C.N.R.S.
 
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     ÉTRANGE     
FEW III extraneus
ESTRANGE, adj.
[T-L : estrange ; GD : estraigne ; AND : estrange ; DÉCT : estrange ; FEW III, 332a : extraneus ; TLF : VIII, 272b : étrange]

I. -

"Étranger"

A. -

[P. rapport à un pays, à une région] "D'un autre pays que le sien, d'une autre région ou contrée que la sienne"

 

1.

[D'une pers.]

 

a)

"Étranger, qui vient d'un autre pays, d'une autre contrée" : Une estrange femme, un saint corps Y est qui muert a grant destresse, Si demande a estre confesse (Mir. mère pape, c.1355, 393). Quant lonc temps orent festié, Dancié, jousté et tournié, On donna le pris au milleur. Et le fist faire l'empereur, Si que le pris et la loange Fu donnée à ce roy estrange ; Car par sa lance et son escu Avoit tous les autres vaincu. (MACH., P. Alex., p.1369, 39). Thiebaus dou Pont fu presque pris ; Mais uns escuiers de haut pris Le deffendi moult vaillamment ; Là le secouri vitement Messire Jehan de Rochefort, Qui li fist aide et confort ; Et le bon signeur de Benanges, Et pluseur compaingnons estranges, Li aidierent tant qu'il revint ; Mais il en tua plus de XX. En leur bataille. (MACH., P. Alex., p.1369, 147). Item, se toute la cité ou communité ou ceulz qui y ont dignités, comme sont les principals gouvernëeurs, mectoient leur estude a recevoir honorablement aucuns estranges messages ou passans, ou a envoier hors aucuns nobles dons ou a les offrir et faire presentement ou se il convenoit faire aucunes grandes retribucions a autres pour leur bien faiz, en teles choses despent le magnifique (ORESME, E.A., c.1370, 245). Jossellin, Jossellin, estes vous sours ? Je voy bien que le proverbe que on dit est vray, que vieux pechié fait la vergoingne nouvelle. Cil chevalier estrange vous porte une moult estrange medicine. Advisez vous de respondre, car il vous est bien besoing. (ARRAS, c.1392-1393, 59). Et trouva on leans plus de cent prisonniers, que des bonnes gens du pays, que de marchans estranges, qui avoient esté desrobez, et les vouloit encores raenconner. Par la ne passoit nul qui ne feust ruez jus. (ARRAS, c.1392-1393, 205). En l'anchien testament il estoit prohibé et deffendu en disant ainsi : "Tu ne prendras pas femme des filles estranges a tes filz, afin qu'ilz ne les convertissent a leur loy". (Sacr. mar., c.1477-1481, 64). Aussi du Turc, qui au Chastel Saint Ange Estoit pour lors comme captif estrange, A ceste foys ses mains en delivra (LA VIGNE, V.N., p.1495, 240).

 

-

[D'un animal] "Venu d'ailleurs" : Et bien dient ly aucun que oncques mais n'avoient veu si estrange chace ne si merveilleuse, ne senglier courir si estrangement. Et disoient pluseurs que c'estoit un senglier estrange et forpassez de ses repaires. (ARRAS, c.1392-1393, 28).

 

b)

Empl. subst. "Celui qui vient d'une contrée ou d'un pays étranger" : Li roys la cité tenir cuide. Mais n'est pas bon de ce cuidier, Car il faurra à son cuidier, Qu'estranges y avoit pluseurs, Chevaliers et autres signeurs, Qui ne loent pas qu'on la tengne Pour nulle chose qui avengne. (MACH., P. Alex., p.1369, 100). Quant il ot finé sa parole, Les estranges, dont je parole, Respondirent qu'il s'en iroient, Et que tenir ne le porroient. (MACH., P. Alex., p.1369, 106). Le IXe fait d'un tyran est, car il se fie plus es estrangés que en sez propres subjés, car il se doubte que ilz ne se veillent contre luy reveler. (Songe verg. S., t.1, 1378, 221). Apprès que Vallerius a parlé des Rommains, il parle des estranges et n'en mect que deux. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 47). ...lequel, voyant chacun jour tuer et occire les Juifz de sa partie par les estranges, voyant aussi qu'il n'y avoit homme qui se mist au devant pour les deffendre (...), print le gleve ou poing (...), print premier son pere par les cheveux et le mist l'espée ou corps et semblablement à sa mere, à sa femme, à ses enfans (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 74 v°).

 

2.

