C.N.R.S.
 
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     GORGE     
FEW IV 331b gurges
GORGE, subst. fém.
[T-L : gorge ; GD : gorge ; GDC : gorge ; DEAF, G999 gorge ; AND : gorge1 ; DÉCT : gorge ; FEW IV, 331b : gurges ; TLF : IX, 336b : gorge]

A. -

"Parties antérieures et latérales du cou"

 

1.

"Cou, gorge" : ...Estiene Teleru, resté pour ce qu'il havoit dit en jugemant que se Rouberz de Saulz mettoit la main a luy, qu'il li donroit dou poin sus la gorge et de paier l'ajugié (Echevin. Dijon L., 1341, 38). Veez come a la gorge noire : Qui que soit, voir, l'a estranglé. (Mir. femme, 1368, 200). Quant li roys se senti bleciez, Tous nus est de son lit dreciez Et par la gorge le hapa à IJ. poins et si l'atrapa Que dessous li le mist à terre, Et si fort li estreint et serre Que pour po qu'il ne l'estrangla. (MACH., P. Alex., p.1369, 269). Et pour ce, un qui estoit de la cité de Epyre, un humëeur de brouéz et lechëeur, prioit as dieux et soushaidoit que il eüst la gorge plus longue que le col d'une grue. (ORESME, E.A., c.1370, 222). ...les Sarrazins arrabiens sont congneuz ad ce qu'ilz ont et portent le faissel blanc sur leur teste, mais tousjours ont le chief du cuevrechief, ou toualle dont le faissel est, entourteillié par dessoubz leur gorge (Voy. Jérus., c.1395, 43). Gula (...) : gueule, gorge ou glouternie, anterior pars colli (LE VER, Dict. M.E., c.1420-1440, 201). C'est doctrine médicinale D'ouvrir la vaine capitale Quant l'apostume, o sa tempeste, Occupe la gorge ou la teste (LA HAYE, P. peste, 1426, 119). ...elle se gectoit à terre et se boutoit, ainsi qu'elle pouoit, parmy les plus fors buissons et tellement qu'elle se escorchoit et se depeçoit tout le cuir du visaige et du corps des espines qui l'esgratignoient la gorge et les mains, le corps et les jambes (Cleriadus Z., c.1440-1444, 304). ...la partie devant du col, on l'appelle gula, c'est a dire gorge (GORDON, Prat., c.1450-1500, IV, 1). ...mais toutesfoiz fut l'umanité de Cesar tant grande qu'il leur fit avant copper les gorges et aprés crucifier [les corsaires] par ce qu'i l'avoit juré devant qu'i les crucifiast. (MAMEROT, Romuleon D., 1466, 128).

 

-

(Nouer/fermer qqc.) sous la gorge : ...[il] avoit un chapperon de drap de mabré brun double sur le visaige, et estoit noullé soubz la gorge, et ne avoit aumuce ne chappiau (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 426). ...et fermoient leurs chapperons soubz la gorge (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 433). ...un chapperon à noyaux soubz la gorge (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 453). ...[il] estoit vestu d'une cotte hardie noire, longue jusques au-dessoubz du gros de la jambe, et n'est point noulée par devant, et un chapperon de drap vermail sangle, noulé soubz la gorge, sanz aumusse et chappel (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 464).

 

-

Loc. verb.

 

.

Couper/trancher la gorge : Vos deux filz sont occis, par foy, La gorge ay a chascun copé (Mir. Amis, c.1365, 64). ...Einsois la teste li fendi, Si que la cervelle espandi. Apres il li copa la gorge D'un coustel de mauvaise forge, Que mal fust il onques forgiez ; Mieus fust, s'il en fust escorchiez, Quant onques pour roy si vaillant Murtrir, ot manche ne taillant. (MACH., P. Alex., p.1369, 270). ...[il] s'aproucha d'icelle fille, et, d'un petit coustel qu'il avoit à sa sainture, lui copa la gorge. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 61). Se ung de leurs chevaulx ou camelz est ung pou malade de vives ou d'autre chose qu'ilz ne le puissent guerir, incontinent ilz luy coppent la gorge (LA BROQUIÈRE, Voy. Outr. S., c.1455-1457, 217). ...la pucelle sacqa ung petit cousteau qu'elle avoit pendu a sa cincture, se trencha la gorge et rendit l'ame. (C.N.N., c.1456-1467, 553). Et, en ce mesmes jour, y ot ung laboureur demourant à Clignencourt, nommé Jehan Petit, qui coppa la gorge à sa femme. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 45).

