C.N.R.S.
 
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     RAVIR     
FEW X 62a rapere
RAVIR, verbe
[T-L : ravir ; GD : ravir ; GDC : ravir ; FEW X, 62a : rapere ; TLF : XIV, 429a : ravir]

Empl. trans.

A. -

Au propre

 

1.

Ravir qqn

 

a)

"Enlever qqn de force (surtout une femme)" : N'a pas lonc temps que tu cuidoies Que se Prians, li rois de Troies, Fust en vie, et son fil Hector, Troïllus, et le bon Nector, Qui Menelaus mist en grant peinne Pour Paris qui ravist Heleinne, Et te vosissent faire guerre En ton païs et en ta terre, Qu'einsi te peüssent abatre (MACH., C. ami, 1357, 67). Trop s'en merveille Proserpine, Qui d'enfer est dame et roïne, Que li rois infernaus ravit En un vergier ou il la vit, Ou elle cueilloit des flourettes Avecques pluseurs pucelettes. (MACH., C. ami, 1357, 83). La Proserpine d'aventure Perdi ses fleurs et sa seinture Qui cheï enmi la fonteinne Qui moult fu douce, clere et seinne, Mais la fonteinne en devint trouble, Dont Dyane si fort se trouble, Et pour la deesse ravie, Que par larmes fina sa vie. Cerès la sainture trouva, Qui sa fille en mains lieus rouva, Et ce fu la premiere enseigne Qui Proserpine li enseigne. (MACH., C. ami, 1357, 88). Sus le marbre de la fonteinne Venus, Paris et dame Heleinne Estoient, et les acointances, Les guises et les contenances, Et comment elle fu ravie Et menee a Troie a navie. (MACH., F. am., c.1361, 190). Et pour ce la ravit Paris le filz Priamus, et de ce fu causee la bataille de Troye. (ORESME, E.A.C., c.1370, 173). Dist aussi, sur ce requis, que ès voyages et chevauchées cy-dessus dites par lui faites, il ne vit oncques feu bouter, ne n'en bouta aucuns, ne ne fu aussi où feu feust bouté, forteresse françoise prinse ne eschielée, ne femme ravye ou prinse à force (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 59). Recite à ce propos les histoires de Troies, d'Achilles qui fut tué ou temple d'un des Diex, de Helene qui fut ravie ou temple Venus (BAYE, I, 1400-1410, 101). Je ne fus pas plus desolee Jadis, quant Pluto me ravi Proserpine, ma fille, alee Cueillir des flours, puis ne la vi (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 115). ...Sabine estoit une cité assez près de Romme, de laquelle Romulus et ses gens ravirent les vierges (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 23). ...ilz vouloient avoir la ribauldelle qu'il tenoit fermée en sa chambre, et (...) si doulcement ne leur bailloit, ilz luy tolliroient et raviroient a son grand dommage. (C.N.N., c.1456-1467, 550). Item cellui qui occist sa femme ne doibt pas prendre aultre, comme il appert en la XXXIIJe. cause en la question seconde au chapitle Interfectores. Et cellui qui ravist la femme d'aultrui, cellui qui fait penitance solennele. (Sacr. mar., c.1477-1481, 62).

 

-

[De la mort] : Mort, j'appelle de ta rigueur, Qui m'as ma maistresse ravie. Et n'es pas encore assouvye Se tu ne me tiens en langueur. Oncques puis n'euz force, vigueur. Mais que te nuysoit elle en vie ? (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 85). Ha ! mort cruelle, dont te vient telle envye Que tel chef d'ost et haultain chevetaine Tu as voulu si tost priver de vie ? Bien te cuidions de luy estre longtaine, Mais tu as prins ton courroux et actaine à le ravir puisqu'il estoit mortel : Saiche qu'en France en avoit peu de tel De son estat tant estoit acomply Que Scipion, Pompée ne Hanibal, Non pas César, de vouloir si remply Ne fut jamais à pied ne à cheval. (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 395).

 

-

Part. prés. en empl. adj. Ravissant. (Synon. de ravissable) : ...par leus ravisans et crueux durement, Suy en esre de pierdre le dingne sacrement, Dont li roy sont enoins à leur avénement (Geste ducs Bourg. K., c.1410-1419, 532).

