C.N.R.S.
 
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     MISÈRE     
FEW VI-2 miseria
MISERE, subst. fém.
[T-L : misere ; GDC : misere ; AND : miserie ; FEW VI-2, 169a : miseria ; TLF : XI, 885b : misère1]

A. -

"État malheureux, digne de pitié, malheur"

 

1.

"État malheureux, digne de pitié, état de malheur où se trouve qqn" : Et si alez querre son pére, Qui sera ja en grant misére, Quant il orra telles nouvelles. (Mir. enf. diable, c.1339, 14). Si dist : "Juenesse, Belle dame, vous estes grant maistresse Qui cest amant tenez en grant destresse, En povreté, en misere, en tristesse, Vous et Amours. Vez que li las a perdu tout secours, Ne ses cuers n'a refuge, ne recours, Fors a la mort qui a li vient le cours..." (MACH., J. R. Beh., c.1340, 128). La pointure d'une vipere Qu'est incurable En riens a li ne se compere, Car elle [Fortune] traïroit son pere Et mettroit d'onneur en misere Desraisonnable. (MACH., R. Fort., c.1341, 34). Car se tu yes en grant richesse, Jamais n'avras vraie leësse, Fors peinne, misere et tristesse, Et en doubtance Seras dou perdre, qui trop blesse, Ou l'ardeur aras et l'aspresse D'avarice qui est maistresse De pestilence. (MACH., R. Fort., c.1341, 38). De mon las cuer qui se remort Vueillez le grant misére entendre Et le desconfort (Mir. parr., 1356, 25). Il dist : "Signeurs, n'aiez doubtance De la planté, de la puissance Des anemis Dieu, ne freour, Qu'il vivent en si grant errour, En tel pechié, en tel misere, Qu'il ne congnoissent Dieu le pere, Ses commandemens, ne sa loy..." (MACH., P. Alex., p.1369, 66). ...Le gieu, la feste et la grant joie Que ceuls d'Alixandre menoient, Des prisonniers qui revenoient, Car l'un y avoit son voisin, L'autre son frere ou son cousin, Et l'autre son oncle ou son pere. Or estoient hors de misere Et s'estoient tuit d'Alixandre Si qu'il ne pooient entendre A riens fors qu'à eaus resjouir Et à leurs amis conjouir. (MACH., P. Alex., p.1369, 189). Ce n'est pas chose droituriere ne raisonnable en nulle maniere de ensuivir les fortunes en jugeant de la felicité ou de la misere d'un homme. (ORESME, E.A., c.1370, 133). Mais l'en ne doit pas prendre vivre ne entendre ce que dit est de mauvaise vie et corrumpue par vices, ou de vie qui est en tristeces et miseres (ORESME, E.A., c.1370, 487). ...un homme n'est pas legierement ne souvent changié de misere en felicité (ORESME, E.A.C., c.1370, 136). ...le roy, qui là estoit couchiez et envolepez entre les linchelz, fut attains de celle flambe par tel maniere que oncques on n'y povoit venir à temps, ne le secourir, qu'il ne fust tous ars jusques à la boudine ; et pour ce il ne mourut pas si trestost, mais vesqui XV. jours en grant paine et en très grant misere ; ne surgien, ne medicin, n'en sceurent ne ne peurent oncques remedier qu'il ne morust. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 188). C'est celle qui par ordenance (...) Conçut vierge, sans violence, Porta vierge, sans desplaisence, Enfanta vierge, sans grevence, Le Fil Dieu qui prist no samblance Pour nous tous geter de misere. (MACH., Les lays, 1377, 407). Mes chieres seurs, or regardez la grant griefté et misere ou nostre pere a mis nous et nostre mere, qui eussiemes esté en si grant aise et en si grant honnour. (ARRAS, c.1392-1393, 11). Lors prist le duc la lettre et la lisy de chief en chief, et voit la misere ou le roy Selodus de Craquo tenoit le roy Fedric de Behaigne, en Prange sa cité, ou ilz n'ont, si comme dit la teneur de la lettre, pas pour vivre pour plus de trois a quatre mois. (ARRAS, c.1392-1393, 172). Tu as delivré cest pays de la plus grant misere ou oncques gens feussent. (ARRAS, c.1392-1393, 267). LA MARQUISE. (...) Sire, toute joye a toudis Vous doint Dieux et sa douce Mere, Et gard d'ennuy et de misere Voz gens et vostre compaignie ! (Gris., 1395, 92). ...brieve vie plaine de misere et de povreté (CHR. PIZ., P.V.H., 1416-1418, 26). ...le jour de la fin (...) est l'issue de toutes afflittions et miseres. (CHR. PIZ., P.V.H., 1416-1418, 42). Premierement, je vueil ce faire : C'est lever le siege d'Orleans Et les oster hors de misaire Dont y sont fort leans dedans (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 384).

