A. -

"Fait de veiller"

1.

"Fait de veiller, de rester éveillé au moment habituel du sommeil, état où l'on veille" : En veilles, spasme est mauvez signe. (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 98). ...longues et excessives veilles (SAINT-GILLE, Comment. A.Y. L., 1362-1365, 351). ...mais en icelluy dormir est ablaction de sens et de mouvement et non pas en veille en nulle maniere (GORDON, Prat., c.1450-1500, II, 14). ...ou commencement de la nuyt pendit des tables escriptes et estendues en lieu publicque sur le siege des consulx et a la tierce veisle ["alors qu'on veille pour la troisième fois"] monta en sa nef et s'en fouyt (MAMEROT, Romuleon D., 1466, 25). ...a la tierce veisle de la nuyt ensuivant ["la nuit suivante, où l'on veille pour la troisième fois"] envoya le consul rommain devant les gens de cheval pour poursuivir les fuyans (MAMEROT, Romuleon D., 1466, 36).

2.

En partic.

a)

[Pour se consacrer à une tâche] "Fait de se priver de sommeil pour se consacrer à un travail, à une tâche" : O chetif homme, plus que tous aultres recreant et las, par les veilles, peines, labours et ententes que tu as prins et porté (C.N.N., c.1456-1467, 555). Et toutesfois en constant corrage, en espoir toudis fondé en Dieu, en diligent perseverer en labeur, en veille et en estudie de sens et en pacience... (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 320). Caton (...) n'exerçoit l'empire en aulcun autre plus griefment et plus roiddement qu'il faisoit en soy meismes, car en attrempance de veisles et de labeur... (MAMEROT, Romuleon D., 1466, 17). PELÏON. [un berger] Sur tous debvons joyeusement Garder les veilles de la nuict. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 220). Que faictes vous ? levez vos velles. Me voullez vous habandonner ? Vous cherront les plumes des elles Au temps que vous devez voller Et mener jubilacion ? Est il temps de se desoller Et cheoir en tribulacion, Ne fust il pas present saison De mener tout esbatement Actendu que le temps est bon ? (Sots gard., a.1488, 99).

-

[Pour se consacrer à l'étude (en partic. à l'observation du ciel)] "Grande et longue application qu'on donne à l'étude" (FEW) : MELCÏOR. (...) Je me recorde de meints nobles seigneurs Qui sur Oreb ont faict meinctes grans veilles, Clercs, philosophes, astrologues plusieurs, Desirans veoir si tres nobles merveilles. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 227). Cestui, par ses longues veilles, investiga moult du cours celeste. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 31 v°).

b)

"Insomnie" : Veilles en anciens ne sont en nulle maniere remediables (GORDON, Prat., c.1450-1500, II, 17).

3.

"Fait de veiller à qqc."

-

[Pour surveiller qqn ou qqc.] : Elle ne sceut mettre si bonne ordonnance en sa veille ou reglée accoustumance que trompée ne fust. (C.N.N., c.1456-1467, 508).

-

Faire ses veilles. "Veiller à qqc." : L'autre faisoit un chapelet Et entre gieu et gabelet, Quant il estoit fais, le donnoit A celui qui l'arraisonnoit Et requeroit d'avoir s'amour, Ja fust einsi que la clamour N'en parvenist a ses oreilles Et qu'autre part feïst ses veilles Ses cuers qui gueres n'i pensoit, Mais atant de li se passoit. (MACH., D. Lyon, 1342, 217).

B. -

P. méton.

1.

"Moment où l'on veille (en partic. pour les prières)" : ...il s'en ala dormir, portant secrettement ung cousteau en son lit, et aprés qu'il eult leu a la chandelle le livre de Platon qui traicte de l'immortalité de l'ame, il se reposa ung pou. Aprés, environ la premiere veisle de la nuyt, il esleva le cousteau et en frappa une fois sa poictrine (MAMEROT, Romuleon D., 1466, 250).

2.

"Vigile" : Si doit [l'aspersion] estre renouvelee chascun dymanche (...), excepté les jours de Pasques et de Penthecouste, es quelz on la beneist a la vegile [var. vigile / veille] au samedi precedent (JEAN GOLEIN, Rational B.D., c.1370-1372, 284).

Rem. Office du rite bénédictin, correspondant aux matines de la liturgie romaine ; G. Hasenohr, M. fr. 14-15, 1984, 270-271.

-

[Dans une formule de serment (pour garantir la vérité de ce que l'on dit)] : ...foy que doy festes et veilles ["Par le respect que je dois aux fêtes et vigiles"] (VILLON, Test. T., 1461-1462, 199).

-

P. métaph. Chanter ses veilles à qqn. "Faire des reproches à qqn, le tancer vertement" : Et s'elle dort et tu l'esveilles, Elle te chantera tes veilles (LE FÈVRE, Lament. Math. V.H., c.1380, 149). [G. Hasenohr, M. fr. 14-15, 1984, 270-271]

3.

