C.N.R.S.
 
http://www.atilf.fr/dmf/definition/aimer 
StructureSans exempleCompletFormesExemples
FamilleTextesSourcesImpressionAide à la lecture
     AIMER     
FEW XXIV amare
AIMER, verbe
[T-L : amer1 ; GD : amee ; GDC : aimer ; AND : amer1 ; DÉCT : amer1 ; FEW XXIV, 386a : amare ; TLF : II, 343b : aimer ; TLF : II, 726a : amé]

I. -

Empl. trans.

A. -

[Dans les relations avec la divinité]

 

1.

[Amour de Dieu pour l'homme] : Les ames sont qui se marient Au vray espoux, qui tant les aime Qu'amies et filles les claime (DESCH., M.M., c.1385-1403, 245). ...li doulz Dieux nous ama tant Que homs voult pour nous devenir (DESCH., M.M., c.1385-1403, 279). ...pour ce qu'il ama Dieu, Dieu l'ama, comme dit Seneque : "Se tu veulz estre amér sy aime". (GERS., P. Paul, a.1394, 487). ...[Philippe de Hainaut, 13 ans, au moment de son mariage avec Edouard III] fu en son temps aournée et paree de toutes nobles vertus et amée de Dieu et dou monde. (FROISS., Chron. D., p.1400, 157). ...Dieu (...) qui (...) commença a amer ains que l'omme l'amast (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 155). Et croy que Dieu ayme bien ceulx qui exposent leur corps à vouloir faire la guerre et faire la raison aux ingratz et descongneuz (BUEIL, II, 1461-1466, 20). Mais Dieu, qui tousjours ayme ce royaulme, conduisoit les choses comme je diray cy-après. (COMM., II, 1489-1491, 11).

 

-

Prov.

 

.

Celui est riche qui de Dieu est aimé : Je tien celui a riche qui de Dieu est amés (Tristan Nant. S., c.1350, 119).

 

.

Tant aime-t-on Dieu qu'on suit l'Eglise : Tant ayme on Dieu qu'on suyt l'Eglise ["qu'on respecte les enseignements de l'Eglise"] (VILLON, Poésies diverses T., c.1456-1463, 261). [Cf. p.262, n.29 pour d'autres hypothèses d'interprétation, par antiphrase, par ironie...]

 

.

Qui aime Dieu, aime ses saints : Pour ce c'on a en tant maint lieu Et en mainte operacion Besoing de la grace de Dieu Pour obtenir sauvacion, Faire on doit salutacion A ceulx qui sont de grace plains Et humble supplicacion : Qui aime Dieu, aime ses sains. (Prov. rimes F.M., c.1485-1490, 57).

 

.

Tout se passe, fors Dieu aimer : Entre deux verdes une meure Te fera bruire et renommer : Tout se passe, fors Dieu aimer. (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 201).

 

Rem. Cf. Prov. H., 97a [D 100].

 

2.

Aimer [un être spirituel] : Tresdoulce vierge puissans, Bon vous fait amer De cuer sanz amer. (Mir. enf. diable, c.1339, 18). Car d'amer Dieu est moult espris, Selon m'entente. (Mir. nonne, 1345, 316). Mere [Notre-Dame], je voy que de cuer fin Ces gens la vous servent et aiment (Mir. enf. ress., 1353, 6). ...les plantes ne l'apparçoivent pas ; et ceste fin est Dieu ou amer Dieu quant as choses qui ont entendement. (ORESME, E.A.C., c.1370, 406). ...qui aime plus ardemment (...) plus tost puet veoir son Dieu. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 240). Et en tous voz affaires reclamez l'aide de vostre Createur, et le servez diligemment, et amez et creniez comme vostre Dieu et vostre Createur. (ARRAS, c.1392-1393, 85). Et se tu demandes que c'est amer Dieu sus toutes choses, je te diz grossement que c'est l'amer tellement que on ne voeult amer chose autre en aulcune maniere par quoy on perdit l'amour de Dieu (GERS., Tentations G., c.1400-1401, 357). Pour ce que aimer Dieu nous est commandement exprés (...) ont moult loable coustume les princes de France plus qu'ilz n'ont communement aultre part de faire aprendre a leurs enfans a oyr messe et a dire leurs heures. (CHR. PIZ., Corps policie L., 1406-1407, 5). ...[Dieu] qui (...) commença a amer ains que l'omme l'amast (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 155). Car il est à croire et est chose vraye que ceulx qui ayment Dieu et ont bonne cause et sont repentans et confès de leurs pechiez, finablement auront victoire de leurs ennemiz (BUEIL, II, 1461-1466, 73).

B. -

[Dans les relations avec autrui]

 

1.

[Le lien est d'ordre affectif et moral]

 

a)

[Le subst. correspondant est charité "amour du prochain"] Aimer [le "prochain" de l'Évangile] "Manifester à qqn des sentiments inspirés par la charité chrétienne" : ...nous devons amer les poures, eider et conforter a lour bosoigne, et les sofretous visiter et desporter par charité (HENRI LANC., Seyntz medicines A., 1354, 188).

 

-

Aimer son prochain comme soi-même : Mon proisme amerai[e] comme moy, Et lye de son auanchement (Sept péchés C., c.1300-1350 [p.1478], 230). Et amer son proime comme soy meismes est luy desirer la vie des cieulx ou paradis et grace en ce monde, et luy vouloir faire ce que raisonnablement et selon justice on voldroit que luy [soi] fut fait en cas samblable (GERS., Tentations G., c.1400-1401, 357). Qu'il soit ainsi que largece et liberalité soit vertu agreable à Dieu, appert par ce que il nous commande amer nostre proesme comme nous meismes (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 79). En ce avez crime commis Contre Dieu et contre sa foy, Qui veult chacun estre submis Son prochain aymer comme soy. (Cene dieux, c.1492, 139).

 

.

Prov. Qui plus aime autrui que soi A la fontaine meurt de soif. "Qui aime plus autrui que soi-même est l'artisan de son propre malheur" : Qui plus aymë autruy que soy A la fontaine meurt de soy ["soif"] (Liber Fort. G., 1346, 67). Jay [l. J'ay] trop mal garde [l. gardé] le proverbe que javoye [l. j'avoye] aprins en ma jonesse qui dist ainsy : "Qui plus aime un aultre que soy a la fortune [var. fontaine] muert de soy." Hellas ! jai [l. j'ai] trop ame [l. amé] mes deux filles (WAVRIN, Chron. H., t.1, p.1471, 89).