 

.

Pendre par la gorge : ...et toute voie, Qui les penderoit par la gorge Ou de coustiaus de bonne forge Corps et membres leur escorchast Et de bon sel les arrochast, Et puis fussent de chiens mengiez, N'en seroit il pas bien vangiez ? (MACH., D. Lyon, 1342, 201). "...dont maint preudomme ont este penduz, les ungs par la courroye et les autres par la gorge." (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 502). Par foy, dist le message, je vous promet que je m'en garderay bien, si non que je vous amaine le medicin qui vous destrempera un tel electuaire que vous en serez tous penduz par la gorge. De ce mot furent les freres moult courrouciez. Et sachiez, se le messaige n'eust si tost hasté le cheval, qu'il estoit mort sans remede, car ilz estoient felz et crueulx, et ne craingnoient Dieu ne homme. (ARRAS, c.1392-1393, 198).

 

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Prendre qqn par la gorge. "Faire violence à qqn" : Quant il y vint, tantost fu pris Par la gorge, et si entrepris Que mort le gettérent par terre. (Mir. femme, 1368, 205). ...s'ilz sont trouvez sur les champs, vivans à la charge de mon peuple, que au premier lieu qu'ilz seront trouvez on les fera prendre par les gorges (Lettres Ch. VIII, P., t.1, 1486, 135).

 

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P. métaph. Tenir (qqn) par la gorge. "Le posséder" : ...en cestui point je m'en passeray brefment, et des chanceliers aussi, de leurs grans estaz et de leur avarice et de la male beste ambicion qui les tient par la gorge. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.2, c.1386-1389, 272).

 

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[Dans une formule d'imprécation] : A ! Que le mal feu d'anfer t'arde Ta baulevre et ta pute gorge ! (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 93). PATHELIN. On me pende, S'il ne revient, parmy la gorge ! ["Qu'on me pende par la gorge si..."] (Path. D., c.1456-1469, 144). LE DRAPPIER. Pendu soye s'aultre l'a prins, Mon drap, par la sanglante gorge ! PATHELIN. Comment le meschant homme forge De loing pour fournir son libelle ! (Path. D., c.1456-1469, 160).

 

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[Dans une formule d'assertion] : Pol, tu les sers de merdes frites. Je puisse estre ars en une forge, Se je ne te coupe la gorge Et puis le te fais amender ! (Mart. st Pierre st Paul R., c.1430-1440, 147). En la fournaise du feu d'enffer treschaulde Ou Vulcanus tous ses instrumens forge, Se leur poitron ne leur brusle et eschaulde, Je veulx estre pendu parmy la gorge ! (LA VIGNE, S.M., 1496, 226).

 

2.

Grosse gorge. "Goitre" : Ès valées a grant foison beufz et vaches, et y a peu vins, mais il en vient assez sus mules des païs de Piémont, et les hommes et femmes de ces montaignes ont les gorges grosses merveilleusement (LE BOUVIER, Descript. pays H., p.1451, 54). Et au pié d'icelles montaignes y a gens qui ont les grosses gorges, comme ont ceulx du Daulphiné et de Savoie. (LE BOUVIER, Descript. pays H., p.1451, 57).

 

3.

