A. -

"État de celui qui a perdu toute espérance, désespoir, désespérance" (synon. desperance, desesperation) : Et se Plaisance Qui faire fait mainte estrange muance Li fait estre de sa dame en doubtance, Doit il estre pour c'en desesperance ? (MACH., J. R. Beh., c.1340, 125). Car se son dous oueil me repart Par amours de l'amoureus dart, De riens n'arai jamais regart. Se non, en moy sera trop tart Desesperence [var. sesperence]. (MACH., R. Fort., c.1341, 122). ...et la me plevi Amour, loiauté, compaingnie, Foy, secours, confort et aïe, Se je la voloie ensuïr Et desesperence [var. desperance] fuïr. (MACH., R. Fort., c.1341, 134). Elle [Didon] commanda qu'on feïst Un ardant feu en sa presence. Et quant en sa desesperance S'ocist, si forment s'envay Qu'avec le cop en feu chay, Dont tantost fu arse et bruïe. (MACH., J. R. Nav., 1349, 210). ...en desesperance Pour toy mes jours fineray. (MACH., L. plour, 1349, 289). Et en verité celui qui est paoureus est plein de desesperance (ORESME, E.A., c.1370, 209). Si me merveil, quant doloir Et complaindre main et soir Voy maint amant et manoir En desesperence. (MACH., Les lays, 1377, 452). Mais Obstinacion la met [l'âme] en la biere et ou sarcueil qui se nomme oblivion de Dieu. Et affin que jamais ne soit ostee, cruaulté luy met tres pesant, tres froide et tres horrible pierre de obduracion de cuer et de desesperance. (GERS., Purif., 1396-1397, 66). Si chut lors en desesperance Et venin but, sanz demourance (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 242). Car en nous a tele habondance De dueil et de desesperance Qu'il n'est pas en nostre puissance De savoir faindre, Ains a paine nous puet contraindre Raison, et noz bouches refraindre De crïer haultement et plaindre, Car noz cuers sont Si plains du desplaisir qu'ilz ont Que je ne sçay qu'il ne les rompt (CHART., L. Dames, 1416, 210). Las ! congnoissance N'ay se m'amour et ma fïance Est mort, prins ou mis a finance. Entre espoir et desesperance Ainsi chancelle, Plaine de doubtes, comme celle Qui a douleur et ne scet quele. (CHART., L. Dames, 1416, 263). Tandis que en ce debat entre espoir et desesperance mon entendement traveilloit, ung legier sompme me reprint comme, aprés la pesanteur du premier repos, il advient souvent vers le matin. (CHART., Q. inv., 1422, 7). LE CHRESTIEN commence. (...) Je peulx bien dire helas Quant je me voy es las D'infortuné soulas, Sans aucune esperance. Helas, las, helas, las, Consideré mon cas Qui sonne si trescas, N'est que desesperance. Fortune par oultrance Me tient icy en trance Sans nulle recouvrance, Mais malheur a grant tas. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 73). Mieulx me vault faire tout honni Et prendre en moy desesperance, Combien que j'aye encor fiance A Cupido, dieu des amans. (P. moyne, a.1500, 45).

Rem. MAMEROT, Romuleon D., 1466, gloss.

-

RELIG. "Attitude de celui qui se détourner de Dieu comme fin dernière, qui cesse de placer son espérance en Dieu" : Boute tous crestïens en grant derisiom, En grant murtrerie et en confusion, Et garde que de ce tu n'ayes ignorance. Fay leissier au crestïens toute devociom Et qu'il soient tous en dezeperance, Et boute tout a persecuciom. (Myst. st Sébast. M., c.1450-1500, 67).

-

Par deseperance. "Par désespoir" : Et dis pluiseurs fois a pluiseurs de mes amis privés qui me demandoient que j'avoie, que vous m'aviés oublié ; et, par m'ame, je le cuidoie. Dont je jurai moult fort, s'il estoit ainsi, que jamais n'ameroie autre ne me fieroie en fame ; dont, ainsi comme par Desesperance, je fis unes lettres encloses es presentes... (MACH., Voir, 1364, 518). ...se aucun [se] occis ou tue par desesperance, le sire en quel justice il est trouvé en doit faire justice ainssi comme s'il avoit tué un autre. La cause est, car il est homicidez de lui mesmes. Tous ses biens sont confisquiéz au seigneur dessoubz qui il sont. (Cout. bourg. glosé P.M., c.1380-1400, 88). Et maint homme, pour bon tenu, Trez mauvais larron devenu Par redoubtable despérance, Ou peut-estre pour indigence, Et cent mille, jeunes et fors, Y ont esté tuez et mors (LA HAYE, P. peste, 1426, 169). Qui te meult a fayre a Dieu tant de injure comme de voulloir destruire par desesperance son oeuvre qu'il a fait pour esperer en lui ? (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 97). ...pluseurs soy occire eulx mesmes par desesperance (JUV. URS., Aud. celi, 1435, 256).

-

Estre en desesperance que + subj. "Ne plus espérer que" : ...je sui en desesperance Que tu ne puisses repentance Parfaitte avoir (Mir. st Guill., c.1347, 32).

B. -

P. méton. "Situation désespérée" : Car ainsi plain de grace est il et aussy large de confort, comme il fut au temps de la naissance de Phelippe Dieudonné roy de France, qui pour ce fut surnommé Dieudonné. Car il naquist par don de Dieu inopiné aux hommez, et vint sur la terre en desesperance, nayssant d'une royne hors aage de porter enfans, pour estre le confort et l'esperance du peuple de France tourmenté de guerres, et pour reunir en luy seul le courage dez Francoys divisés en diverses affections de regner. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 146). Car l'appetit avaricieux dez ecclesiastes a si surmonté leur rayson que leur damnation y giest manifestement, et si fait la destruction temporelle d'un chacun ; qui est et peult estre vituperé, et l'onneur universel de l'Eglise dechoir ou deprimement de foy, et principallement des ecclesiastes, qui ces maulx commencerent. Douleur me fait ce dire. Car je suis deffiee de leur durté, qui a bien jugier approuche hastivement sur eulx en toute desesperance. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 178).