C.N.R.S.
 
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     DÉMENER     
FEW VI-2 minare
DEMENER, verbe
[T-L : demener ; GD : demener ; GDC : demener ; AND : demener ; DÉCT : demener ; FEW VI-2, 105 : minare ; TLF : VI, 1065b : démener]

I. -

Au propre

A. -

Empl. trans.

 

1.

Demener qqn. "Mener, conduire (un groupe de personnes, une armée ...)" : Douz Dieu , bon rey Emmanuel, Qui ton pueple Israel Par le desert bien demenas, Et a bon lieu les amenas... (Vie st Evroul S., c.1350, 63). Aultre part ou dit Psaultier est dit a Nostre Seigneur : «Tu as demené ton peuple comme oailles en la main de Moÿse et de Aaron». (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 240). Scipion l'Affrican, quant premier demena son ost en Auffrique, commanda que toutes choses, qui en ses legions seroient trouvees provocans a volupté, en fussent tantost degeteez. (CHART., Q. inv., 1422, 15).

 

-

Demener un cheval. "Faire faire des exercices à un cheval" : Lors le doit hon fere ferrer et galoper et poindre et demener pour aprendre les aleüres (Chir. chevaux P., c.1325-1350, 367). Se il n'a cuer [le cheval] metez .II. seons dés les esclos duqu'entre les ars et li seon courront. Demenez le chascun jour, tant qu'il soit gueris. (Chir. chevaux P., c.1325-1350, 374). Et quand ledit de Ternant congnust qu'il ne pouvoit son espée recouvrer, il changea de main à la bride, et ferit le coursier des esperons, et se monstra au devant de son compaignon, et rabattit plusieurs coups d'espée à la main ouverte, et, en demenant et remuant son cheval, l'espée, qui desjà pendoit contre les flans du cheval, vuida hors de sa guaine et cheut sur le sablon (LA MARCHE, Mém., II, c.1470, 78).

 

2.

"Agiter, bouger"

 

a)

[D'une pers. ou d'un animal] "Agiter, bouger, remuer (son corps ou une partie de son corps)" : Et avecques ce, il [le guiterneur ou autre menestrel] a en ses mains une qualité acquise par usage, par quoy il les demaine legierement selon cel art. (ORESME, E.A.C., c.1370, 145). ...un livre que fist Pithagoras, ou il monstre comment l'en doit demener son corps et selon les sons de musique, si comme dancer, baler... (ORESME, Pol. Arist. M., c.1372-1374, 333). Et tant [le serpent] demaina sa queue entour, pour la mort qui le destraignoit, qu'il attaint par mesaventure le Chevalier du Papegau (Chev. papegau H., c.1400-1500, 68). Metz-le sur un blot de bois ou sur une perche [le jeune épervier], affin qu'il puisse mieux demener son pennage sanz le gaster en terre. (TARDIF, Art faulconn. J., t.1, 1492, 30). Premier, quand il sent ceste ordure [le possédé du démon], La teste luy verrez tourner Deça dela et demener [corr. de l'éd.[de]mener], Sans dire mot en sa folie (Coust. Esop. T., c.1500, 173). Regardez comme il demaine Sa teste deça et dela. Son mal le veult tenir en peine. (Coust. Esop. T., c.1500, 179).

 

-

Demener grand erre. "Mener grande allure" (Éd.) : A baptisier l'anffans l'appellerent Lion, Car li lion salvaige qui en fist norisson Suit le chevalier dressi a son donjon, Tout adés demenant grant hoir et hideux son. (Lion Bourges K.P.F., c.1350, 20).

 

b)

[D'une chose]

 

-

Demener qqc. "Amener" : Et les deveront demener ensi que les autres dras dessus dis et par otelle corrigance a leur cantitet. (Drap. Valenc. E., 1344, 286).

 

-

Demener qqc. à qqc. : Item, tout art ou science operative parfait bien son oeuvre par ce qu'elle resgarde au moien et a ce demaine et adresce toutes ses oeuvres (ORESME, E.A., c.1370, 161).

 

-

Demener qqc. en un lieu. "Conduire, guider qqc. vers en lieu" : ...elle [la matrice] s'esmeut et espent, et demaine le sparme en plusieurs lieux de la marriz (SAINT-GILLE, Comment. A.Y. L., 1362-1365, 119).

 

-

Demener (un liquide) (aval sa bouche) "Le remuer (dans la bouche)" : ...et puis meteis de tot chaut en vostre boche, et le demeneis avaul vostre bouche tant qui soit frois sens avaleir, puis rachies fours et reprendeis de l'aultre (Méd. nam. H., c.1400-1500, 202).

 

.

Au passif "Être conduit" : ...chacune partie [des veines et des artères] fait son ramel et en faisent est demenee aux dernieres parties de tout le corps a nourrir et a faire vivre tous les membres. (PANIS, Guidon, 1478, tr.I, doct.1, chap.4).

 

3.

[Du vent] : Puis tantost levèrent sur la dicte fosse pluseurs roseaux, qui au bout de l'an comme le vent les demena, encusèrent Mydas et murmurèrent qu'il avoit oreilles [oreilles manque ds le ms.] d'asne (Ovide mor. B., 1466-1467, 270). Par profondité trop s'eslieve [la sainte fontaine]; Par limon se trouble et se lieve Pour le vent qui fort la demaine. (DESCH., M.M., c.1385-1403, 205).

 

-

P. métaph. : ...et point n'es demené de vent mondain, si comme est le rosel, et n'ensuys pas les decevans delices, mais celle fausse vanité, qui gouverne le monde, tiens en subjeccion. (FOUL., Policrat. B., I, 1372, 95). Ha ! Mort, par toy si tresgrant douleur maine Et par Regret, qui aini me demaine, Que je ne sçay quelle part me doy rendre (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, 11).