"Partie de la poitrine féminine allant du cou jusqu'aux seins" : ...Blanche com noif, polie, de biau gros Fu sa gorge, n'i ot fronce ne os ; Et s'ot biau col dont je la pris et los. (MACH., J. R. Beh., c.1340, 71). ...Son menton, sa gorge polie, Son col plus blanc que noif negie... (MACH., C. ami, 1357, 77). Or couvient un large colet Es robes de nouvelle forge, Par quoy les tettins et la gorge Par la façon des entrepans Puissent estre plus apparans De donner plaisance et desir De vouloir avec eulx gesir (DESCH., M.M., c.1385-1403, 49). ...sa gorge blanche et polie, et ses bras longs et ronds, et son petit sein garni de deux pommelletes dures et rondes, eslevees. (PREMIERFAIT, Décaméron D., 1414, 571). La gorge avoit comble et unie, paree de monilles precieulx et d'autres enrichiz joyaulx (SAINT-GELAIS, Séj. honn. D., c.1490-1495, 124). Dames sans nombre a face angeliques, Bien acoustrees de drap d'or et satin, Verges, carcans, bordures auctentiques, Gros dyamans et saphirs magnifiques Pour enrichir la gorge et le tetin (LA VIGNE, V.N., p.1495, 168).

 

-

[Appellation affectueuse et tendre] Ma douce gorge. "Ma chérie" : Voulez-vous riens, ma doulce gorge ? A vous complaire, c'est mon desir, Hé Dieu ! qui n'y prendroit plaisir ? Elle a gardé coul de velours Et de satin a tous les jours... (P. Jouh. D.R., a.1488, 25).

 

4.

P. méton.

 

a)

PEAUSS. "Peau de la gorge d'un animal" : Vendu à Jehan Jamet ung pan de gorges de martres subelines, le pris d'un escu. (...) Item, ledit jour, vendu à Jehan Boileau, d'Orléans, trois pièces de soye d'atour à dames (Aff. Jacques Coeur M., 1453-1457, 48).

 

b)

"Pan d'étoffe d'un chaperon dont on se sert comme d'une écharpe" : Inventoire des chapperons qui furent à la royne Jehanne de Bourbon, dont Dieu ait l'âme. Premièrement : Ung chapperon sans gorge, fourré d'ermynes, d'un veluiau azuré brodé d'or de Chippre, tout semé de compas d'euvre de perles, et en chascun compas a cinq grosses perles de compte... (Invent. mobilier Ch. V, L., 1379, 394). ...et avoit ung chapperon par gorge, dont la patte venoit jusques à la selle, et estoit decouppé à grans lambeaulx (LA MARCHE, Mém., I, c.1470, 276). Quant Jehan de Paris et ses gens virent que la pluye venoit a force, ilz prirent leurs manteaux et chapperons a gorge (Jehan de Paris W., 1494-1495, 38). ...maix le dit Hainselin, bien subtillement vestu d'une robe perse bien mavaixe, ung mavaix mantel dessus, ung grant chaperon en gorge, ung grant viés chapel dessus... (AUBRION, Journal L., 1488, 208).

 

c)

"Partie de la cuirasse qui protège la gorge" : De Millan vint faiseurs de harnois blanc, Gens assemblans de dardillons tremblans Et les semblans de maintes capelines, Gorges d'acier, habitz d'espritz troublans, Tres ressemblans d'argent des assemblans, Qui plusieurs blans sont d'avoir cousté dignes (LA VIGNE, V.N., p.1495, 132).

B. -

"Cavité intérieure du cou"

 

1.

[Dans un cont. méd.] "Gorge" : En squinance dedens de la gorge, [apostume] par dehors c'est bon signe, pour ce que la matiere est convertie dehors. (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 93). La vayne qui est dessoubz la langue saigne l'on pour aposteme de gorge et contre escrophules et aussi contre une maladie que l'on appelle esquinance dont une personne pourroit mourir soubdaynement. (LE LIÈVRE, Traité saignée W., a.1418, 16). ...il chey en une grande maladie qui moult fort le greva, car en la gorge lui vint ung raoncle, qui si très durement le greva et traveilla, qu'il ne povoit parler ne dire ung seul mot. (MIÉLOT, Mir. N.D. L., 1456, 126). Sus ses deux voyes de la partie de la bouche est la gorge ou la goulle ou l'espiglot que je repute pour une mesme chose quant est de present. (PANIS, Guidon, 1478, tr.I, doct.2, chap.3). Squinance doncques est apposteme de la gorge et de ses parties, empaichante la voye de la viande et de l'aer (PANIS, Guidon, 1478, tr.II, doct.2, chap.3). Et tu dois entendre par le piglot une eminence qui se aparoist en la gorge en la teste de la gorge laquelle eminence avec la figure qu'elle induyt ou lieu est necessaire a engendrer et former diverses voix (PREVOST, Cir. Guill. Salicet, 1492, IV, 1).

