A. -

"Ne pas savoir, ne pas connaître"

1.

Ignorer qqc./de qqc.

a)

"Ne pas connaître qqc. (qu'il faudrait connaître)" : Auchunes choses aussi nous lisons ou aprenons pour che que c'est peril a icelles ignorer, car comme dist Boece : «Nul mal ne puet estre eschievé s'il n'est premier congneu». (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 79). Car tout mauvais ignore ce que est a faire et ignore ce qui est a fuir et eschiver ou laissier. (ORESME, E.A., c.1370, 180). Nul ne peut ignorer droit naturel qui est dit premier, pour ce que droit positif en descent et en est derivé. (ORESME, E.A.C., c.1370, 315). ...car meisme les plus grans philosophes qui onques furent ignorerent moult de choses naturelez et defaillirent et errerent pluseurs fois (ORESME, C.M., c.1377, 724).

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"Ne pas connaître qqc. (qu'il est impossible de connaître avec certitude)" : Tilcinus, ainsi nommé, fut en ce temps, mais sa region est ignorée ou incertaine. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 84 v°).

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"Ne pas savoir qqc. (qu'on a envie de savoir)" : ...[il] se mist aux escoutes pour savoir la verité de ce qu'il ignoroit. (C.N.N., c.1456-1467, 493).

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"Être incompétent dans tel domaine de connaissance" : Ces choses non considerans, iceulx detracteurs, ignorans totallement la vraye science de astrologie et les fondemens, principes, regles et moïens d'icelle (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 2 r°).

b)

"Dans l'action, ne pas savoir ce qui est permis ou interdit, ne pas savoir ce qui est en cause, en jeu, ne pas savoir les conséquences..." : Et la chose qui est ignoree et non cogneüe, ou qui est cogneüe et non ignoree et n'est pas en nostre puissance et liberté, ou qui est faite par violence, toute tele chose est involuntaire. (ORESME, E.A., c.1370, 307).

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Ignorer (de) qqc. "Ne pas connaître l'existence, la réalité de qqc." : "...la darraine armée que li baron et chevalier aucun d'Escoce ont fait en Engletière, il n'en savoient riens ne n'ont sceu, mais en ont ignoré et ignorent." (FROISS., Chron. R., XI, c.1375-1400, 173). Danger de mort, de famine, de guerre Sont bien prochains, de ce ne ignorent nulz (Cene dieux, c.1492, 141).

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Ignorer de + inf. : ...elle se bouta en l'ostel, ignorant d'y avoir cognoissance. (C.N.N., c.1456-1467, 259).

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Ignorer + prop. inf. : Par quoy plus veritablement on pourroit dire que ladite main mise faicte esditz prevostés sans cause et sans ordre de justice, nous non appellez ne oÿz, et pour du tout nous en cuider debouter, a esté et est contre l'auctorité de Dieu, lesditz traictez et promessez, lesquelz vous ne ignorés pas estre violez ne enfrains par la cautelleuse et deceptive prinse de nostre ville de Saint-Quentin par le conte de Saint-Pol, connestable (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 260).

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Ignorer + sub. interr. indir. : ...jassoit ce que l'on ignore où il et soubz qui il peut en avoir esté acquis sa science, comme il feust bany LXV ans de sa patrie, touttefois l'experience l'a rendu souverain clerc (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 44 v°).

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Ignorer que + subj. : Le bon seigneur, qui cognoissoit de sa jeunesse le marchant (...) mais ignorant qu'il fust marié ne qui fust sa femme, pensa tantost que, pour l'absence du dit marchant, sa dicte femme le demandoit pour estre conseillée (C.N.N., c.1456-1467, 571).

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Ne pas ignorer que + ind. ou subj. : ...vous ne povez ignorer qu'en ce faisant vous ne damnez vostre ame. (C.N.N., c.1456-1467, 81). Et combien que ces choses sont estranges à croire à pluseurs, toutesfois il ne fault pas ignorer que le Roy Artus n'aist esté Roy d'Angleterre, comme il appert par les cronicques antiques d'Angleterre, par les fondacions qu'il a faictes et par sa sepulture en l'abbeye de Glasonbery. (LA MARCHE, Mém., I, c.1470, 120).

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[D'une loi] : Et toutesfois, elle [la loy] ne ignore pas que en ce peut avenir pechié et deffaute. (ORESME, E.A.C., c.1370, 319).

