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DAIGNER, verbe |
[T-L : deignier ; GD : digner ; GDC : degnier ; AND : deigner1 ; DÉCT : deignier ; FEW III, 78a : dignare ; TLF : VI, 675b : daigner] |
A. - | Daigner qqn/qqc. |
| - | "Juger qqn digne, prendre qqn en considération" : Et se pour pitié me daigniez Tant que de morir m'espargniez, Certes, Dieu si le vous rendra ([Mir. roy Thierry, c.1374, 279]). |
| - | Empl. abs. "Juger qqc. digne de soi" : Et d'aucunes bien s'en vengast Li gentils lions, s'il deignast. ([MACH., D. Lyon, 1342, 173]). LE PREMIER. Grande vaillance ! Se sera a toy se tu gaignes, Tourne toy deça se tu daignes, Tu vois bien ? LE DEUSIESME. Par la Magdaleine ! ([Tr. Men., c.1480-1500, 290]). |
| - | [Dans une tournure nég.] |
| . | Ne pas daigner qqn/qqc. "Dédaigner, repousser qqn/qqc." : Homs orgueillieux bouffit et souffle ; Il weult aler plus hault que escouffle. Orgueilleux son pareil ne daigne ([LE FÈVRE, Respit Mort H., 1376-1380, 102]). Mais quant se voit avironné L'omme de choses terriennes Ou que se sent roy couronné, Ne daigne les choses moyennes. ([MARTIN LE FRANC, Champion dames IV, D., 1440-1442, 32]). Le fort royaume de Bretaigne, Qu'orendroit nul vivant ne daigne, Dont montera en tel honneur Que autre a lui n'avra couleur. ([Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 925]). Souviengne vous comment vous m'avés promis que vostre femme seray. Ne faites pas comme ceulx qui les pucelles ne daignent quant leut voulenté en ont ! ([Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 1024]). |
| . | [D'une pers.] Non daigné. "Dédaigné, méprisé" : La porte susdicte est pourprisse Des gens, que le monde desprise : Ce sont les povres non daignez ([CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 99]). |
| . | Empl. abs. Ne pas daigner. "Considérer (qqc.) comme indigne de soi" : ESAÜ. ...jamais ne rapassera Seïr, qui est la droicte voye [Jacob], Ayt des gens tant qu'il luy plaira, Que, aussi tost qu'il arrivera, Barbe a barbe il ne me voye, Car ne cuide point que je soye Son subject ; je ne dagneroye ([Myst. Viel test. R., t.2, c.1450, 223]). |
| . | Loc. Veuille (ou) ne daigne. "Que quelqu'un veuille ou non" : "Toutesfoys, dit icy l'Ame, que il fault - vuellent ou ne daignent - que ilz confessent aucunes choses espirituelles, et lesquelles on ne puet congnoistre par les V sens corporelz..." ([GERS., Trin., 1402, 168]). ...il aura sa compaignie avant qu'elle luy eschappe, veille ne daigne ([C.N.N., c.1456-1467, 552]). |
B. - | Daigner + inf. |
| 1. | "Accepter de, consentir à, condescendre à" |
| - | [Avec générosité, sans tenir compte des mérites du bénéficiaire] : ...Se tu me puez ci faire entendre Que tel dame daignast descendre Des cieulx pour soy monstrer a moy. ([Mir. march. larr., c.1349, 108]). LA DAME. E ! Tresdoulce vierge honnoree, (...) Deignez vos oreilles ouvrir De pitié et m'entendez, dame ! ([Mir. enf. ress., 1353, 5]). LA DAME. (...) Vierge mere (...) Quant tu m'as daingnié regarder, Et de honteuse mort garder. ([Mir. enf. ress., 1353, 75]). Cecy se monstre en la doctrine de ses epistres, car, quant il ot veu les secrez des cieulz et estoit vierge, il daignoit descendre a ordonner le gouvernement des mariés et d'autres. Et pour ceste science qu'il ot des fais du monde, il estoit en continuelle plainte et gemissement pour les deffautz lesquelz il consideroit. ([GERS., P. Paul, a.1394, 510]). "A ! ma dame," dist Saintré, "pour Dieu me soit pardonné, car je ne avoie hardement, ne cuidoie que telles dames daignassent prendre de moy si petit don." ([LA SALE, J.S., 1456, 98]). ...[je] loe Dieu, qui me daigne appeller ainçois que j'aye fait plus de pechez ([C.N.N., c.1456-1467, 142]). |
| - | En partic. [Dans une requête, une prière] : Autrement dire ne le quier, Mais devotement vous requier Qu'Amours priez qu'elle me teingne Pour sien, et que ma dame deigne Mon petit service en gré prendre ([MACH., D. Lyon, 1342, 236]). LA DAME. E ! Tresdoulce vierge honnoree, (...) Deignez vos oreilles ouvrir De pitié et m'entendez, dame ! ([Mir. enf. ress., 1353, 5]). Se vous pri Merci Que de vostre grace pure Me daingniés clamer ami ([MACH., Ch. bal., 1377, 596]). |