 

b)

"Emporter qqn (au ciel, au paradis)" : ...il m'est vis Qu'en paradis soie ravis, Tant ay de gloire. (Mir. emp. Julien, 1351, 219). ...a sa destre la voult puis couronner [Marie] De douze estoilles cléres et luisans, (...) Et a ses piez pour sa perfeccion Mettre une lune ; ainsi par vision La vit li evangelistes ravie (Mir. Theod., 1357, 132). Et si congnois, vierge Marie, Qu'ai esté en ame ravie : Dont humblement je vous merci (Mir. femme, 1368, 230). Mais si tost que je fus occis Je fus de deux angles ravis Qui soudainement m'emporterent Et en ce beau lieu me laisserent, J'en mercye le roy Jhesus. (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 244).

 

-

"Emporter, enlever (l'âme)" : Se [Fortune] sy plaine est de desraison Que vueille que du tout desvie, Plaise a Dieu que l'ame ravye En soit lassus en sa maison ! (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 136).

 

-

"Emporter qqn (en enfer)" : LUCIFER. Sy fault pour saouler mon envie Qu'i [l'homme] passe son commandement [de Dieu], Tant que la ligne en soit ravye Avec nous en peine et torment. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 47).

 

c)

"Attaquer qqn avec violence, avec impétuosité" : ...se estes esbayssant Aux anemis donrez coraige, De vous estre plus ravissant Et plus vous faire de dommaige. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 178). Aller les nous fault ravissant Ainsi qu'i sont hors d'ordonnance ; Vous les ferez esbayssant Et raviz en une instance (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 334).

 

d)

Ravir qqn de (du diable). "Sauver qqn de" : Celle [Marie] ce don a desservi Qui de l'ennemy t'a ravi Qui par pechié t'avoit tué Et a Dieu t'a restitué. (Mir. pape, 1346, 393).

 

2.

Ravir qqc.

 

a)

"S'emparer (avec violence) de qqc." : ...comme sont les tyrans qui par violence desolent et gastent les cités et qui ravissent et pillent les choses saintes ordenees pour le divin honeur, nous ne dison pas que il soient illiberals (ORESME, E.A., c.1370, 240). Le prescheur respondi que tout le contraire estoit vray, quer on le maudissoit de toutes pars, quer luy ou ses officiers pilloient tout, ravissoient tout, ne laissoient riens, tant par prises comme par tailles (GERS., Annonc., a.1400, 236). Mais selon la verité ce estoit avaricieuse rapacité qui ne espargnoit homme, ne femme, ne petis enfans, que tout ne fust ravis, rifflé, maintenant par fraude renardique, maintenant par violence loupine, maintenant par occision leonine. (GERS., Noël, p.1404, 309). Par ceste maniere sont pugnis les innocens et enfans, afin qu'il ne samble inconvenient aux pecheurs, se aucune fois sont tribuléz par le juste jugement de Dieu, et jugiéz ou ceulz qui abusent des choses consedees et prestees de Dieu, ou ceulz qui s'enforcent de ravir les choses non ottroyees. (Somme abr., c.1477-1481, 178).

 

-

"Se gagner, se procurer qqc." : Qui emprunte et ne puet rendre (...) Aler s'en doit senz plus attendre En autre païs pour aprendre S'il pourroit fortune tenir [var. ravir]. (DUPIN, Mélanc. L., c.1324-1340, 97).

 

-

Empl. abs. "Voler, chaparder" : Soies laron, raviz ou pilles, Ou en va l'acquest, que cuidez ? Tout aux tavernes et aux filles. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 130).

 

-

Part. prés. en empl. adj. "Voleur" : ...il promeust aux offices tresravissans hommes (...) ...contraint aux rapines et despueilles de ses subgetz... (MAMEROT, Romuleon D., 1466, 346).

 

b)

"Enlever, supprimer, détruire qqc." : Mes jours s'en sont alez errant, Comme, dit Job, d'une touaille Font les filletz, quant tixerant En son poing tient ardente paille : Lors s'il y a nul bout qui saille, Soudainement il le ravit. Sy ne crains plus que riens m'assaille, Car a la mort tout s'assouvit. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 37).

