C.N.R.S.
 
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     ÉTOUPER     
FEW XII stuppa
ESTOUPER, verbe
[T-L : estoper ; GD : estoupler ; GDC : estouper ; AND : estoper ; DÉCT : estoper ; FEW XII, 316 : stuppa ; TLF : VIII, 270a : étouper]

A. -

"Boucher, obstruer qqc."

 

1.

"Boucher (un trou, une ouverture) avec de l'estoupe ou qqc. de semblable (cire, terre, tuiles...) ; se boucher"

 

a)

Estouper (un trou, une ouverture) : Et, s'il le veult prendre mort [le renard], si estoupe touz les pertuis et boute le feu, comme j'ay dit, dedanz, si le trouvera l'endemain mort a la bouche de l'un des pertuis. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 244). Hay, dist il, m'amour, or vous ay je trahie par le faulx enortement de mon frere, et me sui parjurez envers vous. Lors ot tel dueil a son cuer et telle tristece que cuer humain n'en pourroit plus porter. Il court en sa chambre, et prent la cire d'une vieille lettre qu'il trouva, et en estouppa le pertuis [fait dans une porte]. (ARRAS, c.1392-1393, 242). Puis estoupez le trou aux deux costez du cerisier (c'estassavoir de terre glaze, de mousse, et entortillee de drappeaulx) tellement que aucune pluye ne puisse actouchier au pertuiz. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 123). Mais affin que le trou estouppe, [Raymon] Un petit drapellet decouppe Et de la cirë avec mesle ; Le trou estoupe et bien sëelle, Qu'omme ne pot veoir par la. (COUDRETTE, Mélus. R., c.1401-1402, 211). ...aux dessus diz mainouvriers qui estouperent en haste et remplisrent ung grant trau et fosse faicte et incavee par la force d'eaue (Doc. 1403. In : Y. Coutant, Terminol. du moulin médiév. dans le comté de Flandre, 1994, 653). ...recouvrirent tout de nouvel de tieules l'ung lez de la maison des diz molins et par divers lieux estouperent pluiseurs traux en la dicte couverture (Doc. 1417. In : Y. Coutant, Terminol. du moulin médiév. dans le comté de Flandre, 1994, 653). ...il sera tenu et a promis de, durant ledit tems, visiter et netoyer à ses despens quatre fois l'an toutes les couvertures et gargouilles de dessus le Pont Nostre Dame, de querir la souldure qu'il faudra èsdites gargouilles, et de y livrer et emploier demi millier de tuille par chacune desdites années se tant y en fault, et aussi de resserchier et estoupper les trous desdites couvertures (Comptes Paris V.L.D., t.1, 1425-1426, 84). ...car il samble [ressemble] à ceulx qui veullent espuissier une fontaine sans escoupper [l. estoupper] le conduit. (LA SALE, Sale D., 1451, 39).

 

-

[L'ouverture d'un récipient, la bonde d'un tonneau (avec un bouchon)] : Je me delicte fort en requoy de moy remirer souvent en ma belle fiole, remplie d'or et de pierres precieuses, qui est tresbien estoupee. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 331). Item, se le vin sent la sente, il doit prendre 1o de seurmontain en pouldre et autant en graine de paradiz en pouldre et mectre chascune desdictes pouldres en ung sachet, et le pertuisiez d'une greffe, et puis pendez tous les deux sachez dedens la queue a cordellectes et estouppez bien le bondonnail. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 134). ...et a chief duex jours le coleis par mi on drap [la préparation médicinale], et le meteis (et) en une fiole de voire, et le stopeis adés tres bien, et puis en meteis en l'uelhe a malade .I. gotte a suere et une a matin, se li adera mult. (Méd. nam. H., c.1400-1500, 201). ...preng lymaces jeunes qui sont sans escaffottes et les metz en une ammole de voyrre et metz sur lesdites limaces pouldres de sal gemme et eaue de lymons et estoupe l'ammole et la metz au souleil et la laisse ainsi tant que tout soit comme unguent et en oindés la face (GORDON, Prat., c.1450-1500, VII, 25).