[D'un pays, d'une région] "Étranger" : Mais courte estoit leur demourée, Car s'il sceüssent une armée Ou une guerre en Alemaingne, En Osteriche ou en Behaingne, En Hongrie ou en Danemarche Ou en aucune estrange marche, En Pruce, en Pouleinne, en Cracoe, En Tartarie ou en Letoe, En Lifflant ou en Lombardie, En Atenes et en Rommenie, Ou en France ou en Angleterre, Il y alassent honneur querre. (MACH., D. Lyon, 1342, 209). Il se menti, li renoiez. Pour quoy ne fu en mer noiez ? Quant sa besongne ot assevie, Il les charga en sa navie. Mais vers li mesprist si forment Qu'Adriane laissa dormant Seulette en estrange contrée, Lasse, dolente et esgarée, Et en mena la juene touse, Phedra sa suer, s'en fist s'espouse. Ci a trop mortel traïson. (MACH., J. R. Nav., 1349, 232). Tu pues mettre dou tien a point, Bien acquis, et non autrement, Pour servir bien et richement Tes bons amis, s'il ont a faire ; Ou se hors dou païs vues traire Et aler en estrange terre Honneur et vasselage aquerre, Soit en Castelle ou en Grenade, Qui est une voie moult sade, En Alemaingne, en Rommenie Ou en Prusse ou en Lombardie, Plus priveement t'aideras Dou tien que ne l'emprunteras. (MACH., C. ami, 1357, 116). Mon secretaire envoiai querre Qui estoit en estrange terre A .III. journees loing de mi (MACH., Voir, 1364, 608). AMILLE. Sire, je sui un chevalier Qui sui né d'estrange pais : Cy endroit n'ay je nulz amis (Mir. Amis, c.1365, 28). Là ot maint chevalier estrange, Digne d'onneur et de loange, De mainte estrange region, Dont je vous feray mention. (MACH., P. Alex., p.1369, 139). Et pour ce, se un homme d'estrange terre ne fait pas les honeurs et reverences a la maniere de cest paÿs, se l'en l'a pour ce en derision, c'est simplesce et ignorance. (ORESME, E.A.C., c.1370, 459). J'aim mieux languir en estrange contrée Et ma dolour complaindre et dolouser Que près de vous, douce dame honnourée, Entre les liez, triste vie mener (MACH., L. dames, 1377, 231). Ma dame, se il vous plaisoit, il seroit bien temps que nous alissons voyagier pour congnoistre les terres et les pays, et aussi pour acquerre honneur et bon nom en estranges marches et contrees, par quoy nous feussions introduit de savoir parler avecques les bons des choses qui sont par estranges marches et pays, qui ne sont pas communes par deca. Et aussi, se fortune et bonne aventure nous vouloit estre amie, nous avons bien voulenté de conquerir terres et pays. (ARRAS, c.1392-1393, 82). Il usoit de tout comme l'enfant qui seroit en pays estrange useroit du jouel que son pere luy envoyroit. (GERS., P. Paul, a.1394, 514). ...afin que les finances de ce royaume ne soient transportées hors en estranges païs et royaumes (FAUQ., I, 1417-1420, 110). ...et est alé demourer en estrange pais et terres (JUV. URS., Loquar, 1440, 429). Ne te semble il pas quant tu te regardes en claire lumiere sans quelque vmbre de dissimulacion que tu te trouueras en vne region estrange loing de la perfection diuine et moult defaillant en plusieurs choses (CIB., p.1451, 198). ...[le marchand] s'en reva a l'adventure en estrange terre tant de Chrestians que de Sarrazins (C.N.N., c.1456-1467, 127). ...[un jeune homme] se trouva en diverses regions, et s'arresta en la fin et fist residence en l'ostel d'un grand seigneur, d'une estrange et bien lointaine marche. (C.N.N., c.1456-1467, 332). Lors Israël n'estoit pas digne Que Dieu leur fust si tresbenigne Comme es estranges nacïons ; Et pour ce mes perfectïons Ne veul monstrer en ma cyté. (Pass. Auv., 1477, 121). ...prenostica sur l'an VIIe du roy Guillaume d'Angleterre la famine qui advint à l'ocasion du tribu et exaction qu'il fist en Normandie, qui fut tel que les labeurs demourerent à fere et s'en alloient les bons laboureurs en païs estranges. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 115 r°). ...puis desirant de aller ès lieux estranges tousjours aprendre, fuz envoyay en Angleterre aux estudes et fuz à Auxomfort environ II ans (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 156 v°).

 

-

[Dans un cont. métaph.] : Et si maudi mon cuer et ma pensée, Ma loiauté, mon desir et m'amour, Et le dangier qui fait languir en plour Mon dolent cuer en estrange contrée. (MACH., L. dames, 1377, 192).

 

3.

[D'une chose concr. ou abstr.]

 

-

"Qui est, qui vient d'un autre pays, qui a lieu dans un autre pays" : Quant Ecuba vit la destruction De la cité de Troie et d'Ylion Et mettre à mort la belle porteüre Et roy, Priant, mis à desconfiture Et li mener en estrange servage Mise en liens comme beste sauvage, Certes, ce fu dure chose et piteuse ; Et si senti doleur si dolereuse Que je croy bien qu'onques femme ne mere Ne senti mal ne doleur plus amere. (MACH., Compl., 1340-1377, 253). Et avoit en l'ost travernes et cabarès (...) et vins de Rin, de Poitou, de France, garnaces, malevaisées et autres vins estranges et à bon marchié. (FROISS., Chron. R., X, c.1375-1400, 247). ...il print et embla, en la bourse (...) IIJ petis florins de Florence et un autre grant estrange. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 223). Et, avecques ce, dit, sur ce requis, que ilz parloient un langaige estrange, et tel que il qui parle ne son compoingnon ne entendoient point leur langaige, et ne scet quelx langaige ilz parloient (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 464). ...VII habis de drap de soye de pluiseurs coulleurs et estrange fachon, propices à danser la morisque et iceulx enrichiz d'ouvrage de peaulx de Bresil d'or et d'argent, de lettres sarasinoises et de tourbettes [l. courbettes] faictes à maniere de drap d'or, et avec ce, fait toutes les bordures et manches et lez enrichiz d'or clinquant de trois doubles dehachées à manières de franges d'or (Comptes Lille L., t.1, 1427-1428, 252). Damp Abbés, tout plain de joye, fist grant foison toctees appareillier, et apprester ypocras et vins estranges de diverses façons (LA SALE, J.S., 1456, 257). ...la salvacion du royaume de France et empeschement qu'i ne vint en estrange main (JUV. URS., Verba, 1452, 192).

B. -

[P. rapport à l'environnement immédiat]

 

1.

