A. -

"Fabriquer, façonner, confectionner qqc."

1.

Empl. trans. : Car quant ses ouevres voit derompre, Elle [Nature] vuet aussi l'air corrumpre. Et quant li vent orent congié, Et Jupiter ot tout forgié, Foudres, tempestes et espars, Qui lors veïst de toutes pars Espartir mervilleusement Et tonner trés horriblement, Venter, gresler, et fort plouvoir, Les nues, la mer esmouvoir, Bois trambler, rivieres courir (...) C'estoit chose trop mervilleuse, Trop doubtable et trop perilleuse ! (MACH., J. R. Nav., 1349, 147). Quer cele eschiele n'est mie De grans fus ne de gros forgie (Vie st Evroul S., c.1350, 50). Car des natures des choses, theologie en prend seulement pour son usance desquelles elle puist forgier ung mireoir, ouquel elle puist veoir son createur et facteur. (Somme abr., c.1477-1481, 98). Lequel doyt mieulx estre aoré De celuy qui l'ouvraige faict Ou l'ouvrage que on a faict ? Je le dys pour tes dieux villains, Qui sont faitz par engins humains. Iceluy qui les a forgez Deveroit mieulx estre aorez Que tes dieux, car il est plus saige, En tant que il a faict l'ymage (Myst. st Laur. S.W., 1499, 221). ...ce seroit vice De sacrifier dieux forgez Qui de mains d'humains sont taillez (Myst. st Laur. S.W., 1499, 221).

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[Dans un cont. métaph.] : Lesquelz maulx ainsi eschéuz Furent avant précognéuz Dedens le Ciel, qui est le livre Tous temps ouvert, cler et delivre, Duquel le très suserain Maistres Forga et si forma les letres, Par lesqueles, n'en songez mie, Tout bon Maistre d'Astronomie Peut sentir, lire et mastiquier, Et loyalment pronostiquier Les groz effectz (LA HAYE, P. peste, 1426, 29). Se tu veulx bien penser a toy congnoistre tu trouueras en toy grant tresor pour forger larche de sapience. (CIB., p.1451, 195). Mais plus en y a et tant mains vault. Il n'est que trop de cuideriez. Car les gallans ont industries De les sçavoir forger a mains. (Pipée R., c.1470-1480, 163).

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Prov. : Tout est forgié d'une matiere. (MIÉLOT, Prov. U., 1456, 199).

2.

Empl. abs. : Et du regne se revesti, Tant ot il forgé et basti (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 256). Et qui fargera ? (Pass. Auv., 1477, 178). [Le -a- de farger rappelle l'a. provençal fargar et l'a. fr.-provençal farger (cf. H. Stimm, Z. fr. Spr. Lit. 94, 1984, 195)]

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[Dans un cont. grivois] "Faire l'amour" : ...le mary entra le premier, et vit que monseigneur le curé tenoit sa femme entre ses braz et forgeoit ainsi qu'il povoit. (C.N.N., c.1456-1467, 494).

3.

Empl. pronom. [D'une chose] "Se former, se constituer" : Causes intrinseques ce sont indigestions, crues d'umeurs et crapule et foiblesse de vertu expulsive et quant ces choses s'acordent la pierre se forge. (GORDON, Prat., c.1450-1500, VI, 12).

B. -

En partic.

1.

"Travailler (un métal, un alliage) à chaud (en forgeron), façonner (un objet en métal, en partic. une arme)" : Apres il li copa la gorge D'un coustel de mauvaise forge, Que mal fust il onques forgiez ; Mieus fust, s'il en fust escorchiez, Quant onques pour roy si vaillant Murtrir, ot manche ne taillant. (MACH., P. Alex., p.1369, 270). Item, forgier armes, faire engins, descouvrir les ennemis, etc., tout est pour avoir victoire. (ORESME, E.A.C., c.1370, 117). Quant le jayant sent le coup, si lui escrie : Maudit soit le bras qui de tel vertu scet ferir. Et le fevre qui forga ceste petite alemelle soit pendu par la gorge, car oncques mais je n'euz sang trait par taillant, tant feust bons. (ARRAS, c.1392-1393, 264). A Phelippe Le Crane, fevre, pour avoir forgié et livré une nouvelle chayne pesant appendue et servant audit puis de pierre devant l'estable de monseigneur (Comptes Etat bourg. M.F., t.3, 1418-1420, 605). ...se tel, mon adversaire, avoit sur soy ou portoit armes forgees par malvais art (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 215). En la fournaise du feu d'enffer treschaulde Ou Vulcanus tous ses instrumens forge (LA VIGNE, S.M., 1496, 225).

