C.N.R.S.
 
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     CONJURER     
FEW II-2 conjurare
CONJURER, verbe
[T-L : conjurer ; GD : conjurer ; GDC : conjurer ; AND : conjurer ; DÉCT : conjurer ; FEW II-2, 1055b : conjurare ; TLF : V, 1343b : conjurer1/conjurer2]

I. -

[Idée de serment fait ensemble]

A. -

"Jurer ensemble, faire serment ensemble"

 

-

Conjurer qqc. "S'engager par serment à qqc." : Les amis de Zethephius, oyans ces paroles, s'acorderent tous a faire pour lui tout ce qu'ilz porroyent. (...) et tant leur promist qu'ilz conjurerent la mort du roy Appollo et luy enconvenencerent qu'ilz le tueroyent s'ilz le trouvoient a leur advantage. (LEFÈVRE (R.), Hist. Jason P., c.1460, 185).

 

.

Conjurer que : ...car li prince des jouvenciaux de ces trois citez, Ausone, Muturne et Vescine, jusques a douze conjurerent entre eulz que il bailleroient leurs citez aus Rommains (BERS., I, 9, c.1354-1359, 25.4, 46).

 

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Conjurer à + inf. "Prendre l'engagement par serment de" : Car comme les femmes crueles et senz raison advisassent que par ceste ordonnance estoit descouverte aux hommes la laidure des femmes, elles conjurerent toutes a tuer Orpheus (PREMIERFAIT, Cas nobles hommes G., 1409, 172).

 

-

Empl. pronom. Se conjurer. "Se lier par serment" : A la parfin s'asemblerent li Etrurien au lac de Vadimone et ilecquez ce conjurerent il li uns a l'autre par loy sacree, si que a plus grans coppiez et a plus fiers couragez se combatirent il contre les Romainz que il n'avoient onques mes fait. (BERS., I, 9, c.1354-1359, 39.5, 72).

 

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Se conjurer que. "Prêter serment, jurer que" : ...il qui parle vint en Chastellet parler audit Breton, et lui recita les parolles dessus dites, en lui priant qu'il lui volsist dire la verité, et comment ladite perte estoit advenue. Lequel Breton se conjura fort qu'il avoit perdu lesdites lettres par la maniere que dit est dessus (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 537).

 

-

Part. passé en empl. adj. [D'une attitude, d'un comportement...] "Juré, obstiné, volontaire" : Trop est chose avanturee Prendre mort desnaturee Pour loz de poy de duree, Qui dechiet. Car louenge procuree En tel mort deffiguree Est de legier obscuree ; Et eschait Qu'en oubliance emmuree, Envie desmesuree, Detraction conjuree, L'omme enchiet. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 100).

 

-

Part. passé en empl. subst. "Celui qui est engagé par serment avec d'autres" : ...et disoit que il ne doubtoit point, se il estoit vooir ce que on li a doné entendre que, le Turnus ne viegne au matin, tous armés, au conseil avocquez grant compegnie de sez conjurés. (BERS., I, 1, c.1354-1359, 51.5, 85).

B. -

"Jurer ensemble (pour nuire à qqn), conspirer (contre qqn)" : C'est le serment parjurer. Forjurer Justice, qui rent tout droit A chascun son loyal droit ! Ne faisons pas murmurer, Conjurer ; Et n'ostons plus orendroit A chascun son loyal droit. (CHART., B. Nobles, c.1424, 399).

 

-

Conjurer ensemble : Ie te dy que tout enfer et tous les esperis qui y sont, tout le monde, non pas tout lexcercite de la cheualerie du ciel ou de paradis silz estoient tous assemblez et ilz auoient coniure ensemble, il nest pas en leur puissance extorquer ne faire consentir ton franc arbitre en quelconques chose grande ou petite se tu ne veulx et se tu ny tournes ta voulente... (CIB., p.1451, 223).

 

-

Conjurer contre soi. "Se nuire à soi-même" : Helas ! trop se desnature Qui se livre a poureture, Et son ame a l'enventure, Quant infortune contraire Le fait traire A son corps deffigurer. C'est contre Dieu procurer, Au saint Esprit murmurer, Et charité forjurer, Et de grace soy retraire, Et fortraire De gloire qui tousjours dure. C'est contre soy conjurer, C'est rayson desmesurer, C'est du tout avanturer Pour le mains le necessaire, Loy forfaire, Et estre au cresme parjure. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 21).

II. -

[Idée d'invocation ou d'imploration]

A. -

"Invoquer"

 

1.

