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Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)

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ESSOINE FEW XVII *sunni
ESSOIGNE, subst. fém.
[T-L : essoigne ; GD : essoine ; FEW XVII, 275a : *sunni]

A. -

"Empêchement, embarras, difficulté ; en partic. empêchement physique, blessure, mutilation"

 

1.

"Empêchement, embarras, difficulté" : Car il li sourdi une essoine Par quoy a moy ne pot venir (Mir. nonne, 1345, 332). De coi je fui tout le jour en grant merancolie, car je doubtoie que vous n'eüssiés eu aucun essoine. (MACH., Voir, 1364, 506). LA ROYNE. (...) Vous jurez (...) Que la journée ici serez Que combatre vous deverez Sanz nul deffaut ? AMILLE. (...) Je le vous jur en verité ; Mais que Dieu me tiengne en santé Et gart d'essoingne. (Mir. Amis, c.1365, 31). Mais qu'essoinne ne me destrie, G'y pense assez briément a estre (Mir. fille roy Hongrie, c.1371, 11). ...Et me offre pour abréger mon fait et pour mieulx monstrer ma bonne voulenté et souveraine diligence, d'estre par devant vostre juge à Calais, dedens deux mois après ce que je auray reçeue vostre response seellée du seel de voz armes, se Dieu me garde d'essoine. (Doc. 1400. In : MONSTRELET, Chron. D.-A., t.1, c.1425-1440, 25-26). Si s'enfoÿ en Macedoine, Pour eschever de mort l'essoyne. (CHR. PIZ., M.F., IV, 1400-1403, 30). ...povres gens ne dient et ne monstrent tousjours pas à un chascun ne a ses voisins leurs maladies et essoines (Chancell. Henri VI, L., t.2, 1427, 43). Et eust de rechief mandé et requis ausdiz parroissiens de Montignie son essoine et detencion où il estoit pour eulx a cause dudit appatissement (Chancell. Henri VI, L., t.2, 1427-1435, 88). Helas ! Helas ! tout le pouvoir D'enfer sailliés a cest exoine. (Myst. st Sébast. M., c.1450-1500, 148). Ou est la tres saige Esloÿs, Pour qui chastré fut et puis moyne Pierre Esbaillart a Saint Denys ? Pour son amour eust ceste essoyne. (VILLON, Test. M., 1461-1462, 44). ...et les acompaingneray et serviray de corps et de biens, se toutes voyes evident ensonne de maladie je n'avoie (Doc. 1454. In : ESCOUCHY, Chron. B., t.2, a.1465, 191). Ilz promisrent sur foy et honneur, s'ilz n'ont mortel exoine, qu'ilz se rendront au lieu au terme limité. (C.N.N., c.1456-1467, 242).

 

-

Essoine de feu. "Incendie" : Li Maires et les eschevins doivent savoir la garnison de la ville et faire mettre en escript le trait, la baniere au Maïeur, les crochets pour porter à essoine de feu, les garnisons des prisons (Chartes communes Bourg. G., t.1, 1370, 244).

 

-

[Faisant obstacle à la consommation du mariage lors de la nuit de noces] : S'essoine avez qu'il faille taire Et celer, je vous jur (...) Je vous garderay de diffame Et vous celeray (Mir. fille roy, c.1379, 94).

 

-

"Empêchement (d'une faculté)" : Elle d'autre part, voullant encercher lez causes de l'essoine d'entendement humain et de l'enfermeté du corps malade, print telles interrogations... (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 30).

 

-

Sans grant essoigne. "Sans qu'il y ait de difficulté importante" : ...et bien considerez, ce tieng je que l'omme qui est marié ne puet bonnement ne lecitement laissier sa femme sans grant essoine qui nulle rigle ne observe, tant pour luy tenir compaignie et payer le droit de mariage comme pour garder son peuple en justice et nourir en union. (Comte Artois S., c.1453-1467, 149).

 

-

Sans essoigne. "Sans difficulté ; d'où sans tarder" : Li rois riches dons li donna Et maistre et signeur l'ordonna Et fist de toutes les provinces Sus les sages et sus les princes De son païs de Babiloine. Adont Daniel sans essoine, Pour bien et par le gré dou roy, Pour gouverner de bon arroy Les provinces, y mist Sydrac Et Abdenago et Misac (MACH., C. ami, 1357, 18). Pour certein avons oy dire Que li Turquoys ont grant navire Pour aler devers Babyloinne. Montez en mer ; et, sans essoinne, Prenez gens hardis et seürs Et vous en alez sur les Turs. (MACH., P. Alex., p.1369, 120). Puiz si pren, et que tu t'avances, De ces quatres froides semences Nétoiées, et de l'oseille, En froit et sec herbe pareille, O la semence de citoine De tous égalment, sans exoine, Le poiz de vingt grains à devise. (LA HAYE, P. peste, 1426, 155).

 

-

Avoir malle essoigne

 

.

[Dans une imprécation] : Avec luy ay perdu ma paine. Qu'il puisse avoir la malle essoine ! (Pac. Job M., c.1448-1478, 224).