B. -

Empl. pronom. "S'agiter, se débattre" : Di : qui t'a einsi esperdu ? Que te faut ? Ne que te demandes ? Il couvient que raison m'en rendes, Dont viennent ces pensées veinnes, Que sans cause einsi te demeinnes. (MACH., R. Fort., c.1341, 113). Et pour ce que elle qui parle se demenoit et debatoit les piez et mains, afin que ycellui Oudot qui se efforçoit de la charnelment congnoistre ne la congneust, et que icellui Oudot ne povoit fere d'elle qui parle sa volunté (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 510). Li sires de Fagnuelles estoit montés sus .I. coursier trop merancolieus et mal afrenet ; si s'esfrea (...) et se demena tant que il fu mestres dou signeur de Fagnuelles et l'enporta, vosist ou non, droit enmi les logeis le roi d'Engleterre (FROISS., Chron. D., p.1400, 332). Et lors ont veu venir devant eulx une damoiselle chevauchant, plorant et cryant [...] et se desmenoit ainsi comme femme enragee. (Chev. papegau H., c.1400-1500, 24). Et [l'homme jaloux] va rompant ses cheveulx a bons dois - Et ses souspirs entrecouppent sa voix - Tout forsené ; N'il ne semble ne sage ne sené, Tant se demaine et tant est malmené. (CHART., D. Fort., 1412-1413, 184). Quant je y pense, je me demaine Telement que j'en pers mon sens ! (Concil Basle B., 1434, 100). Car, selon le recort du menestrel qui vey murdrir son pere un pou avant que l'enfant fut né, il se demena tellement ou ventre de sa mere qu'il lui rompy le dextre costé (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 200). [À propos du non respect du sauf-conduit par le roi] les nobles de Savoye s'en desconfortoient ; les Bernois s'en démenoient jusques à en menacer le roy. (CHASTELL., Chron. K., t.5, c.1456-1471, 9). Elle crie, elle plore, elle se demaine, c'est grand pitié que de la veoir. (C.N.N., c.1456-1467, 300). GUILLEMETTE. Qu'esse ? Comment vous demenez ! Estez vous hors de vostre sens ? (Path. D., c.1456-1469, 106). Il se demayne, faisant diablerie. (LA VIGNE, S.M., 1496, 457). ...puis Doolin print sa robe et la rebrassa jusques au genoil (...) puis aprés Doolin dressa son escu en l'empoignant et son baston (...) Quant les gens du roy Dannemont et ses princes virent ainsi demener Doolin, ilz commencerent à rire. (Doolin de Mayence V, P., a.1500, 116).

 

-

Laisser qqn demener. "Le laisser s'agiter" : Gaultier, aydë a la mener [La Laitière] Et puis la lerron demener A son gré, c'est fort forcenee. (Sav. serg. D.L., c.1480-1490, 33).

 

-

Se demener contre/sur qqn. "S'attaquer violemment à qqn" : Et lors en ce disant, pour ce que le dit Bourdoiz le suivoit très fort, en soy demenant sur lui de sa dicte dague, sacha icelui Frelon, qui avoit assez bien beu, un petit coustel trenchepain qu'il portoit à sa sainture, et s'en prist semblablement à esmoucher et demener contre le dit Bourdoiz, et telement que en eulx ainsi demenant l'un contre l'autre, aussi que s'ilz voulsissent jouer du boucler (Doc. Poitou G., t.7, 1404, 33).

 

-

[Dans un combat amoureux] Se demener l'un contre l'autre : ...les deux amoureux (...) se demenoient tellement l'un contre l'autre qu'il sembloit qu'ilz deussent menger l'un l'autre, tant mettoient et joindoient leurs dens ensemble. (C.N.N., c.1456-1467, 505).

 

-

[D'un cheval] "Se gratter, se mordre" : Quer ly uns chevaux prent a la fois roigne de l'autre et a la fois farcins et a la fois tortes, si comme il se demainent des dens et si comme il se defrotent et corrumpent ainxi l'air de leurs alaines. (Chir. chevaux P., c.1325-1350, 364). Vers naissent a la fois ou ventre du cheval : il se deteint tout et se demaine ses costés et si s'efforce mout de grater son ventre des piés derriere. (Chir. chevaux P., c.1325-1350, 394).

 

-

[De la mer] "S'agiter" : Et si avoit de bons courciers, Plus tost courans que nuls chevaus, Pour courir les mons et les vaux, Si comme l'onde se demeinne De la mer, quant li vens la meinne, Et la tourble et fait tempester, Si qu'on ne la puet arrester. (MACH., P. Alex., p.1369, 58).

II. -

Au fig.

A. -

Empl. trans. "Conduire"

 

1.