 

c)

Loc. Ravir la lune : Et s'est nïant de moy retraire, Car je ne le porroie faire ; Ne ce ne porroit avenir, Nes plus qu'on porroit avenir Aus nues pour ravir la lune, A si mervilleuse fortune. Car de cuer toudis l'ameray, Et après, quant finés seray, Car je croy que mes esperis N'iert pas avec mon corps peris ["On s'attendrait plutôt à une construction comme celle-ci : Ne je ne porroie avenir... a si merveilleuse fortune. Mais l'accord des manuscrits est formel : c'est bien la construction impersonnelle que le poète a choisie ; on devra par conséquent la conserver. Il faut donc entendre : Il est impossible que la situation puisse aboutir à un résultat aussi merveilleux, pas plus qu'on ne pourrait atteindre la lune" (Éd., 258)] (MACH., F. am., c.1361, 196).

 

Rem. .

 

3.

[D'une chose] "Enlever qqc." : Mais ce ciel par la grandeur et par la force et isneleté de son mouvement ravist et trait tous les autres cielz que il contient et qui sont souz lui et les meut de mouvement journal. (ORESME, C.M., c.1377, 316).

 

-

ASTR. [Du premier mobile] "Entraîner, emporter dans son élan" : Ceste .IXe. espere donc se meut de sa propre nature de orient en occident et ainsy porte et ravit avec lui toutes les autres .VIIJ. esperes qui sont par dessoubz lui en faisant chascun jour un tour entour la Terre. (EVR. CONTY, Harm. sphères H.P.-H., c.1400, 10).

 

4.

Part. prés. en empl. adj. Ravissant. "Menaçant" : On dit que naturelement Spadons eunuches telement Sont paresceus et paoureux, Ravissans et maleüreux Qu'ilz sont larrons de leur nature Et convoiteus pour leur froidure (LE FÈVRE, Vieille, trad. De vetula H., a.1376, 185). SETH. (...) C'est ung tresor resjouÿssant ; Mon pere en seroit joÿssant, Ce ne fust le serpent damnable Qui est trop faulx et ravissant, Cavilleux et decevable. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 130).

 

-

Beste ravissante. "Animal prédateur"

 

.

HÉRALD. Loup ravissant. "Loup dressé sur ses pattes de derrière" : Le leu est vne beste rauissante et de cruelle apperceuance et a le plus de sa vertu es piez en la maniere du leon et quelque chose qu'il empraingne de son pié, il ne le laisse aller (Best. hérald. H.E., c.1435-1450, 471). SATHAN. (...) Tu va hurlant, cryant : patic, patac ! Que malle bosse, malle poisons, maultac Et malle grayne te puisse prandre au bric, Ort, vil, villain, puant coquodrillac, Loup ravissant pour lequel je dys : gnac ! Que te fault il, paillart, puant aspic ? (LA VIGNE, S.M., 1496, 138).

 

Rem. FEW X, 62a, s.v. rapere : «"du loup, t. hérald." (seit 1581)». V. aussi ramper.

B. -

Au fig.

 

1.

Ravir qqn

 

-

"Transporter, exalter qqn (ou un aspect de qqn)" : Einsi fist Amours par son art Qui maint franc cuer doucement art Que, quant premiers ma dame vi, Sa grant biauté mon cuer ravi. Et quant de s'amour fui espris, Juenes estoie et desapris, S'avoie bien mestier d'aprendre, Quant tel fais voloie entreprendre. (MACH., R. Fort., c.1341, 4). Lors vy revenir tost après Les anges qui si biau chantoient Que mon cuer en eulz ravissoient (Mir. ev. N.D., c.1348, 84). Car sa douceur m'a si doucement pris Que je ne puis avoir longue durée Long des dous yex de son gracieus vis Qui ont ravi mon cuer et ma pensée. Et pour ce di vraiement Que je vivray tres dolereusement, Et que, pour moy faire avoir plus de peinne, Toute dolour sera de moy procheinne. (MACH., L. dames, 1377, 215). Pour ce maudi les yeus dont je vous vi, L'eure, le jour et le tres cointe atour, Et la biauté qui ont mon cuer ravi, Et le plaisir enyvré de folour, Le dous regart qui me mist en errour, Et loyauté qui sueffre et a souffert Qu'en lieu de bleu, dame, vous vestez vert. (MACH., L. dames, 1377, 219). Oncques ne fus si esperdu, Et encore certainement Ne suis je pas bien proprement Revenu en sens et memoire, Il me semble que soie encore Ravi en celle vision (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 254). ...et fut la dame comme rapvie en esperit et renouvellee de joie (Cligès C.T., 1455, 158).