 

-

Aimer l'un l'autre : Deux hommes qui bien ayment l'un l'autre, jamaiz se tous deux menguent a une table et a ung escot, ne doibvent boire ensemble, mais l'un devant, l'autres aprés (Ev. Quen., II, c.1466-1474, 140). MATHATIEL. Servons de cueur le createur, Aymons l'ung l'autre sans debatz Et nous aurons de la liqueur Des merites sainct Nicolas. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 159).

 

b)

"Éprouver de l'affection pour (les membres de la famille)" : ...quar nature est tirans Et donne que on ayme tousdiz mieulx ses enfans C'om ne fait les estranges, quar le cueur habundans Est tousdiz par nature par raison enclinans A ce qui de son sanc et de luy est yssans. (Flor. Octav. L., t.1, c.1356, 44). Et se aucun disoit que communelment un homme aime plus son filz que son pere de fait, mais il deüst plus aimer le pere, ceste response n'est pas vraie. (ORESME, E.A.C., c.1370, 460). ...se je des enfans lui fais, Qu'elle les aimt, garde et nourrice (DESCH., M.M., c.1385-1403, 27). ...son pere doiz tu a l'ongle Honourer, amer, conjouir (DESCH., M.M., c.1385-1403, 61). ...se tu as en ton couvent D'enfans un qui soit difformé, Ja ne sera de toy amé. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 81). Et sachiez qu'il amoit tant Remondin que plus ne povoit, et l'enfant luy, et se penoit moult de servir le conte, son oncle, et de lui faire plaisir. (ARRAS, c.1392-1393, 17). Adont s'en vont les deux enfans agenoullier, et l'en remercient humblement. Et la dame les redreca, et baisa chascun en la bouche, tout plourant, car elle avoit grant douleur au cuer de leur departie, car elle les amoit d'amour de mere, non pas d'amour de faulse nourrisse. (ARRAS, c.1392-1393, 83). Lors fist appeler le roy Uriien et la royne sa fille et leur dist : Mes enfans, pensez d'amer et honnourer et porter et tenir bonne foy ly uns a l'autre. (ARRAS, c.1392-1393, 123). Je croy que ou monde n'a [Griseldis] pareille, Et se paravant n'eust esté A ses enfans tendre, et amé Les eüst de parfaicte amour, Et leur moustré toute douçour (Gris., 1395, 66). ...voz femmes et enfans que nature vous contraint a doulcement nourrir et tendrement amer (CHART., Q. inv., 1422, 18).

 

c)

"Éprouver une affection fondée sur l'estime, le respect (pour des personnes qui le méritent)" : Toutteffois, archevesque, nous vous en dittons et chargons bien que point vous n'y venez sans lui, car tous ceux qui l'aiment [Richard II] s'en contenteroient mal (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 76). Il doit avarice hair, Ouir messe, Dieu reclamer, Son prince et son seigneur amer (DESCH., M.M., c.1385-1403, 76). A, sire, chascun l'aimera [la marquise] Et obeïra, c'est raison. Tous et toutes la serviron En honneur et en reverence. (Gris., 1395, 18). ...se seigneur est ou grant terrien, à qui il appartiengne garde bien justice, car c'est ce qui seingneurie maintient, par tel discrecion gouverne ses subgiez qu'ilz le puissent aimer et aussi doubter (CHR. PIZ., P.V.H., 1416-1418, 36). ...doit bien tout noble (...) Son roy, sa terre et ses amis amer Et au besoing leur estre secourable (CHART., B. Nobles, c.1424, 401). Ainsi ordonnerent et constituerent le Jouvencel leur chief et gouverneur et lui promisrent de le servir, amer et honnorer comme leur chief et à toutes ses entreprises lui aider et secourir diligemment (BUEIL, I, 1461-1466, 100). Monseigneur, dit le conte, c'est ung homme d'or pour la guerre, et pleust à Dieu que vous l'eussiez aussi bien veu sur les champs comme nous avons ; car le aimeriez bien. (BUEIL, II, 1461-1466, 7).

 

-

Aimer qqn de (bon) coeur. "Estimer beaucoup qqn" : L'un messire Jehan de Dormans Fut (...) De monseigneur le regent près, Son chancellier de Normandie, Qui l'ama de cuer en sa vie, Car saiges clers fut et preudoms. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 381). Et lors les barons du pays, qui la furent assemblez pour reconforter Remond, que ilz amoient de bon cuer, lui vindrent a l'encontre et la bienviengnerent forment, et lui compterent comment ilz ne lui povoient faire laissier sa doulour. (ARRAS, c.1392-1393, 254).

 

d)

[Le subst. correspondant est amitié, avec une idée de choix motivé] : Et semble que amer ses amis soit une chose bonne et vertueuse (ORESME, E.A., c.1370, 414). ...qui treuve un tel ami prest, Il en doit faire son tresor, Garder et amer com fin or (DESCH., M.M., c.1385-1403, 5). La commença Prophilias (...) Amer son compaingnon Athis (DESCH., M.M., c.1385-1403, 134). Et sachiez qu'il a deux moult saiges et vaillans chevaliers a filz, qui sont voz cousins germains, que le roy des Bretons aime moult. (ARRAS, c.1392-1393, 50). Parquoy ilz estoient amez et cheris de leurs amys, crains et redoubtés de leurs ennemis. (BUEIL, I, 1461-1466, 111).

 

e)

Aimer son ame. "Se respecter soi-même" : ...[le Jouvencel] s'agenoilla et dist au Roy son père : "Monseigneur, je vous supplie très humblement qu'il vous plaise, en la presence de toute l'armée que j'ay amenée, faire le serement touchant vostre querelle tel que vous avez fait devant moy. Ilz en seront meilleurs et combattront de meilleur cuer ; car tout bon homme aime son ame comme ung roy..." (BUEIL, II, 1461-1466, 184).

 

2.