 

-

Boiste de la gorge./Concavité de la gorge. "Creux de la gorge" : Et saches que la gorge est continue avec la furcule de la poitrine on lieu qui se appelle la boeste de la gorge ou la concavité de la gorge (PREVOST, Cir. Guill. Salicet, 1492, IV, 1).

 

-

Aspreté de (la) gorge. "Irritation de la gorge" : Mais se le vent est de septentrion, aspreté de gorge, ventres durs, dissurie, horreurs, douleur de poitrine et des costes (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 66). Et toutes deux [noix et amande] sont inflatives, lenitives des boyaulx et expulsitives des suparfluités vers le cuir et provocatives de sueur, et ostent l'aspreté de la gorge (Rég. santé corps C., 1480, 34).

 

-

Porter gorge tendue. "Avoir une gêne respiratoire (?)" : Et certes, Pierre, bien me seroit advenu se tu me vouloiez apparier a la femme de Herculan, qui est femme poulsive en poicterine et porte gorge tendue et est vieille, et si a de son mari tout ce qu'elle veult, et de lui est moult amee, ainsi comme femme doit estre de son mari. (PREMIERFAIT, Décaméron D., 1414, 693).

 

2.

"Organe par lequel transite la nourriture et la boisson"

 

a)

"Gosier" : ...et, après la moslee, elle vit qu'il getoit le sanc par la gorge (Echevin. Dijon L., 1341, 32). Jamais de pain en ceste gorge N'enterra ne ne mengeray Tant que de li vengié seray. (Mir. Theod., 1357, 106). ...et que il y a des bons vins, car ceulx de par deça sont tant vers qu'ilz font aux gens mal en la gorge (ESCOUCHY, Chron. B., t.3, Pièces justif., 1454, 447). ...fault il que je compare le trop de vin que vostre gorge a entonné ? (C.N.N., c.1456-1467, 244). Aprés avoir un peu lavé leurs gorges, Car de partir sans boire estoit egrum, Pour ce disner prindrent d'assault les Forges Et au souper Nostre Dame d'Embrun. (LA VIGNE, V.N., p.1495, 156). Je ne cuidoye boyre qu'ung poy, Mais tout est coulé en ma gorge. Par Dieu, oncques ouvrier de forge Ne l'eust, si seiche comme j'ay. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 176). Ie ne scay si Iupin me faille Ou pourray Martin trouuer Mais o ma bouteille bataille Veux auoir car elle est toute pleine Dautre chose que de fontaine Ma gorge en sera arrousee : Or ay ie beu de la puree Qui croist a lentour de Paris (Myst. st Martin K., a.1500, 186).

 

-

Passer (le noeud de) la gorge. "Descendre (dans l'estomac)" : ...mais pource qu'il n'avoit mie moins fain que son compaignon, il mordit dedans, et en mengerent tout leur saoul. Mais ilz en eurent assez de pou, car trop estoit aspre et dure a avaler, sicque a male paine leur passoit le neu de la gorge. (RENÉ D'ANJOU, Cuer am. espris W., 1457, 49).

 

-

[Marque la gloutonnerie] : Ceste passion de gloutonnie puet estre dicte equinancie, c'est une maladie en la gorge dont maintes personnes sont estranglees et dampnees par gloutonnie de la gorge. (MÉZIÈRES, Vertu sacr. mar. W., c.1384-1389, 285). Ja ne sera leur gorge estanche De riffler et de gourmander. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 74). "Pour ce", dit Basille le grant : "En tant que nous sommes engrant De servir la gorge et le ventre, Quant grant gloutonnie en nous entre, Sommes ressemblables aux bestes Et aux belues, qui les testes Vont enclines adés vers terre, Pour a remplir le ventre querre." (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 76).