[D'une pers.] "Étranger (par rapport au cercle étroit de la famille ou des amis, par rapport à qqn qu'on connaît)" : L'EVESQUE. (...) Ces deux seurs avec vous iront Pour ce que miex vous garderont Que gent estrange. (Mir. abbeesse, 1340, 97). LA DAME. Guillaume, mervilleusement Estes estranges devenus. Vous ne fussiez pas ça venus, Se ce ne fust par mes messages. Je croy que vous estes trop sages Devenus, ou trop alentis, Mausoingneus et mautalentis, De vos deduis apetisiez, Ou trop po les dames prisiez. (MACH., J. R. Nav., 1349, 163). Car j'estoie tous arrudis Et d'oÿr leesce assourdis ; Et, perdu mon entendement Et mon amoureus sentement, En ma bouche n'avoit loenges De dames privees n'estranges, Et aussi pas ne les blasmoie, Quar de toutes riens ne disoie. (MACH., Voir, 1364, 104). Mais pluseurs fois ymaginai En mon cuer et determinai Que je penroie un homme estrange Et de nous .II. feroie change Et le menroie devant elle Telement et a tel cautele Qu'on diroit : "Vescy vostre ami", Pour vëoir s'elle aroit de mi Congnoissance, et qu'elle diroit, Ne quel semblant elle feroit (MACH., Voir, 1364, 206). Item, tele amistié qui est entre les parens et leur enfans a en soy delectacion et proffit plus que amistié de genz estranges, de tant et pour tant que ilz mainnent ensemble vie commune. (ORESME, E.A., c.1370, 443). C'est bien a faire (...) Mettre de nous paine greigneur Au fait de nostre chier seigneur Que d'un estrange. (Mir. Clov., c.1381, 233). ...entre aultres propos le chevalier estrange demanda a monseigneur si en son village avoit rien de beau [Un seigneur a invité chez lui un seigneur voisin] (C.N.N., c.1456-1467, 75). Adoption est de personne extranee, estrange, en filz ou en nepveu assumption. (Sacr. mar., c.1477-1481, 58).

 

-

Empl. subst.

 

.

"Celui qui ne fait pas partie du cercle des proches" : Quant princes est loyaus, larges, humeins, Si don sont plain de si tres grant douceur Que pour son fait estrainges et prochains Ne doubtent mort, povreté ne labeur, Eins vuet chascuns ressambler le milleur. Et terre aussi qu'est despendue Vaut trop miex que terre perdue. (MACH., Bal., 1377, 555).

 

-

Privés (et)(ou) estranges. "Proches et moins proches" : Adont furent tous si esmeü en pitié qu'il fondoient en lermes, ne nulz ne vous savroit la grant doleur deviser que privé et estrange faisoient, et sur tous les autres la mere sentoit la grant destresse a son cuer, et s'escrioit : "Aimy !" (Bérinus, I, c.1350-1370, 224). Or dit l'ystoire que la royne Hermine estoit moult enceinte, et avoit le roy pour l'eure fait crier une moult noble feste ou il vouloit festoyer en paix et en repos ses barons de Poictou et tous privez et estranges. (ARRAS, c.1392-1393, 140). ...vous ne devez avoir aucune accepcion de personnes ne freres, amis, parens, aliez, privez, estranges (JUV. URS., Aud. illos, 1432, 27). Item, vueil que le jeune Marle Desormaiz gouverne mon change, Car de changer enviz me mesle, Pourveu que tousjours baille en change, Soit a privé ou a estrange, Pour troys escus six brectes targes, Pour deux angelotz ung grant ange, Car amans doivent estre larges. (VILLON, Test. M., 1461-1462, 104).

 

.

Ni privé ni estrange. "Ni concitoyen ni étranger" c'est-à-dire "personne" : Quant en Grece sont arrivé, La, n'ot estrange ne privé, Qui ne menassent feste et joye Du retour de la noble voye. (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 46). Mais de ce fait quelque loenge N'arons de privé ne d'estrange (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 249). Mon cheval feray baigner en fange Des François jusques a la sangle, En leur sang, de ce me fais fort ; N'y aura privé ne estrange Ne sy hupé que je ne plange, Et que je ne le boute [a] mort. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 481). Il est vray qu'il pressoit ses subjectz, mais il n'eust point souffert que ung autre l'eust faict, ny privé ne estrange. (COMM., II, 1489-1491, 324).

 

-

[P. oppos. à femme privee] Femme estrange ou, subst., estrange. "Celle qui n'est pas la femme légitime, femme différente, autre" : Plaisance de femme estrange. Estrange femme est d'omme appetit, Mais la privée est trestout le contraire, Qu'en une estrange prent on plus de delit C'on ne pourroit en cent privées faire ; Car la privée est de si rude afaire Qu'elle ne vault vers l'estrange .J. denier, Ce dient ceulx qui femme ont en grenier. (MACH., App., 1377, 642). Ou soit au champs ou en chambre ou en lit, Estrange femme veult chascun à li traire, Soit vielle ou jeune, d'estat grant ou petit : Estrange dame ne puet à nulz desplaire ; Mais de privée se veult chascun retraire : D'un pain mangier se puet l'en ennuier, Ce dient ceulz qui femme ont en grenier. (MACH., App., 1377, 643). ...Et larray l'orde vie et ville Que Dieux deffent en l'euvangille, C'est assavoir que nulz ne preingne Fornicacion ne ne tiengne Concubine ne femme estrange, Ne bate blef en aultrui grange, Car ce seroit pechiez mortés. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 38). ...que chascun fuie Estrange femme comme pluie, Pour son blandir et sa malice (DESCH., M.M., c.1385-1403, 185).