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Empl. abs. "Travailler dans une forge" : ...la maniere comment se povoit faire, il ne le povoit ymaginer, si n'estoit que le curé viensist a l'heure qu'il forgeoit au plus fort avec son maistre. [Le compagnon d'un forgeron cherche à savoir comment la femme de son maître peut tromper son mari avec le prêtre] (C.N.N., c.1456-1467, 493).

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Prov. : ...en forgant on devient fevre. (Gil. Tras. W., c.1450, 6). En forgant l'omme devient fevre (MIÉLOT, Prov. U., 1456, 194).

2.

V. monnaie "Façonner, battre (des pièces de monnaie)" : Et se tu fais forgier monnoie, Pour Dieu, fai la tele qu'on oie Dire qu'elle est de bon aloy. Car je te jur, par saint Eloy, Qu'il n'est chose, grant ne petite, Dont personne soit tant maudite, Car chascuns la tient et manie, Si n'i a celui qui n'en die Sa maleïçon bas ou haut, Quant on y trueve aucun deffaut, Sus les signeurs, sus les facteurs, Sus les vallés, sus les acteurs. (MACH., C. ami, 1357, 136). Aprez, les trois estats establirent recheveurs pour lever et rechepvoir toutes maletotes, tonnelys, disiesmes et toutes aultres droittures appartenans au roy, et firent forgier monnoye de fin or que on appelloit moutons (LE BEL, Chron. V.D., t.2, 1358, 248). Car on a, ens es lieus des frans, Fait forgier florins tous nouviaus (FROISS., Past. M., c.1362-1394, 155). Marchander et forgier les besans sont prins en figure pour le bien faire, dire, et penser, ou pour le contrayre. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 106). Et savoit bien que il avoit les coings, car il lui aida à porter d'Arras à Terouane, et li en vit forgier. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 483). Et dist que d'iceulx coings ilz ouvrerent et forgerent l'espace de deux mois, et non plus, de ladite monnoye de VIIJ deniers par. la piece. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 491). ...ceulx qui forgent la monnoye D'or et d'argent de divers coings (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 137). ...et que la monnoie nouvellement faicte et forgée auroit cours pour IJ deniers et pour J denier tournois. (FAUQ., II, 1421-1430, 28). ...le roy leur fist de moult grans dons, comme de belles pieces d'or, que le roy fist forger, qui pesoient dix escuz d'or la piece (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 172). ...cinq mille livres tournois en escuz d'or de Roy, faiz et fourgez. (Entrées roy. G.L., 1476,,, 218). Cestui premier fist forger monnoye à Tharan (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 17 v°).

3.

"Façonner (un objet d'orfèvrerie)" : Et dit que ledit Jehan Jouye tailla les coings pour faire ladite monnoye, est assavoir : le coin de dessoubz sur une petite englume là où ilz forgoient hannaps d'argent, et celui de dessus en la teste d'un martel à orfevre. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 482).

C. -

Au fig.

1.

"Élaborer qqc." : Et si ot des musiciens Milleurs assez et plus sciens En la viez et nouvele forge Que Musique qui les chans forge, N'Orpheüs, qui si bien chanta Que tous ceaus d'enfer enchanta Par la douceur de son chanter, Devant eaus ne sceüst chanter. (MACH., R. Fort., c.1341, 147). J'ai vo besoigne tant forgie et maçonnée Que vous avrés briesment amie et bien amée. (Brun de la Mont. M., c.1350-1400, 133). Et me semble convénient Quoter icy, à escient, Le temps, o sa condition, Quand ceste compilation Fut ainsi forgée et faicte, Et des originaulx extraicte, Pour les choses forment diverses Courantes adonc et perverses (LA HAYE, P. peste, 1426, 168). ...fut enquis s'il y avoit veu les experiences contenues ès livres de Haly, de Guido Bonati et de Albumasar, respondit que oy et plus, et se esmerveilloit comme plusieurs autrement ne vacquoient à l'exercice de astrologie ; lors ung revestu de sermons forgez, appellé Quentin, dist : "Monseigneur, vous vous abusez". (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 164 r°).