 

-

Estre en (l') essoigne. "Etre en difficulté, en fâcheuse posture" : Item, et j'adjoinctz a la crosse Celle de la rue Saint Anthoine Ou ung billart de quoy on crosse, Et tous les jours plain pot de Seine Aux pigons qui sont en l'essoyne Enserrés soubz trappe voliere, Mon miroüer bel et ydoyne Et la grace de la geolliere. (VILLON, Lais R.H., c.1456-1457, 25).

 

.

[À propos d'un animal] : Je parleray a maistre Jehan le despencier qui noz biens gouverne, afin que se aucun de noz chevaulx tant de charrue comme a chevauchier est en essoine, ou qu'il couviengne achecter ou eschanger, qu'il s'i congnoisse ung petit. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 137).

 

-

Faire venir male essoigne à qqn. "Créer des difficultés à qqn, le mettre dans une situation pénible" : SATAN. Ie men vueil aller en Lorraine Ou Martin est deuenu moyne Venir luy faire malle essoyne Ou ie tourmenteray labbaye Les autres moynes grand enuie Auront sur luy voire si ie puis Depuis que me suis entremis Ie lauray de croc ou de lance (Myst. st Martin K., a.1500, 263).

 

-

Mettre qqn en essoigne. "Créer des difficultés à qqn, le mettre dans une situation pénible" : Puis que je vous rempoigne, Par les dieux de Coulongne, Tantost serez deffaict. Mys serez en essongne, Qui qu'en parle ne hongne, Ort vil garçon infaict. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 232).

 

2.

"Empêchement physique, blessure, mutilation" : Ou est la tres saige Esloÿs, Pour qui chastré fut et puis moyne Pierre Esbaillart a Saint Denys ? Pour son amour eust ceste essoyne. Semblablement, ou est la royne Qui commanda que Buriden Fust gecté en ung sac en Saine ? Mais ou sont les neiges d'anten ? (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 44).

 

-

Essoigne du corps. "Blessure (considérée comme un empêchement majeur)" : Encores voullons et ordonnons que le vaincqueur honnourablement s'en parte a cheval par la fourme qu'il y est venu, se il n'a essoigne de son corps, portant le baston de quoy il aura desconffit son anemy en sa droicte main. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 223). ...je seray prest le tiers jour après ensuivant, (...) pourvu que je n'aye essoine de mon corps, telle que je ne puisse bonnement porter armes, ou autre excusation raisonnable (Faits Lalaing K., c.1470, 97).

 

-

Mettre qqn en essoigne de son corps. "Mettre qqn mal en point, blesser, mutiler qqn" : ...et pour ce que lesdiz enffans vouldrent empescher ledit feu Jehannin de deslyer lesdiz beufs, leur dist en maulgréant le nom de Dieu, que s'ilz se mettoient au devant de luy, qu'il les tueroit ou les mettroit en exoine de leurs corps (Doc. Poitou G., t.12, 1477, 181).

B. -

"Empêchement allégué, excuse, justification"

 

1.

"Empêchement que l'on invoque pour ne pas faire son devoir, excuse avancée" : Challes touz abaudiz ses genz a mont grant poinne Au moinne avecques soy, quar n'avoit point d'assonne (Gir. Ross. H., c.1334, 222). "Va sans arrest a mon ami Et si li di que mal pour mi, Se mon anel ne me renvoie. Et ne demeure pas seur voie, Car mon signeur le vuet avoir, Sans nul essoinne recevoir. Di li bien qu'il n'en faille mie ; Car s'il en faut, je sui honnie Et en peril de perdre honneur Et la grace de mon signeur." (MACH., J. R. Nav., 1349, 236). ...Unes lettres li escrirés, Et en vos lettres li dirés Vostre essoingne et vostre escusance ; Et elle est tele sans doubtance Que ja ne vous en blamera Ne mains ne vous en amera. (MACH., Voir, 1364, 644).

 

-

Loyale essoigne : Et en cas que les nuef dessus nomméz ou aucuns d'iaux averoient empeschement de mort ou aultre leal essoinne, que Diex ne weille, pour quoi bonnement ne peussent entendre aux choses dessus dictes tantost (Trés. Reth. S.L., t.2, 1366, 181). Et promist pour lui et ses hoirs A tenir, et encor fut voirs, Que dedans la Saint Jehan prouchaine, Cessant trestout loial essoingne, Ou dedans .III. sepmaines puis, Feroit que li roys Jehans conduis Seroit en personne a Calays, Afin que tous ces traictiez fais Entre les gens de ces deux roys Fussent accomplis une fois (DESCH., M.M., c.1385-1403, 386). ...à l'aide de Dieu, de Nostre Dame, de monseigneur saint George et de ma dame, seray, le premier dimanche du moys d'aoust prouchain venant, à Coussi, se je n'ay léale essoine, pour faire les armes qui cy-après sont escriptes (Doc. 1402. In : MONSTRELET, Chron. D.-A., t.1, c.1425-1440, 40). Et aucuns s'envoyèrent excuser, disans qu'ilz avoient loyalle ensonne par quoy ilz n'y povoient venir. (MONSTRELET, Chron. D.-A., t.5, c.1444-1453, 324). ...se il plaist à Dieu de le garder d'encombrier et léal ensonne. (Doc. 1448. In : ESCOUCHY, Chron. B., t.1, c.1453-1460, 250).