 

.

Estouper (une bouteille) : Apres prenez du plus delyé sablon que vous pourrez, et mectez dedens la boutaille tant comme vous y pourrez mectre, et puis l'estouppez tresbien, que rien n'y puisse yssir ne entrer, et mectez la boutaille dedens une eaue courant. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 272).

 

-

En partic.

 

.

"Fermer un trou (sur un tissu)" : ...volons que tout li draep que on sellera de dues seels de plonc soyent eswardeit à une perche par dues pruedommes que de par nous y serront establiit et sermenteit, et ychil draep par eulx soyent purgiet et nectiiet souffisantment de tout che que à le dicte draperie puet greveir et nuyre, et souffisantment estoupeit tout li treu, anchois que le secons seels y soit miis ; et che sour teille amende que par nos officiiers delle draperiie serra diit et ordeneit. (Hist. industr. drapière Flandre E.P., t.3, 1363, 39).

 

.

"Rapiécer (une chaussure)" : Ces savates a vostre cote Faites estachier sanz couper, Pour taconner et estouper Les troz d'entour (Mir. parr., 1356, 16).

 

.

"Boucher toutes les ouvertures (d'une pièce), calfeutrer (une pièce)" : Fille, ne me puis esjoir Qu'estes si de mal occupée Et si ceste chambre estoupée Qu'il n'est nul, tant bien vous sceust Regarder, qui vous congneust. (Mir. Berthe, c.1373, 214).

 

b)

S'estouper. "Se boucher" : La cure d'apostume chault : premier mettés une tente au trou du chief de la verge qu'elle ne se estoupe pour yssir hors les superfluités franchement (GORDON, Prat., c.1451-1500, VII, 5).

 

2.

[Le compl. désigne une ouverture du corps]

 

a)

Estouper les yeux. "Gêner la vue, empêcher de voir" : "Ilz me crachoient ou visage et me estoupoient les yeulx et me rompoient le col par force de horions..." (Horloge de sapience S., c.1389, 75).

 

b)

Estouper l'oreille. "Se boucher les oreilles, ne pas écouter les flatteurs" : ...et ce nous est segnefié secretement par les serpens qui estoient entour la verge de Mercure, qui sont de leur nature malicieux et sages, sy come le serpent qui estoupe une oreille de sa queue et l'autre de la terre, a celle fin qu'il n'oye l'enchanteur, qu'i ne le deçoive, sy come il a esté autresfoiz dit, nous moustre evidaument. (EVR. CONTY, Eschez amour. mor. G.-T.R., c.1400, 253).

 

-

[Dans un contexte métaph.] : En cuer ma dame une vipere maint Qui estoupe de sa queue s'oreille Qu'elle n'oie mon doleureus complaint : Ad ce, sans plus, toudis gaite et oreille. (MACH., L. dames, 1377, 184). Mon cuer, estouppe tes oreilles, Pour le vent de Mérencolie (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 467).

 

-

Estoupé : M'entendez vous ? Se n'entendez, Vos oreilles tresestoupees Aux bonnes paroles tendez. (MARTIN LE FRANC, Champion dames I-II, P., 1440-1442, 136).

 

-

Au fig. : Pour che dist saint Ambrose ou livre de l'Incarnation de Jhesu Christ : "Pour quoy cloéz vous les oreilles et les estoupés comme de cire ou de ploncq et escoutés en anuy ?" (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 56). ...par quoy ilz à telles parolles seditieuses ont estoupé leurs oreilles, usans en ce de la prudence que nature a donnée aux serpens, recommandée en la saincte escripture, savoir de estoupper leurs oreilles contre la voix des enchanteurs. (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 259).

 

c)

Estouper la bouche à/de qqn. "Remplir (la bouche) d'étoupe" (En guise de bâillon) : Son pié lieray a la couche, Si li estoupperay la bouche Si qu'elle ne pourra parler (Mir. femme roy Port., c.1342, 185). ...puis la prit et luy estouppa la bouche si fort qu'elle ne poeut crier que II cris ou III (LE BEL, Chron. V.D., t.2, 1358, 31). Et, incontinant que vous l'avrez, estouppez lui bien la bouche, qu'elle ne crie, et l'enmenez en la forest et là la ferez mourir. (Cleriadus Z., c.1440-1444, 294).