Demener qqn. "Conduire qqn, lui dicter sa conduite, le mener à sa guise" : Et pour ce qu'a Dieu vouloit plaire, Pour rien que contre li dire oie, Il ne voult issir de la voie Par ou charité le demaine (Tomb. Chartr. Trois contes S., c.1337-1339, 113). Guillaume, comment Droit pour vous demander osastes ? Je me merveil que vous pensastes, Quant vous en fustes si hastis. Ou vostres scens est trop petis, Ou outrecuidiers vous demeinne. (MACH., J. R. Nav., 1349, 198). Les escondis et les ottris, Les briés dons et les lons detris, De quoy bonne Amour ceaus demainne Qui elle tient en son demainne. (MACH., D. Aler., a.1349, 248). Voirs est que Nature norrit Par quoy li enfes vit et rit ; Et Bonneürtez le demeinne Tout parmi l'eüreus demainne, Tant qu'il est temps qu'en lui appere Que de Bonneürté se pere. (MACH., J. R. Nav., 1349, 270). Car [Raison] ne te scet par ou tenir Pour jovenece et pour delit, Qui te demainent jour et nuit. (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 116). Vous, curiaulx, que juenesse demaine, Aiez regart a voz predecessours (DESCH., Oeuvres R., t.7, c.1370-1407, 48). ...gardes que tu n'ensuives les abhominacions de ycelles genz et que il ne soit trouvé en toy qui demainne son filz ou sa fille en ce cas par feu ou qui ait a demander et enquerir as enchanteurs (FOUL., Policrat. B., II, 1372, 202). Et s'il a dedens l'omme enté Mouvement oultre volenté, Perdue y est toute la painne Se franc vouloir ne le demaine (LE FÈVRE, Respit Mort H., 1376-1380, 46). Port asseuré, maintien rassiz Plus que ne peut nature humaine, Et eussiez [vous, Marie d'Orléans] des ans trente six ; Enfance en rien ne vous demaine. (VILLON, Poèmes variés R.H., c.1456-1463, 44).

 

2.

Demener qqc. "Organiser, mettre en oeuvre, conduire qqc." : ...et puis aprés en pourra l'en rescrire plus a plain, pour ce que la nature de homme est tele que il convient les choses de quoy l'en veult bien avoir cognoissance par circonscripcion demener et disposer de point en point, l'une aprés l'autre. (ORESME, E.A., c.1370, 122). ...prelatz, barons et saiges hommes (...) regarderont justement à vostre gouvernement du temps passé, se il a bien esté ordonnez et demenez, ainsi comme il appartient à si haulte personne que vous estes. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 26). ...par grant orguel et beubant fu demenee ceste cose, car casquns voloit fourpasser son compagnon. (FROISS., Chron. D., p.1400, 724). ...mesires Ainmeris de Pavie (...) li remonstra toute la besongne, conment elle aloit et demenee elle estoit. (FROISS., Chron. D., p.1400, 862).

 

-

Demener un prix à qqn. "Décerner un prix à qqn" : Hiraut issent hors la porte Et crient hault, a longe alainne : "Le pris, le pris, on le demainne Au chevalier au soleil d'or..." (FROISS., Méliad. L., t.3, 1373-1388, 229).

 

.

Empl. abs. : Mais qui est cil qui es communs fais ose parler de la volenté du prince quant il ne li apartient de rien vouloir es choses communes fors ce que la loy et justice amonneste ou ce que la raison du commun profit si muet et demaine. (FOUL., Policrat., IV, 1372, 52).

 

-

"Gouverner" : ...et ait en li [en Dieu omnipotent] son esperance et sa droite creance, qui ordene tout a son avis et demaine sa propre nature en essauçant la a sa volenté, et en abessant, aussi, qui que il veult (VIGNAY, Théod. Paléol. K., c.1333-1350, 44). Cognois le roy qui tout demeinne Et qui pour toy prist char humaine (DUPIN, Mélanc. L., c.1324-1340 [c.1450], 164).

 

-

"Exercer (le pouvoir)" : Il avoit bien pres de diz ans Sa tirannie demenee, Quant il li plut qu'en la contree Levast un general treü, Greignour qu'onques n'avoit eü. (Tomb. Chartr. Souvain S., c.1337-1339, 27). LE ROI. Ensemble a moi venistes Et faussement vous dëistes (...) que du tout vous laissasse demener mon gouvernement (GUILL. DIGULL., Pèler. âme S., c.1355-1358, 163).

 

-

Demener aventures/demener bataille/demener guerre/... "Conduire, diriger (cette opération)" : La veïssiés behourt souffisant demener, et abatre l'un l'autre et eulx deshëaulmer (Tristan Nant. S., c.1350, 657). Or est il ainsi, dist il, que nous avons demené noz premieres batailles plus contre les dieux que contre les hommes (BERS., I, 9, c.1354-1359, 1.11, 2). ...pour ordonner officiers pour démener et conduire le fait de la guerre et aussi de la justice de ce royaume. (Ch. VI, D., t.1, 1419, 405). ...et pour ordonner officiers pour demener et conduire le fait de la guerre et aussi de la justice de ce royaume. (FAUQ., I, 1417-1420, 317). Laquelle chose se pourroit faire en mectant justice sus, en faisant paix ou bonne guerre ainsi qu'elle se doit demener (JUV. URS., Loquar, 1440, 305). Pluseurs aultres haultes et dures adventures ont esté demenées [et] a fin conduictes ou royaume d'Angleterre (C.N.N., c.1456-1467, 79). Puis en futaille fist foncer la vitaille, Que la bataille il pensoit de mener, Pour mieulx a point la guerre demener. (LA VIGNE, V.N., p.1495, 132).

 

-

Demener sa vie/demener ses jours. "Mener sa vie, passer son temps" : Ilz tiennet le tabour et la viele et s'esjoïssent ou son des orgues ; ilz demainent leur jours en biens delicieus... (FOUL., Policrat. B., III, 1372, 221). Et pou le [le marquis] veïst on meller De gouverner sa seignourie, Qu'en deduit demenoit sa vie Par champs, par boiz et par rivierez, A son gré en maintes manieres. (Gris., 1395, 4). Fouyr convient vilaine compaignie qui chastement veult demener sa vie. (COLART MANS., Dial. créat. R., 1482, 202).