 

-

Estre estrange à/de/envers qqn. "N'être pas intime avec qqn, n'avoir pas de rapport avec qqn" : Et le filz n'est pas estrange du pere ne le serf de son seigneur. (ORESME, E.A.C., c.1370, 302). S'en lairay Amours convenir ; Comment qu'il ne li souveingne De moy ne ne deingne Qu'il me veingne Riens dont preingne Espoir qui m'ardour esteingne, Ne qu'à nulle joie atteingne, Nès que je me pleingne Ne compleingne, Si m'enseingne, Quant elle m'est si estreingne. (MACH., Les lays, 1377, 327). Quant le conte l'entendy, si fu tous esbahiz. Dieux, dist ly contes, Remondin, beaulx cousins, estes vous si estranges de nous que vous vous mariez sans ce que nous en ayons rien sceu jusques a l'espouser. Nous nous en donnons grant merveille. Et nous cuidions, se vous eussiez eu voulenté de femme prendre, que nous feussions le premier a qui vous en eussiez prins conseil. (ARRAS, c.1392-1393, 36). ...vous devez estre tresamoureuse et tresprivé de vostre mary par dessus toutes autres creatures vivans, moyennement amoureuse et privee de voz bons et parfaiz prochains parans charnelz et les charnelz de vostre mary, et tresestrangement privee de tous autres hommes ; et du tout en tout estrange des oultrecuidez et oyseux jeunes hommes et qui sont de trop grant despence selon leur revenue, et qui sans terre ou grans lignages deviennent danceurs (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 57). Or bien (...) quand je seray si eureux que d'avoir rien de beau, je vous seray aussi pou privé que vous m'estes estrange. [Un homme reproche à son ami de refuser de lui faire des confidences] (C.N.N., c.1456-1467, 208). ...celuy [qui] luy est tant estrange et prend si peu de fiance en luy (C.N.N., c.1456-1467, 228).

 

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[D'un animal] : Des donmesches vous veez que ung levrier ou mastin ou chiennet, soit en alant par le chemin, ou a table, ou en lit, tousjours se tient il au plus pres de celluy avecques qui il prent sa nourreture, et laisse et est estrange et farouche de tous les autres. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 68).

 

.

"Être indifférent à qqn" : ...Recongnois le pour son [l. ton] seigneur et maistre, Car envers toy n'a pas esté estrange, Mais t'a baillié ame qui, sans estre ange, N'a pareille creature en son estre (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, , 24).

 

-

Estre estrange d'une chose abstr. "Être loin de qqc., être étranger à qqc." : Mais qui ne veult aoïr verité ne escouter ne parler, il est du tout estrange et esloignié de l'esperit de verité, et ce nous souffist a present. (FOUL., Policrat., IV, 1372, 49).

 

-

Faire l'estrange à qqn. "Être réservé, distant à l'égard de qqn" : Aussi faut il que je pas ne m'estrange De Bon Espoir, ne que face l'estrange A Dous Penser, qu'a estre de leur range Faut que je tende. Car vraiement, qui d'euls deus se desrange, S'il aimme fort, il se gette en la fange, Et s'en doit bien cils qui les mue ou change Paier l'amende. (MACH., F. am., c.1361, 174). Gouvernez vous, fait elle, bien sagement et lui faites bien l'estrange. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 44). ...noz dieulx m'ont fait demonstrance Et m'ont envoyé leur saint ange, Lequel ne m'a point fait l'estrange (Pac. Job M., c.1448-1478, 251).

 

-

"Qui se sent comme un étranger, isolé, solitaire" : Doulx Dieux, aiez de moy mercy ! Je vous rens graces et loenge, Quant je suis ci seulle et estrange. (Mir. st J. Cris., c.1344, 268). J'ay de vous tous grant mestier : En prison suis trop estrange, Mourir me fault prisonnier Se Dieu si ne me revenge. (RÉGN., F.A., 1432-c.1465, 19).

 

2.

[D'une chose concr. ou abstr.]

 

a)

"Qui provient d'une autre pers. ; qui appartient à une autre pers." : Garde que Raisons te maistrie Et qu'aies en toy pacience Et la vertu de souffissance, Car bonneürtez vraiement Vient de souffrir pacienment, N'il n'est homme, a mon essient, Que quant il est impacient, Qui ne vosist avoir fait change De son estat a un estrange ; Et ce le fait maleüreus Et vivre en estat perilleus. (MACH., R. Fort., c.1341, 91). Et ces choses ici, des quelles je use souventes foiz, sont estranges fors que tant que tout ce qui est bien dit, je le fais mien (FOUL., Policrat. B., III, 1372, 96). L'ABBÉ. Il sert que nous y mettons, sire, Les choses estranges, sanz faille, Qu'a garder souvent on nous baille De bonne foy. (Mir. Rob. Dyable, c.1375, 12). LE MOINE. D'y veoir [en ce coffre], sire, ne vous chaille, Puis qu'il n'y a du nostre riens ; Car, sachiez, s'il y a nulz biens, Il sont estranges. (Mir. Rob. Dyable, c.1375, 12). ...je n'ay pas seullement sceu par estrange rapport, mais a mes yeulx mesmes perceu... (C.N.N., c.1456-1467, 234).

 

-

Argent estrange. "Dette" : Mais par son douz courage il commenda a paier l'argent estrange [calque du lat. aes alienum] de Pompeius et faire satiffacion de son avoir fiscal et commun. (FOUL., Policrat. B., VII, 1372, 509).

 

-

[D'un mot] "Qui est inconnu, qui vient d'une autre langue" : ...et, quant telz ignorans, qui ne entendent riens ès langues greque et hebrayque, ne autre, fors que leur latin descousu, bien simplement treuvent en quelque livre aucun mot estrange ou quelque terme de science qui leur soit incongnu, ilz dient incontinent que c'est nom de quelque deable (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 7 r°).

 

-

Estrange de qqc. "Qui n'a pas de rapport avec qqc." : Galien en ce comment expose l'amphorisme en une maniere qui est estrange de l'entencion d'Ypocrate (SAINT-GILLE, Comment. A.Y. L., 1362-1365, 369). Mais teles choses traictier nous laisson maintenant, car c'est une matiere estrange de nostre present propos. (ORESME, E.A., c.1370, 431). Amour veult estre franche et estrange de toute mondaine affection (Internele consol. P., 1447, 78).

 

.

