. qui est initialement à l'intérieur du suj. ou qui est conçu comme tel]

 

1.

[L'obj. désigne un liquide ou une matière quelconque] "Laisser sortir de soi"

 

a)

[D'une chose concr.] : Et en sa destre main tenoit Un dart qui bien estoit ferré De fer tranchant et aceré ; Et en l'autre avoit un brandon De feu qui getoit grant randon (MACH., D. verg., a.1340, 19). En milieu [de la fontaine] estoit atachiez Uns serpens d'or a douze chiés Qui par engiens et par conduis Estoient ad ce faire duis Que la fonteinne sans sejour Gettoient de nuit et de jour. (MACH., F. am., c.1361, 191). Une fontainne y sourt, selonc l'Escripture, mais ilz ne la veirent mie, qui jecte IIII flus (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 174). A Gillet Duglen, pour avoir remachonné la voulte de la dicte fosse et pour avoir remuré le mur par ou passent les tuiaulx qui getent les eaues (Comptes Archev. Rouen J., 1440-1441, 229). Desquelles ysles celle(s) de Estrongol art jour et nuit sans cesser ; dont, pour la clarté du jour, les flambes ne se puent veoir, mais gette les grandes et merveilleuses flambes de fumees rouge(s), noire, verde, janne et de diverses coulleurs, qui semblent monter jusques au ciel. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 142). Fist ung tonnel qui gectoit vin sans cesser, qui garissoit hommes et femmes qui en beuvoient, de toutes langueurs. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 70 v°). ...et, vers Transtiberin, la terre se rumpit et gecta huille tout le jour. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 71 r°).

 

-

[D'un volcan] : Semblablement mist icelui Virgille sur une haulte roche, en la mer, oudit confin de Naples, deux grandes ymages de cuivre tenant bucines, lesquelles ou mois de may rebouterent par leur soufflement la cendre et poulciere ardente que gectoit icelui mont (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 69 v°). Fist deux ymages de cuyvre sur les montaignes de Ethna, qui gectent le feu (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 70 v°).

 

-

Empl. abs. [D'un contenant] "Déborder" : Item, pour faire es vendenges ung vin fort, n'emple pas la queue que il s'en faille deux sextiers de vin, et frote tout entour le bondonnail, et lors il ne pourra gecter et sera plus fort. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 134).

 

-

[En contexte métaph.] : Ils [les pecheurs et les mauvais] sont bien des fumees sans feu, c'est a entendre que sont maintes faulses langues desliees de flacteurs a gecter les fumees sans feu, c'est a dire porter et rapporter faulses et mauvaises renommees a hommes et a femmes sans cause et contre raison, mais elles ne peuent porter le feu, c'est la veritable preuve, dont ilz en demeurent de ame, de honneur et maintes foiz du corps perdus et dampnez et sont par darriere villenez et moquez. (LA SALE, J.S., 1456, 308).

 

b)

[D'un animé] : Et combien que ledit Alouf eust gecté grant quantité de sang pour le coup de ladicte pierre, toutesvoies il n'en fist pas grant compte pour lors. (Chancell. Henri VI, L., t.1, 1426, 403). Helas, ton cas est bien a plaindre Quant ton corps en parties toutes Gette sueur a grosses gouttes ! (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 324).

 

-

Jeter son haleine : ...lesquels dragons et serpens avoent crestes sur leur testes tranchans comme rasouers, et s'en venoent sifflant terriblement et tellement gectoent leur aloine qui si tres puante estoit que a poinez le pouvoent supporter ceulx de l'ost. (WAUQUELIN, Conq. faits Alexandre, c.1448. In : Chrestom. R., 107).

 

-

Jeter / jeter hors / jeter arrière. "Rejeter, vomir" : Aussi ont chienz autre maladie qui leur vient en la gorge, et aussi fet il aux hommes, qui ne les leisse transgloutir ce qu'ilz menjuent, ainz convient qu'ilz le getent arriere. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 120). Nauzee, c'est volenté de vomir sans riens getter hors pour humeurs qui sont invisquees es villis de l'estomac (GORDON, Prat., c.1450-1500, V, 9). Et, ung peu aprés, mist les doiz en sa bouche et jecta seulement d'eaue, car icelluy jour n'avoit gousté que icelle eaue (MACHO, Esope R., c.1480, 5).