[Le substantif correspondant est amour ; le lien est d'ordre affectif et/ou phys. entre pers. de sexe différent]

 

a)

Aimer qqn : N'onques homme n'ama, ce croy, Autant femme aussi qu'il m'amoit. (Mir. enf. ress., 1353, 41). Et ne avient pas que l'en soit amy a moult de gens selon parfaite amitié, en la maniere que en fole amour charnel un homme ne aime pas pluseurs femmes. (ORESME, E.A., c.1370, 424). ...[le roi Ferrant de Portugal à Aliénor de Coigne, mariée et de petite noblesse] Dame, je vous feray royne de Portingal ; je vous aime ; ce n'est pas pour vous amenrir, mais vous exaulcier et vous espouseray. (FROISS., Chron. M., XII, c.1375-1400, 248). ...si je ne vous aime, et vous moy, ja n'averons enfans, par foy. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 124). Saiges homs doit sa femme amer Pour avoir hoirs (DESCH., M.M., c.1385-1403, 177). Et dist (...) que depuis ladite poudre bailliée et beue par sondit ami, elle s'est bien perceue que il l'a amée aussi parfaittement et de grant ardeur d'amour comme il faisoit paravant, et non plus. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 338). Lors fu le roy moult doulent, et lui dist : Hermine, belle fille, vous monstrez que vous ne m'amez gueires, quant la chose que je desiroye plus a veoir en ce monde devant ma fin, vous ne voulez acomplir ; or voye je bien que vous desirez ma mort. (ARRAS, c.1392-1393, 121). [Le marquis] O Griseldis, que tant amay, Ay amee, et aim de present (Gris., 1395, 51). En mon cueur je suis ferue D'ung amant qui d'amer sue (RÉGN., F.A., 1432-c.1465, 91). J'ayme qui m'ayme, autrement non ; Et non pour tant, je ne hay rien, Mais vouldroye que tout fust bien (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 326). Cuidiez vous que un vray amant doive ainsin publier le nom de sa dame qu'il aime tant ? (LA SALE, J.S., 1456, 15). M'amye, dit il ; je n'ayme en ce monde aultre femme que vous. (C.N.N., c.1456-1467, 71). ...ne luy suffisit pas de l'amer et servir en cueur seullement, mais d'oroison, comme il a fait cy devant, la veult arriere reservir. (C.N.N., c.1456-1467, 116). Quant il eut ce fait et il congnut qu'il avoit tué son frere et fait mourir sa dame, qu'il aymoit autant que soy meismes, il entra en si grant frenesie et desplaisir de cueur que il se desespera et se tua lui-meismes. (BUEIL, I, 1461-1466, 127). C'est ung très beau roy. Il ayme fort les femmes. (COMM., II, 1489-1491, 68).

 

-

Empl. abs.

 

.

"Avoir un rapport sexuel" : Car c'est li encenciers d'umilité Qui par un saint divin inspirement Conçut, porta, enfanta sanz amer Dieu tout puissant c'on peut encens nommer (Mir. st Val., c.1367, 171). ...lui et elle estant seulz au jardin (...) l'eust priée d'amer, et icelle, sanz force, contrainte, violence ou efforcement, maiz de son bon gré et volenté, cogneue charnelment (Ch. VI, D., t.2, 1382, 21). J'appelle Dieu en tesmoingnaige, Le ciel, la terre et la mer, Car une vierge sans amer Du ciel concepvra ung hault prince (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 43).

 

.

"Éprouver des sentiments amoureux" : Affection qui est desordonnee nourist charnalité, dont dist saint Augustin ou livre des Confessions : "Jadis quant je estoie josne, che m'estoit doulche chose d'amer et d'estre amé..." (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 270). Et que amer soit mieulx que estre amé, Aristote le preuve en ses Grans Moralités (ORESME, E.A.C., c.1370, 430). Car d'amer N'eut oncque puis son talant, Que Mort lui voulu oster La nomper Qui fust ou monde vivant. (CH. D'ORLÉANS, Songe compl. C., 1437, 108).

 

b)

Loc.

 

-

Aimer d'amour. V. amour1

 

-

Aimer par amour. V. amour1

 

-

Aimer autre part. "Commettre l'adultère" : ...vous amez autre part, Et voy que vous ne m'amez rien. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 32).

 

-

Aimer en un seul lieu. "Être fidèle à la même personne" : Il jurera aussi secondement Qu'en ung seul lieu amera fermement, Sans point querir ou desirer le change (CH. D'ORLÉANS, Ret. am. C., 1414, 12).

 

-

Aimer en lieu de bien. "Aimer des femmes honorables" : Je prens qu'aucun dye cecy, Sy ne me contente il en rien. En effect, il conclud ainsi, Et je le cuide entendre bien, Qu'on doit amer en lieu de bien. Assavoir mon se ces fillectes Qu'en parolles toute jour tien, Ne furent ilz femmes honnestes ? (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 61).

 

-

Aimer en lieu secret. "Aimer un ami privé, auquel on se réserve" : Or [les fillettes] firent selon ce decret Leurs amys, et bien y appert : Ilz amoient en lieu secret, Car autre d'eulx n'y avoit part. Touteffoiz ceste amour se part, Car celle qui n'en avoit q'um De celluy s'eslongne et depart Et ayme mieulx aimer chascun. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 62).

 

-

Aimer qqn pour ses beaux yeux. "Aimer qqn de façon désintéressée" : C'est contre ces folz glorïeux Qui cuident que pour leurs beaulx yeux On les doit amer. Quelle farce ! Narcisus (Narcissus, p.1426, 314). Et bien leur sembloit, et a bonne cause, qu'il n'estoit pas homme qu'on deust aimer pour ses beaulx yeulx. (C.N.N., c.1456-1467, 132).

 

-

Aimer qqn au petit doigt. "Aimer très peu" : Quant .J. hons a moullier qui l'aimme au petit doit, Quant avoec autre va, jamais joie n'aroit Dessi jusqu'a chelle hoere que sa femme raroit (Bât. Bouillon C., c.1350, 195).

 

Rem. L'homon. amer (verbe)/amer (adj. e subst.) est encore exploitée couramment en m. fr., entre autres à la rime : : Car je sens ma condicïon Müee, et ma complexïon, Si que ce que souloie amer M'est maintenant sur et amer. (Mir. enf. ress., 1353, 6). Vray Dieu, qu'amoureux ont de paine ! Paine ont plusieurs pour bien amer : Amer sy leur est bien amer. (Au grey d'amours F.-H., c.1400-1500, 244). Il n'est nul bien ou n'ait aucun amer Fors seulement Dieu servir et amer. (Beufves Hant. I., c.1499-1503, 322).