"Différent, distinct de qqc." : Car chascune [des planètes] a son ciel et son espere toute estrange des autres, si comme leurs divers mouvemens nous demonstrent. (EVR. CONTY, Harm. sphères H.P.-H., c.1400, 17).

 

.

Empl. abs. : Car les delectacions qui viennent ou sont de speculer, d'estudier et d'aprendre font plus estudier et plus aprendre, mais celles qui sont estranges font empeschement. (ORESME, E.A., c.1370, 403).

 

-

D'estrange guise que + sub. "De toute autre sorte que" : ...il demoroit En .I. portal devant l'eglise. Moult avoit lit d'estrange guise Qu'il ne l'avoit jadis a Romme, Quar il prenoit .I. moult court somme Long temps après l'anuitement, Tout vestu sur le pavement (Tomb. Chartr. W., c.1337-1339, 93).

 

-

Estrange à qqc. : ...des liex, les uns sont propres et naturelz as corps meus et les autres leur sont estranges et desnaturelz. (ORESME, C.M., c.1377, 128).

 

b)

ASTR. [D'un signe du zodiaque] "Qui n'est pas celui qu'une planète possède en propre" : ...je lui demanderoi volentiers quel fruit ou utillité peut venir à l'omme de sçavoir seullement le cours du ciel et des corps celestes, quant ne à quelle heure et minute et par quelz signes ilz passent, s'ilz sont en leurs domicilles ou en etranges, s'ilz sont en leur exaltacion ou decheement, retrogrades ou stacionnaires, quel aspect ou application il y a entre elles et tous les autres mouvemens, sans autre chose en fere. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 4 v°).

 

Rem. Trad. du lat. exilium ; le sens en astr. n'est pas att. ailleurs, l'ex. de Simon de Phares semble isolé.

 

-

Estrange de qqc. "À l'écart de qqc." : Ce village estoit assez estrange de la voye commune des chevaucheurs et chemineurs. (C.N.N., c.1456-1467, 547).

 

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P. ext. "Sauvage, inhabité" : Car quant du fait li parle a part, Plus fiére la truis que liepart, Et malement dure et estrange (Mir. emper. Romme, 1369, 265).

II. -

"Inhabituel, voire étonnant ou merveilleux, parfois avec une idée d'hostilité"

A. -

"Inhabituel, qui n'est pas familier"

 

1.

"Surprenant, peu conforme à l'expérience commune" : ...dont est chose estrange de acompaignier rigour avec amiableté, qui sont deux choses contraires (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 9). C'estoit estrange mariage, avoir deffaict et destruict le père dudict prince et luy faire espouser sa fille, et puis vouloir entretenir le duc de Clarence, frère du roi opposite, qui bien devoit craindre que ceste lignée de Lenclastre ne revint sur les piedz ! (COMM., I, 1489-1491, 197).

 

-

"Inhabituel" : ...Mot, Abuz, qui fait a la differance de tous autres et de plus estranges matieres que nul autre (Abuzé D., c.1450-1470, 39). Le cuer audit marchant, non encores content, tant d'avoir veu et cogneu pluseurs choses estranges et merveilleuses, comme d'avoir gaigné largement, le feist arriere sur la mer bouter (C.N.N., c.1456-1467, 126). Ce n'est pas chose estrange que les moynes hantent voluntiers les nonnains. (C.N.N., c.1456-1467, 305). ...il y eut non pas ung peu de desloyaulté en cestuy cy, mais largement, qui est chose estrange et non accoustumée, comme chacun scet. [D'un "chaperon fourré"] (C.N.N., c.1456-1467, 414). ...j'aymeroie a peine autant a morir que le deceler. Car il est mains que bien honeste et tout estrange de ma profession. [Un moine refuse de révéler la nature du remède qui pourrait guérir son mal] (C.N.N., c.1456-1467, 536).

 

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"Déroutant, surprenant" : ...veue la grande diligence qu'on a faicte de le querir sans en savoir nouvelle, la chose est bien estrange. [Un diamant a mystérieusement disparu] (C.N.N., c.1456-1467, 45). ...j'ay bien cause plus que nul aultre de douloir ; mais helas ! mon cas est tant estrange [L'homme veut se faire passer pour impuissant] (C.N.N., c.1456-1467, 93). ...tant d'estranges contenances faisoit que vous fussez esbahy et abusé a le veoir. [Un homme feint d'être souffrant] (C.N.N., c.1456-1467, 535).

 

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"En dehors de la norme, ici de la raison, déplacé" : ...moult certain est que toute chose est estrange que raison de nature ou d'office n'amaine et introduit (FOUL., Policrat. B., I, 1372, 99). En ceulz ci l'en atent la meurté de l'aage, et es autres souffist il que l'en puisse acomplir le delit de l'estrange luxure. (FOUL., Policrat. B., III, 1372, 239).

 

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"Qui n'est pas conforme aux attentes"

 

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[D'une chose] : Ventre et cuisses porte d'arein [la statue de Fortune] ; Mais c'est pour moustrer plus a plain A tous ceaus qui li sont prochain Qu'elle se change En pis. Ci vois tu le certain, Que d'or est son chief premerain, Après d'argent, nom pas d'estain. Di le voir : Men ge ? Or est d'arein vil et estrange. Certes, ce n'est mie bon change. Fols est qui a tels dons s'arrange, Ne tent sa main. (MACH., R. Fort., c.1341, 39).

 

2.

"Inconnu, mystérieux" : ...Jusqu'à tant que li terme vint Que le roy son pere couvint Rendre à nature le treü, Et paier qui li est deü, C'est à dire qu'il trespassa Et que l'estrange pas passa, Dont creature ne rapasse, Tant bien son alée compasse ; Si que mult honnourablement Fist faire son enterrement. (MACH., P. Alex., p.1369, 19).