Conjurer (un esprit, le diable, une puissance magique...) "Invoquer (pour faire apparaître)" : ...elle conjuroit l'ennemi par la forme et maniere que dit a dessus, en disant : Deable, ayde-moy, garde-moy, et que mon ami (...) ne puist avoir compaignie à autre que à moy (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 358). Et selon ce que les magiciens croient aussy et tiennent, elle suppose comme son plus principal fondement que les esperiz dessus diz par la vertu d'aucunes conjuracions puissent estre appellez et conjurez et contrains de venir au conjuraire finablement et de prestement comparoir devant lui aucunefois en certaine figure pour acomplir de fait tout son commandement et pour respondre a ce qu'il leur demande. (EVR. CONTY, Harm. sphères H.P.-H., c.1400, 94). Ces six dames furent si tres sages en leurs temps que se ce eust esté pour conjurer un bleu dyable ou pour le loyer dessus un coussin, si estoient elles assez expertes et habiles. (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 78). LE SECOND SOT. Il nous les vault mieux conjurer Affin qu'on voye leur pourtraicture. LE PREMIER. Ennemy je te conjure, Laide figure Beste a deux taux [ou daux "dos" ?] Que tu ne me faces nulz maulx. (Feste roys, c.1475-1500, 304-305).

 

2.

"Invoquer (le diable, dans un dessein d'exorcisme), le maudire, l'exorciser" : LE PAPE. De Dieu, en qui tout bien habonde. Te conjur, chose, se tu es Esperit d'annemi mauvès Que t'en voises sanz nous meffaire (Mir. prev., 1352, 269). Ly vesques de Forois de Jhésus le conjure Et ly dist : "Anemis de vilaine estature, Je te conjure de Dieu qui fourma créature..." (God. Bouillon R., t.2, c.1356, 332). Venez ça tous diables d'infer, Diables, diables, diables de mer, Diables conjurés par parolles, Diables qui parlez es ydoles, Diables dampnés, venez avant ! (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 240). ...et vindrent devant une paciente, ayant l'ennemy ou corpz (...). Adonc, les conjureurs furent fort esmerveilliét (...). Ledit prieur s'apensa comment il pourroit dechevoir l'ennemi et (...) commencha à dire Benedicite (...). Les ennemis furent conjuréz et aucuns d'eux se departirent. (MOLINET, Chron. D.J., t.2, 1474-1506, 220). SAINCT MARTIN. (...) (Il conjure le deable.) Deable qui t'es au corps bouté De ceste povre creature, Affin qu'en soye debouté, De par mon Dieu je [te] conjure Que, sans a nully faire injure, Dés maintenant tu voise hors ! (LA VIGNE, S.M., 1496, 461).

 

-

"Maudire (une idole)" : Et tellement celle ydolle fut gardee des deables que personne vivant, par puissance ne par sçavoir qu'il eust, ne l'eust sceu descendre ne destruyre ne mettre a bas, en telle maniere que, se aulcuns crestiens venoient au prés d'elle pour la veoir ou pour la voulloir destruyre ou conjurer, aussy tost qu'il la conjuroit ou preschoit, il estoit perillié en abisme (BAGNYON, Hist. Charlem. K., c.1465-1470, 179).

 

-

"Maudire qqn" : Et dit qui le veult escouter, Que je luy ay fait tout oster, Et me mauldit et me conjure. Brief, il dit de moy tant d'injure Que nul ne le seroit ["saurait"] penser. (Pouvre peuple H., c.1450-1492, 183). Ledit jour vint en la chapelle de ceans, Jehan Minot (...) qui disoit par son serment que jeudi, de nuyz, (...) vindrent en son hostel, environ minuyt, quatre compaignons pour le mettre a mort, lequel recouvra ung plancher ou il se deffendit bien demye la nuyt, luy et sa femme ; si ne se povoient plus deffendre que lesdiz mesfaiteurs ne les eussent occis et conquis. Si se vouerent ledit Jehan et sa femme, a madame sainte Katherine, et promist qu'il vendroit tout nu, en pain et en eaue. Et tantost lesdiz malfaiteurs s'en fouyrent ledit veu fait, comme gens conjurez et esbahiz. (Mir. ste Cath. Fierbois C., 1470-1483, 13).

 

Rem. Mabrien V., 1462, gloss. T-L : conjurer 699, l. 50.

 

3.

Conjurer qqn/qqc. "Prononcer sur qqn ou qqc. une formule magique, jeter un sort sur" : ...que lesdites invocacions de deable par elle ainsi faites, et ledit ennemi yssir hors de sadite maison, elle, à per soy, conjura iceulx deux chapeaux par trois fois en ceste forme : Deables, aydez-moy, gardez-moy, et que Hainsselin ne puist avoir compaignie à autre que à moy. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 356). La vielle qui le conjura Mauldissoit il par mille fois (MARTIN LE FRANC, Champion dames D., t.4, 1440-1442, 127).

 

-

Part. passé en empl. subst. "Celui qui est soumis à une incantation" : Alors le pouvre conjuré, en levant ses yeulz sur elle, en basse voiz ly dist : "Oÿ bien, ma dame, volentiers." (LA SALE, J.S., 1456, 34).