 

.

Empl. abs. : ...ou estre trop saoul, avec vouloir de vomir sans getter, et est appellee telle maladie sacietas nauseativa, saouleur nauseative (SAINT-GILLE, Comment. A.Y. L., 1362-1365, 110).

 

.

[En contexte métaph.] "Rejeter, repousser, ne pas admettre" : Si dois gecter hors toutes ordures de pechié, la poudre d'avarice, les araines d'ire et d'envie, la boe, la fiente de luxure, pour recevoir cest hoste duquel chante l'Esglise : Dulcis hospes anime : c'est le doulx hoste de l'ame et sa consolacion. (GERS., Pent., p.1389, 73). Ceulz doncquez laissent morir leur ame de fain tres perilleuse, (...) qui ce pain et ceste viande espirituelle li denient, qui ne veulent oÿr bonnes amonicions ; ou se ilz les oÿent, tantost les gettent et vomissent hors (GERS., Purif., 1396-1397, 59).

 

-

[D'un animal (cerf ou autre animal sauvage)] Jeter ses fumées / ses laisses. "Laisser ses excréments" : Et, quant ilz [les cerfs] getent leurs fumees par plateaux, c'est en avril ou en may jusques a mi jung, ou ilz ont viandé blez tendres ou herbes tendres, quar encore n'ont ilz leurs fumees fourmees, aussi n'ont pas refaite leur gresse, mais j'ay bien veü assez de fois grant cerf et viell et gras et en droit cuer de saison geter ses fumees en tourche, et pour ce et pour autres choses y peut on bien estre engignhé (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 62). Ilz [les sangliers] getent leurs lesses comme les autres porcs et selon leurs menjues ou molles ou dures (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 91).

 

-

[D'une chienne] Jeter ses chiots. "Avorter" : Aucuns les font alignier ou se une lisse est aligniee qui ne soit de garde et hon ne veult nourrir les chiaux, il ne li faut que fere jeuner la lisse un jour naturel et puis donner li meslee avec gresse le jus d'une herbe qui a nom titimal, que les apoticaires cognoissent bien, quar elle getera ses cheaux. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 112).

 

c)

[D'une pers.]

 

-

Jeter larme(s) / pleurs : Et quant ils estoient au preau assemblé, dont pour le tres brief partement estoient mains durs soupirs et maintes larmes gectees. (LA SALE, J.S., 1456, 95). Jamais pour duel ne pour regret que j'eusse, vouldroie que ne peusse lerme gecter, si non quant je voy les autres plorer. (LA SALE, J.S., 1456, 98). ...elle ne scet sa contenance que de gecter larmes a grande abundance (C.N.N., c.1456-1467, 45). Dure dureté et passion dure ! Dures pleurs me convient getter. (Gens nouv. T., c.1461-1500, 340).

 

-

[En contexte métaph.] : Et tout ainsy comme le feu plus a de matiere, et plus s'espart et s'efforce, pareillement saint Pol embrasé tout de l'amour de Dieu enflammoit ceulz ausquelx il estoit joingt en tant que jusques au ciel il getta sa flamme sans ce que les eaues d'aversité la peussent estaindre : Aque multe etc... Mais plus cuidoit on estaindre ce feu, et plus fort s'alumoit. (GERS., P. Paul, a.1394, 511).

 

-

Au fig. : Seigneurs, a genoulz nous mettons Cy et noz pensées jettons A Jhesu filz du roy celestre (Mir. st Val., c.1367, 144).

 

2.

[L'obj. désigne un son ou une parole] "Laisser ou faire sortir de soi, émettre"

 

-

Jeter un / le ris : Esbahys suy pour quoy on donne Tel reprouche aux dolens maris : Se leur femme a jecté un ris Ou s'elle a un autre homme amé, Pour quoy en sont ilz diffamé, Moustré au doy, clamé de tous ? (DESCH., M.M., c.1385-1403, 23). Charlez l'entent, sy en at getéz le ris. (JEAN D'OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 69). [Dernière attestation (Éd.)]