 

-

Demener une (amoureuse, bienheurée, bonne, mauvaise...) vie. "Mener une vie (amoureuse, heureuse, bonne, mauvaise, ...)" : ...ou se mettra en religion, ou se devient sera hermite, qui demenera vie austère et frequentera avecques gens de saincte vie (Ovide mor. B., 1466-1467, 270). Cilz qu'est ribaulx publiquement Donne a sa femme esmovement De demener malvaise vie. (DUPIN, Mélanc. L., c.1324-1340 [c.1450], 197). Et ly roys Berinus demoura avecques la roÿne sa femme, et bonne vie et paisible demenerent ensemble (Bérinus, I, c.1350-1370, 189). Douce dame, faites que nous Demenons amoureuse vie (MACH., Voir, 1364, 328). ...que nous nous puissons doucement et loyalment amer et demener bonne vie (MACH., Voir, 1364, 738). Avec ceste dame, et non mie Avec autre, joyeuse vie Et bieneuree demenras, Et toute joye y averas (Gris., 1395, 94). Allons luy tenir compaignye Et demenons joyeuse vie. (Pac. Job M., c.1448-1478, 238). Mon seignieur, ce estoit ung sainct homs, Que az demené vie honeste On doibt feyre de luy grant feste (Myst. st Bern. Menth. L., c.1450, 176). ...puis avec messire Miles demourerent et demenerent joyeuse vie. (Nouvelles inéd. L., p.1452, 73).

 

-

Demener telle vie que ... : Bien estion une douzaine, Qui feusmes toute une sepmaine Ensamble en demenant tel vie Que certes je ne cuide mie Qu'oncques gens passasent sepmaine A plus grans plaisiers sans grant paine. (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 446).

 

-

Demener sa jeunesse : Batre, rouiller pour ce n'est pas scïence ; Tollir, ravir, piller, meurtrir a tort : De Dieu ne chault, trop de verité se tort Qui en telz faiz sa jeunesse demaine, Dont a la fin ses poins doloureux tort, Par offenser et prendre autruy demaine. (VILLON, Poèmes variés R.H., c.1456-1463, 62).

 

-

Demener paix. "Mener une vie paisible" : Las ! quant demouroye Seul, paix demenoye Et mon pain gaignoye Le mieulx que je pouoye. (Myst. Incarn. Nat. L., t.1, c.1454-1474, 342).

 

-

Demener feste. "Fêter" : [P. iron. à Jésus] Roy, tu dois bien demener feste ; Riche couronne as en la teste. (Myst. Pass. N.S. R., c.1350-1370, 175).

 

-

Demener sa voix. "Conduire sa voix" : ...et demenoit Doolin si bien et si seriement sa voix (...) que le roy Dannement en print joye (Doolin de Mayence V, P., a.1500, 111).

 

-

Au passif. "Être guidé" : Car ou vertueus l'appetit sensitif est obeïssant a l'appetit intellectif et par luy est regulé et demené. (ORESME, E.A.C., c.1370, 464).

 

-

[Avec l'idée d'un déroulement dans le temps] Tant demener. "Conduire qqc. pendant longtemps" d'où "traîner en longueur" : Tant fu demenés li temps, en faisant les pourveances dou prince (...) que madame la princesse travailla d'enfant et en delivra (FROISS., Chron. L., VII, c.1375-1400, 1). Il me samble que, quant on voelt faire et emprendre aucune besongne, que on ne le doit point tant demener, car, au detriier, on avisse ses ennemis. (FROISS., Chron. R., X, c.1375-1400, 255). ...si fut tant demenée ceste matière que, plusieurs années après, elle fut conclue (COMM., I, 1489-1491, 44). Tant fut demenée ceste praticque de paix, que le roy vint ung matin par eaue jusques viz à viz de nostre ost, largement chevaulx [= il y avait de nombreux cavaliers] sur le bort de la rivière. (COMM., I, 1489-1491, 75).

 

-

[Du Temps personnifié] : Mais le temps m'a tant demené Qu'a viellece m'a amené, Qui me tient yci en ce lit (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 189).

 

3.

En partic. DR.

 

a)

Demener justice. "Exercer la justice" : ...Justice n'y gardent a droit, Ainçois y est trop malmenee Et tres faulsement demenee. (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 68).

 

b)

Demener (un plaid, un procès, une cause, ...). "Examiner, mener (une affaire de justice)" : On a ci ce plait demené, Tant qu'on l'a par poins amené Jusques au jugement oïr. Resgardez qui en doit joïr. Jugiez selonc le plaidïé Qu'on a devant vous plaidïé. (MACH., J. R. Nav., 1349, 257). Si est bon que la question Seconde, dont nous parlion, Soit premierement ventilee, Bien plaidie, bien demenee Avant la diffinicion De la premiere question (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 362). Devant Ymagination (...) Fu une fois .I. plais empris Entre rose et la violette. La matere dont je vous trette Fu demenee sagement (FROISS., Dits Débats F., 1363-1393, 191). ...et aussi que la Court ne weille pas souffrir que des benefices qui ont esté donnez ou temps de la substraction qui fu faite à Nostre Saint Pere par le Conseil de l'Eglise et Court de France, les procès touchans icelle substraction ne soient demenez à Court de Romme. (BAYE, I, 1400-1410, 135). Avecques ce a en ceste Court advocas et procureurs ordonnez pour poursuir, demener et defendre les causes, qui chascun an font les sermens acoustumez. (BAYE, II, 1411-1417, 42). Avec ce, la Court commet et adjoint maistre Estienne des Portes, conseillier du Roy, pour entendre et demener le fait de ladicte execution avec les autres executeurs. (FAUQ., I, 1417-1420, 316). ...ledit de Morvillier, premier president, remonstra bien à plain comment, à grant et meure deliberacion, le procès d'entre lesdictes parties avoit esté introduit, demené et jugié en la Court de ceans (FAUQ., II, 1421-1430, 211). ...Et chascun d'eulx fut ententif et prest Pour oyr droit sur le cas pretendu, Qui demené estoit en tel aprest, Bien assailly, bien aussy deffendu. (MICHAULT, Procès honn. F., p.1461, 85). Veu par la court le procès d'incident demené par devant maistres Jehan Henry, president des enquestes, et Jehan des Plantes, conseillers du Roy (...), et depuis renvoyée par eulx en ladicte court. (Lettres Louis XI, V., Pièces justif., t.7, 1478, 299).

