C.N.R.S.
 
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     GRUE1          GRUE2     
FEW IV grus
GRUE, subst. fém.
[T-L : grue ; GDC : grue ; DEAF, G1506 grue ; AND : grue1 ; FEW IV, 296a-b : grus ; TLF : IX, 562b : grue1]

A. -

[Oiseau]

 

1.

"Échassier migrateur qui vole par bandes, grue" : Et conment qu'a lui moult pensast Et desous main la regardast, N'avoit il pas le coeur sy niche Qu'il ne regardast le serviche Confaitement on le faisoit Et par quel guisse on desmenbroit Chisne, faisant, avve ou oyson, Grue, butor, pertris, pigon (Dit prunier B., c.1330-1350, 60). C'est une chose forte a croire C'un petit oisel puisse traire Une grue ou un cigne a mort (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 245). Et pour ce, un qui estoit de la cité de Epyre, un humëeur de brouéz et lechëeur, prioit as dieux et soushaidoit que il eüst la gorge plus longue que le col d'une grue. (ORESME, E.A., c.1370, 222). Et ad celle raison qui dist que lez mouches de miel ont un Roy, et lez grues ensivent une, veci une grant philosophie ; certes, ceste raison ne prueve mie que l'Impereur doie avoir la monarchie de tout le monde, mez semble qu'elle prueve tout le contraire : car, ainsi conme toutez lez mouches du monde n'ont pas un seul Roy ou prince, mez lez mouches d'un lieu ont un, et celles d'un aultre lieu, un aultre (Songe verg. S., t.1, 1378, 55). Autres faucons y a que en appelle harroctes et viennent de Grennade et sont moult petiz et tresbons pour le heron, la grue et l'oustarde. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 168). - Mon signeur, vostre cousin se recomande à vous et à ma dame vostre compaigne, et il vous a envoiee trois blancs leuvrers si veluz comme un ours, bien courans et de bonne entaille ; et aussi trois grues si privez qu'ils se vuillent paistre au main. (Man. lang. G., 1396, 82). Pigmea fut royne des Pygmeans, mais pour ce qu'elle se voult preferer a Juno quant a sa beauté, elle fu muee en grue de par Juno et condampnee a perpetuelle bataille contre les Pigmeans ; et de fait les grues ont toujours guerre a eulx (LEGRAND, Archil. Sophie B., c.1400, 173). Pour cause de cestui escriemant les grues abaisserent l'aultre pié ; et après aucuns sautilliz les grues se envolerent (PREMIERFAIT, Décaméron D., 1414, 717). Les gruez volent par ordonnance et esluisent vng roy et volent en fourme de bataille et selon Pliton ilz esluisent tous iours la dixieme qui va deuant les aultres et les mayne et conduit et chastie et se celle qui est le roy la voit desfaillir il la met derriere et en son lieu en met vne aultre (Best. hérald. H.E., c.1435-1450, 478). Les pigmiens sont sy petis que par les champs n'osent aller pour la doubte des grues (MARTIN LE FRANC, Estrif D., 1447-1448, 49). Et, depuis encores, par autre commission du roy adreçant à Merlin de Cordebeuf, fut venu querir et prendre audit lieu de Paris tous les cerfz, biches et grues qu'on y peust trouver et tout fait mener à Amboise. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 220). ...il mengoit en ung repas la quarte partie d'un mouton ou deux chappons ou une grosse oye ou une bonne jambe de porc ou ung paon ou une grue ou ung lievre entier. (BAGNYON, Hist. Charlem. K., c.1465-1470, 16). Quel chose trompe en la fin d'esté et en mars plus les grues et bistardes ? - C'est de ahaner sans semer (Devin. R., c.1470, 147). Mais que j'ay veu depuis six ans Paistre de grues parmy les champs Qui toutesfois s'en sont vollees. (Rapp., c.1480, 59).

 

2.

[Comme expr. d'une valeur minimale] : A soy meïsmes dist : "Ne me prise unne grue, Se Flourenche ne m'est ottroiie et rendue..." (Flor. Rome W., c.1330-1400, 139). En despit de ton corps qui ne vault une grue, D'un coutel m'occiray (Galien D.B., c.1400-1500, 142).

 

3.

[Comme terme de compar.]

 

-

[Du mouvement de la tête] : ...celles [des jeunes filles] semblent à la grue et à la tortue qui tournent le visaige et la teste par dessus et qui vertillent de la teste comme une belette. (LA TOUR LANDRY, Enseign. filles M., 1372, 24).

