C.N.R.S.
 
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     TÉNÈBRES     
FEW XIII-1 203a tenebrae
TENEBRES, subst. fém.
[T-L : tenebre ; GDC : tenebres ; FEW XIII-1, 203a : tenebrae]

A. -

"Obscurité totale, nuit" : Est il raison que je vous die Pourquoy la terre si trembla Quant les teniebles affubla De l'oscurté qui estoit ou monde. (Liber Fort. G., 1346, 183). Et l'espesceté ou obscurté de la terre empeesche que telles lumieres ne leur effés ne penetrent ou percent et entrent et ataingnent jusques vers le centre, mes ileques sont tenebres perpetueles : Et sempiternus horror inhabitat. (ORESME, C.M., c.1377, 258). Item, par ce que dit Aristote n'est pas a entendre que froideur soit proprement privacion de chaleur, ne pesanteur de legiereté et ainsi des autres contraires positifs en la maniere que tenebre est privacion de lumiere et repos de mouvement. (ORESME, C.M., c.1377, 360). ...a l'exemple du chat huant qui ne puet riens veoir sans aucune lumiere du soleil, non pourquant ne puet il veoir le soloeil en sa pureté, et ne juge riens du soloeil, ainsoys luy est le soleil comme tenebres et obscurté, car y[l] n'y puet goutte veoir. (GERS., Trin., 1402, 159). ...comment approuvera-il la maniere du fait qui fu par aguet, par fait pourpansé, par trayson (...) à heure de tenebres et de nuit, en la capital ville du prince, en la fonteinne de justice ? (BAYE, II, 1411-1417, 261). La veue corporele est empeschié par trois manieres : par tenebres, par faulse lumiere et par aversion de la chose visible, come cellui qui tourne le doz au soleil ou a la chandeille (Somme abr., c.1477-1481, 134).

 

Rem. Myst. Conception L., c.1481-1494 (Xavier Leroux, R. Ling. rom. 72, 2008, 400, tinbrez ; Sud-Est).

 

-

Tenebres obscures : Car comme ce soleil corporel que nous veons par dehors dechasse en sa venue toutes tenebres obscures et nous rent lumiere et couleur partout, pareillement avint en la nouvelle naissance de saint Pol (GERS., P. Paul, a.1394, 498). S'ilz ont erré, a eulx en doit on demander le retour et sur eulx en soit la vengence, quant soubz umbre de nous esclarcir verité ilz nous ont mis en ces obscures tenebres. (CHART., Q. inv., 1422, 39).

 

-

Tenebres des prisons : ...en toy se asseurent ceulx que lez ceps et les manicles tiennent esliennés es tenebres des prisons (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 91).

 

-

En partic. [Les tenebres qui ont recouvert la terre peu avant la mort du Christ] : Je ne puis plus souffrir l'ostrage Qu'on a fait a Jhesus mon filz ; Donc pour advertir les Juïfz Je veulx temeures estre en terre, Et que division soit en pierre. Je veulx aussi la terre tramble Et la fractïon du temple. (Pass. Auv., 1477, 224).

 

Rem. L'éd. a lu ce mot temeures et l'a défini par "tremblement de terre", mais ce sens ne convient pas, étant donné que le tremblement de terre est précisément mentionné deux vers plus loin. Le sens correct est sans aucun doute "ténèbres", sur la foi du texte évangélique selon lequel la terre entière fut recouverte de ténèbres peu avant la mort du Christ (Matth. 27, 45, Marc 15, 33, Luc 23, 44). La forme temeures pourrait résulter d'une mauvaise lecture de l'éd. (m au lieu de ni) ; quant à la séquence -ur- (à lire -vr- ?), elle pourrait représenter un hypercorrectisme pour -br- considéré par le copiste comme "auvergnat" (cf. dans le passage en dial. auvergnat, p. 146, les mots lebres "lièvres", paubres "pauvres"). En conséquence, temeures devrait être lu *tenievres, le i étant peut-être également un hypercorrectisme à l'analogie de la correspondance lebres/lièvres. (Cette rem. de J. L. Ringenbach reprend et complète celle de H. Stimm, Z. frz. Spr. Lit. 94, 1984, 197).