 

-

Demener (un heritage). "Saisir (un héritage)" : ...si est advenus que Jehan Courebrewe et Wernier, filz Collignon le mirai, et plussieurs autrez que thiennent de cellui heritaiges lour ont laixier a paier lour droicture, et pour le deffault de paiement la justice d'Allanmont ont ledit heritaige demeneis, tant qu'ilz l'ont cruxiet et embanit (Jug. maître-échev. Metz S.M.S., t.1, a.1494, 1333], 104). Jugement (...) que dit coment on puelt bien faire estaller ung homme pour debte qu'il doit sans escripts ou demener son heritaige pour la debte a paier, ou cais qu'il congnoit a lit de la mort par devant plussieurs bonne gens qu'il doit la debte. (Jug. maître-échev. Metz S.M.S., t.1, a.1494, 1365], 421).

 

-

Part. passé en empl. adj. : ...toutes leurs doubtes, debas, questions et descors et tout le demenement des procès et des choses demenées devant eulx metteront en leur conseil et ordenance (Trés. Reth. S.L., t.2, 1391, 374).

 

c)

"Poursuivre qqn en justice" : Mestre ung homme en lieu de ban. Jugement (...) que dit que, quant ung homme est fuer don païis et on le demonne pour aulcune chose c'on li demande sus l'eritaige sa femme et il ne revient point a paiïs, se mort non, jugement que dit sont ses cellui homme, li femme n'en tanrait rien... (Jug. maître-échev. Metz S.M.S., t.1, a.1494, 1351], 287).

 

d)

"Exercer la procédure en éviction" : ...ly maire puet, sour cheli negligent, demyneir, por cause de inobedienche, l'offische de son eskevinage (...) ; et, les demynemens passeis, ilh porait prendre saizine en aiouwe del evesque ou de saingnour à queil ilh en appartient de dit esquevinaige. (HEMRICOURT, Patron Temp. B., c.1360-1399, 97-98).

B. -

Empl. trans. "Traiter qqn ou qqc."

 

1.

"Traiter qqn"

 

-

Demener (qqn) (en telle maniere) : ...Tant m'est et oultrageuse et fiére Ceste amour qui si me demaine (Mir. abbeesse, 1340, 69). Tant ala, et si la maladie le demena que il le couvint arester et alitter en le cité d'Arras, et là morut. (FROISS., Chron. R., VIII, c.1375-1400, 165). ...je vueil (...) que les enfans tu demaines Ainsi com bon te semblera (Mir. ste Bauth., c.1376, 157). Et pour ceste cause, si comme disoit Platon, il convient que celuy qui doit venir a vertu soit tantost au commencement et en sa jonesce induit et demené en telle maniere comme a ce appartient. (ORESME, E.A., c.1370, 152). ...Mais ung peu te fault ycy demeurer, Et je iray tantost escouter Que de nostre maistre [Jésus] feront Et comment le demeneront. (Pass. Autun Biard F., 1470-1471, 85).

 

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Demener qqn. + adv. de manière. "Traiter qqn d'une certaine manière" : Mais sa main n'ostoit a nul fuer De la veinne qui vient dou cuer, Car bien savoit, la bonne et sage, Que dou cuer me venoit la rage Qui si griefment me demenoit, Et que d'ailleurs ne me venoit. (MACH., R. Fort., c.1341, 57). Les prisoners ovesqe eux maynent Et moult durement les demaynent. (HÉRAUT CHANDOS, Vie Prince Noir T., c.1385, 126). ...Si durement les demenerent Qu'a desconfiture menerent Pluseurs eschieles (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 257).

 

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En partic. [Sans compl. circonstanciel de manière] Demener qqn. "Tourmenter, maltraiter qqn" : ...car, ja soit ce que, quant Saül fust oynt, que il eust receü celle grace du Saint Espirit, toutevoies, quant l'Anemy d'Anfer le demena, il eust perdue celle grace du Saint Espirit, et ne pour tant David, aprés ce que il fust ainssi demené de l'Anemy, luy voult porter honeur et reverence, come il a esté dit. (Songe verg. S., t.1, 1378, 132). ...par quoy l'en devoit avoir et tenir lesdiz conseillers en grant reverence et honneur, et non pas les mannier ou demener, comme enfans d'escole, sers ou serviteurs (BAYE, I, 1400-1410, 152). D'autres parlons Et se attaindre verité en voulons, Comptons les biens et les maulx ne celons, Ou les dolens pour qui nous nous meslons Sont demenez, Chacez, attains, assailliz, pourmenez, Et longuement travaillez et penez, Plus que le cerf qui des chiens est venez. (CHART., D. Fort., 1412-1413, 181).

 

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P. méton. : En ce point se sent pourmené Mon povre cuer et demené Pour cil que j'aym plus que homme né, Se Dieu m'aÿe (CHART., L. Dames, 1416, 245).

 

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Tant demener. "Harceler" : ...et m'a tant demené qu'il m'a fait jurer que je lui ay promis la terre de Vauclere (Doolin de Mayence V, P., a.1500, 40-6). Et ma femme tant me demaine Que merveilles, et de pis en pis. (P. Jouh. D.R., a.1488, 16).