 

-

[Du mouvement du cou] Longer le cou comme la grue/tendre le cou comme la grue : Puis vous seront [les Français] doulx comme ung aignau Longent le coul comme la gene [l. la grue]. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 126). Or vous baissez en malle estraine, Vous avez icy trop presché, En present serez despesché. Tendez long col comme une grue. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 283).

 

Rem. Dans l'ex. du Myst. siège Orléans, il y a prob. une erreur de copie ou de lecture. Il convient certainement de lire grue, rimant avec nue deux vers plus haut. GD, s.v. lagene "bouteille" lit Longent le coul comme lagene, bien que l'éd. Guessard ait imprimé la gene.

 

-

[De la longueur du cou] : ...Yeulx de perdriz et nés de chahuant, Groing de pourcel, long coul comme une grue, Bossus derrier et enfossez devant (...) Qui onques vit corps de telle façon ? (DESCH., Oeuvres Q., t.5, c.1370-1407, 32).

 

.

Loc. au fig. À col de grue. "Précautionneusement" : Et com cil qui tousjours a peur En tel estat qu'on ne le tue Et qui n'est onques bien asseur Puis qu'il ot rien qui se remue, Se soubzlevoit à col de grue Tout bellement sur ses genoulx Et avoit l'oreille tendue A tout lez pour le peur des loupz. (TAILLEV., Destr. D., c.1427-1430, 50).

 

4.

Loc. prov.

 

-

Cuider prendre la grue au ciel/prendre les grues en volant/tailler grues en volant. "Vouloir faire une chose très difficile ou impossible ; faire preuve d'une grande présomption" : Tu me dois toute oubeissance, Foy, pais, honneur et reverence, Et tu t'en vas sans congié prendre ? Au ciel cuides la grue prendre, Quant tu vas en estrange terre, Et ne scez que tu y vas querre. Que te faut il en ce païs ? (MACH., P. Alex., p.1369, 18). Sire, il a grant paour qui tremble. Cilz chevaliers, je croy, cuide prendre les grues en voulant. Par foy, il fauldra bien a ce qu'il pense. On ne prent pas tels chaz sans moufles. Sire roy, je vous dy qu'il a menty de quanqu'il vous a dit, car mon pere est preudoms et loyaulx. (ARRAS, c.1392-1393, 59). Les en voulez vous garder Ces rivieres de courir Et grues prendre et tenir Quant hault les veez voler ? (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 373). Il prent les grues en vollant. (MIÉLOT, Prov. U., 1456, 194). Cuiderïe je suys et Abus ensement, Qui sommes cy venuz pour cuider seulement Vouloir prendre les grues en volant se pouons. Pour ce cas aprés elles nous courons et saillons Affin de les happer com voiez, follement (RENÉ D'ANJOU, Cuer am. espris W., 1457, 176). Tu tailles grues en volant Et si forcontes sans ton hoste, Tu aras le ceur bien dolant (MOLINET, Myst. st Quentin C., c.1482, 179).

 

Rem. Ex. de Froissart (Par mon serment, Vous savez bien Taillier les grues en volant), ds DI STEF. 417c ; cf. aussi DI STEF. 417b ; Prov. H. G58.

 

-

Voler par dessus les grues. "Être transporté de joie" : Avant qu'ëusse retrousse Ce povre cors et rendosse, Jë estoye si viguereus Que bien cuidoie valoir .II.. Je voloie sur les nues Plus haut que hairons ne grues, Je vëoie et entendoie Et nul contraire (ne) trouvoie. Or est li gieu si retourne Que mon contraire ai retrouve... (GUILL. DIGULL., Pèler. vie hum. S., c.1330-1331, 196-197). Je cudoye monter aux nues Et voler par dessus les grues, Tellement fuy d'amours ravis (LE FÈVRE, Lament. Math. V.H., c.1380, 20).

 

5.