| - | Empl. abs. "Accepter, avoir la bonté de" : ...Vierge toute doulce et tres benigne, Vierge, (...) vueilliez maintenant, daigniés, Dame, souffrez que je vous loue, donnez moy force et vertuz contre voz adversaires, et a tous ceulz qui presens sont ottroyez dignement ouyr et entendre chose qui soit a vostre saincte louenge et a nostre commune edificacion. ([GERS., Concept., 1401, 427]). |
| 2. | [Dans une tournure nég.] |
| a) | "Ne pas juger digne de soi de, ne pas consentir à (par dignité morale)" : Mais a ce jamais acorder Ne porroit son vueil a nul fuer Dame qui eüst vaillant cuer, Car frans cuers ce faire ne deingne. ([MACH., D. Lyon, 1342, 202]). ...si ai toute doubte et toute souspesson bouté hors de mon cuer, et tien que vostre belle et douce bouche ne daigneroit mentir. ([MACH., Voir, 1364, 426]). Si que sa mort vous conteray, Ne ja ne vous en mentiray ; Einsi comme cils le m'a dit Qui y estoit et qui la vit, Et qui mentir ne deingneroit Ne que un empereres feroit, Car il est chevaliers de pris, Sages, loiaus et bien apris. ([MACH., P. Alex., p.1369, 247]). Il y eut là moult de bons chevaliers et d'escuiers, d'un costé et d'aultre. Et bien le moustrèrent, car cil qui y furent mort et pris, de le partie dou roy de France, ne dagnièrent onques fuir ; mès demorèrent vaillamment dalés leur signeur et hardiement se combatirent. ([FROISS., Chron. L., V, c.1375-1400, 46]). ...Joffroys Teste Noire (...) ne daingnoit entendre à nul traittié du conte d'Armignac ne d'aultruy aussy, car il sentoit son chastel fort et imprendable ([FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 141]). ...et se tenoit le roy de Chippre a moult grant paine a cheval, car sachiez qu'il estoit bleciez de coup mortel (...). Mais il avoit le cuer plain de si grant vaillance que il ne le daignoit monstrer a sa gent, jusques a tant que ly uns des barons apperceut que le roy estoit, du senestre costé de la hanche jusques au talon, tous rouges de son sang ([ARRAS, c.1392-1393, 106]). Chils Godefrois de Harcourt fu uns chevaliers de grant corage (...) et ne daigna onques fuir en bataille ([FROISS., Chron. D., p.1400, 673]). Adoncques le Jouvencel demanda à l'escuyer, qui avoit nom Guillaume, et lui dit ainsi : "Guillaume, vous estes un escuier d'honneur ; et scay bien que vous ne daigneriez dire une chose si elle n'estoit vraye. Je me fie en vostre parolle..." ([BUEIL, II, 1461-1466, 237]). |
| b) | "Ne pas juger utile de, ne pas prendre la peine de, ne pas vouloir, refuser de" : ...[elle] vit passer au devant d'elle le dessus dit Jehan Miserelle, son voisin, lequel Miserelle ne la salua aucunement ; et pour ce que elle qui parle pensa que icell[i] Miserelle eust hayne aucune à elle depposant, ala par devers lui et lui dist : Miserelle, pourquoy ne daigniez-vous parler à moy ? Que vous ay-je mesfait ? Estes-vous mal de moy ? Je veuil savoir la cause pourquoy ; car vous avez acoustumé de parler à mon mary et à moy ([Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 62]). Ainsy font pluseurs qui ne se daignent repentir de cuer, ainsoys veullent tousjours attendre en leur ordure. ([GERS., Trin., 1402, 165]). Marque, or emportés les cloux Que mon mary, le villain gloux, Ne les a pas daigné forgier. ([Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 205]). Et tant lez a conquis perverse adhurterie et opinative esperance, que ilz ne daignent encliner leur entendement au sens de la lettre, maiz ozent forcer les sains textes, et contraindre la verité des prophecies a expositions controuveez. ([CHART., L. Esp., c.1429-1430, 106]). Veez cy ja la cinquiesme nuyt que je suis avecques vous, et si ne m'avez daigné approucher. [D'une jeune mariée à son époux] ([C.N.N., c.1456-1467, 300]). Veez-là ce mengeur de souppes et humeur de brouetz de court ! Te souvient-il bien que quant nous allions devers lui, il ne tenoit compte de nous et ne nous daignoit salluer ? Et toy, qui estoies son cousin, il avoit honte te veoir et te salluer. Ce n'est que ung flatteur et ung menteur..." ([BUEIL, I, 1461-1466, 55]). |
DMF 2020 - Synthèse |
Pierre Cromer |
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