 

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"Qu'on connaît mal, dont on n'a pas de notion" : Et se il [le juge] juge mal par imprudance, et que la matiere luy est estrange et juge a l'adventure et mal (JUV. URS., Aud. illos, 1432, 39).

 

3.

"Nouveau, original" : Si m'avisay que je feroie Selonc ce que je sentiroie Pour vous et a vostre loange Lay, complainte ou chanson estrange ; Qu'a vous n'osasse, ne sceüsse Dire autrement ce que j'eüsse, Et me sambloit chose plus bele De dire en ma chanson nouvelle Ce qui mon cuer estreint et serre... (MACH., R. Fort., c.1341, 131). S'en y avoit qui renoier Le jouster, ne le tournoier, Le dancier, ne le caroler Ne pooient, ne le baler, Mais si forment se delitoient Qu'en tous lieus ou elles estoient Ne leur chaloit d'autres reviaus, Tant fust estranges ne nouviaus ; Et vosissent que leurs amis A ç'ordené fussent et mis Que pour honneur ne pour vaillance Ne partissent de ceste danse, Et qu'einsi usassent leur vie, Sans avoir d'autre honneur envie. (MACH., D. Lyon, 1342, 216). La fu il hautement loés, Et fu cis moult bien avoués Qui le loa premierement. Car selonc mon entendement, A la guise qu'il le looit Chascuns moult volentiers l'ooit, Et gracioient la loange, Pour ce qu'elle estoit si estrange, D'une estrangeté nompareille, Que c'estoit une grant merveille D'escouter les divisions Qu'on faisoit des alerions. Eins est trés tout aussi comme une Chose des autres separée, Dont elle est assez mieus parée De plaisir en audition Pour l'estrange condition Qui est ditte nouvelleté. Mais je l'appelle estrangeté, Pour ce qu'elle genroit plaisance De nouvel en ma congnoissance. Car aucune chose nouvelle, Ou cas qu'elle soit bonne et belle, Et il avient qu'on en parole, Il est certeins que la parole En est moult volentiers oÿe Des entendens, et conjoÿe. (MACH., D. Aler., a.1349, 294).

B. -

"Étonnant, merveilleux, extraordinaire" : M'en alay parmi le vergier, Pour ce qu'onques, a droit jugier, Nul si trés bel veü n'avoie ; Car il n'i avoit lieu ne voie Qui ne fust semez de flourettes Blanches, jaunes et vermillettes Ou d'aucune estrange colour. (MACH., D. verg., a.1340, 14). Si m'en alai parmi le brueil Qui estoit si biaus qu'onques mais Ne vi, ne ne verrai jamais Si bel, si gent, si aggreable, Si plaisant, ne si delitable ; Et les merveilles, les deduis, Les ars, les engins, les conduis, Les esbas, les estranges choses Qui estoient dedens encloses, Ne saroie jamais descrire. (MACH., R. Fort., c.1341, 30). ...Car de tous fruis, de toutes entes, De tous arbres, de toutes plantes, De toutes fleurs, de toutes greinnes, De toutes bonnes herbes sainnes, De toutes fonteinnes estranges Qui doivent recevoir loanges, De toutes les bestes les genres, Les grans, les moiennes, les menres, De tout ce qu'on doit bon clamer, Soit deça mer, soit dela mer, Avoit assés et a devis En vergier que ci vous devis. (MACH., D. Lyon, 1342, 162). Nompourquant tant fis et rivay Que passé a l'autre rive ay, Dont je fu si liez que sans doute Se j'eüsse l'empire toute, Je n'eüsse pas si grant joie Com j'eus, quant passé me vëoie, Pour vëoir les estranges choses Qui en ce vergier sont encloses. (MACH., D. Lyon, 1342, 165). Il [les murs] estoient hault malement, et de pière dure et ouvrée de jadis par mains de Sarrasins, qui faisoient les saudures si fortes et les ouvrages si estragnes que ce n'est point comparaison à chiaus de maintenant. (FROISS., Chron. L., III, c.1375-1400, 84). De l'autre part devers midi Une autre chaire ot, je vous di, Qui tant fu d'estrange devise Que m'en merveil, quant m'en avise. (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 102). En ce lieu la, dolent et miserable, Avoit ung temple faict d'estrange fasson, Luysant dedens, le dehors admirable Et en estoit Fortune le masson, Pavé de dueil et les cloches d'ung son Si esgaré qu'il n'est cil qui ne tramble En contemplant ce douloreux resson (ANTITUS, Poés. P., c.1500, 53).

 

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Il fait bel estrange + inf. "C'est extraordinaire, merveilleux de + inf." : ...et faisoit moult bel estrange veoir ce grant nombre de targes en diverses peinctures, et ces blondz cheveulx de ces Behaignons et Allemans qui reluisoient contre le souleil, et sonnoient les clairons du Roy à l'abordée. (LA MARCHE, Mém., I, c.1470, 274).

 

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"Hors du commun, extraordinaire" : ...mais la chose [la saisine du temporel de l'évêque] semble estrange, et croy que les advocas et procureurs du roy ne soustendroient point une belle saisine de temporel. (JUV. URS., Nescio, 1445, 492). ...et pillent [les nobles] et robent le povre peuple et sans misericorde les traictent, adfin que es douleurs estranges ilz puissent acomplir leurs voluptez et desirs extraordinaires. (JUV. URS., T. rever., 1433, 74).

 

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Estrange à + inf. : ...force fut qu'elle endossast ceste robe, qui estoit bien estrange a regarder. (C.N.N., c.1456-1467, 322).

 

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"Hors du commun, extraordinaire" : ...mais la chose [la saisine du temporel de l'évêque] semble estrange, et croy que les advocas et procureurs du roy ne soustendroient point une belle saisine de temporel. (JUV. URS., Nescio, 1445, 492).