Péj. "Personne qui se laisse facilement tromper (?) ; femme facile (?)" : On ne scet qui rue, Mais je ne seray pas si grue Que je n'y paye la corvee. (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 270). Qui veult a moy faire la moue Pour une grue assez sottie, Bien prise et bien caillebotie, Je la fais bien compectamment. (Roy sotz, c.1450-1500, 217). Je regny ma vie : tu es grue Si tu veulx tenir en la rue Ceste posicion icy. (Serm. Choppinerie K., c.1462, 153). ...Il n'y a si riche, Si povre, tant soit simple ou grue, S'i estoit si large ou si chiche, Qui sur ce pas icy ne rue. (COQUILL., Oeuvres F., 1478-p.1494, 211). Sainte Sambrebieu, quelle grue ! Va, si te marie ! - Combien L'on trouve fille de bien Plus que d'aultre, mais je me doubte Que Fortune ne me deboute Et soit en ce cas contre my. (Serm. plaisant K., c.1500, 467).

 

-

Loc. Juger qqn grue. "Trouver qqn idiot, stupide" : Brief, affin que le tout conclue, On juge le malheureux grue Et cil qui a la voille au vent, A gré on le juge sçavant (SAINT-GELAIS, Séj. honn. D., c.1490-1495, 349).

B. -

"Engin de levage"

 

1.

"Machine de guerre, grue" : Et y fist amener cinq ou six ponts de bois qui estoient portez sur roues avecques deux ou trois grues, lesquelz engins avoient esté faits en ladite ville, afin de traverser les fossez d'icelle bastille. (CHART. J., Chron. Ch. VII, V., t.2, c.1437-1464, 40). Et pour trouver manière de gaingnier ladicte bastille, furent fais quatre engiens, c'est assavoir deux chas et deux grues, par lesquelz engiens les Franchois pooient approchier leurs ennemis. (ESCOUCHY, Chron. B., t.1, c.1461-14, 307). ...il fist faire chaz, grues et aultres engins, comme trenchis, rollans, bastillons et toutes manieres dont on peut villes approchier. (LA MARCHE, Mém., I, c.1470, 137). Puis quant les machines survindrent, Cirus monta sur une greue pour regarder se la bataille s'arrestoit autre part que devers les Egipciens. (VASQUE DE LUCÈNE, Cyropédie G.-G., 1470, 236). Vegèce et aultres venerables acteurs (...) mettent en avant aucuns engins, machines et instrumens comme tours de bois, vignes, sambucques (...), moutons, leups, chatz, truyes et grues desquelz on usoit ancyennement pour rompre et abattre murailles, pour envayr ses ennemis et les combatre main à main. (MOLINET, Chron. D.J., t.1, 1474-1506, 44). ...ung noble chevalier espaignart (...) s'approcha du duc et lui monstra en ung papier la figure et samblance d'ung grant engin hault et eslevé, appellé une grue, lequel il voloit composer en intention de le roler jusques aux murs, de parler à ceulx de Nuysse barbe à barbe et de les accoler du trenchant de leurs espées. (MOLINET, Chron. D.J., t.1, 1474-1506, 45).

 

2.

MOULINS "Poteau de fond au milieu de la façade du vent" : ...pour avoir fait une nouvelle grue au dit mollin ou lieu de le vieze qui estoit pourrie (Doc. 1459. In : Y. Coutant, Terminol. du moulin médiév. dans le comté de Flandre, 1994, 695). ...pour avoir mis l'arbre du dit moulin sur estanchons, retallié le quingnet de desoubz, y mis un quingnet entre le bauch anier et le grue (Doc. 1474. In : Y. Coutant, Terminol. du moulin médiév. dans le comté de Flandre, 1994, 695).

C. -

"Instrument de punition, composé de deux pièces de fer qui se terminent en bec de grue par le bas et qui ont la forme du carcan par le haut" : Li dis Hanins fu pour les dictes manaches mis en le grue ou markiet a Mons (Arch. Nord, 1405, B 10359, f° 44, IGLF). Pour les frais fais en le prison a Mons par 1 valleton de Saint Simphorien qui fu mis en le gruwe pour ce qu'il ne peult payer une lois que fourfaites avoit... (Arch. Nord, 1407, B 10647, f° 33, IGLF). [Forme anglo-normande] Il avoit delivret as prisonniers coutiaulx pour eulx defferer, pour laquelle malfachon il fu mis en le grue publikement (Arch. Nord, 1408, B 10362, f° 41, IGLF). Sa terre n'a pas vendue Ne perdue Par jeu ne par grant despence, Deux ans a esté en mue En la grue, En prison en grant souffrance, En dangier, en grant balance Et doubtance, La chose est assez congneue (RÉGN., F.A., 1432-c.1465, 171).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Hiltrud Gerner

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