 

-

Se donner misere. "Se donner du mal, de la peine" : Ne parlons plus de tout cecy ; Penser nous convient autre affaire Et lesser tout cela ainsi Sans soy donner tant de misaire. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 482).

 

2.

En partic.

 

a)

"État de l'homme sur terre, pécheur malheureux" : ...Si qu'a moy qui de ma misére Propre ay pechié, doulx Diex, appére La largesce de ta bonté. (Mir. st Guill., c.1347, 41). En considerant la misere De la presente vie amere Et ses paines après la mort... (DESCH., M.M., c.1385-1403, 215). O charoingne orguilleuse ! O sac plain de fiens ! Pourquoy te esleves tu ? Se toutes tes miseres ne souffisent a toy humilier, regarde, je te prie, l'umilité de ton roy, de ton Dieu et ton Seigneur (GERS., Noël, p.1404, 295). ...notre seigneur Dieu, roy celeste tout puissant qui deffaces et ostes, quant il te plaist, le misere du monde... (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 58). Et par la bouche du sage mande Dieu a ceulx qui mettent en non chaloir sa doctrine, mesprisent ses chastimens, qu'il se rira en leur mortel misere, et se mocquera de leur soudaine confusion (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 65). Se laisseray ceste misere Du monde plain de vanité (Myst. st Bern. Menth. L., c.1450, 101). ...comment icelui homme Jhesus print toutez les miseres de humainne nature fors que pechié, qui fait l'omme miserable et povre (CRAP., Cur Deus, De arrha B.H., c.1450-1460, 206). Tu as eu en ceste tierce partie triple remede que Dieu nous a donne contre nos enfermetez et miseres humaines pour finablement paruenir a plaine et parfaicte sante. (CIB., p.1451, 188). Et puis a la fois elle [l'âme] est deiectee en bas sur soy et sur sa misere et de tant plus se congnoist de tant elle est reuerberee et renuoiee sur soy par plus vehemente admiracion et par plus grant ferueur et amour ou vehement desir des choses celestielles. (CIB., p.1451, 191). Ne te semble il pas quant tu te regardes en claire lumiere sans quelque vmbre de dissimulacion que tu te trouueras en vne region estrange loing de la perfection diuine et moult defaillant en plusieurs choses, certes en ceste saincte meditacion tu verras clerement ta misere car en la congnoissance de toy tu trouueras de toutes pars miserables enfermetez (CIB., p.1451, 198). ...les angeles et ceulz qui sont en paradis n'ont besoing de misericorde, car en eulz nulle misere est. (Somme abr., c.1477-1481, 178).

 

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Le val de la misere. V. val "La terre, lieu de souffrances (p. oppos. au ciel, au paradis)".

 

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Vallee de misere. V. vallee

 

b)

"État de l'âme au purgatoire ou en enfer" : Las, dolente ! et se mon enfant que j'ay conceu, porté et enfanté, me refuse et m'est dur et me oublie, qui me aydera ? A qui de moy souvendra ? O Dieu ! quelle misere ! Que fera, Sire, ceste povre emprisonnee ? De quelle part se tournera ? Quel secours elle appellera se son enfant la refuse ? Quant mon corps estoit en maladie au monde, tu, mon enfant, et vous, mes autres amis, plouriez et monstriez cuer moult doloreux, et vous offriez faire tout vostre pouoir pour mon alegement. (GERS., Déf., 1400, 228). ...vous vous monstrez trop plains d'ingratitude, d'oubliance et mescongnoissance, et Dieu vous en punira, n'en doubtez point, car quant vous serez en semblable misere, semblablement on vous oubliera, mais se vous aydez a ma delivrance, [a la delivrance] de celle que vous soliez appeller vostre amie, je le vous rendray bien. (GERS., Déf., 1400, 228). Dieu tout endure, Mais, quant trop dure, Si lourdement y mect les mains Qu'en enffer, a chault et froidure, Fault que l'ame misere endure Et le corps des maulx inhumains. (LA VIGNE, S.M., 1496, 327).

