A. -

Au propre

1.

Baigner qqn/un animal

a)

"Mettre qqn dans un bain (principalement un enfant)" : Ores quant en mon bain entray, Ma chamberiere demanday Mon enfant avoir pour baignier, Et pour lui ses membres aisier. (Mir. enf. ress., 1353, 37). [Les insurgés, pénétrant dans le château du comte de Flandres]...trouvèrent le repos où li contes avoit esté mis d'enfance, et le despechièrent par pièces, et le cuvelette où on l'avoit baignié et la despechièrent ossi toute. (FROISS., Chron. R., X, c.1375-1400, 249). Ma fille ay baignié pour huymais Et mise a point. (Mir. fille roy, c.1379, 34). Ly roys Elinas (...) s'en vint despourveuement et entra en la chambre ou Presine baignoit ses trois filles. (ARRAS, c.1392-1393, 9). ...et l'enfant soit baigné en eaue ou soint cuytes des fleurs de camomille et de roses et de semence de fenugrec (PREVOST, Cir. Guill. Salicet, 1492, I, 2).

-

Baigner son corps. "Immerger son corps dans l'eau (pour le laver)" : Maiz, s'aucun homme avoit amors à baignier et laver son corps, Continuer le peut et doit, Car mains beaucop qu'il ne souloit (LA HAYE, P. peste, 1426, 86).

-

"Faire prendre un bain à (un oiseau de proie)" : Entre tierce et nonne devez Baignier vostre oysel, se poués (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 353). Et tousjours le couvient baignier et tenir sur la perche, et tousjours paistre de bonne viande chaude et vive (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 162).

.

Loc. Simple comme un chat baigné. "Penaud" : ...il vit nostre bouchiere plus simple [qu']un chat baigné (C.N.N., c.1456-1467, 277).

b)

"Procéder aux soins du bain de qqn" : Item, troys paveillons rons, à pignier, c'est assavoir : ung blanc, ung rouge et ung vert. Item, ung paveillon de toille, pour laver le Roy. Item, troys paveillons de toille grosse à baigner le Roy, deux courtines de mesmes... (Invent. mobilier Ch. V, L., 1379, 389).

c)

En partic. "Immerger qqn dans l'eau (à titre de purification rituelle)" : Aultres se font qui sont baigniez en queuves et puis revestus tout de neuf, et celle nuit vont veillier en l'esglise ou ilz doivent estre en devocion jusques après la grant messe chantee. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 234).

d)

"Faire prendre un bain forcé à qqn" : Et prestement furent prins, assavoir le dit Simon par icellui Huart et le dit feu Jehan par les dis deux autres compaignons qui le laisserent couler en la dicte riviere pour le baigner afin qu'il se gardast dez la en avant de peschier en icelle riviere (Arch. Nord, 1475, B 1698, f° 20, IGLF).

2.

[D'une pers., d'un animal] (Se) baigner

a)

"Se baigner, se tremper dans l'eau (d'une fontaine, d'une rivière...)" : Il vous convient, n'en rechinez, Qu'au jour d'uy tout nu vous bagniez En un vergier, mon ami doulx (Mir. fille roy, c.1379, 98). La vi je neuf dames venues Qui se baignoient toutes nues En la fontaine, en verité Moult sembloient d'auctorité Et de grant valour et savoir. (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 35). Et, le jour Saint Jehan Baptiste, XXIIIIe jour de juing, aucuns qui se baignoient à leurs plaisances en la riviere de Seine, par male fortune, se noierent. Et, pour cause de ce, fut crié par les carrefours de Paris que de là en avant nul ne feust si hardi de soy aler plus baigner en ladicte riviere, et que chascun tenist de jour devant son huis ung seau d'eaue, sur peine de prison et de LX sous parisis d'amende. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 49). Adonc ira l'homme saulvaige Sur Margne bannier et pescher (FLAMANG, Vie Pass. st Didier S., 1482, v.2147).