 

-

Avoir la gorge seche. "Avoir soif" : Je ne cuidoye boyre qu'ung poy, Mais tout est coulé en ma gorge. Par Dieu, oncques ouvrier de forge Ne l'eust, si seiche comme j'ay. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 176).

 

-

Laver sa gorge : Aprés avoir un peu lavé leurs gorges, Car de partir sans boire estoit egrum, Pour ce disner prindrent d'assault les Forges Et au souper Nostre Dame d'Embrun. (LA VIGNE, V.N., p.1495, 156).

 

-

P. méton. Rendre gorge de qqc. "Payer cher pour qqc. que l'on a fait" : ...le bon gentilhomme rendoit bien gorge du bon temps qu'il avoit eu ce jour, car il mouroit de fain, de froit et de paour. (C.N.N., c.1456-1467, 436).

 

b)

P. méton. "Nourriture donnée à un oiseau de proie" : ...et tieng le faucon au soleil tant que il ait presque toute sa gorge boutee aval et enduit, et il se maniera au solail et pouroindra (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 188). ...ne li en donne mie grosse gorge, affin que il ne soit grevé, quer il la getera. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 192). ...et quant vendra en mi-jour, si li donne [au faucon] bonne gorge de bonne char chaude (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 200). Item, se tu as tret ton faucon de la mue et ses grosses panes ne sont sonmees ou que il en y ait encore en tuel, ne li donne mie char lavee, mes li donne char d'oisiaux vis a bonne gorge et le tieng a l'air, ou autrement ses panes pourroient afautier et anientir. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 203). De telx char[s] li poués donner [au faucon] Grosses gorges sans le grever (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 352). Et tousjours, tantost qu'il est peu l'en le doit tenir sy souef et en place si propre et si paisible qu'il n'ait cause de soy debatre sur sa gorge (car s'il se debatoit sur sa gorge qu'il avroit lors prinse, il seroit en aventure de la gecter) (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 150). [Ds un contexte métaph. le coeur est comparé au faucon] Mon cueur plus ne volera, Il est enchaperonné : Nonchaloir l'a ordonné, Qui ja pieça le m'osta. Confort depuis ne lui a Cure n'atirer donné. (...) Se sa gorge gettera, Je ne sçay, car gouverné Ne l'ay, mais abandonné (CH. D'ORLÉANS, Chans. C., c.1415-1440, 253). Et lors descendy sus son heaume l'esprivier pourveu d'un aloe qu'il pluma, puis la vint laver en la fontaine, puis en fist sa gorge. (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 1057).

 

-

Faire gorge (à l'oiseau de chasse). "(Le) nourrir, rassasier" : Du cheval dessendi, dedens l'ostel entra, Le faucon mist a perche et gorge fait lui a. (Tristan Nant. S., c.1350, 218). Atant es vous Flouren (...) Sur son poing ung faucon, gorge lui fist jollie (Huon Bordeaux B., c.1400-1450, 455). ... il rencontra Beufves a l'uis d'une salle, lequel faisoit gorge a ung oisel qu'il avoit sur son poing (Beufves Hant., a.1469. Ms fr. 12554, f. 56v). [même leçon dans le ms 1477, f. 73v]

 

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[De l'oiseau de chasse] Faire gorge de (sa proie) / faire sa gorge. "Se repaître" : Lors vint l'esprivier descendre sus son heaume atout sa proie, puis y fist gorge et s'envolla. (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 1056). ...puis la vint laver en la fontaine [l'aloe], puis en fist sa gorge. (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 1057).

 

3.