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Empl. pronom. à sens passif : Et ne se peut ignorer que ce grant bien et eternelle grace d'entrer en la loy crestienne et recepvoir la lumiere de la foy et de croire en la Trinité et au benoist fruict de la Vierge Marie, ne soit premiers venu en France par la fille du Roy de Bourgoingne, femme du Roy Clovis, et comme je l'ay recité. (LA MARCHE, Mém., I, c.1470, 56).

2.

Ignorer qqn

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Empl. pronom.

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"Ne pas connaître sa condition terrestre" : O la tresbelle entre les femmes puis que tu te ignores et que tu ne te veulx congnoistre va ten [l. t'en], ys de la compaignie des bestes et va derriere apres les tropeaux de tes bestes, tu paistras les boucs. (CIB., p.1451, 199).

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S'ignorer soi-mesme : Item, il semble que il ignore soy meïsme ; car se il se cogneüst, il appetast et desirast ce de quoy il est digne ou cas que ce sont biens. (ORESME, E.A., c.1370, 257).

B. -

P. ext.

1.

Ignorer (de) qqn/qqc. "Ne pas prendre en considération qqn/qqc., négliger qqn/qqc., ne pas tenir compte de qqn/qqc., faire comme si qqn/qqc. n'existait pas" : ...ja murmuroient li pluissour en Engleterre que li rois lors sires estoit plus prochains de l'iretage de France que li rois Phelippes n'estoit. Li rois d'Engleterre et ses consauls ignoroient de toutes ces coses, mais grans parlemens et assamblees sus li dit honmage furent en celle saison en Engleterre. (FROISS., Chron. D., p.1400, 191). Et ceste raison, on lor metera en termes tout premiers, car elle est toute clere, et bien le scevent, quoi que il en ignorent. (FROISS., Chron. D., p.1400, 214). Et ce font ilz tousjours en l'amoindrissement et reboutement des dames, dont c'est pechié et grant honte pour ceulx qui ainsi le font, car ilz ygnorent la grande noblesse des dames et les grans biens qui d'elles procedent. (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 77). Mais jamais je n'ay congneu prince qui ait sceu congnoistre la difference entre les hommes, jusques à ce qu'il se soit trouvé en necessité et en affaire, et, s'ilz le congnoissoient, si l'ignoroient-ilz (COMM., I, 1489-1491, 78). ...et l'eussent faict aiséement, car des hommes de grant auctorité leans qui sçavoient cecy (mais l'ignoroient) le m'ont compté, disant que le duc de Millan n'eust sceü trouver assez gens pour se laisser assiéger dedans le chasteau de Millan et que nobles et peuple vouloient la destruction de ceste maison Forsesque. (COMM., III, 1495-1498, 157).

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Sans rien ignorer. "Sans rien perdre (de ce qu'on entend)" : Quant li rois la roÿne vist si forment plorer Et il out entendu tout senz riens ignorer, Tres granz compunctions de cuer s'est en ly mise Et granz compassions, lors parla en tel guise... (Gir. Ross. H., c.1334, 182).

2.

"Faire semblant"

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Ignorer. "Faire semblant (de ne pas savoir qqc.)" : Vous avés demandé a quel title nous vous volons presentement faire guerre. Vous le savés bien, quoi que vous ignorés ; mais puisque il fault que nous renouvellons la parole, je parole pour nostre sire le roi (FROISS., Chron. D., p.1400, 214).

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Ignorer que. "Faire semblant que, feindre que" : ...le roi (...) conmandoit que a ce besoing nuls ne le fausist, sus la painne de estre pugnis de corps et d'avoir. (...) il respondirent et demanderent : "Et de qui se doubte li rois ?" Et ignorerent que il n'en savoient riens. Chil varlet et messagier dou roi leur dissent que nouvelles estoient venues au roi (...) chil doi chevalier fissent l'esmervilliet (FROISS., Chron. D., p.1400, 82).

3.

Au passif

a)

[D'une chose] "Être inconnu (parce que la chose en question n'existe pas)" : Comme dont dist saint Ambrose chy dessus : «Quant l'eage a vigueur en l'adolescent, quant le sang est chault, quant debilité est ignoree, quant leesse est frequentee, lors est grand besoing de soy en meureté de meurs acoustumer, par laquelle nature soit suppeditee». (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 299).

b)

[D'une pers.] "Ne pas être mentionné, ne pas être cité, ne pas être connu" : Cestui n'escripvit riens dont soit memoire, mais en plusieurs livres est moult loé et alegué, en plusieurs livres ignoré. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 24 r°).