 

3.

[Dans un contexte politique]

 

-

"Avoir des relations positives (d'alliance, de cohabitation...) avec qqn" : Et disoient les aucuns anciens qui ramentevoient le temps passé : "Pour tel fait ou par le samblable a eu le royaume de France moult à faire et à souffrir, car le roy de Navarre fist occir messire Charle d'Espaingne, le connestable pour le temps d'adont de France, pour laquelle occision le roy Jehan ne pot onques depuis amer le roy de Navarre et luy tolly à tout son povoir toutte sa terre de Normendie..." (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 2). Mais depuis le relenqirent [les Flamands renvoient le duc de Flandres] et bouterent hors de Flandres, ensi que vous orés recorder en l'istore ; et ne le peurent onques parfaitement amer ; et disoient que il estoit trop françois et que il ne savoit estre en paix et en amour avoecques ses gens. (FROISS., Chron. D., p.1400, 180). ...et retournerent, qant il orent esté bien festoiiet, arriere devant Calais, et recorderent tout ce que il avoient trouvé, oi et veu en Flandres au roi et a son consel : des queles coses li rois se contenta grandement, et moult amoit cheuls de Flandres, et disoit que il estoient bien si ami. (FROISS., Chron. D., p.1400, 803).

 

-

[Des habitants d'un pays] "Avoir des affinités (avec les habitants d'un autre pays)" : De quoi li Escoçois en quidierent trop grandement mieuls valoir, mais li Englés ne l'entendoient pas ensi, euls qui ne pueent amer les Escos, ne ne fissent onques, ne ja ne feront. (FROISS., Chron. D., p.1400, 202). Onques nous ne peuismes amer les Englois, ne euls, nous (FROISS., Chron. D., p.1400, 237). A toutes ces paroles et remonstrances estoit et fu toutdis messires Robers d'Artois qui trop grandement fu resjois de ces nouvelles, et dist ensi au roi : "Monsigneur, je le vous ai bien tousjours dit : vous trouverés plus d'amis et de bon confort dela la mer que vous ne quidiés, car onques Alemant ne peurent amer les François..." (FROISS., Chron. D., p.1400, 265).

 

4.

Prov.

 

-

Qui aime à vie, à mort n'oublie : ...mais vous, Dieu mercy !, vous, devotes gens, qui estes yci venus, signifiez par vostre presence et par vostre entente, et demonstrez que vous n'avez pas du tout oublié voz amis trespassez : Qui aime a vie, A mort n'oblie. (GERS., Déf., 1400, 226).

 

-

Qui bien aime, tout endure : Doulce chose est que d'amer, - Qui ayme parfaictement -, Combien que maint grief amer Y ait. Mais qui loyaument S'i tient, viengne encombrement, Bien ou mal, joye ou pointure : Qui bien ayme, tout endure. (CHR. PIZ., Cent ball. amant dame C., c.1409-1410, 96).

 

-

Qui aime bien, chastie bien. "Qui aime bien, reprend l'autre de ses fautes" : Et, ainsi, ceste fable monstre que le pere doit donner doctrine et bon exemple a son enfant et le chastier en sa jeunesse, car qui bien aime bien chastie. (MACHO, Esope R., c.1480, 122). "Mes seigneurs, vous me blasmés a tort, car ma mere est cause de ma mort et de ma perdicion, car, se elle m'eust chastié, je ne fusse pas venu a ceste vergoigne, car qui bien ayme bien chastie." Et, pour ce, chastiez voz enfans, que ainsi ne vous en preigne. (MACHO, Esope R., c.1480, 202).

 

-

[Sentences bibliques ou inspirées par la Bible]

 

.

Chastie le fou, il te haïra, chastie le sage il t'aimera : Salemon : Chastie le fol, il te herra, chastie le sage, il t'amera, et dist oultre : Fol ne voit riens que folie, pour ce n'y vault enseignement, et sermon qui n'a point d'ouye est si comme citolle en plomb. (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 170).

 

.

Celui qui aime son fils l'accoustume de battures. "Celui qui aime son fils l'habitue aux rigueurs de la discipline" : La seconde cause est pité paternele, par laquelle est donnee aux enfans la dureté de discipline procedant d'amour, selonc le dit de Ecclesiastique ou .XXXe. chapitre : "Chilz qui aime son filz l'acoustume de baptures" (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 196).

 

.

Mieux valent les plaies de celui qui aime que les baisers pleins de fraude de celui qui hait : Et c'est che qui est dit en Proverbes ou .XXVIIe. chapitre : "Mieulx vault magnifeste correction que amour qui est muchie", et de rechief : "Mieulx vaillent les plaies de chelui qui aime que baissiers plains de fraude de chelui qui het." (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 196).

 

.

Il vaut mieux en dureté aimer que en douceur decevoir : A che s'acorde le dit saint Augustin : "Celui qui pardonne n'est pas tousjours amy, ne chelui qui bat n'est pas tousjours ennemi. Il vault mieulx en dureté amer que en doulceur decepvoir" (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 196).

 

-

Qui m'aime me suive : Reguardons devant nous, voyons nostre ennemy, A eulx me combatray, se Dieu plest, aujourd'uy. Qui m'ayme, sy me suyve ! (Flor. Octav. L., t.1, c.1356, 152). Signifier a fait a trestoute sa gent Chascun monte a cheval tost et appartement ; Qui amer le voura, si le sieuve briefment, Car aux Englois s'en va, se dist isnellement (CUVELIER, Chans. Guescl. F., c.1380-1385, 383). En Jherusalem droit au Temple Il nous covyent aler de pres. Je voix devant, venéz aprés ; Quil m'amera avec moy vienne. (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 125). Il est temps, l'eure est acomplie, Que nul n'en differe ne tryve ; Mes ayez tous chiere hardie Et cil qui m'aymera me suyve. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 438). En nom Dieu, je vois commancer Et qui m'aymera, si me suyve, Pour noz anemis dechasser, Afin que du royaulme on les prive. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 474). Monstrons nous comme gens de fait Et allon en belle ordonnance. Vecy l'estandart et la lance ; Or me suive qui m'aimera. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 147).