 

3.

"Malheur, calamité qui survient" : Et aucuns convertissoient en serpens un ou pluseurs jours la sepmaine. Et dit le dit Gervaise qu'il creoit que ce soit par aucuns meffaiz secrez au monde et desplaisans a Dieu pourquoy il les punist si secretement en ces miseres que nulz n'en a congnoissance fors lui. (ARRAS, c.1392-1393, 4). Et toutesvoiez celuy jour fut vendu a Romme le champ ou il seoit, et, par une esperance non froissee entre si desesperables miseres, dedens lez murs assiegés, entre les vaincus, se trouva l'acheteur du camp couvert d'armez du vainqueur (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 138). ...c'est de la mort du très preulx, hardi et vaillant prince le duc Jehan de Bourgoingne, occis et murdry par ennemis reconseillez au lieu de Monstereau, en la presence et soubs le povoir de monseigneur Charles de France, daulphin de Viennois, et dont tant de maulx, tant de miseres, de povretez, de murdres, d'efforcemens, d'estorcions et de griefz sont advenuz ou royaulme de France, que ung million d'hommes en sont mors, deux millions de mesnaiges perduz, et tant de terres en sont demourées sans fruict et sans labeur, qu'elles assemblées souffiroient pour faire ung bon royaulme de grande et fertille reuve (LA MARCHE, Mém., I, c.1470, 196). Amalios, le souverain astrologien à Romme, predist la venue des Sennois en France et la captivité de Romme, excepté Capitolium, et les grandes miseres qui advindrent aux Rommains environ ce temps. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 51 r°). Aucuns dient qu'il predist la misere du royaume de France, qui puis fut veue, qui lors estoit en fleur et puis fut en ruyne pour cause principalle de la mort des ducz d'Orleans et de Bourgongne precedens. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 156 r°).

B. -

"Extrême pauvreté, indigence, privation" : Et puis chevaucièrent li Englès oultre par devers Villefrance en Thoulousain, gastant et exillant tout plat pays et mettant les povres gens en grant misère. (FROISS., Chron. L., VII, c.1375-1400, 149). ...pour le relievement du povre peuple de ce royaume, qui tant a souffert et seuffre de misere et povreté (FAUQ., II, 1421-1430, 96). Et ilec demourerent lesdiz pyonniers certain grant temps, et jusques environ le jour de Pasques, que le roy donna et bailla trefve pour certain temps avecques le duc de Bourgongne, qui estoit assegé par les gens du roy en son parc qu'il tenoit entre Bapaumes et la ville d'Amiens, et là où il fut en telle misere et povreté qu'il estoit du tout et sondit ost à la disposicion du roy pour en avoir du tout fait à son bon plaisir, n'eust esté ladicte trefve. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 256).

C. -

[Avec une valeur fortement dépréciative] "Ce qui est misérable, méprisable" : Maiz la misere De Fortune, diverse mere, A si troublé la sourse clere Que je n'y truys savour qu'amere, Tant a meslez Les ruisseaulx du long et des lez, De Melencolie reslez Et de Tristece entremeslez (CHART., L. Dames, 1416, 243). Pulces, cyrons et tant d'aultre vermine Nous guerroyent : bref, misere domine Noz meschans corps dont le vivre est trescourt (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, 4).

 

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[À propos d'une chose] Aller en misere. "Tomber en déclin, en déchéance" : [Caïphe :] (...) Loy qui est tant saincte et tant pure, Tant digne et de si hault mistere, Veoir aler en tel misere ! (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 144).

 

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"Sentiment, motivation méprisable (en partic. l'avarice)" : ...dont par ainssy n'est pas dicte misericorde, ains est dicte misere accorde. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 9).
 

DMF 2020 - Synthèse Robert Martin

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