 

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En partic. La Mort le demene. "Il est sur le point de mourir" : Quelle actente pourray je avoir Que sancté puisse recepvoir, Quant desja la mort la demaine ? (MICHEL, Myst. Pass. J., 1486, 80).

 

2.

"Traiter qqc."

 

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"Traiter, exposer en détail (un propos)" : Ne sçay c'on vous en ait la chançon demenee. (Tristan Nant. S., c.1350, 718). Quant je raconte et demaine les desconvenues des chetifs truffleurs, je me fais ennemy de pluseurs gens. (FOUL., Policrat. B., III, 1372, 205). Ançois que j'en commence à parler, je voel un petit tenir et demener le pourpos de proece (...) car elle est mère materièle et lumière des gentilz hommes. (FROISS., Chron. L., I, c.1375-1400, 2). ...la matère en seroit trop longue à demener, je m'en passerai briefment. (FROISS., Chron. L., VII, c.1375-1400, 86). A quoy vous seroit la chose longuement demenée ? Ilz furent fiancez a grant joye, et le landemain furent espousez. (ARRAS, c.1392-1393, 170). Et Dieu loué ! à qui graces soient presentées, qui m'a presté engin, santé, temps et lieu de mener à ffin ceste petite compillacion par moy traittée, comme mon sens ne soit souf[fi]sant de bien demener si haulte matiere (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., II, 1404, 193). ...nous voulons briément demener et descrire en apert les fortunes et les cas d'aulcuns roys (PREMIERFAIT, Cas nobles hommes G., 1409, 93). Là, fist le sermon ung cordelier de Languedoc, maistre en théologie...Et print son theume Jhesus dixit pax vobis, lequel il demena moult bien. (Doc. 1409. In : MONSTRELET, Chron. D.-A., t.2 c.1425-1440, 13). Ne revele pas ton cuer a tout homme, mais demaine ta cause avec homme sage et cremant Dieu. (Internele consol. P., 1447, 287). Longuement et bien à ouvert je demaine ceste matère droit-cy, dont aucuns pourroient dire que se fust sans besoing et que telle folie et légèreté ne requièrent point d'en faire si long conte (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 263). Tout luy recite et le tout luy demeine. (SAINT-GELAIS, Enéide VI, B., c.1500, 373).

 

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Demener (qqc.) + adv. "Traiter, exposer (qqc.) d'une certaine manière" : ...si ne vous doy ne ne vueil desdire, mais suis preste d'obeir a vostre plaisir. Par Dieu, damoiselle, distrent les barons, vous dictes bien. A quoy vous seroit la chose longuement demenée ? Ilz furent fiancez a grant joye, et le landemain furent espousez. (ARRAS, c.1392-1393, 170). Là, fist le sermon ung cordelier de Languedoc, maistre en théologie ... Et print son theume Jhesus dixit pax vobis, lequel il demena moult bien. (Doc. 1409. In : MONSTRELET, Chron. D.-A., t.2 c.1425-1440, 13). ...après plusieurs excusacions et remonstrances qu'elle en bref luy troussa, qu'elle eust a aultre plus aigrement et plus longuement demené, elle fut contente qu'il sceust qu'il luy plaisoit bien. (C.N.N., c.1456-1467, 91).

 

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Demener qqc. bien et bel. "Exposer qqc. à la perfection" : Seigneurs, pieça n'oy sermon Ou eust tant de biens compris ; Car tout ce qu'a a dire empris A demené trop bien et bel. (Mir. emper. Romme, 1369, 243).

 

-

Empl. abs. "Discuter" : Le malade [au curé]. Vous en avez biau sermonner, Prescher, parler et demener, Se la me faictes advenir Et brief, sans plus y retourner, Jamais ne entends lui pardonner, Viengne ce qui en pourra venir. (HAUTEV., Conf. Test. am. tresp. B., c.1441-1447, 49).

 

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"Pratiquer, exercer" : ...lequel disoit que on devoit demener amistié ensemble en telle maniere que on eust tousjours memoire que celle grant amistié porroit estre convertie en tresgrant hayne. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 31).

 

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Empl. pronom. à sens passif [D'un processus] "Avoir son cours, se dérouler" : Ensi alant et venant se demenèrent ces coses et se degastèrent. (FROISS., Chron. R., VIII, c.1375-1400, 146). Ainsi se demenerent pluseurs années ces choses,et y sy nourrissoient haynnes couvertes et estoient nourries de longtemps (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 175). Laquelle chose se pourroit faire en mectant justice sus, en faisant paix ou bonne guerre ainsi qu'elle se doit demener (JUV. URS., Loquar, 1440, 305). Mais, s'il y a aucuns petitz compaignons qui veullent faire des entreprises et serchier leur avantaige et aller à leurs avantures, comme avantureurs font, par toutes les voies qu'ilz pourront grever leurs ennemyz, à leurs perilz et fortunes, vous leur en laisserez faire ; car il fault que la guerre se demaine en maintes manières. (BUEIL, II, 1461-1466, 218). Et, durant le temps que ces traictiez se demenoient, le roy Amydas faisoit forger artillerie et assembloit argent où il povoit finer (BUEIL, II, 1461-1466, 222).

C. -

Empl. trans. "Manifester qqc."

 

1.