-

Inf. subst. [À propos du baptême de Jésus dans le Jourdain] "Fait de se baigner, de s'immerger dans l'eau courante" : (Jésus s'adressant à saint Jean-Baptiste) C'est en baptesme où nul grief n'est (...) auquel me faut par mon baingnier La vertu de l'autre baillier Et plus encor, quar il ara Vertu, dont le ciel ouverra Ce que ta baptisation Ne ausi circuncision N'ont pas ëu (GUILL. DIGULL., Pèler. J.-C. S., 1358, 160).

b)

"Prendre un bain (dans une baignoire)" : Ma cousine baingnoit Un jour de sa gesine, Et son enfant avecques li (Mir. enf. ress., 1353, 56). Que noyé l'a sa propre mere, Qui encore de lui gisoit, Ou baing ou elle se baingnoit, Pour ce que s'endormi ou baing. (Mir. enf. ress., 1353, 63). ...une nommée Jehannete, qui se baignoit avecques une sienne parente (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 461). Et estoit bien la grandeur de la cuve de XV. piez de roont tout autour en esquarrie, et y ot alees tout autour de bien V. piez de large. Et la se baignoit Melusigne en l'estat que vous orrez cy aprez en la vray histoire. (ARRAS, c.1392-1393, 242). Comment on doit abstiner de traveillier excessivement et de baigner en eaue chaulde en temps de pestillence. (LA HAYE, P. peste, 1426, 83). Puiz fault la manière exposer (...) Et par incident ensaignier S'un homme lors se doit baignier Ou de ce faire désister, S'il veult au péril résister. (LA HAYE, P. peste, 1426, 83). Quant est de l'autre entention Qui de baignier fait mention, Est ferme l'avis et estables (...) Que moult peut nuire et néant vault En ce temps user de baing chault (LA HAYE, P. peste, 1426, 85). Ung jour entre les aultres, madame eut volunté de se baigner. Si fist tirer le baing (C.N.N., c.1456-1467, 43). Et, oudit hostel, le roy y fist grant chere et y trouva trois beaulx baings honnestement et richement atintelez, cuidant que le roy deust ilec prendre son plaisir de se baigner, ce qu'il ne fist point, pour aucunes causes qui en raison le murent, c'est assavoir tant pour ce qu'il estoit enrumé que aussi pour ce que le temps estoit dangereux. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 183).

-

Baigné. "Qui prend un bain forcé" : ...il rapassèrent le rivière en grant malaise, car elle estoit grosse pour le plouviage, par quoi il en y eut assés de bagniés et des Englès noiiés. (FROISS., Chron. L., I, c.1375-1400, 62).

c)

"Plonger son corps (dans un liquide quelconque)" : Et pour ce, Constantin l'Emperiere ne se voulut baingnier en sanc de petis enfans pour guerir de sa maladie, et si li estoit conseillié par ses medicins. (ORESME, E.A.C., c.1370, 503). N'ayez en vous nulles discordes, Et tuez sans misericordes Les François sans les espargner, Et n'ayez pas peur qu'i vous mordent ; En leur sanc me feray baigner. (Myst. siège Orléans H., c.1480-1500, 454).

d)

[D'un animal] "Se plonger dans l'eau (pour se nettoyer, se rafraîchir, échapper aux chasseurs...)" : Et, se l'oysel se va baignier, Queer il a de l'eaue mestier, L'en ne le doit mie blasmer De ce de quoy fait a louer Quant garison selon nature Desire toute creature (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 8). Mais helas ! je fais doubte que pluseurs de nous ne ressemblent a la corneille qui se baigne souvent, et ja pourtant ne devient blanche. (GERS., Concept., 1401, 427). ...quant les cynes ou les oies se baignent et debatent en l'eaue, il n'y aura aucune faulte qu'il ne pleuve cellui jour. (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 97).