 

-

[Dans un cont. métaph.] : ...sa face blanche et vermeille, Par juste compas faite a point, Si que meffaçon n'i a point, Si clerement resplendissoit Que sa clarté esclarissoit Les tenebres, la nuit obscure De ma dolereuse aventure, Et de son ray persoit la nue Qui longuement s'estoit tenue Tourble, noire, anuble et ombrage Seur mon cuer et seur mon visage (MACH., R. Fort., c.1341, 55). Il ist d'iver, s'entre en esté, De povreté entre en richesse Et de flesve hostel en fortresse, De tenebres vient a clarté, Et de paour en seürté, D'amertume en douce liqueur, De fragilité en vigueur ; De la mer vient en seche terre ; Il vient en pais, s'ist hors de guerre. (MACH., D. Aler., a.1349, 298). Explicit le Confort d'amy Qui esveilla le cuer de my Es tenebres ou il dormi (MACH., C. ami, 1357, 141).

 

-

[Dans une loc, pour évoquer une action impossible] Faire de tenebres lumiere : Car elle est tant attraiant pautonniere Qu'elle feroit de tenebres lumière Et tireroit bien de la pierre sang. (NESSON, Lay guerre P.D., c.1424-1429, 58).

B. -

P. anal. au fig.

 

1.

"Situation d'aveuglement"

 

-

MÉD. Tenebres es yeux : Es corps ou il n'a point de fleume, qui ont fastide, mors du cueur, tenebres es yeulx, et amertume en la bouche, toutes ces choses signiffient que cel corps a mestier d'estre purgié par haut. (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 73).

 

-

Mettre comme tenebres devant les yeux de qqn. "Abuser, tromper qqn" : ...quant il sceut qu'il estoit entre les proscrips, tantost il prist les signes et enseignes que on portoit devant les precteurs et les fist porter devant lui ; et avoit avec lui pluiseurs manieres de sergens et appariteurs, par quoy il occupa les hostelz et boutoit arriere tous ceulz qui lui venoient a l'encontre. Et par celle hardie usurpacion, mist aussi comme tenebres devant les yeulz de ses anemis, et fist tant qu'il vint a Puceoles. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 29).

 

-

Tenebres de qqc. : Chose forte et perilleuse et pesante est profession et certaine parole de verité et qui souvent est viciee et enlaidie par les seurvenans tenebres d'erreurs et aussi souventesfoiz par la negligence du parlant. (FOUL., Policrat., IV, 1372, 49). Certes tout prince qui est establi en hautesce de honneur si doit par tres grant diligence garder qu'il ne corrompe son peuple par mauvais exemple ne par abusion et fol usage de quelconques choses et que point ne ramene ses gens a tenebres de confusion par voie d'orgueil ou de luxure. (FOUL., Policrat., IV, 1372, 58). ...pour ce, moy Cristine de Pizan, femme soubz les tenebres d'ignorance au regart de cler entendement, mais douée de don de Dieu et nature en tant comme desir se peut estendre en amour d'estude (...) à present, par grace de Dieu et solicitude de pensée, emprens nouvelle compilacion menée en stille prosal et hors le commun ordre de mes autres choses passées (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 5). A tel conseil ne se doit le prince arrester, mais le doit reboutter et blamer celluy qui tel conseil luy donne, car il ne scet qu'il dit ne qu'il fait pour ce que, come dit saint Jehan en sa premiere Epistle ou premier chapitle : "Celluy qui het aultruy est en tenebre et ne scet ou il va, car les tenebres de hayne luy obfusquent la lumiere de son entendement." (FILLASTRE, Traité Conseil H., c.1472-1473, 248).

 

2.

RELIG.

 

a)

"Office liturgique de la Semaine Sainte"

 

-

Mercredi des tenebres. "Mercredi des cendres" : ...depuis le XXe jour de fevrier (...) jusques au mercredi de tenebres ensuivant (Reg. Poitiers F., t.4, 1477, 243).

 

-

Chanter les Tenebres. "Chanter l'office des Tenebres et p. plaisant., en parlant de femmes, maugréer, ronchonner" : La pais est par elle [la femme] bannie, A rebours dit la letanie, La parole Dieu et la messe. Souvent maudit en sa promesse. Ma femme les tenebres chante (LE FÈVRE, Lament. Math. V.H., c.1380, 48).