 

-

Jeter un cri : Et quant ceulx l'entendent, si gettent tous ensemble un cry hault et grant (ARRAS, c.1392-1393, 183). ...la pouvre gentil femme a cest coup getta ung bien hault et dur cry (C.N.N., c.1456-1467, 198).

 

-

Jeter sa voix contre qqc : Tu as fait cri contre l'eslargissement des despenses et les legieretez et esbaudissemens des jounes nobles homes, mais tu n'as pas gecté ton obprobrieuse voix contre les desloiales effusions de sang humain qui ont froissié le lien de justice et ouvert le chemin de abhominacion. (CHART., Q. inv., 1422, 42).

 

-

Jeter un plaint / un soupir : Lors, comme homs qui souvent souspir, Gettay un plaint et un souspir De parfont cuer, acompaingniés De plours et en larmes baingniés, Et tournai vers li a grant peinne Ma chiere teinte, pale et pleinne De maniere desconfortée... (MACH., R. Fort., c.1341, 56). Et en moy tournant arrousay De larmes mon cuer et mes yeus Et ma poitrine en pluseurs lieus, En gettant un dolereus plaint Com cils qui moult se duet et plaint. (MACH., R. Fort., c.1341, 76). Mais de li pleins Fu, regretez et plourez longuement Par grans souspirs getez parfondement, Si que Juno y ouvra tellement Que pour ses plains En deus oisiaus mua leurs corps humains Qui sus la mer volettent soirs et mains. (MACH., F. am., c.1361, 167). MARIE. (...) Las, quant de la lance le viz ferus Et son cousté jusque au cueur fanduz, Las, quant je viz le sang decoulez De son chiefz d'espine coronez (...) Las, je gectisz sy grant sopit Qu'a peinne que le cueur ne m'an partit. (Pass. Autun Biard F., 1470-1471, 121).

 

-

Jeter complainte de qqn. "Formuler une plainte contre qqn" : Et se ce ne nous volez faire, Aux Romains nous volrons retraire, Et jetterons de vous complainte Disans que vo justice est faincte Et qu'avoir ne pouons raison. (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 150).

 

-

Jeter une sentence : Tel arrest et sentence, comme je [j]e croy devotement, getta le benoit Filz de Dieu. (GERS., Concept., 1401, 405).

 

.

Jeter une sentence sur qqn. "Prononcer, promulguer une sentence contre qqn" : Dont fu sur eulz getée la sentence du pappe et furent maudiz, se ilz ne s'amendoient (Chron. norm. 14e M., c.1369-1372, 48). ...et moult essillierent et dommaigerent le royaume de France, et tant que le pappe getta sur eulz sentence d'escomeniement moult cruelment. (Chron. norm. 14e M., c.1369-1372, 178). La femme aura tout ton harnoys Et n'auras vaillant une noys De son bien ne de sa chevance ; Puisque ta faulceté congnois, Je gecte sur toy la sentence. (LA VIGNE, S.M., 1496, 531).

 

-

Jeter goulée : ... ung tas d'afistoleurs Qui ont ouy le faict compter, Qui gecteront goulees plusieurs Et l'iront par tout esvanter. (COQUILL., Oeuvres F., 1478-p.1494, 232).

 

-

[Avec une complétive] Jeter à qqn que : Et pour plus emple mention Jouxte la matiere subgitte, Je te dy et au parsus gite Que mainct sont a mal parvenus Par glotonnie et par Venus. (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, 48).

B. -

"Répandre, produire et envoyer autour de soi"

 

-

[D'une rivière] Jeter grant onde. "Faire vivement tournoyer l'eau, remuer des tournants d'eau" ( (Éd.)) : La riviere fu lee, mez n'estoit pas parfonde, Mez radement couroit, souvent jetoit grant onde. (Vie st Eust. 1 P., c.1350-1400, 144).