[À propos d'une pers. ou d'un animal] "Siège, organe de la voix"

 

a)

Au propre : Et les autres [cerfs] reent, le musel tout droit devant eulx, en gourgoutant [var. ms D 1440 : gargoutant] et raillant dedanz leur gorge. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 168). Briefment, il n'est pas doubte que aucunefois ilz [les rossignols] chantent sy efforciement qu'ilz se rompent la gorge, et les treuve len tous mors a terre dessoubz l'arbre. (EVR. CONTY, Harm. sphères H.P.-H., c.1400, 92). Je ne croy que si grand docteur Fust si fol ou si coquebert Qu'il voulsist estre invocateur, Ou ressembler le Createur Qui met le vent dedens les orgues, Par lequel seul mediateur Parolle humaine ist de nos gorgues. (MARTIN LE FRANC, Champion dames D., t.4, 1440-1442, 131). Car Atropos avoit osté la vye à ung suppost, le chef d'euvre du monde, Où plus avoit d'eloquence et faconde, Langue diserte et melliflue gorge - Helas ! (ROBERTET, Oeuvres Z., c.1450-1500, 160). C'estoit la plus tresdoulce et digne gorge Qui sallit onc de nostre invencion ; Bien en devons cy faire mencion, Car sa langue en pur nectar mouillée Oncques ne fut d'un villain mot souillée. (ROBERTET, Oeuvres Z., c.1450-1500, 171). Quant une foys ilz [les oiseaux] [ont] la gorge ouverte, C'est ung plaisir que de les escouter, Passant chemin (LA VIGNE, S.M., 1496, 331).

 

-

À haute gorge./À/en pleine gorge. "À pleine gorge, à haute voix, ouvertement" : La veoit homme Englois joiantz Et crioient a haute gorge En maint lieu : "Guyane ! Seint George !" (HÉRAUT CHANDOS, Vie Prince Noir T., c.1385, 86). Et quant ung con veult porter barbe Monstrant signe qu'il se regarde, Et de son poil faire barriere, L'omme s'en doit tirer arriere Quant il ne le puet comporter Et adonc ses brayes porter, Criant "a l'arme" a pleine gorge, "A l'arme Montjoye, Saint George !" (Barbes brayes A., a.1450, 260). Quel sens, ne avis pourront estre utiles à ton affaire, qui aujourd'huy plus qu'onques sera[s] abieuty [l. avieuty] en l'hostel ton père, là où on dira en pleine gorge que tu es homme de division et de malencontre (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 248). ...elle lui rist a plaine gorge (MART. D'AUV., Arrêts Am. R., c.1460-1466, 65). Item, donne a maistre Françoys, Promocteur, de la Vacquerie Ung hault gorgerin d'Escossoys, Touteffoys sans orfaverie, Car, quant receut chevallerye, Il maugrea Dieu et saint George - Parler n'en oit qui ne s'en rie - Comme enraigé, a plaine gorge. (VILLON, Test. M., 1461-1462, 100).

 

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P. méton. "Parole (qui sort de la gorge)" : Car Atropos avoit osté la vye à ung suppost, le chef d'euvre du monde, Où plus avoit d'eloquence et faconde, Langue diserte et melliflue gorge - Helas ! (ROBERTET, Oeuvres Z., c.1450-1500, 160).

 

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Loc. verb.

 

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Crier de gorge. "Crier à tue-tête" : La premiere hastiveté, que on ne se haste pas trop de dire son oppinion mais que on y pense bien, comme fait la sigongne: car il semble que avant qu'elle crye ou [ ... ] de sa gorge qu'elle cogite ce qu'elle cryera. (JUV. URS., Verba, 1452, 318). Fault il songer si longuement ? E, dea, maistre Verdier, vrayment, Reverdi comme vert montant, Vous farsez vous ? Av'ous bon temps ? Vous avez beau cryer de gorge ! (Pipée R., c.1470-1480, 148).

 

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Rire à gorge estendue. "Rire à gorge déployee" : Ton samblant, contenance et dit Sont sans bien estre et sans savoir ! Oncques saige homme ne vy, voir, Qui vers autrui venist criant, A gorge estendue riant. (Renart contref. R.L., t.1, 1328-1342, 12).

 

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Ruer vent de gorge. "Pousser des cris" : ...tu rues vent de gorge (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 647). Je torche mes houseaux du couvertoir de mes hostes, je rue vent de gorge (MOLINET, Rom. Rose moralisé, c.1500. In : Dupire, Gloss., 212).