 

Rem. Pour d'autres ex., cf. Z. rom. Philol. 110, 1994, 552

 

-

On ne peut estre aimé de tous : Prince, nul ne doit desirer Pour le los du monde regner, Mais des biens de Dieu soit jaloux ; Ses officiers doit supporter S'ilz font bien et les contenter : On ne puet estre amé de tous. (DESCH., Oeuvres Q., t.2, c.1370-1407, 174).

 

-

Chacun aime son semblable : ...et pour ce amoit il le mareschal, car, si que dit le proverbe commun, "chacun aime son semblable". (Bouciquaut L., 1406-1409, 296).

 

-

Contre vouloir nul n'est contraint d'aimer : Essaye les, puis tu pourras choisir Se tu les veulx ou avoir ou laissier : Contre vouloir nul n'est contraint d'amer. (CH. D'ORLÉANS, Ret. am. C., 1414, 3).

 

-

Onques bien n'aima qui ne douta. "On n'aime pas bien sans un peu de crainte" : En verité, sire, respondy Lyonnel, telles manieres ont et scevent avoir tous vrays amans, car oncques bien ne ama qui ne doubta. Et pour ce dist on que les vrais amans sont en leurs fais couars, simples et paoureux (Percef. III, R., t.2, c.1450 [c.1340], 12).

 

-

Qui bien aime, craint et doubte : Amour n'obéist pas à crainte, Ne nullui n'aime par contrainte, Car on craint bien ce que l'en het, Que ce soit voir, chascun le scet ; Mais qui bien aime, craint et doubte. Aimes donc ton maistre et le sers Loyaument (JACQUES BRUYANT, Voie pauvreté richesse P., 1342, 22). ...qui bien ayme à la fois se doubte. (Cleriadus Z., c.1440-1444, 469).

 

-

Qui de peu aime, de peu hait : Qui de peu ayme, de peu het, Et qui peu aprent, et peu scet (Renart contref. R.L., t.1, 1328-1342, 33).

 

-

Onques n'aima qui pour si peu hait. "Jamais n'a aimé, qui pour si peu déteste" : Onques n' ama qui pour si po hay. Amours scet bien que je l'ay tant amé Et aim encor et ameray toudis Qu'on ne puet plus ; mais mesdisans grevé M'ont envers li (MACH., Bal., 1377, 550).

 

-

Qui que l'on hait au premier, on l'aimera au dernier. "Celui (celle) qu'on commence par haïr, on finit par l'aimer" : ...car qui que l'en hee au premier, l'en aimera au desrain et prisera mille fois plus quant on verra sa grant prudence et sa constant bonté. (CHR. PIZ., Trois vertus W.H., c.1405, 103).

 

-

Qui (bien) aime, à tard oublie : De sa perte avoit grant paour, Quar qui bien aime a tart oublie, Si com il apert en Marie. (Propr. choses Rosarius Z.S., c.1330, 88). Dames d'onneur, damoiselles aussi, Eustace, d'umble cuer vous mercie De voz biens faiz ; vostres sui, pour ce di, Car je voy bien : Qui ayme, a tart oublie. (DESCH., Oeuvres R., t.7, c.1370-1407, 125). Car en moy joie n'est mie. Et on dit, je n'en doubt mie, Qui bien aimme à tart oublie. (MACH., Motés, 1377, 488). On povoit bien aplicquer en celle heure a la benoiste Magdaleine le proverbe qui dit : "Cueur qui bien ayme a tart oblie." (Vie J.-C. M.B., c.1429-1458, 118). Qui sa dame aime tart l'oublye (MARTIN LE FRANC, Champion dames D., t.3, 1440-1442, 83). Qui bien aime, tart il oublie. (MIÉLOT, Prov. U., 1456, 198). Ilz ne povoient bouter en oubliance Leur grant amour, n'en luy perseverer, Pourquoy estoient en moult dure souffrance ; Qui bien ayme a tart peut oublier. (SAINT-GELAIS, Eurial. Lucr. R., c.1490, 101).

 

-

Tel tu aimes, tel tu es : Et, par proverbe, ot on retraire : "Veulx tu sçavoir quel tu es ? Tieul tu aimes, tieulx tu es." (CHR. PIZ., M.F., IV, 1400-1403, 31).

 

-

Le larron n'aimera jamais celui qui le ramene des fourches. "Les mauvais sont ingrats" : Et joust ce est une regle vraie, que toutes foiz que l'en a fait bien ou courtoisie a .I. homme, se il est ingrat, c'est certain signe que il n'estoit et n'est pas digne de bien, mais indigne. Car les mauvais sont telz et ingras. Et pour ce dit l'en que le larron ne amera jamés celui qui le ramaine des fourches. (ORESME, E.A.C., c.1370, 473).

C. -

[Dans les relations avec le monde animal]

 

1.

[Qqn aime un animal] : Amour onc plus ne pot attendre De son faucon sor aler prendre, Qui bien a voler commençoit, Et pour ce encor mieux l'en emmoit (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 214). Ly contes si amoit moult les chiens et les oysiaux, et avoit foison de braques, levriers, chiens courans et liemiers, braconniers, faulconniers, oysiaux de proye et chiens chacerez de toutes manieres. (ARRAS, c.1392-1393, 17). ...comme il (...) regardast son cheval que tant amoit, il luy souvint du second advisement que son pere luy bailla (C.N.N., c.1456-1467, 332).

 

-

Prov.

 

.

Qui aime son chien, connaist son bien : La .XLVIIJe. euvangille La dist une autre vielle : Quoy que devant soit dit, qui ayme son chien, congnoist son bien. Qui tue son chat, il tue son mal. (Ev. Quen., II, c.1466-1474, 129).

 

.

Qui m'aime, aussi mon chien. "Quand on aime une personne, on aime tout ce qui lui appartient" : Qui m'aime, aussi mon chien. (MIÉLOT, Prov. U., 1456, 197).

 

2.

[Un animal aime qqn] : Bon alant doit amer son maistre et suir et li aidier en touz cas et fere ce qu'il li commandera, quel que chose que ce soit. Bon alant doit aler tost et estre hardi a prendre toute beste sanz marchander et tenir fort sanz laisser (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 126). Baudinon Gorgette dist que cellui qui approprie a soy les eeps ["abeilles"] sans les estriner, comme dist est ou texte, elles ne feront que picquier cellui et jamais ne l'aimeront ne lui feront prouffit. (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 93). Quant il [l'oiseau] se debatra et volatillera sur le poing, remetz-le agilement et paisiblement affin qu'il acoustume toy congnoistre et amer. (TARDIF, Art faulconn. J., t.1, 1492, 60).