 

-

[L'obj. désigne une odeur] : Lez son palais ot .j. vergier Plain d'aubres et plain de verdeur Qui gitoit mont tresbonne odeur. (Renart contref. R.L., t.2, 1328-1342, 233). Et qui le volt cognoistre sy le caufe al feu en frotant : se elle est vraye achate, elle gettera tres bonne odour. Sy est gemme entre toutes autres pierres. (MANDEVILLE, Lap. M., c.1350-1390, 177).

 

-

[L'obj. désigne la lumière] "Emettre (de la lumière)" : ...pierres precieuses, Qui trop y gectent grant clarté. (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 118). Et ou milieu de la chambre estoit une pierre entaillie en forme d'un faulcon, et avoit en son bec une chaïnete d'or qui pendoit bien jus ung espan, ou estoit estachié ung escharbocles qui gitoit de nuit si grant resplendeur qu'il sembloit que la chambre fust toute embrasee. (Chev. papegau H., c.1400-1500, 28).

 

.

Jeter (une lumière) qq. part : ...car les quatre escharbocles de la caige au papegaulx gitoient si grant resplendeur parmy le palais, que c'estoit merveille a veoir. (Chev. papegau H., c.1400-1500, 21). Cestui predist sur la commecte qui apparut ès kalendes d'octobre par XV jours, gectant ses crins vers orient les plus grans et les petiz vers midi. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 113 v°). Predist aussi de la commecte, qui apparut l'an mil IIIIcII, appellée Verru, laquelle gectoit ses rays et sa queue contremont, oultre son ordre acoustumée (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 148 r°).

C. -

[D'un végétal] "Produire, former naturellement" : ...racine n'est tant diverse Qui a ce printemps ne s'aërse A geter, selonc sa nature, Fleur, fruit, feuilles, greinne ou verdure (MACH., R. Fort., c.1341, 80). Et pevent prendre de leur coustume tout le boiz que une couldre ara getiée, excepté la metresse couldre. (HECTOR DE CHARTRES, Cout. R., 1398-1408, 335). ...c'est a dire que quant le soleil se retourne devers nous en printemps et que les arbres et les plantes en sentent l'influence et les raiz, ilz se commencent lors a resjoïr et a resvigourer et a getter leurs foeilles et leurs flours. (EVR. CONTY, Eschez amour. mor. G.-T.R., c.1400, 430).

 

-

[En contexte métaph.] : S'en ce printemps que les fueilles et fleurs Es arbreceaulx percent nouvellement, Amours vouloit moy faire ce secours, Que les branches qui font empeschement Il retrenchast du tout entierement Pour y anter un raimseau de plaisance, Il geteroit bourjons de souffisance ; Joye en ystroit, dont il n'est riens plus chier, Et ne fauldroit ja par desesperance Autre planter ne cellui arrachier. (CHART., R. Bal., c.1410-1425, 389).

 

-

Empl. abs.

 

.

"Pousser, croitre" : Qu'envis puet on deraciner Un grant arbre, sans demourer De la racine, Qu'on voit puis flourir et porter Et ses branches croistre et geter, En brief termine. Certes, einsi est il d'amer : Car quant uns cuers se vuet enter En amour fine, Envis puet s'amour oublier, Einsois adès, par ramembrer, A li s'encline. (MACH., L. plour, 1349, 284).

 

.

"Produire des bourgeons, des rameaux" : Quant les vignes getent, l'en doit crier que chascun cloe sa vigne et que nulz n'y mette beste ne que l'en y aille querre herbes (Cout. bourg. glosé P.M., c.1380-1400, 36).

 

.

[De la vendange] "Fermenter" : ...en cellui an fu tres bel aost et tres belles vendenges, et furent les vertjus hastifs, car aussitost qu'ilz estoient entonnez, ils commençoient à boullir ou à gieter pour mieulx dire (Journal bourgeois Paris T., 1430, 261).

 

.

[En contexte métaph.] : Hardiement donques conclus que, quant les tenebres d'erreur enforcent et se multiplient, verité se esvanoïst et, la racine de vertus trenchee, le champ de vices bourgonne et gete largement (FOUL., Policrat. B., I, 1372, 99).
 

DMF 2020 - MAJ 2020 Corinne Féron

Fermer la fenêtre