-

"Battre l'eau, nager" : Il [le cerf] entrera dedans l'estanc et se baignera un tour ou deux par tout l'estanc, et puis s'en istra arriere tout par la meïsmes ou il est entré (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 63).

B. -

P. anal.

1.

Baigner qqn/qqc.

a)

[Avec une valeur factitive] Baigner qqn dans son sang. "Faire que qqn soit couché dans son sang (comme dans un bain), massacrer qqn" : ...en ceste journee ilz seroient au dessus de leurs grans ennemis qui leurs parens et amis avoient baigniez par cruelle mort en leur sang (Comte Artois S., c.1453-1467, 94).

-

Baigner une arme (qq. part). "Faire s'enfoncer une arme (qq. part)" : Et quant il senti que le coup ala au roit, si bouta avant et lui baigna l'espee dedens le corps, dont fut si attaint que de lui plaindre n'ot pouoir, ains cheÿ a terre comme cellui qui estoit ferus a mort. (Bérinus, II, c.1350-1370, 145). Entre (et) fie et pomon li va le fier baignier. Toutes ses armeüres n'i valent .I. denier (Bât. Bouillon C., c.1350, 26). Frappez et tuez hardiement (...), Saigniez, tranchiez, couteaux baigniez ! (FLAMANG, Vie Pass. st Didier S., 1482, v.6887).

-

[Image guerrière] Baigner ses bras au sang de l'ennemi. : ...et n'avoyent synon menaces, obpropres et villonnies d'aucuns malvais garchons qui disoyent par maniere de derision, que le tampz estoit venu qu'ilz baigneroyent leurs bras ou sang des Flamengz. (MOLINET, Chron. D.J., t.1, 1474-1506, 583).

b)

[De la mer] "Border (une ville)" : Celle cité siet en Espaigne, La mer d'un des costez la baigne (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 255).

2.

[D'une chose] (Se) baigner dans qqc.

a)

"Se tremper, s'enfoncer, être trempé dans qqc." : [Didon] L'espée d'Eneas trouva Et en son corps si l'esprouva Qu'onques ne se pot espargnier Qu'en soy ne la feïst baingnier. (MACH., J. R. Nav., 1349, 209). Et vint au roy Ganor d'une lance lancer Sy qu'i lui fist le fer dedens le corps baigner (Tristan Nant. S., c.1350, 634). ...Et si li desmailla le bon hauberc doublier, Et par dedans le corps li fist le fer baignier (Brun de la Mont. M., c.1350-1400, 115). Et li IJ. trenchans se t'enseingnent Qui en sanc des hommes se baingnent. (MACH., P. Alex., p.1369, 14).

b)

"Être plongé dans qqc." : ...ung reliquiaire d'or bellong, où il a ou mylieu ung camahieu qui est assiz sur une cuve d'or en manière de soy baigner, garny de quatre balesseaulx, quatre esmeraudes, huit perles d'Escosse, et semé d'une très menue pierrerie (Invent. mobilier Ch. V, L., 1379-1391, 274).

c)

[Dun aliment] "Être couvert (par une sauce)" : De vostre gellee, la quelle sera rechauffee, versiez tant dessus la char que la char baigne et soit couverte dedens, car il n'y doit avoir que ung petit de char. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 251).

C. -

Au fig.

1.

Baigner qqn

-

Baigner qqn en qqc. "Inonder qqn de qqc., séduire qqn grâce à qqc." : Tant en paroles le baingna Que li vallez l'acompaigna ; An la nef se mistrent andui. (Renart contref. R.L., t.1, 1328-1342, 309).

-

Baigner son coeur en tel sentiment. "Plonger, immerger son coeur (dans tel sentiment)" : Et mon cuer en joie baignay Quant il si forment m'affermoit Qu'elle en moy son cuer enfermoit (MACH., Voir, 1364, 70). ...elle baignoit Son cuer en larmes amoureuses (MACH., Voir, 1364, 418).

2.