 

-

Au fig. "Faire taire qqn" : Mez Dieu le Tout Puissent, qui humilie tout orgueil qui se esauce contre la science de Dieu, sauvera lez povres et lez ministres de l'Yglise, et si estoupera la bouche de cieux qui dient choses fauses, perverses et iniques. (Songe verg. S., t.1, 1378, 16). Ainsi d'Amours, devant tous les amans, Prandray congié en honneste maniere, En estouppant la bouche aux mesdisans (CH. D'ORLÉANS, Songe compl. C., 1437, 104).

 

d)

Estouper son nez : Car par tout ou elle aloit, elle rendoit une odeur si puante de son derriere que les assistens en estouppoient leurs nez, mais ne savoient qui cellui estoit qui estoit en cause. (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 85).

 

Rem. Estouper les narilles : ex. de LA TOUR LANDRY ds GD III, 630a (estouple).

 

e)

MÉD. : Toutes fames qui sont grasses oultre mesure naturelle, ne concoivent point ; car la gresse estoupe la bouche de la marriz, et tant qu'elles soient atenuees elles ne pevent concevoir. (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 85). ...par les choses mises par dehors, l'oriffice est estouppé et le sang glace ou caille. (PANIS, Guidon, 1478, tr.III, doct.1, chap.3).

 

-

Estouper (une plaie). "Mettre de l'estoupe (sur une plaie) pour arrêter le sang" : «...or m'aiez estoupee Ma plaie que j'ay cy, et la m'aiez bandee...» (Renaut Mont. B.L. V., c.1350-1400, 66).

 

f)

[Dans un contexte grivois] Estouper (une femme) : Au propos vous diray cautele ; Oncques mais n'oïstes autele. Clement trouva sa femme Berte Dessoubs un prestre descouverte. Le prestre l'avoit estoupée. (LE FÈVRE, Lament. Math. V.H., c.1380, 111).

 

3.

"Barrer, fermer (une voie, un passage)" : Avec chelui qui est en aguet ou qui veult tempter se convient conduire tellement que ses mauvaistés ou voyes d'aguet soient estoupees. (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 153). PREMIER SERGENT D'ARMES. (...) Vuidiez de cy, vuidiez, vuidiez ! N'estoupperez pas, ne cuidiez, Si le chemin. (Mir. emper. Romme, 1369, 259). LE ROY. (...) Alez en par ci au devant, Afin que, se riens vous envoie, Que vous li estoupez la voie Quanque pourrez. (Mir. roy Thierry, c.1374, 298). Mais tant vous dy je, ce sachiez, Qu'en orgueil sont si afichiez Voz filz qu'il n'est chastiau nesun, Cité, ne ville de conmun, Par ou pensent que venir doie, Qu'il n'aient estouppé la voie, Tant y ont assemblé de gent D'armes (Mir. ste Bauth., c.1376, 127). ...les dis maieurs et eschevins ont estoupé une ruelle qui va desoubz le maison Baudin Wasselin, qui doit estre rue commune, et doit on passer tout oultre, et le voeullent appliquier à le heritage de le ville et y prendre certaine rente et certain pourfit (Hist. dr. munic. E., t.3, 1378, 431). ...la tierce des filles noblement asena Au conte de Savoie qui le pas estoupa As Lombars puissedi (Geste ducs Bourg. K., c.1410-1419, 268). ...qui a fait abatre le pont leviz de son chastel de Suessons, fait perser, demolir et abatre partie des murs d'icellui chastel, fait boucher, murer et estouper certeinne poterne (BAYE, II, 1411-1417, 105). ...tantost démolirent le pont-levis dudit chastel devers les champs et leur tolèrent l'issue et l'estoupèrent de grans fossez, tellement que par là nul homme ne povoit entrer ne yssir. (MONSTRELET, Chron. D.-A., t.2, c.1425-1440, 219). Nous sçavons bien qu'en paradis Nulz n'entrera ne puelt entrer, Adam veult la voie estoupper, Se la voie estoit destouppée, No maison ne fust si peuplée Comme elle est, pour quoy je puis dire Que Dieu qui de lassus est sire Jamais nul entrer n'y laira. (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 204). Le serpent ancien te stimulera et troublera, mais il sera encachié par oroison et mesmement son entree lui sera estoupee par aucun labeur prouffitable. (Internele consol. P., 1447, 105). Des Anglois n'est nul rechappé Qui ne soit pris et atrappé Ainsi comme est l'oiseau en caige ; Leur passaige avez estouppé Et ung chacun d'eulx occuppé Si bien qu'il ont eu le dommaige. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 475). De ces Anglois en estoit fait Que ung seul n'en fust rechappé, Qui n'eust esté mort et deffait, Ne nul d'eux n'en fust eschappé. Leur pertuys estoit estouppé Et n'en savoyent plus saillir ; Cil qui a ci developpé Leur a fait ung tres grant plaisir. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 633).