 

-

"Exalter (l'amour) en qqn" : ...Uns homs qui moult est voz amis (...) m'a dit que sy renommez Estes et de si sainte vie Que s'amour est en vous ravie. (Mir. parr., 1356, 40).

 

-

[Domaine de l'amour] : Pour ce plaisence ha dedens moy norrie Joie sans peinne, Et si m'a tout en vostre signourie Rendu et mis, et par noble maistrie Ravi mon cuer qui usera sa vie En vo demeinne. (MACH., Compl., 1340-1377, 256). Comme elle est belle de vis Et comment, à mon devis, Ses gens corps est assevis De toute oeuvre de Nature, Gens, joins et amanevis, Par penser sui si ravis Que je ne sçay se sui vis. Si met je tout mon avis À penser à sa figure. (MACH., Les lays, 1377, 325). ...Et s'est si bien assevis Ses gens corps, sans meffaçon, Que Nature, ce m'est vis, Y mist si tout son avis Que j'en sui pris et ravis Plus qu'onques ne fu pris hom. (MACH., Les lays, 1377, 332). ...Puis que n'a de pité point Dou mal que j'endure, Qui me fait en desirant Languir, quant vois remirant La douce faiture De son tres gracieus vis, Par qui mes cuers est ravis Et mis en ardure. (MACH., Motés, 1377, 485).

 

-

Ravir qqn à qqc. "Occuper qqn à qqc., absorber qqn dans qqc." : Combien que la nature d'amour soit que elle attrait et ravit l'amant a ce qu'il ayme, tant fort que d'autre chose n'a cure ou paour ou honte, neantmoins en ce est la condicion [de l'amour] de Dieu divisee [de] l'amour mondaine ou charnelle, car l'amour de Dieu recoit et croit conseil, et est ployant et doulce a l'exemple de fer ardent, mais l'autre non. (GERS., P. Paul, a.1394, 501).

 

-

Ravir qqn de qqc. "Sauver qqn de qqc." : LE RUSTAULT [à saint Martin]. (...) Pour ce, venez la secourir Puisqu'ad ce faire vous convie, Affin qu'elle soit eschevie Et ravie Du grant mal qui la fait mourir. (LA VIGNE, S.M., 1496, 410).

 

2.

Ravir qqc. à qqn. "Enlever qqc. (une chose abstr., un bien abstr.) à qqn" : SAINT PIERRE. (...) pour quoy li as tu vendu Le basme dont il me servoit (...) ? Or m'as tu par ceste maniére Ravi mon droit, et ma lumiére Estaint (Mir. pape, 1346, 366). Hé ! Mors, com tu es haïe De moy, quant tu as ravie Ma joie, ma druerie, Mon solas, Par qui je sui einsi mas Et mis de si haut si bas (MACH., Motés, 1377, 487). L'ange n'est pas a Marie venu (...) pour son entiére et inviolable virginité ravir et avoir (Mir. fille roy, c.1379, 7). Et icelles [les têtes] qui s'enclinoient Unes contre autres en leurs vies, Desquelles les unes regnoient Des autres craintes et servies, La [dans les charniers où l'on entassait les squelettes, au cimetière des Innocents] les voys toutes assouvies, Ensemble en ung tas, pesle mesle ; Seigneuries leur sont ravies, Clerc ne maistre ne s'i appelle. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 134).

 

-

[La vie] : LA VEFVE. (...) Traistresse de dueil assouvie, Qui les vifz en vivant desvie, Qu'ai ge meffaict ? Qu'ai ge mespris ? Pence a quel mal tu me convie Quant tu as la vie ravie De mon filz lequel tu as pris. (LA VIGNE, S.M., 1496, 488).

 

-

Ravi de son sens. "Privé de sa raison" : ...ainsi que elle l'appercevoit venir de loing, montoit et descendoit de sa chambre, alloit et venoit maintenant cy, maintenant la, tant estoit esmeue qu'il sembloit qu'elle fust ravye de son sens. (C.N.N., c.1456-1467, 572).

V. aussi ravi
 

DMF 2020 - MAJ 2020 Robert Martin

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