[Le compl. désigne une forme de bruit]

 

-

Demener (grand) bruit/demener hutin/demener noise. "Faire de l'agitation" : PREMIER DYABLE. Alons ment, grant bruit demenant, Par ceste voie. (Mir. ev. arced., c.1341, 142). Entre IJ. tymbres et taburs, Menestriers de bouche, cymbales Faisoient restentir les sales, Et si grant noise demenoient Que toutes les gens essourdoient. (MACH., P. Alex., p.1369, 196). Et quant Sarrasins oyent la noise et le glay qu'ilz demainent en la cité, si furent moult esbahiz pourquoy ilz fesoient si grant feste. (ARRAS, c.1392-1393, 96). ...je voel (...) aler veoir ce grant enghien. (...) et nous meterons en painne de l'abatre et dou decoper, car il ne nous laisseroit dormir. Il demainne trop grant hustin, et se nous est trop proçains. (FROISS., Chron. D., p.1400, 528). ...il vint une vollee de corbaus (...) demenant tres grant noise. (FROISS., Chron. D., p.1400, 728). Quant viennent gens, je cours et happe ung pot, Au vin m'en voys sans demener grant bruyt ; Je leur tens eaue, froumaige, pain et fruyt. S'ilz paient bien, je leur diz : "Bene stat, Retournez cy, quant vous serez en ruyt, En ce bordeau ou tenons nostre estat." (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 124).

 

2.

[Le compl. désigne un sentiment]

 

-

Demener deuil : La s'empire Tire a tire ; La ne fait que fondre et frire ; La son dueil demeinne ; La, sans rire, Se martire ; La se mourdrist ; la desire Qu'il ait mort procheinne. (MACH., L. plour, 1349, 289). Helas ! tant ay doleur et peinne, Dame, quant de vous me depart Sans joie, que soiez certeinne Qu'à po que le cuers ne me part. Se demeinne mon dueil à part Si grant que trop cruel seroit Li cuers qui pitié n'en aroit. (MACH., Bal., 1377, 538). Et monta a cheval, et s'en va grant aleure au travers de la forest, ne scet quelle part. Et si grant dueil va demenant qu'il n'est corps de creature qui vous sceust dire la dixiesme partie de sa doulour. (ARRAS, c.1392-1393, 23). He ! treschiere dame, achoison Avons de grant dueil demener, Quant ensi vous veons mener En si dolante compaignie. Bien maleureuse est qui se fie En noblece si pou estable. (Gris., 1395, 84). Il vint rencontrer le curé plorant et demenant grand dueil, qui luy compta la mort de son bon compaignon. (C.N.N., c.1456-1467, 349). Lors demena Appolo le plus grant doeil du monde, car il amoit parfaitement Zechius. (LEFÈVRE (R.), Hist. Jason P., c.1460, 182).

 

-

Demener un cri : Et sachiés qu'elle demena tant cel horrible et haultain cry que les dames d'entour elle en eurent pitié et horreur (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 158).

 

-

Demener douleur : ...sy trouverent Berinus grant douleur demenant pour la mort de son pere (Bérinus, I, c.1350-1370, 99). Lors demaine la pucelle telle douleur que c'estoit grant pitié a veoir et se deteurtoit et tiroit ses cheveulx, que de l'angoisse qu'elle sentoit il n'a si dur cuer ou monde qui n'en eust eu pitié. (ARRAS, c.1392-1393, 181). Je ne croy pas qu'onques ancor Plus grant doulour fust demenee, Que toute creature nee Menoit du costé des Troyens (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 108). Souventeffoiz me dit le cueur : "Homme, ne te doulouse tant Et ne demaine tel douleur !" (VILLON, Test. M., 1461-1462, 41).

 

-

Demener joie : Li dieu de terre et de la mer Et des cieus, qu'on doit moult amer, Moult bonnement s'i esbatoient Et moult grant joie y demenoient. (MACH., F. am., c.1361, 202). Alez tantost a la royne Dire (...) qu'en son cuer joie demaine (Mir. ste Bauth., c.1376, 142). La ot grant joye demenee. (ARRAS, c.1392-1393, 282). Tout ce jour (...) se tinrent li Espagnol à l'ancre devant le Rocelle, en demenant grant joie et grant reviel. (FROISS., Chron. R., VIII, c.1375-1400, 43). ...chacun joye y demena. (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 37). SOTIE. Ha sotz ! [ha !] vous demenés joye (Vig. Trib., c.1480, 227).

 

3.

[Le complément désigne un plaisir ou un comportement]

 

-

Demener deduit : ...si que ilz ont ordonné celle nuyt a desmener leur desduit ensemble, et desirent moult que la nuit viengne. (Chev. papegau H., c.1400-1500, 42).

 

-

Demener delit : En tel joye et en tel desduit demoura il bien .viij. jours entiers, qu'il ne luy souvint de nulle autre chose du monde, fors demener son delit avec la Dame aux cheveux Blons si selleement que nul ne s'en apperceut. (Chev. papegau H., c.1400-1500, 43).

 

-

Demener feste : Et les chevaliers estoient en leur hostel, ou ilz demenoient grant feste, jusques a tant qu'il fut temps de couchier. (Bérinus, II, c.1350-1370, 112). Il n'euissent point si grant feste Demenet que il demenoient (FROISS., Méliad. L., t.2, 1373-1388, 89).

 

-

Demener plaisir : Chescun droit soy grant plaisir demenoit. (SAINT-GELAIS, Enéide VI, B., c.1500, 333).

 

-

Demener ses jangleries. "Plaisanter, se moquer" : ...icelles [chansons] achevees, je les donnoye es mains d'Abuz affin que de par luy feussent aux dames presentees. Lequel, en derriere de moy, en demenoit ses jangleries... (Abuzé D., c.1450-1470, 50).

 

4.

"Manifester"

 

-

Demener orgueil : ...Si voir que d'orgueil demener N'ay conscience ne desir. (Mir. parr., 1356, 37). Je (...) vuis et ordene que le jour de mon obseque aucuns chevalx, espee, ernois ne soient offers, ne aucun orguil do monde demenex, mais soit couvars mes vaiz d'ung bon burel noir... (Test. Besanç. R., t.1, 1372, 459).