2.

"Inventer, imaginer qqc." : ...fortune, qui tout embrace Et maint grant meschief forge et brace. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 139). Tout a part moy, en mon penser m'enclos, Et fais chasteaulz en Espaigne et en France ; Oultre lez montz forge mainte ordonnance, Chascun jour j'ay plus de mille propos (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 320). ...[Fortune] nous menace, advise, et forge et prepare encores plus grand destourbiers, si ne pourveons a l'encontre (C.N.N., c.1456-1467, 166). Et telz forgent ung Dieu par leurs signes et figures qu'ilz pourtraient selon leurs soties et controuvemens. (Somme abr., c.1477-1481, 105). ...et cuidons que ce soient choses forgées. (Lettres Ch. VIII, P., t.2, 1488, 246). Je vous envoie par escript ce qu'[il] m'a dit, qui se contrarye l'un à l'autre, et est langage tout forgé. (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 279).

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On le vous forge ! "On vous raconte des histoires [plutôt que "On vous le fabrique, le drap"] " : LE DRAPPIER. Je vous demande Pour six aulnes, bon gré saint George, De drap, damë. GUILLEMETTE. On le vous forge ! Et a qui l'avez vous baillé ? LE DRAPPIER. A luy mesmes. GUILLEMETTE. Il est bien taillé D'avoir drap ! (Path. D., c.1456-1469, 104).

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Empl. abs. Forger sur la teste / sur le dos de qqn. "Machiner derrière le dos de qqn, au détriment de qqn" : Car, par avanture, mainte fois, se lez prelas n'estoient es Conseulx dez Roys, aucuns lays dez conseilliers pourroient forgier sur le dos de l'Eglise. (Songe verg. S., t.1, 1378, 238). Car, s'il fault que une fois je forge Sur leurs testes et sur leurs dos, Pas ne seront bien a repos (Myst. Viel test. R., t.1, c.1450, 255).

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Forger de loin. "Aller chercher loin" : LE DRAPPIER. Pendu soye s'aultre l'a prins, Mon drap, par la sanglante gorge ! PATHELIN. Comment le meschant homme forge De loing pour fournir son libelle ! Il veult dire (est il bien rebelle !) Que son bergier avoit vendu La laine - je l'ay entendu - Dont fut fait le drap de ma robe... (Path. D., c.1456-1469, 160).

3.

Forger qqn. "Modeler qqn, l'influencer" : [Il n'y a pas assez de prisons pour isoler les prisonniers] où l'en puist mettre séparéement et diviséement les uns des autres, ou qu'ilz ne soient frigez [l. forgez ?] par les autres criminelz (Ordonn. rois Fr. S., t.8, 1398, 309). ...nostre bonne mere avoit (...) forgé le medicin qui estoit bien adverty de la response qu'il devoit faire. (C.N.N., c.1456-1467, 135). Sus, sus, destendez vostre vaine Socte en ce lieu icy logee, Jadis vous y fustes forgee Sote assotee soctement. (Feste roys, c.1475-1500, 308).

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[Personnification] : Il fauldroit faire l'arquemie, Qui vouldroit forger Fauceté Tant qu'elle devint Loyauté, Quant en malice est endurcie ! (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 389).

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Forger qqn à + inf. "Préparer qqn à faire qqc., persuader qqn de faire qqc." : ...il, Gilet Beze et Gilot Cotiex corrumpirent et forgierent à porter faus tesmoignage Jehan le Moustardier de Coustures (...) et pluseurs autres. (Conf. Jug. Parlem. Paris L.L., 1333, 91).