 

b)

[Les tenebres symbolisent le mal, l'ignorance de Dieu ou le rejet de l'âme par Dieu ; p. oppos. à lumière, symbole de la révélation divine] : ...privé seras De la clarté qui sanz fin dure, Et en enfer en paine dure Et en tenébres seras mis. (Mir. pape, 1346, 366). Las ! quelle joie puis je avoir qui me voi en tenébres seoir, et la lumiére du ciel ne puis veoir ? (Mir. emp. Julien, 1351, 186). ...par son chier fil sommes appellez de tenebres a lumiére, de mort a vie, (...) de desert au royaume des cieulx (Mir. emper. Romme, 1369, 241). Et lui [Lucifer] qui de son Createur avoit esté cré en lumiere fu fait tenebres par sa propre voulenté. (CORBECHON, Mauvais anges S., 1372, 486). ...par laquelle lumiere clere et se[ri]e toute France fut et est convertie de tenebres et de ignorance en resplendissement de vraye foy et de science. (GERS., P. Paul, a.1394, 499). Beau tres doulx Dieu, je vous rens graces quant vous m'avez amené a vous congnoistre estre tel, tout puissant, tout juste et tout bon, et que dedans les parfondes tenebres de mon cuer vous avez fait resplandir vostre merveilleuse lumiere. (GERS., Trin., 1402, 164). ...mais les yeulx de l'Entendement malades en estoient deprimés, car la petite vertu de la veue, affoiblie du mal et des tenebres d'erreur, ne povoit si grant resplendisseur soustenir. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 24). ...pareillement se empesche la veue espirituele au regard de la congnoissance de Dieu. Premierement par tenebre de pechié et de erreur. Comme dist Saint Jehan en sa premiere epistle canonique : "Qui fait pechié, il est en tenebres." (Somme abr., c.1477-1481, 134). SECOND PRESTRE. (...) Quant il eult son esprit rendu Entre les mains de Dieu son pere, Adam et tout le residu Fut hors de tenebre et misere. Et puis s'en retourna arriere Au sepulcre ou l'en le bouta, Ou, tantost, par bonne maniere, Divinement ressuscita. (LA VIGNE, S.M., 1496, 151).

 

-

Les tenebres de Lucifer. "Enfer, séjour des damnés" : Je suis venue a celle part Pour certaine grande discorde Entre vous et Misericorde Pour l'homme qui est en infer Es tenebres de Lucifer (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 6).

 

-

P. anal. [À propos d'un champ de bataille] Tenebres d'enfer. "Situation confuse et emmêlée" : Et cecy estre dit, fut fait l'assault, comme il fut ordonné, sy impetueusement qu'il sembloit qu'ilz fussent tenebres d'enfer et une chose treshorrible en ce lieu de flesches, d'arcs, espiez, pierres et aultres traitz et engins par maniere que les gros quartiers des murailles cheoent a terre. (BAGNYON, Hist. Charlem. K., c.1465-1470, 120).

 

-

Père des tenebres. "Diable" : ...bien avoit Dieu pourveu a homme a la naissance Jhesu Crist, et desja estoit toute la terre arousee de la sourse de grace par infusion de congnoissance d'un seul vray Dieu, et illusion d'esperance opinative tournee en certaine esperance, quant le dyable, pere de tenebres, feist naistre sur terre et eslever au monde Mahommet. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 117).

 

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Princes/puissances des tenebres. "Les forces du Mal" : O figures horribles et abhominables de vostre pere Lucifer, de Leviatan et de Belial, princes des tenebres, pour mieulx decevoir humaine creature (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 315). Il est escript que de nuit communaument regne la poissance de tenebres, c'estassavoir le dyable, pechie et traison (MÉZIÈRES, Sustance H., 1396, 68).

 

3.

"Situation, état malheureux" : De che vient chelui pleur se auchun meurt, et les tenebres de doleur par la vie perdue de cheulx qui meurent. (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 273). Comment as tu le cuer failli, Qui l'as teint et le vis pali, Et dis que pour amer morras ? Non feras, quant parler m'orras, Car vesci qui confortera Ton fol cuer et qui l'ostera Des tenebres et dou tourment Ou je voy qu'il est en dormant Et en veillant et a toute heure. Conforte toy et plus ne pleure, Car je vueil, ordonne et devis Qu'aies merci et ton devis. (MACH., F. am., c.1361, 201). Amis, je te vieng conforter Et joie et solas aporter Et de ces tenebres oster Ou je te voy ; Et aussi te vien j'enorter Que tu te vueilles deporter De faire dueil et toy getter De cest anoy. (MACH., F. am., c.1361, 222). Maiz ainsi comme Hecube estant ou doulz eage de juenesse receut honneurs, clarté, et gloire, et fut auctorisee en haultesse royale, aussi elle ja vieille souffry avec son mari Priam, douleurs, tenebres, hontes, et toutes vilenies de par fortune forsenant contre Hecube. (PREMIERFAIT, Cas nobles hommes G., 1409, 183).
 

DMF 2020 - MAJ 2020 Pierre Cromer

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