 

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[D'une parole] Passer (le noeud de) la gorge. "Sortir de la bouche" : Car combien que beau semblant moustre, Le ris ne doit point passer oultre Le neu de la gorge, à nul fuer (JACQUES BRUYANT, Voie pauvreté richesse P., 1342, 26). Il couvient tout dire en tresgrant humilité et repentence et n'en riens oublier ne laissier derriere. Et quelque gros mortel pechié qui y soit, il couvient qu'il passe oultre le neu de la gorge. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 18). Le roy Charles le Chauve (...) commança à crosler la teste et ainsi que à gecter un risclet [l. rasclet ou raclet ?], non point passant la gorge, mais come homme furibondé et hors de raison, et assés fit de merveilleuses contenances (...) et quant il eust assés soufflé et resoufflé, il commença à parler (WAUQUELIN, Gir. Ross. M., 1447, 125). Et [Peleus] n'en dist mot, ainçois monstra un tresbeau samblant a Jason, qui ne passa point la gorge et tresbien fourré d'ypocrisie et de trahison. Puis passa oultre, disant en son estomacq que Jason le bouteroit hors du royaulme s'il n'y remedioit. (LEFÈVRE (R.), Hist. Jason P., c.1460, 166).

 

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Mentir par/parmi la gorge. "Mentir de manière éhontée" : Pour Perreaul Truchot, pris pour ce qu'il havoit dit en jugemant à Vienot Lobote qu'il y mantoit par lou fonz de sa gorge mauvaisemant (Echevin. Dijon L., 1341, 40). - He ! tu mens fausement parmy la gorge. Quelle heure est il maintenant ? (Man. lang. G., 1396, 67). - Par Dieu ! mon signeur, je n'y fu pas. - Tu mens fausement parmy la gorge ; je le sai bien que tu y fus. (Man. lang. G., 1396, 74). Et lors Guillaume Villain, prestre, qui estoit homme de dissolue et deshonneste vie, fort et puissant de corps, lequel et aussi Guillaume Galant, prestre, et Guillaume Bouchier estoient, au desceu du dit Beufmont, ou celier du dit hostel et illecques buvoient, dist à icellui Beufmont qu'il disoit les dictes paroles pour cause de lui et qu'il mentoit par la gorge, et qu'il feist mieulx d'aler garder sa femme (Doc. Poitou G., t.7, 1418, 327). Il a menti maulvaisement Parmy sa gorge diffamee... (Sav. serg. D.L., c.1480-1490, 33). L'USURIER. En son cas a trop a redire, Foy que je doy monsieur sainct George ! Le contraire vous veulx produyre : D'argent doibt une playne forge. CLAUDE. Pour ce que mentez par la gorge, Vella mon gaige de bataille ! (LA VIGNE, S.M., 1496, 521).

 

Rem. FEW : «il a menti par la gorge "se dit pour donner un très fort démenti" (Dup 1573-1756, Voltaire)» ; plusieurs attest. ant. à celles du FEW ds DI STEF., 406a, s.v. gorge.

 

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P. méton. Fausse gorge. "Calomnie" : Les autres, par pou d'achoison, Seront blasmees sanz raison Par quelque faulce gorge gloute. (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 92).

 

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Faire gehir par sa fausse gorge : Noble roy, ainsi le fist cil traistre que je voy la. Et se il dit que ainsi ne soit, je presente mon gaige de lui faire gehir par sa faulse gorge. (ARRAS, c.1392-1393, 59).

 

b)

P. méton. [Siège de ressentiments]

 

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À gorge enflée. "Fâché, irrité" : Mal contens et à gorge enflée s'en partirent ; et venus à Tournay allèrent susciter le peuple et l'animer à l'encontre du duc de Bourgongne et de son fils (CHASTELL., Chron. K., t.5, c.1456-1471, 150).

 

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Avoir qqn sus la gorge. "En vouloir à qqn" : Quant le roy oy et vey Medee en si povre estat qu'elle sambloit une autre femme, il eut pitié d'elle, la conforta et lui dist qu'il pugniroit Jason ; car il l'avoit sus la gorge pour ce qu'il avoit failly a estre Troyes. (LEFÈVRE (R.), Hist. Jason P., c.1460, 236).