 

-

Au fig. : ...nous ne voulons pas estouper les voies a la divine grace (FOUL., Policrat. B., II, 1372, 154).

B. -

Au fig.

 

1.

Estouper qqc.

 

-

"Faire cesser, étouffer qqc. (une querelle...)" : ...le dit Loys dist audit varlet dudit Pontenier trois ou quatre foiz qu'il estuiast son espée, et que au regard dudit Pontenier, son maistre, il ne lui en chaloit, et vouloit la noise estoupper entre eulx encommancié en la dicte maison. (Doc. Poitou G., t.8, 1445, 227).

 

-

"Gêner (le développement de qqc.)" : L'ANGE (au pèlerin). ...n'y as que .III. jours este [au purgatoire ; l. esté] Qui tout ton temps t'es delite [l. delité] Es drueries quë as dit, Dont tu me fëis grant despit Et hors de ta maison bouter Et aussi mes sens estouper, Que ne sentisse ou vëisse Tes horreurs, et que n'ouisse Tes dissolues paroles (GUILL. DIGULL., Pèler. âme S., c.1355-1358, 130). Pour che dist Tulle ou dyalogue qu'il fait a ung nommé Hortense : "Toute congnoissanche est estoupee par moult de difficultéz, car es choses on treuve obscurté et en nos jugemens enfermeté". (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 36).

 

2.

"Empêcher, interdire qqc."

 

a)

Estouper que + sub. "Empêcher que" : ...avoit ledit Pellerin voullu mettre esclostoure au lieu ou ladite eau a acoustumé fourchier, pour estouper et garder que lesdiz porteurs de gaige plege n'aient aucunement de ladicte eau (Cartul. Hôtel-Dieu Cout. L., 1486, 338).

 

-

Estouper à + inf.. "Empêcher qqc. de" : ...il s'en aala [sic] à une autre forteresche sur Saine oultre Meleun, nommée Noveville-le-roy, qui estoupoit les biens à avaler de Bourguongne à Paris (COCHON, Chron. norm. B., c.1430, 287).

 

b)

Estouper à qqn la voie de + inf. "Empêcher qqn de ; interdire à qqn de" : Prison la voie ne m'estouppe De le vëoir. (CHART., L. Dames, 1416, 290).

 

3.

Estouper un coup

 

-

Estouper un gobelet. "Recevoir un coup" (Déf. suggérée par le contexte) : [Indication scénique] Estouppez pour vous ce gobelet Mahom ny aura ia mestier. Icy tue Poylevin d'un coup d'espee (Myst. st Martin K., a.1500, 254).

 

-

[Terme de jeu de paume] Estouper un coup. "Intercepter (la balle)" (Poirion, Mühlethaler) : ...Soussy tant me descourage De jouer, et va estouppant Les cops que fiers a l'avantage ["Les balles que je lance à mon avantage"] (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 144).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Pierre Cromer

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