B. -

Conjurer qqn

 

1.

"Adjurer, implorer, supplier qqn avec insistance, sommer qqn" : La mort en fait lachement son devoir Quant el n'occit et chascun et chascune Sans espargnier ne beauté ne peccune ; Mais, malgré lour, tout efforceement. Je la requier craignant duel et torment ; Et elle soit par rigueur conjuree ! Elas ! Pourquoy m'a elle procuree Mort a demy sans l'avoir assouvie ? Vie en langueur, telle est ma destinee, Quant je ne voy ma doulce dame en vie. (CHART., R. Bal., c.1410-1425, 391). ...vous (...) Qui m'avez conjuré de tel conjurement... (Jourd. Blaye alex. M., a.1455, 516). Mais je te conjure par les fons ont tu as esté baptisé et par la foy que tu as donné a la crois ont ton dieu fut penduz et clavellez, et aussi par la loyauté que tu doys a Charles l'empereur et a Roland et és aultres pers de France, dy moy la verité de ton droit non et de ton lignaige. (BAGNYON, Hist. Charlem. K., c.1465-1470, 46).

 

Rem. Percef. I, R., c.1450 [c.1340], gloss. ; Myst. process. Lille K., t.3, a.1485, gloss. ...

 

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Conjurer qqn de qqc. : Puis que conjuré m'en avez, Dame, la verité savez De mon courage. (Mir. abbeesse, 1340, 69). Car oncques mal je ne te fis Et n'ay doubte qu'on me conjure De toy grever, soyes en fis ["je ne crains pas de me voir sommé de te faire du tort, car de toute façon je n'en ferais rien"]. (TAILLEV., Deb. cuer ueil D., c.1444, 201). Se la mort m'estoit au devant Et on m'en vouloit conjurer, J'en oseroye autant jurer Que vous m'en dictes [que Jésus-Christ est ressuscité], sur cela. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 845).

 

-

Conjurer qqn que : Adont s'est sa gent departie, Et la dame le conjura De tout le pooir que Dieux a Que il ly die s'il est homs Ou s'autre est se condicions, Et il respondi humblement : "Homs sui je, dame, vraiement..." (Dit prunier B., c.1330-1350, 82). ...il le conjura qu'il lui en dist verité...il le conjura qu'il lui en dist verité (Bérinus, I, c.1350-1370, 256). JEHAN. (...) De Jhesus le filz de Marie Vous conjur que plus ne parlez A moy, mais tost vous en alez De cy endroit. NOSTRE DAME. Amis Jehan, tu as bon droit Se ton cuer de paour varie. (Mir. st J. Paulu, c.1372, 123). Et lors elle qui parle, par l'invocacion du deable que elle apella à son ayde en la maniere qui ensuit, c'est assavoir : Ennemi, je te conjure, ou nom du Pere, du Fil et du Saint Esperit, que tu viengnes à moy ycy. (Reg. crim. Chât., I, 1389-1392, 355). Notez icy du roy Achaz qui vouloit aller en bataille, et les faulz prophetes luy denonçoient que tout irroit a son vouloir ; il conjura un bon prophete, Micheas, qu'il luy dist verité (GERS., Annonc., a.1400, 235). Je vous conjure, sur armes et sur amours, que me dictes la verité. (LA SALE, J.S., 1456, 226). Quant le roy entendy Appollo et regarda qu'il estoit de maintien honnourable, il le tira a part et le conjura qu'il lui deist qui il estoit et de quelle vie. Appollo commença a soy hontoyer quant il oy que le roy le conjuroit, mais neantmoins il luy afferma qu'il estoit roy d'Arcade, filz de Jupiter premier roy d'Athenés, et frere de Mars le dieu des batailles. (LEFÈVRE (R.), Hist. Jason P., c.1460, 178). (Ici s'en viennent les deables...) SAINCT MARTIN. (...) Ou nom de la puissance toute De Jhesucrist, je vous conjure Et de par luy je vous adjure Que tost en enffer retournez Pour faire ceste grant laidure, Et que jamais plus ne tournez ! (LA VIGNE, S.M., 1496, 516).

 

2.

"Adjurer (de se présenter), convoquer (les échevins en vue d'un jugement)" : ...et sera tenuz no diz baillieus de la dicte deffense recevoir et bailler aus diz eschevins et d'yaux conjurer sur ce, à fin de delivrance, se la dicte deffense est prouvée tele que de raison doie souffire à l'entente des diz eschevins à yciauls meffaisans delivrer (Hist. dr. munic. E., t.1, 1335,,, 324). ...nous vous mandons et commettons, se mestiers est, que, nonobstant le dit appel ou exemption, vous faictes et exerces tout l'office et juridiction de la dite baillie, conjures yceuls eschevins (Hist. dr. munic. E., t.1, 1347,,, 335).
 

DMF 2020 - Synthèse Robert Martin

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