 

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Avoir / tenir qqc. en gorge. "Retenir qqc. dans sa mémoire, empêcher (une parole) de sortir de la bouche" : Cest article-ici taisamment le duc le nota et le tint en gorge, cuidant l'avoir bien conçu (CHASTELL., Chron. K., t.5, c.1456-1471, 66). Et alors le duc ayant en gorge toujours les mots de l'autre avocat passé, demanda :... (CHASTELL., Chron. K., t.5, c.1456-1471, 67).

C. -

Région. (Lyonnais, Suisseromande) [À propos d'une pers. ou d'un animal] "Bouche, gueule" : Alors le chevalier, desirant acomplir sa tres desordonnee [[des]ordonnee] concupissence, le prist et le jetta sur ung lit. La belle Euryant, soy voyant ainsy estre entreprise, haulcha le piet destre, sy en fery le chevalier par la bouche ung cop sy grant que quatre de ses dens luy rompy en la gorge. (Gérard de Nevers L., c.1451-1464, 84). Et si vous arouserey Si bien que il n'y faudra rien En voustre gorge, estron de chient, Qui vous puisse les dens casser ! (Myst. st Sébast. M., c.1450-1500, 279). TRIBOULET. Il pourroit bien avoir les dens De la gorge toute verrie. LE ROY DES SOTZ. Tu le dis affin que je rie. SOTTINET. Quoy doncques ? A il l'esquinance. (Roy sotz, c.1450-1500, 223). Et elle fut bendee [l'arbalète], il trait a elle sy droit qu'il l'attaint [la géante] entre les deux yeulx, et tantost elle cheit a terre comme morte et commence getter par la gorge une flamme de feu moult hideuse. (BAGNYON, Hist. Charlem. K., c.1465-1470, 151). Car ilz sont aucuns qui ressemblent a un sepulcre, car, quant ilz euvrent leur gorge pour parler, elle put comme fait le sepulcre quant on le desclot. (COLART MANS., Dial. créat. R., 1482, 260). Helas ! Pauvres sotz malheureux [les amoureux] N'estes vous pas bien abusez, Folz estourdiz et incensés D'estre tout comme la nuyct dure A la pluye, au vent et froidure, Les dens cliquetant en la gorge Aussy dru que marteau de forge ? (Serm. tous les fous K., c.1500, 273).

 

Rem. Mot attesté en ce sens dans le sud-est de la Galloromania (Cf. J.-P. Chambon, Z. rom. Philol. 112, 1996, 388 et Mél. Martin, 1997, 74).

 

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Gorge ouverte : Tenez, a il la gorge ouverte Pour aller croquer ceste pie ! (Jehan A., c.1400-1500, 132). (...)[Gerars] advisant le serpent, la gorge ouverte pour l'englouttir, prist s'espee par la croisye, sy escoust le bras qu'il avoit fort et roide, et lancha son espee en la gorge du serpent (Gérard de Nevers L., c.1451-1464, 25).

D. -

P. anal. "Passage rétréci"

 

1.

"Ouverture, gueule (d'un canon, d'un four, d'un baril...)" : Que tous poinssons qui seront trouvez mal fais, mal assoinis ou gorge coupée, le poinsson sera amendable de dix deniers tournois (Anc. corp. dijonn. C., 1444, 155). ...item ung gros vinglere de fer d'un piet de gorge et en longueur de quatre piez et demi et gecte pierre d'environ du gros de dix livres. (Arch. Nord, 1456, B 3533, n° 125641, IGLF). Arregarde si le mien [mon cul] fume ! N'est ce pas la gorge d'ung four ? (Pass. Auv., 1477, 213).

 

2.

"Passage étroit entre les montagnes" : Et, si on ne le voit point au matin, on doit querir le chevreul, quant on aura fet l'asemblee, en pays ou il ait petites montaignes et gourges et valees, quar en telz pays demuerent ilz voulentiers, si font il aucune foiz es bas et plains pays, mes qu'il y ait de bons viandeïs, tant de bois comme de gaignaiges, et bon païs pour demourer et fortz buissons ou bruyeres ou genestes ou ajoncz. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 217).
 

DMF 2020 - MAJ 2020 Hiltrud Gerner

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