Se baigner

a)

Se baigner en/de qqc.

-

"Être plongé, immergé (dans tel sentiment)" : Car li cuers trop se destruit et mehaingne Qui en tel pleur et tel doleur se baingne (MACH., J. R. Beh., c.1340, 131). Tieulx y a, sanz nulle espargner, En joye les verriés baigner (CHR. PIZ., M.F., II, 1400-1403, 36). Alors se baignent D'aise, leur disant qu'ilz mespreignent, Puis eulx mesmes tant en enseignent De loing qu'il faut que tous l'appreignent. (CHART., L. Dames, 1416, 279). ...si firent tout communement au mieulx et plus joyeusement qu'ilz le peurent faire en disant chansons, dis et loëngez de toutez manierez que tous se baignoient en joie et estoit comme sans fin (Comte Artois S., c.1453-1467, 87). Mon cueur de lÿesse se baigne : Je commance a veoir la montaigne. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 976).

.

Prov. Tel se cuide baigner en consolation qui sera estuvé a sa malediction : Tels se cuide baignier en consolation Qui sera estuvés a se maleïchon. (Bât. Bouillon C., c.1350, 199).

.

(Estre) baigné en qqc. "(Être) rempli de qqc., imprégné de qqc." : Lors (...), Gettay un plaint et un souspir De parfont cuer, acompaingniés De plours et en larmes baingniés (MACH., R. Fort., c.1341, 57). Par grans souspirs, acompaingniés De plours et en larmes baingniés (MACH., D. Lyon, 1342, 194). Car tant sont baignez et empraintz voz cueurs en murmures et en priveez discordes, que jucquez dedens lez couchez, et ou meillieu de ceulx qui menguent et dorment ensemble, est la souppecon couverte, et la fiance fallie. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 82).

-

"Se complaire en qqc." : Maiz or a chascun mauvaiz hom De s'aviser belle saison ; Et s'ilz ne daignent Pour l'orgueil en quoy ilz se baignent, Au moins les oeuvres vous enseignent Qu'a lui mal vouloir ilz mespreignent. (CHART., L. Dames, 1416, 241). Maintenant faiz des chasteaulx en Espaigne, Puis me combas a l'empereur d'Almaigne. Veez la mon jeu et la ou je me baigne, Et en cela me cuide estre bien vengé. (HAUTEV., Compl. B., c.1441-1447, 64).

-

Se baigner de + inf. "Se plaire à" : ABISAY.Or les laissons a l'adventure, Comme gens villains et meschans, Sans enterrer, par my les champs ; C'est viande a bestes sauvages. ABIRON. Allons par villes et villages, Et tous ceulx que nous rencontrerons, Comme a ceulx cy nous leur ferons Car je me baigne de mal faire. (Myst. Viel test. R., t.5, c.1450, 65).

b)

Loc. Se baigner en roses. "Éprouver un grand plaisir" : ...et en cest estat passans parmy la ville tout du long que tout le monde les regardoit à merveilles, vinrent à trompettes et clairons descendre devant la maison du duc qui se baignoit en rose de les voir venir (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 153). Et par ainsi, ceux qui guères n'aimoient le chancelier (...) maintenant quant vinrent clameurs et doléances sourdre, puis contre le père, puis contre les enffans, se baignèrent en roses (CHASTELL., Chron. K., t.3, c.1456-1471, 336). De ceste venue en Londres du comte de Warwyc, et d'avoir prospéré si avant, fut faite grande joie entre les François. Et se baignoit le roy Loys en roses (...) d'oyr ceste bonne aventure (CHASTELL., Chron. K., t.5, c.1456-1471, 487).

c)

Empl. abs. "Se délecter" : Et voulentiers s'entre acompaignent Et bien leur semble qu'ilz se baignent, Quant nuire pevent aux montans (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 113). Veez cy bon temps pour soy baigner Et pour mener joyeuse vie ! (Pass. Auv., 1477, 134).