I. -

[D'une pers. (ou d'un animal)]

A. -

"(Celui) qui ne voit que d'un oeil, borgne" : Mont est glaive mal assene A home borne et avugle, Qui a tastons en veut ferir (GUILL. DIGULL., Pèler. vie hum. S., c.1330-1331, 35). Il a deux bons yex, mais borgne est. (Mir. enf. ress., 1353, 29). S'il est bossu ou s'il est borgne, Boiteus, contrefait ou calorgne... (DESCH., M.M., c.1385-1403, 81). ...ce bon curé (...) estoit borgne (...) et n'y avoit aussi gueres grand luminaire en la chapelle (C.N.N., c.1456-1467, 339). Et, pour brief parler, tant d'hommes que de chevaulx, les plusieurs estoient, les uns borgnes et les autres boiteux d'aucun membre, et n'y avoit cellui qui ne portast les enseignes de son mestier. (BUEIL, I, 1461-1466, 23). ...comme borgne aux yeulx clos (LA VIGNE, V.N., p.1495, 296).

-

[De Fortune] : Ce nom li doing [à Fortune] : "Lorde, borgne, fausse et enfrune." De mal faire onques n'est geüne. (MACH., R. Fort., c.1341, 35). La deesse ne vëoit goute ; Comment que Catons pas ne doubte, Ains deffent son fil qu'il ne croie Que Fortune tresbien ne voie Ne qu'elle soit borgne ou avugle (MACH., Voir, 1364, 752).

-

Prov. Un borgne est roi au pays des aveugles : En cent aveugles borgne est roy. (Prov. rimes F.M., c.1485-1490, 38).

B. -

P. ext.

1.

"(Celui) qui louche" : Il a deux bons yex, mais borgne est. (Mir. enf. ress., 1353, 29). Ung borgne si n'a pas le nez Tout droit assis entre deux yeulx. (Menus propos P., 1461, 108).

-

Oeil borgne. "Oeil qui louche ou qui ne voit pas" : Mais ce qui plus va mon mal empirant, C'est ce que bien à mon borgne oueil parçoy Qu'à court de roy chascuns y est pour soy, Car il n'est homs qui tant à moy aconte Que de mes maus face samblant ne conte. (MACH., Compl., 1340-1377, 252).

2.

"Chassieux" : Lippus : borgne (Abavus IV, R., c.1350, 386).

C. -

Au fig.

1.

"Qui refuse de voir, qui veut s'aveugler" : Or le me fault perdre par toy, faulse borgne, traitre, envieuse. (ARRAS, c.1392-1393, 243).

-

Faire le borgne : Lors a Renars les yaux couvers, Le borne fait et le travers, Et dist : "N'i voi goute, compere ; Ge ne pourroie letre lere..." (Renart contref. R.L., t.2, 1328-1342, 242). Or ay je [Remondin] perdu beauté, bonté, doulcour, amistié, sens, courtoisie, charité, humilité, toute ma joye, tout mon confort, toute m'esperance, tout mon eur, mon bien, mon pris, ma vaillance, car tant pou d'onneur que Dieu m'avoit prestee me venoit de vous, ma doulce amour [Mélusine]. J'ay fait le borgne. Aveugle Fortune, dure, sure et amere, bien m'as mis du hault siege de ta roe ou plus bas et ou plus boueux et ort lieu de ta maison ou Jupiter abeure les laz, chetifs, doulereux et maleureux. (ARRAS, c.1392-1393, 243).

.

Faire la borgne agace. V. agace

2.

"Aveuglé" : ...et mes grandes defautz jeo ne sai nuls veoir ; et ceo n'est mye qe asseez et trop asseez il n'en y a, mes qe en les moyes jeo sui trop boornes et en les autri trop cler veaunt. (HENRI LANC., Seyntz medicines A., 1354, 12).

Rem. Il est impossible de classer les ex. avec certitude sous 1 ou 2. Sur Moy borgne d'oeul et le maire des letz de MOLINET, cf. J. Cerquiglini, L'Ecriture louche. La voie oblique chez les Grans Rhétoriqueurs, Coll. Milan, 1985, 21-31.

II. -

MAR. Voile borgne. "?"

Rem. L'idée doit être celle d'une voile incomplète ; mais en quoi ? Cf. TLF IV, 705a : ancre borgne. T-L I, 1073 cite (d'après l'éd. de la Soc. des Bibliophiles) f. du Ménagier (II, 52) l'ex. suivant : un coin borgne si comme il est ("einseitig"). Ce passage ne figure pas dans le texte de l'éd. Bereton-Ferrier. L'étymol. de borgne proposée dans FEW I n'est pas reprise dans FEW XV ; borgne n'apparaît pas non plus dans FEW XXI, 332 ou 333.