 

3.

[Un animal en aime un autre] : Et, quant ilz [les loups] sont bien las, elle [la louve] les leisse bien reposer jusques atant qu'ilz sont endormiz, et puis grate dou pié et esveille celuy qui li semblera qui plus l'ait amee et plus ait travaillé pour elle, et s'en vet loing d'iqui et se fet aligner a li. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 93).

D. -

P. anal. Aimer qqc.

 

1.

[Une chose concr.] "Avoir du goût, une préférence pour qqc." : Cascune flours a par lui son merite, Mais je vous di, tant que pour ma partie, Sur toutes flours j'aimme la margerite. (FROISS., Par. am., c.1361-1362, 80). Damp prieur, dist Gieffroy, grans mercis. Et sachiez que j'aime moult ceste place, et n'empirera pas de moy ne des miens, se Dieu plaist. Sire, dist le prieur, Dieu le vous mire. (ARRAS, c.1392-1393, 277). Calais que il ainme tant (FROISS., Chron. D., p.1400, 873). ...telz en y a qui tant aiment les aises de leurs maisons (CHART., Q. inv., 1422, 57). ...vos princes ne sont point loyaulx ; compaingnons de larrons, ilz aimment dons et retribucions. (JUV. URS., Aud. celi, 1435, 251). Ne m'as tu pas dit que la viande qu'en ce monde plus tu ames ce sont pastez d'anguilles ? (C.N.N., c.1456-1467, 83). O Goubellet, tu m'as la mort donnee ; Tant t'ay aimé que m'en suis enyvree. (Pass. Auv., 1477, 178). Et les avaricieux, qui sur toute riens aiment argent et peccune. Car comme dist l'Apostle : "Avarice est servitude des ydoles", car l'avaricieux fait de son tresor son Dieu. (Somme abr., c.1477-1481, 105).

 

-

"Prendre soin de" : Amer mon corps, garder ma paix (DESCH., M.M., c.1385-1403, 27).

 

-

CHASSE [D'un chien] Aimer les routes. "Suivre les voies, les routes, sans les quitter" : Aussi y a chienz qui aiment tant leurs routes que jamais ne la laisseroyent fors que tout droit par la ou la beste ira. Et, quant ilz sont au bout d'unne reüse que la beste aura fete, ilz ne scevent prandre autre tour ne autre avantaige fors que aler et revenir sus les routes. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 132).

 

2.

[Une chose abstr.]

 

-

"Désirer, trouver agréable, apprécier qqc." : Onques n'ot entente ne cure A nul delit ou qu'elle alast, Que rien n'estoit que tant amast Que simplesce et humilité (Gris., 1395, 40). ...vos princes ne sont point loyaulx ; compaingnons de larrons, ilz aimment dons et retribucions. (JUV. URS., Aud. celi, 1435, 251).

 

-

"Être attaché à qqc, respecter qqc." : Et quant il dit oultre que le juge doit plus amer la conservacion du droit commun que le droit privé, etc., je di que il doit encore plus amer soy garder de pechier. (ORESME, E.A.C., c.1370, 320). Mes seigneurs, il est verité que tous ceulx qui aiment honneur et chevalerie si doivent aidier a soustenir en leur droit les vefves, dames et les orphelins et orphelines. (ARRAS, c.1392-1393, 149). Et ot Melusigne, les deux ans après, deux filz, de quoy le premier ot a nom Fromont, et ama moult l'eglise, car bien le monstra a la fin, car il fu rendu moine a Malieres (ARRAS, c.1392-1393, 196). Mon ami, telles roses fait il bon mettre en son chappel. Le seigneur qui a son hostel garny de tele fleur de chevalerie et de gentillece, amant et craingnant honneur, doit et puet seurement reposer. (ARRAS, c.1392-1393, 233). Un chevalier a ancïen En ceste court, bon catholique, Et qui aime le bien publique (Gris., 1395, 9). ...et que on pourvoie oudit office de Chancelier, de bonne et ydoine personne, qui ayme le bien et utilité de la ville de Paris (FAUQ., I, 1417-1420, 374). ...des anciens (...) Qui au premier noble France fonderent ; (...) Amans vertus, de vices repreneurs, Regnans par droit, eureux et glorieux, Et contre tous fors et victorieux. Or ont regné en grant prosperité Par bien amer justice et equité (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 1). Encore nous est Boece aultre exemple, car pour trop amer et deffendre le publique bien et prouffit, fut il par le roy Theodorich emprisonné a Pavie, ou il composa son livre de Consolation, finant ses jours en prison miserable. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 10). ...ilz [des nobles] ont nobles ou clercs prés de eulx qui aiment leur honneur, seront ilz creu ? (JUV. URS., T. rever., 1433, 61). Cestui parla moult bien de la gueulle d'enfer qui apparut ou milieu de Romme, de laquelle les ellacions faisoient mourir innumerable nombre de peuple. A ceste cause, Marcus Curtius, aymant la chose publique, se voulut exposer pour icelle, sachant que par le moïen d'un homme la grieve playe cesseroit, si se gecta dedans tout armé et cessa la maledicion. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 50 r°). De cestui est escript qu'il vaca nonante ans à l'estude de sapience et tant l'ayma que souventes fois oblioit prandre sa reffection. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 71 v°). Honneur de moy n'est poinct amé, Sinon d'aultant que l'ame touche. (LA VIGNE, S.M., 1496, 405).

 

-

[D'une chose abstraite] "Accompagner normalement, aller avec qqc." : ...vraye amour ou vraye loyaulté aime verité, en verité elle juge, et pour verité elle combat (JUV. URS., Loquar, 1440, 318).

 

3.

Prov. Qui tant l'aime, tant l'achete. "Pour ce qu'on aime, on paye le prix" : ...et qui tant l'aimera, tant l'achettera. (Bérinus, I, c.1350-1370, 312). Car qui tant l'aime, tant l'achete. (DESCH., Oeuvres R., t.8, c.1370-1407, 48). Qui tant l'aime, tant il l'achate. (MIÉLOT, Prov. U., 1456, 198).