 

-

Demener des grands estats. "Déployer de grand faste" : ...Et que venir ne pouoit bien Du tres grant orgueil qu'ilz menoient, Quant leurs grans estas demenoient, Et leur reproucheront l'avoir Et l'onneur qu'ilz seulent avoir. (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 89).

 

-

Demener maintien hautain. "Manifester une attitude altière" : ...Riant regard, trait amoureusement, Plaisant parler, gouverné par sagesse, Port femenin en corps bien fait et gent, Haultain maintien, demené doulcement, Acueil humble, plain de maniere lye, Sans nul dangier, bonne chiere faisant, Et de chascun pris et los emportant ; (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 25).

D. -

Empl. pronom.

 

1.

"Se comporter" : Ce ne convient il ja prouver : Mal vous puissiez vous demener, Car ja loaulté n'y querrez ! (Renart contref. R.L., t.1, 1328-1342, 10). Mais uncor font greignour oultrage Ceulx qui y viennent seulement [à l'église] Pour maintenir lor parlement Comment lors voisins se demainent, Dont souvent tel murmure mainent Que l'en n'y entent clerc ne prestre. (Tomb. Chartr. W., c.1337-1339, 46). ...parmy Acquitaine Guillaume le duc s'i demaine Trop mal (Mir. st Guill., c.1347, 11). Vin de singe se fait nonmer Vin qui ainsi fait demener Ceulz qui en boivent a oultrage. (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 154). Certes, n'en devez tenir compte : Elle s'est demenée a honte (Mir. emper. Romme, 1369, 274). Or porrés desormais entendre, Comment au gieu nous demenasmes. Il est voirs, que nous ordenasmes Nos bateilles et asseïsmes Nos eschés, si com nous veïsmes, Qu'il affiert au gieu de son droit. (Echecs amour. K., c.1370-1380, 117). Je croy que mes iex ne sont point enflambéz ne ma bouche torse ne je ne crie haut ne je n'escume ne m'eschaufe ne rougi ne ne di lourdes paroles ne chose dont je me doie repentir, ne ne tremble de courrouz ne me demaine point malcourtoisement. (FOUL., Policrat., IV, 1372, 74). Je vous pri conme ami feal Qu'en la chambre ennuit vous boutez De ma fille et si escoutez Quanque elle et son mari diront Et conment il se demenront (Mir. fille roy, c.1379, 90). Neron, Neron, mal esploitas, Quant oultre droit or convoitas, Quant ta propre mere tuas (...) Quant Romme ardis, la gent grevas, Quant les apostres martiras, Quant en tout mal te demenas, Quant en rez d'or en mer peschas, Et or vousis et or buras. En or boullant boulu seras Et sans durer y dureras. (Mart. st Pierre st Paul R., c.1430-1440, 156). GUILLEMETTE. Qu'esse ? Comment vous demenez ! Estez vous hors de vostre sens ? (Path. D., c.1456-1469, 106). ...et aucunes d'icelles [femmes] se mirent et rendirent en religion, en delaissant leurs plaisances et voluptez où par avant s'estoient demenées. (ROYE, Chron. scand., II, 1460-1483, 70).

 

-

"S'occuper à, faire des efforts pour" : ...de buens cuers et de bonnes pensees as quelles il est donné du pere de lumiere que ilz conversent et se demainent en la cognoissance et se gouvernent de tout leur pouoir en amour de bien. (FOUL., Policrat. B., III, 1372, 224). Li sires de Fagnuelles estoit montés sus .I. coursier trop merancolieus et mal afrenet ; si s'esfrea (...) et se demena tant que il fu mestres dou signeur de Fagnuelles et l'enporta, vosist ou non, droit enmi les logeis le roi d'Engleterre (FROISS., Chron. D., p.1400, 332).

 

2.

Se demener de qqc.

 

-

"S'inquiéter de qqc." : Dist Florence : "Veoir ne puis, Puis qu'il a tel empecement, Qu'il soit au tournoy nullement, Ou tant desiroit a aler." Lors en laissierent le parler, Ne plus la ne s'en demenerent Et en aultre pourpos entrerent. (FROISS., Méliad. L., t.2, 1373-1388, 97).

 

-

"Se déchaîner contre qqc." : S'un amant n'a tost son voulloir Faut il, pour ce, qu'il s'en demaine Et qu'il mesdie main et sois Des biens qu'Amours a en demaine ? (TAILLEV., Bien allée D., p.1440, 259).

 

3.

"Se lamenter" : ...doulx sire, pour Dieu refraingnez vostre maniere, car en ceste douleur demener ne pouez vous riens gaigner (Bérinus, II, c.1350-1370, 84). ...n'a si dur coer ou monde que, qui les veist demener et dolouser, qui n'en ewist pité. (FROISS., Chron. L., IV, c.1375-1400, 53). ...il conmenchierent tout et toutes a criier et a plorer si tenrement et si amerement que il ne fust si durs coers ou monde, se il les veist et oist euls demener, qui n'en euist pité. (FROISS., Chron. D., p.1400, 843).

III. -

Inf. subst.

A. -

"Manière d'agir, tractations" : Lors Jehan de Vy alla conter de point en article le premier abordement de Jehan Coustain à luy et le long demener d'entre eux deux, qui estoit terrible. (CHASTELL., Chron. K., t.4, c.1456-1471, 246).

B. -

"Allure, comportement" : Miaux sanble a vostre demener Que saüsseiz dames mener An une querole dancier Et vilains a terre lancier, Mener joie et oblier Deus, Que mener charrue de beus. (Renart contref. R.L., t.2, 1328-1342, 199).
 

DMF 2020 - Synthèse Hiltrud Gerner

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