"Veillée, assemblée tenue de nuit le soir d'une fête religieuse" : Et après ce retourna au dit pays et y amena la dicte femme, et en venant passa par une esglise appellé Saint Aignen, près dudit lieu d'Angle ; ou quel lieu avoit une veille de saint Jehan Baptistre, où estoient deux bessons, ausquelx il vendi et livra icelle femme pour deux escuz (Doc. Poitou G., t.7, 1409, 166). ...pour la solempnité dudit feu de ladite veille Saint Jehan 1449, lequel a accoustumé estre fait ladite veille en la place de Greve... (Comptes Paris V.L.D., t.1, 1447-1449, 598). S'ensuit oreison de sainte Barbe. (...) Car ceulx qui te feront honneur, Jeunant ta veille ["au moment de la veillée de ta fête"] de bon cueur Et le jour garderont ta feste Et te feront humble requeste, Par toy auront don especial (Prières saints R., t.2, c.1480-1500, 90).

-

Prov. : Apres les veilles sont les festes. (MART. D'AUV., La Dance des Femmes, éd. L. Götz, 1460-1508. In : Z. frz. Spr. Lit. 57, 1933, 330). [Même passage dans Danse macabre femmes H., p.1480, 92]

Rem. Il ne faut pas faire la veille avant la feste "il ne faut pas faire la veillée d'une fête avant la date" (GERS., VII, 713 ; J. Everett, M. fr. 11, 1982, 143).

-

P. ext. "Veillée" : Violettes en leurs saisons Et roses blances et vermelles Voi volentiers, car c'est raisons, Et cambres plainnes de candelles, Jeus et danses et longes velles, Et biaus lis pour li rafresquir, Et au couchier, pour mieuls dormir, Espesces, claret et rocelle. (FROISS., Ball. B., c.1362-1377, 43).

4.

"Jour qui précède une fête religieuse" : Vers ma mére vint en son lit, De ce fol delit eschaufez, En la veille que Diex fu nez ["la veille de Noël"] (Mir. enf. diable, c.1339, 32). ...la veille de l'Ascencion (Comptes argent. rois Fr. D.-A., I, 1352, 125). Cel tres noble chivachie Dount jeo fay mencioun ycy, Ceo fuist en l'an qe Dieux nasqui Mille trois centz quarant et sis, Et, ensi come dist lui escris, La viegle de Seint Bartholomeu (HÉRAUT CHANDOS, Vie Prince Noir T., c.1385, 59). ...environ la veille ou surveille de ladite Penthecouste, eulx cinq ensemble se assemblerent de nuit au portail de ladite eglise de Sainte-Opportune (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 101). Item, confessa que, la vaille ou seurveille de ladite feste de Saint-Jehan, il se parti d'avecques sadite mere, et se aloa a Thibaut Le Henapier, hostellier (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 187). Le dimenche veille de Noël, XXIIIJe jour de decembre, par devant maistre Jehan Truquan, lieutenant de mons. le prevost (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 390). ...Item, pevent cueillir la veille de Notre Dame my aoust, nonne sonnée, en ladicte forest, es essars, en taillez et en deffens, pommez, poirez, mellez... (HECTOR DE CHARTRES, Cout. R., c.1398-14, 234). Cedit jour, J. Maignier, huissier, a dit que la veille de Pasques flories perdi son seel (BAYE, I, 1400-1410, 315). ...la veille de Saint Jehan Baptiste (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 60). Ce fut le jeudi, veille du grant dimendre [l. grant divendre (?), "Vendredi- Saint"], Qu'avec eulx souppa le tres doux fin cueur tendre. (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 121). Samedi, XXXe jour de may, les presidens et conseilliers lais de ceans alerent en Chastellet pour entendre à l'expedicion des procès des prisonniers, ainsi que est acoustumé de faire chascun an la veille de la Penthecouste. (FAUQ., II, 1421-1430, 50). ...aujourd'uy a esté la veille de la feste et solennité de Pasques flories ; et de ce jour en huit prochain vous arez la veille de la grand Pasque (C.N.N., c.1456-1467, 513). ...par ung mardi veille de Nostre Dame de mi aoust (CHASTELL., Chron. IV, D., c.1461-1472, 249). Cestui, retourné en France, prenostica au roy Loys de la commecte, qui apparut l'an mil IIIIcLXXII, la veille saint Agnès (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 159 r°). Samedi, .XVIII. jour d'avril, veille de Pasques (LA VIGNE, V.N., p.1495, 260).

5.

P. ext. La veille. "Le jour qui précède un jour donné" : Et en ce jour mesme, la voele du tournayement, fist la dame atourner ung lit de dras de soye (Chev. papegau H., c.1400-1500, 27). ...la nuyt de la veille de leurs nopces (Cleriadus Z., c.1440-1444, 586). ...demain, qui sera la voille du premier jour de may, vous donrez un tresbel soupper (LA SALE, J.S., 1456, 83). Aujourd'uy, en ceste journee, Qui est la veille jour de l'an, Se veullent trouver sus la pree pour une joute En tout honneur et en tout bien. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 307).