 

-

[Sentence biblique, maxime] Qui aime peril, en peril perira : Le secont celui qui aime perilz, c'est philokindinos. Le tiers, celui qui se met en perilz pour grans choses, c'est megalokindinos. Et du secont dit la Sainte Escripture, "qui aime peril, en peril perira." (ORESME, E.A.C., c.1370, 253).

 

.

Ce qu'on ne connoist, on ne peut l'aimer : De che dist aussi saint Augustin ou .Xe. livre de la Trenité : "Che que on ne congnoist, on n'en peut amer". (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 83).

 

4.

Aimer (à) + inf. : ...c'est a savoir, ceulz qui sont frans et liberalz, et qui ont nobles meurs et qui veritablement aiment bien faire. (ORESME, E.A., c.1370, 531). France, jadis on te souloit nommer, En tous pays, le tresor de noblesse, Car un chascun povoit en toy trouver Bonté, honneur, loyauté, gentillesse, Clergie, sens, courtoisie, proesse. Tous estrangiers amoient te suir. (CH. D'ORLÉANS, Compl. C., 1433-p.1451, 258). Il aymoit à demander et à entendre de toutes choses, et avoit le sens naturel parfaictement bon (COMM., I, 1489-1491, 130).

 

5.

Aimer mieux/plus cher

 

a)

Aimer mieux qqc. "Préférer qqc." : Adieu, l'amour que j'ayme mieulx Par qui souvent mon cueur souspire (RÉGN., F.A., 1432-c.1465, 93). Mais le roy luy fist response de deux choses l'une, c'est assavoir lequel il aymoit mieulx justice ou misericorde ? Et il luy respondit : "Sire, j'ayme mieulx justice." (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 156).

 

b)

Aimer mieux + inf. : Vous y verrés, s'il vous plaist a la lire [une ballade], Le mal que j'ay, combien que vrayement J'aymasse mieulx de bouche le vous dire. (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 37). ...c'est adire que il [l'empereur Honorius] amoit mieulx susciter les mors. (JUV. URS., Verba, 1452, 306).

 

c)

Aimer mieux/plus cher (à/de) + inf. ... que (de) + inf./que + propos. sub. : ...j'ayme trop mieulx de morir à honneur que vivre à blasme. (FROISS., Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t.13, c.1375-1380, 169). J'amasse mieulx avoir donné Dix soulz que tel folie faire. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 113). Item, dit qu'il scet du duc de Lenclastre et autres gens du pays d'Engleterre qui lui ont dit, et des noms desquieulx il n'est record, qu'ilz aimeroient mieux combatre le roy de France en son royaume atout Xm bacinez et Vm archiers, qu'il ne feroit combatre les François ou pays d'Engleterre à XXm Engleiz contre Xm François (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 197). J'ayme trop mieulx a mourir que de souffrir ainsi martirier ma gent. (ARRAS, c.1392-1393, 162). Le prestre disoit qu'il aymoit plus chier mourir de fain que de cheoir en leur mains et trembloit de peur. (Ponthus Sidoine C., c.1400, 4). Madame, je aymeroye plus chier estre mort que penser chose qui ne fust à l'onneur de vous et de monseigneur vostre pere. (Ponthus Sidoine C., c.1400, 22). ...les nobles hommes, qui mieulx amassent vivre sur le leur, en leurs maisons (...) que estre hebergez (...) comme hostes en autruy dangier. (CHART., Q. inv., 1422, 33). Mays Laciros son filz (...) ama mieulx a vuidier Chippre que combattre contre sa mere. (LA SALE, Sale D., 1451, 110). ...quant a moy, j'aymeroie plus cher morir mille foiz, si possible m'estoit, que d'avoir fait a ma dame si grande faulseté. (C.N.N., c.1456-1467, 177). ...il aimeroit mieulx estre mort et avoir perdu son vaillant et devenir en aussi grant captivité et povreté que fut onques Job, que de consentir faire ne estre fait quelque chose que ce feust qui fust au dommage ou prejudice du roy (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 364). ...plusieurs ont esté qui aymoient mieulx mourir en combatant que fuyr à leur deshonneur. (BUEIL, I, 1461-1466, 51). J'aime mieulx non rien besoigner Que ces cloux faire, par mon ame ! (Pass. Auv., 1477, 177). Quoy qu'il en soit, il fut souffisant astrologien et, lui estant en mer, congnoissant la tempeste et voyant l'influence contre lui, pour son sauver gecta grande somme d'or en la mer, disant qu'il aymoit mieulx sa richesse submerger que lui estre submergé par icelles. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 64 r°). J'ayme mieulx estre reclamé Moyne sur une povre couche, Vivant sans faire a Dieu reproche Qu'estre pape ne cardinal Qui trop aux biens mondains se couche. (LA VIGNE, S.M., 1496, 405).

 

Rem. Cf. R. Ling. rom. 61, 1997, 604.

 

-

Empl. abs. : Et pui a dit au roy : "Mervellier se doit-on De chou que me rendés à Morgant, mon baron ! J'amaise miex o vous qu'avoekes le glottoen..." (Baud. Sebourc B., t.2, c.1350, 2).

 

d)

Aimer mieux que + subj. (que + suj.) : Faulx traitre, rens toi ou tu vaulz prez que mort. Par foy, dist Oliviers, j'aime mieulx que tu m'occies, car a moy rendre ne puis je gueres conquester. (ARRAS, c.1392-1393, 64). [Le roi Edouard III à sa femme qui le prie d'épargner les bourgeois de Calais] Ha ! dame, je amaisse trop mieuls que vous fuissiés d'autre part que chi. Vous priiés si acertes que je ne vous ose escondire le don que vous me demandés ; et comment que je le face envis, tenés, je les vous donne, et en faites vostre plaisir (FROISS., Chron. D., p.1400, 848). Par le corps bieu, elle n'avoit garde De moy tirer a sa cordelle. J'ameroye mieulx que le corps d'elle Fut ars tout vifs soubz ung gibet. (Pouvre peuple H., c.1450-1492, 211). "Ha ! dist le Cappitaine, j'ayme mieulx qu'ils s'en voissent que, par faulte de gouvernement, ilz nous jettassent hors de la ville honteusement..." (BUEIL, I, 1461-1466, 101). J'aymeroie mieulx, par saint Gille, Que dedans ung feu vous boutasse. (Sav. serg. D.L., c.1480-1490, 31).