 

-

Sans querir essoigne. "Sans chercher d'excuse, sans hésitation, sans tarder" : Si li diras Par plus briés mos que tu porras Qu'il veingne ci apertement. Et se li di hardiement Que ce soit sans querir essoingnes [var. ensoignes, esloignes], Non contrestant toutes besoingnes, Et que c'est a mon mandement. (MACH., J. R. Nav., 1349, 158). Roys Prians ses sages manda Et par leur conseil commanda Que, sans nulle essoinne querir, Toy né, qu'on te feïst morir. (MACH., F. am., c.1361, 213). Si leur feray prier et dire Qu'il ne me vueillent escondire D'estre ensamble à une journée, Par eaus et par moy ordenée. En Cracoe la metterons, Et, se Dieus plaist, nous y serons Sans querir essoinne, n'alongne Pour parler de ceste besongne ; Car la matiere est grosse et grande. (MACH., P. Alex., p.1369, 38). Or vous diray la contenance Quant il firent la reverence. Si tost comme il porent choisir Le soudan, sans penre loisir, Et tantost sans essoinne querre, Il leur couvint baisier la terre, Et à toutes leurs gens aussi, Qu'il le couvenoit faire ainsi. (MACH., P. Alex., p.1369, 197).

 

.

Ne querir eslonge ne essoigne : L'angle dou haut Dieu souverain Qui li dist au mot premerain : "Abacuc, li grans Dieus te mande Que tu portes ceste viande A Daniel, en Babiloine. N'i quier eslonge ne essoine [var. essoignie], Qu'il est mis en lac aus lions Par mauvaises detractions." (MACH., C. ami, 1357, 41).

 

.

Sans querir essoigne n'esloingne : Aussi m'avoit uns miens amis, Qu'avoie vers elle tramis, Escript, piece ha, que [la] laissasse Et que d'elle mon cuer ostasse Sans querir essoingne n'esloingne, Car ce n'estoit pas ma besongne. (MACH., Voir, 1364, 658).

 

2.

En partic. DR. "Justification en justice, en partic. excuse avancée auprès d'un juge lorsqu'on est empêché de comparaître en justice au jour fixé" (synon. essonnie) : ...donnens et ottroyens a leurs devant diz procureurs, ensemble et a chascun par soy pour le tout, plain povoir, auttorité et mandement especial de demander pour eulz et en leur nom, de estre pour eulz en jugement et hors, de plaidier, de plait ou plais entamer, de eulz deffendre et essoignier, de leurs essoignes proposer et dire, de demander jour d'avis et absence de conseil, de convenir, de reconvenir, de reppliquier, de duppliquier, de trippliquier, de excepter, de paceffier, de transigier, de compromettre, de compromis faire valoir par foy, par pleges et par peine... (Chartes Abb. St-Magl. T.F., t.3, 1345, 132). Et des lors n'y est aucun receu sanz consentement de partie adverse, s'il n'a juste excusacion ou essoine qu'il puisse convenablement monstrer. (Cout. bourg. glosé P.M., c.1380-1400, 111). ...s'aucun est respecté et depuis il vient ou est trouvé en court et denye que par lui le respit soit envoyé, cil qui l'a apporté et son pleige paieront LX s. et J d. d'amende, et, se cil qui est respecté confesse que par lui le respit fut envoyé, y les paiera pour sa faulce essoine. (Instruct. ensaign. B.G., c.1386-1390, 29). Et pour ce est tenu estre audiencier et appelleur es plés de la verderie de Saint Sever ; et pour ce doit avoir les exoines qui viennens [sic] es diz plez ["enregistrer les notifications d'empêchement qui arrivent à la cour (?)"]. (HECTOR DE CHARTRES, Cout. R.B., 1398-1402, 92). Exoine est empeschement par quoy celui qui est adjourné ne peut comparoir en jugement. (Cout. instit. Anjou Maine B.-B., t.2, 1437, 57). ...auquel jour, obstant certaine maladie intervenue au suppliant, il ne peut obéir et renvoya son exoine. (Archives servit. Louis XI, T., 1459, 11). Et pour ce que, au jour dudit adjournement, ledit suppliant n'eust peu comparoir pour la maladie qu'il avoit et souffroit à cause desdictes plaies, aussi qu'il ne l'eust osé faire, doubtant rigueur de justice, il envoya faire dire son exoine de maladie (Doc. Poitou G., t.10, 1464, 459).
 

Synthèse Robert Martin

Sous A1 : supprimer l’ex. de Villon (Test. M., 1461-1462, 44), repris plus loin sous A2. B 1 : dans l’ex. de Gir. Ross., corrriger abaudiz en abaubiz ; l. Anmoinne “emmène”. A. Jeanroy, Journal des savants, oct.-déc. 1941, 154, propose de lire ansoigne, enseigne, au sens de “cri de ralliement” (Merci à Gilles Roques pour ces précisions).

[AND : essoine ; DÉCT : essoigne]