 

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"Qui surprend par son caractère singulier, inhabituel, bizarre, étrange" : Et se Plaisance Qui faire fait mainte estrange muance Li fait estre de sa dame en doubtance, Doit il estre pour c'en desesperance ? Certes ! nannil ! (MACH., J. R. Beh., c.1340, 125). Dont, puis qu'elle [Fortune] fait son deü, Je di que tu as tort eü De li laidengier, ne blasmer, Ne de ses ouevres diffamer ; Car se tu yes cheüs en peinne Par sa mutation soudeinne, Estrange, diverse et sauvage, Qui fist chanseller ton corage, Certes, amis, tu n'ies pas seuls... (MACH., R. Fort., c.1341, 93). Mon biau sire, se Dieus me gart, Moult avez estrange regart, Et s'avez diverse parole ; Et s'avez esté a l'escole, Si com je croy, d'aler en change ; Et pour ce que li cuers vous change, Vous cuidiez que chascuns le face Si com vous. (MACH., J. R. Nav., 1349, 244). ...vezci Cri bien estrange ! (Mir. Rob. Dyable, c.1375, 65). Helas ! dolens, ma rose est mise en mue Soudeinnement, dont je suis en doubtance Que sa douceur et son oudeur ne mue Et sa coulour en estrange muance, Car à li hurtent souvent Bise, galerne et tuit li autre vent Sens zaphirus. (MACH., L. dames, 1377, 194). Et bien dient ly aucun que oncques mais n'avoient veu si estrange chace ne si merveilleuse, ne senglier courir si estrangement. Et disoient pluseurs que c'estoit un senglier estrange et forpassez de ses repaires. (ARRAS, c.1392-1393, 28). Cil chevalier estrange vous porte une moult estrange medicine. (ARRAS, c.1392-1393, 59). Comment, dist Hermine, sire chevaliers, feustes vous a la bataille ? Par ma foy, ma damoiselle, oïl. Et comment, dist elle, cellui damoisel qui a si estrange phizonomie est il si batailleux comme l'en dit ? Par ma foy, ma damoiselle, mais plus cent foiz, et sachiez, quoy que on vous die, que c'est un des plus plaisans homs que je veisse oncques. (ARRAS, c.1392-1393, 104). Par la foy que je doy a Dieu, je croy que ce ne soit que fantosme de ceste femme [Mélusine], ne ne croy pas que ja fruit qu'elle ait porté viengne a perfection de bien ; elle n'a porté enfant qui n'ait apporté quelque estrange signe sur terre. Ne veez la Oruble qui n'a pas VIJ. ans acompliz, qui a ja occiz deux de mes escuiers, et avant qu'il eust trois ans, avoit il fait mourir deux de ses nourrices par force de mordre leurs mamelles ? (ARRAS, c.1392-1393, 253). La n'est merveilles qu'on ne voye : On y voit, par estrange voye, Les uns monter, autres descendre, Et, souvent, cil qui est le mendre Du troppel au plus hault seoir (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 149). ...afin que les finances de ce royaume ne soient transportées hors en estranges païs et royaumes (FAUQ., I, 1417-1420, 110). Et par avant et depuis, durant ledit moys, furent faictes grandes et merveilleuses chaleurs et les plus extremes que homme eust veu en sa vie, qui sembloit chose moult estrange et desnaturée. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 187). ...le duc de Calabre (...) à qui le roy avoit fait tant de honneur de lui donner sa fille ainsnée en femme et espouse, s'en ala hors de sa duchié de Lorraine, pardevers ledit duc de Bourgongne, pour traicter d'avoir et espouser sa fille, en delaissant, en ce faisant, ladicte fille du roy, sa femme, qui fut chose moult estrange à lui de ainsi faulser sa foy et soy ainsi abaisser de delaisser la propre fille ainsnée du roy, son souverain seigneur, pour cuider avoir et prendre la fille dudit de Bourgongne, subject et vassal du roy. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 265). Mes motz fault müer et retraire. Las, veez cy chose moult estrange ! Fault il que filz en nepveu change, Laisser le maistre pour disciple ? (Pass. Auv., 1477, 221). DANDO. Elles se hourde(me)nt gourdement, Senglees com enfans sont en langes. MAISTRE ALIBORUM. Les façons n'en sont pas estranges C'est pour fort retenir le bas, Leurs culz fourrez cherroient embas S'elles n'estoient ainsi senglees. (Sots Magn., a.1488, 196). Il vit plus sainctement c'une ange Ainsi qu'on dit communement ; Pour ce, ne m'est pas chose estrange De le recevoir humblement. (LA VIGNE, S.M., 1496, 361).

 

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D'estrange manière : J'ay fait faire une belle cote Et [chausses] d'estrange maniere, Toutes bout(te)tonnés par derriere, Et me viennent jusques au cul. (S. fol, c.1480-1490, 6).

 

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Il vient estrange à qqn que. "Cela surprend qqn que..." : Jhesus, il me vient bien estrange, Toy qui as fait les mors revivre, Que ta force ne nous delivre. (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 341).

 

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Il est estrange à qqn si... : Sy ne m'est pas estrange se tu enseignez aux aultres gourmandise et abandonnee luxure et la prometz en l'aultre siecle pour gloire, quant toy mesmez t'osas vanter que tu avoiez par don de Dieu le povoir de quarante hommez en tes rains pour acomplir l'oeuvre de luxure. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 123).

C. -

[Avec une idée d'hostilité]

 

1.