II. -

Empl. pronom.

A. -

Empl. pronom. réciproque : ...se ja n'eussent la esté Ou entreveuz, ja ne s'amassent. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 134). ...tant s'amerent d'ardant raige Que l'un devant l'autre buvraige Ne preist (DESCH., M.M., c.1385-1403, 176). Elles [ces bêtes] ne se peuvent amer ; Pour se les mangent leurs voisins. (Pass. Auv., 1477, 142). Et pour ce, le Saint Esperit est amour par lequel le Pere et le Filz se ayment. Quant on dist le Pere et le Filz se aiment par le Saint Esperit, il s'entent en deux manieres. Premierement qu'ilz se aiment par le Saint Esperit, c'est a dire par l'amour qui est le Saint Esperit. (Somme abr., c.1477-1481, 116). Oncques puis ces deux roys ne se aymèrent et se dressa de grans brouilliz entre les serviteurs du roy de Castille (COMM., I, 1489-1491, 138).

B. -

Empl. pronom. réfl.

 

1.

"Éprouver de l'affection pour soi-même, se respecter soi-même" : Et pour ce, il s'ensuit que c'est bonne chose et convenable de soy amer en ceste maniere ; car par ce que un homme fait bonne oeuvre, il fait aide a soy meïsme et as autres ; mais le mauvais qui se aime en la premiere maniere ne fait pas ainsi (ORESME, E.A., c.1370, 479). ...vos [du roi] ennemis, qui ne se ayment pas eulx mesmes et sont de mauvaise nature (JUV. URS., Verba, 1452, 236).

 

2.

"Se féliciter, se réjouir, s'estimer heureux" : Quant elle fu parée, bien vous puis recorder C'on ne péust plus belle, en che monde, trouver. "Mahon !" dient païen, "com chius se doit amer, Qui porra celle dame baisir et acoler..." (Baud. Sebourc B., t.1, c.1350, 145). Par ma foi, bien me doi amer, Quant Venus me dagne entamer Le coer de sa tres grant valour. (FROISS., Espin. amour. F., c.1369, 66). Et a celle heure me sambloit Qu'Amours en mon cueur asambloit Tant de joye parfaitement Et d'amoureus esbatement, Par penssee ymaginative, Que, quant j'en ay la retentive, Je m'en aime forment et prise (Livre amour. all. F., c.1398-1430, 32).

 

3.

Prov. Qui s'aime bien, qu'il se garde : L'on dit tous[j]ours et toust et tart : "Qui se aymera bien, si se gart." La riens que mieulx te puit garder Si est bien faire sans tarder (Liber Fort. G., 1346, 74).

III. -

Part. prés. en empl. subst. "Personne qui aime" : ...toute rien qui est noble et vertueuse en soy, doit aimer et affecter autre qui est semblable, et que amour doit estre lien entre l'aimé et l'aimant, et entre le noble et vertueux (CHASTELL., Vérité mal prise K., c.1460, 298).

IV. -

Part. passé en empl. adj. ou subst.

A. -

Empl. adj.

 

1.

[Aimé associé à feal, en parlant d'une pers. à qui on marque sa déférence] : Charles, par la grace de Dieu Roy de France, à nostre amé et feal Chancellier, et à noz amez et feaulx conseillers (...) salut et dilection. (BAYE, II, 1411-1417, 155). ...nous envoyons presentement en nostreditte ville d'Amyens devers vous nostre aimé et feal roy d'armes Flandres avec ces presentes (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 266).

 

2.

Bien/très aimé. "Respecté, apprécié" : Chis sires Jakes Chabos fut durement riches et poissans en la citeit, et astoit esquevins et grandement creüs et binameis. (HEMRICOURT, Miroir Hesb. B.B., 1353-1398, 31). De doleur suis au vif attainte : Pour tant, mon tres amé mari, Pensés de moy, car, mon amy, Se vous me trouvés acouchie Au retour, vous serés marry S'a joie ne suis despechie. (MOLINET, Myst. st Quentin C., c.1482, 4).

B. -

Empl. subst. [Au masc. et au fém.] "Personne aimée" : Mon cueur, ouvrez l'uis de Pensee, Et recevez un doulx present Que la tresloyaument amee Vous envoye nouvellement (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 53). Car ainsy com amans s'amee Attrait en la forest ramee Par doulz parlers, en promettant Garder s'onnour et en flatant, Mais quant la vient, il la deflore, Tout ainsy et trop pis encore Fist Boscalus au pastour quoy (Pastor. B., c.1422-1425, 251). ...il peut donner le sien [son bien] et a son gré et telle charge a son amé que bon luy semblera. (Abuzé D., c.1450-1470, 27). Le conseil de nostre bien amé (Jehan d'Avennes F., c.1465-1468, 119). Il luy couvient eslongier sa bien amee (Jehan d'Avennes F., c.1465-1468, 152). La personne [tentée] doit beaucoup plus tost prendre confiance d'avoir espoir en Dieu et estre de ses aymez (Remèdes blasphème, a.1500, fº 57).

 

-

[Désigne Charles VI] Le Bien aimé : ...et dudit roy Charles yssit le roy Ch. VI me dit le Bien amé pere de Charles a present roy de France. (JUV. URS., Aud. celi, 1435, 155).

 

-

Bien aimée. "Femme aimée" : Qu'en dictes vous, ma bien aymee ? (LA VIGNE, S.M., 1496, 161).

V. -

Inf. subst. "Faculté d'aimer, amour" : En amer n'a que martire, Nulluy ne le devroit dire Mieulx que moy (CH. D'ORLÉANS, Chans. C., c.1415-1440, 250). Certes, je ne cuidoye mie Qu'en amer eust tel changement ; Car chascun dit que c'est la vie Ou il a plus d'esbatement (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 89). Et peut on dire que tu as esté trop ennemie et trop a tost, et trop amie a peu y penser. Et sy te a porté grant grief ton haïr et ton amer peu de pourfit. (CHASTELL., Temple Boc. B., 1463-1464, 161). Or on puet entendre que nous est adont donnee charité [...] par laquelle nous amons effectivement et de fait, car nostre amer, par lequel nous l'amons, il le cree et fait estre. (Somme abr., c.1477-1481, 118).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Pierre Cromer

Fermer la fenêtre