[D'une pers., d'un aspect de la pers.] "Malveillant, dur, hostile, cruel" : ...antre Turc se fiert, moult petit lez esparrgne. Chescun le vait fuiant, trop l'ont trové estraingne. (Lion Bourges K.P.F., c.1350, 98). Car quant du fait li parle a part, Plus fiére la truis que liepart, Et malement dure et estrange (Mir. emper. Romme, 1369, 265). ...si ne m'en soiiés pas si dure ne si estragne que bien poriés, car il me tourroit a grant contraire. (FROISS., Pris. am. F., 1372-1373, 68). Biauté qui toutes autres pere Envers moy diverse et estrange, Douceur fine à mon goust amere, Corps digne de toute loange, Simple vis à cuer d'aïmant, Regart pour tuer un amant, Samblant de joie et response d'esmay M'ont ad ce mis que pour amer morray. (MACH., Bal., 1377, 539). Ja soit ce qu'à moy n'affiere, Mais sa douce et simple chiere, Qui n'est estrange ne fiere, Vuet que mes cuers preingne et quiere Sejour et demour En dous espoir dont mais n'iere Que tous siens, sans parsonniere. (MACH., Les lays, 1377, 455). Sire, ne nous soyez estranges, Dou tout vers vous nous enclinons. (Jour Jug. R., c.1380-1400, 232). Bien m'est Fortune estrange archiere Et ennuyeuse, Si semble qu'el soit envïeuse Que j'aie ja vie joieuse Pour plaisance delicïeuse, Doulce et privee, Qu'elle a de moy a tort privee Comme oultrageuse desrivee (CHART., L. Dames, 1416, 244).

 

-

Empl. subst. : Pour ce à vous me range Que ne soie, se je fin, Par l'engin Mis en hutin De Sathan l'estrange. (MACH., Les lays, 1377, 402).

 

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Faire l'estrange. "Se montrer hostile" : "...Gentillesce et pitié vous meuve, Quar plus n'ay d'enfans et suy veuve, Et vous n'y perdrez rien en change." Lors fist le paien mains l'estrange (Tomb. Chartr. Trois contes S., c.1337-1339, 112). ...Le roy de France et le regent Durent renuncier au proufit Du roy anglois, par leur escript, Et de ses hoirs, et leur bailler, Sanz mal engin, comme heritier, Les diz lieux, sans faire l'estrange, Dedens la Saint Michiel archange, Ensuiant une année après Au plus tart, et en seront près Au dit jour, et sanz nulle faille. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 385).

 

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[D'un animal] : ...Loiemiers, grans alans d'Espaingne, Et pluseurs matins d'Alemagne, Castors, aspis et unicornes, Et une autre beste a deus cornes, Trop diverse et trop perilleuse, Trop estrange et trop venimeuse ; Car plus des autres la doubtay, Et encor de li grant doubte ay. Son nom ne saroie nommer. Je croy qu'elle vint d'outre mer... (MACH., D. Lyon, 1342, 172).

 

-

[Empl. subst. masc. à valeur de neutre.] Faire l'estrange. "Faire des difficultés, faire de l'opposition" : SAINCT MARTIN. Mes freres, il fauldra regarder D'en rendre a Dieu grace et louenge Affin qu'il se puisse amender Et tousjours a bien il se renge. CHANTRE. Voluntiers, sans faire l'estrange, De bon cueur je veulx commancer. (LA VIGNE, S.M., 1496, 385).

 

2.

[D'une chose] "Cruel, hostile" : Je di que li gerfaus volans Pour cui je fui liez et dolens, Liez, quant j'en eus m'entention, Dolans de sa condition Qui estoit estrange et diverse, Encontre moy male et perverse, Me fist avoir tant de meschief, Que je n'en pos venir au chief, Devant qu'Amours m'en secouri Qui doucement y acouri. (MACH., D. Aler., a.1349, 382). Et leur sambloit dure cose et estragne de deshireter lor signeur (FROISS., Chron. D., p.1400, 635). ...en l'execucion dudit arrest, ycellui de Besze avoit tenu manieres bien estranges et desraisonnables (FAUQ., II, 1421-1430, 156). Et neanmoins a eu aggreables les labeurs et diligences desdis ambassadeurs et les en a regraciez, et a supporté en grant pacience les estranges manieres et verbales responses faictes en ceste matiere. (FAUQ., III, 1431-1435, 24). ...et pour ce que je doubte et ay doubté que pour mon département pluiseurs puissent prendre aucune estraingne ymaginacion sur la routure et infraction de vostredicte ordonnance, le plus tost que j'ay peu après mon département je vous ay envoyé mes lectres à vous certiffier de la voulenté et intencion que j'avoye et ay à l'entretenement de vostredicte ordonnance. (Doc. 1413. In : MONSTRELET, Chron. D.-A., t.6 c.1444-1453, 125). ...mondit seigneurn'a pas monstré (...) qu'il ait du tout osté son courrage d'ensievre le mauvais conseil et continuer les estranges termes ["conduite"] qu'il a jà longtemps tenus. (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 65). Et fut present en personne le roy, Tant que dura ce merveilleux effroy, Ce dangeureux et tres cruel assault, Qui fut le plus soudain, estrange et chault Qu'on vit jamais (LA VIGNE, V.N., p.1495, 244).

 

-

En partic. [D'une parole] : Et sa gracieuse parole, Qui n'estoit diverse ne fole, Estrange ne mal ordenée, Hauteinne, mais bien affrenée, Cueillie a point et de saison, Fondée seur toute raison, Tant plaisant et douce a oïr, Que chascun faisoit resjoïr, Me metoit un frein en la bouche Pour moy taire de ce qui touche A tout ce qu'on claimme mesdire. (MACH., R. Fort., c.1341, 9). O benoitte Dame de paradis, comme ores est ceste parole estrange et dure aux personnes charnelles de ce monde, et qui ne quierent fors leurs soulas et leurs plaisirs mondains (GERS., Déf., 1400, 219). ...et furent illecq dittes maintez parolles estranges, diverses et pesantes (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 310).

 

-

[D'une situation] "Dangereux" : Il l'a sauvé en tant mains évidens périls, en maintes espoentables aventures moult estranges, armé et désarmé, en eaue et en feu, en batailles et conflictions des peuples. (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 270).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Pierre Cromer

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